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Trente ans après la loi Gayssot, quel bilan ?

Publié par La Rédaction13 juillet 2020,

La loi Gayssot a-t-elle réussi à contenir le négationnisme ou l'a-t-elle au contraire stimulé ? Quels problèmes pose-t-elle ? Que signifierait aujourd'hui une abrogation de cette loi pourtant validée par le Conseil constitutionnel ?

L'hémicycle de l'Assemblée nationale, au Palais Bourbon (crédits : DR).

Il y a trente ans aujourd'hui, la loi Gayssot créait dans le droit français le délit de contestation de crime contre l'humanité. Pour cette occasion, Conspiracy Watch publie en accès libre une notice d'information rappelant les conditions dans lesquelles cette loi a été adoptée et les arguments qu'ont fait valoir au cours du temps ses partisans et ses détracteurs.

Fallait-il voter la loi Gayssot ? Ce n'est pas la question posée aujourd'hui. Il y avait d'excellentes raisons de s'y opposer. Et rien ne permet d'affirmer que, sans loi Gayssot, le négationnisme pourrait compter, en France, sur un nombre d'adeptes significativement plus élevé.

Insoupçonnables de la moindre complaisance avec le négationnisme, Pierre Vidal-Naquet, Madeleine Rebérioux, François Furet et d'autres pointèrent, dans les années 1990, les risques que pouvait faire peser une telle loi sur la liberté de la recherche mais aussi ses possibles effets pervers. Ne risquait-elle pas de faire le jeu des négationnistes en accréditant l'idée d'un « complot juif » ? C'est le sens des mots de Simone Veil. Pour l'ancienne déportée, survivante d'Auschwitz, interdire la négation de la Solution finale « est une erreur, parce qu'on a l'air de vouloir cacher des choses, on n'a rien à cacher. L'histoire est flagrante, elle est ce qu'elle est, il ne faut pas empêcher les historiens de travailler. » La loi ne permet-elle pas aux négationnistes de se faire passer pour des martyrs de la liberté d'expression ? N'entrouvre-t-elle pas dangereusement la boîte de Pandore de la « concurrence  mémorielle » (même si, depuis 2017, les mêmes dispositions sont applicables concernant la négation du génocide des Tutsi du Rwanda) ? Ces questions demeurent entières.

Quel bilan peut-on tirer de cette loi qui, en 2016, fut validée par le Conseil constitutionnel à la faveur d'une question prioritaire de constitutionnalité déposée par le négationniste Vincent Reynouard ?

La loi Gayssot a-t-elle eu pour effet, comme on pouvait le craindre, de stimuler le négationnisme ? En réalité, rien ne permet de l'affirmer. La France est l'un des pays du monde où les idées négationnistes ont le moins de succès, autour de 2% selon une enquête d'opinion Ifop que nous avons menée en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès.

Est-ce à dire que la loi Gayssot a réussi à faire reculer le négationnisme ? Pour répondre à cette question, il faudrait pouvoir évaluer les parts respectives, dans la stagnation du négationnisme dans notre pays, d'un côté de la loi Gayssot, de l'autre de l'apport des historiens à notre connaissance du génocide, un apport considérable au cours de ces trois dernières décennies.

Le négationnisme n'est pas mort. Il a même probablement trouvé une nouvelle vigueur avec Internet. Les militants négationnistes ont le profil-type de ces croyants radicaux dont l'activisme a tout à gagner au grand mouvement de « dérégulation du marché de l'information » mis en évidence par Gérald Bronner dans ses travaux. La révolution numérique des deux dernières décennies a considérablement changé la donne en matière de diffusion des idées extrémistes. Force est de constater que des thèses pourtant totalement discréditées sont parvenues à toucher un nouveau public et à recruter directement par écrans d'ordinateurs ou de smartphones interposés, soit très au-delà de l'espace du militantisme politique traditionnel. Les moins de 25 ans sont ainsi nettement plus ouverts aux idées négationnistes que leurs aînés.

Le négationnisme prolifère aussi sur un relativisme très répandu ayant pour corollaire de mettre au même niveau experts et activistes et de brouiller toute distinction entre sources d'informations fiables et douteuses. Il se nourrit du conspirationnisme ambiant et recrute par le truchement de personnalités comme Dieudonné ou Alain Soral, fortement exposés médiatiquement. On le constate régulièrement, les héritiers de Faurisson ne se limitent pas au cercle restreint des nostalgiques du Troisième Reich. Blogueurs, vidéastes, activistes de la « Dissidence » s'avèrent particulièrement perméables à l'argumentaire négationniste, reprenant à leur compte la phraséologie faurissonienne. De la même manière, les thèses de Faurisson ont fait leur apparition, au cours de la décennie écoulée, sur des sites conspirationnistes dont l'antisémitisme n'est pourtant pas le fonds de commerce principal : la remise en cause de l'existence des chambres à gaz y côtoie des contenus sur les « chemtrails », les Illuminati, le Bilderberg, le 11-Septembre, la dangerosité supposée des vaccins ou le coronavirus.

Une impunité quasi-généralisée règne en matière d'expression des idées négationnistes : les propos qui revêtent un tel caractère sont peu régulés par les grandes plateformes de réseaux sociaux lorsqu'elles émanent d'utilisateurs anonymes. Une part infime des internautes a le réflexe de signaler ces contenus qui ne font que de manière exceptionnelle l'objet d'une constatation par huissier. Le volume des propos de ce type est tel que les plaintes en la matière demeurent, en regard, relativement rares, se concentrant sur les têtes d'affiche de la scène négationniste : Robert Faurisson, Vincent Reynouard, Roger Garaudy, Alain Soral, Dieudonné M'Bala M'Bala, Jérôme Bourbon, Henry de Lesquen... Quant aux peines prononcées, elles consistent dans la plupart des cas en une sanction pécuniaire. Une réalité aux antipodes de la « dictature totalitaire » dénoncée à longueur de temps par les négationnistes pour mieux se victimiser.

Le négationnisme est-il sur le point de disparaître ? On peut en douter. On sait en effet qu'il existe un lien entre la négation ou la minimisation du génocide et la connaissance de l'événement lui-même. Là où l'histoire du génocide est enseignée, les idées négationnistes sont contenues. Là où elle ne l'est pas, elles prospèrent. Or, nous basculons de manière irréversible dans une époque où les derniers témoins du génocide auront disparu. Chaque jour qui passe nous éloigne un peu plus de cette histoire. Il serait donc logique que cette configuration finisse par profiter à la croisade négationniste. D'autant que le négationnisme dispose d'une marge de progression apparemment considérable. Un Français sur cinq approuve en effet l'idée qu'il existerait un « complot sioniste mondial », une idée qui est au cœur du discours négationniste, au cœur même de la fameuse phrase de soixante mots de Robert Faurisson. Une idée dix fois plus prégnante que le négationnisme lui-même à proprement parler.

Abroger la loi Gayssot serait-il catastrophique ? Probablement pas. Mais quelle urgence y aurait-il à revenir, aujourd'hui, sur une loi qui n'a jamais troublé la sérénité d'aucun historien ni entravé la moindre recherche historique sur la Seconde Guerre mondiale ? Abroger la loi Gayssot reviendrait en fait à accéder à la revendication centrale des négationnistes. Ces derniers accueilleraient triomphalement un tel retour en arrière. Ils présenteraient tous ceux qui ont été condamnés au titre de la loi Gayssot comme les victimes d'une législation « inique » et s'engageraient dans des campagnes de réhabilitation. N'en doutons pas : ils ne tarderaient pas à réinvestir dans leur entreprise de falsification de l'histoire toute l'énergie qu'ils déploient à lutter contre cette loi. Les négationnistes ne sont pas stupides. Ils ont conscience de leurs intérêts. S'ils mettent un tel acharnement à combattre la loi Gayssot, ce n'est pas en raison d'un quelconque souci des libertés publiques ou de la vérité historique : beaucoup d'entre eux sont clairement fâchés avec les faits quand ils ne sont pas carrément fascinés par un régime criminel fondamentalement liberticide. S'ils combattent la loi Gayssot, c'est parce qu'ils savent qu'elle constitue une pierre dans leur jardin, qu'elle représente au moins autant un verrou judiciaire qu'un verrou symbolique et politique.

Faut-il leur faire ce cadeau ?

 

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Loi Gayssot

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L'hémicycle de l'Assemblée nationale, au Palais Bourbon (crédits : DR).

Il y a trente ans aujourd'hui, la loi Gayssot créait dans le droit français le délit de contestation de crime contre l'humanité. Pour cette occasion, Conspiracy Watch publie en accès libre une notice d'information rappelant les conditions dans lesquelles cette loi a été adoptée et les arguments qu'ont fait valoir au cours du temps ses partisans et ses détracteurs.

Fallait-il voter la loi Gayssot ? Ce n'est pas la question posée aujourd'hui. Il y avait d'excellentes raisons de s'y opposer. Et rien ne permet d'affirmer que, sans loi Gayssot, le négationnisme pourrait compter, en France, sur un nombre d'adeptes significativement plus élevé.

Insoupçonnables de la moindre complaisance avec le négationnisme, Pierre Vidal-Naquet, Madeleine Rebérioux, François Furet et d'autres pointèrent, dans les années 1990, les risques que pouvait faire peser une telle loi sur la liberté de la recherche mais aussi ses possibles effets pervers. Ne risquait-elle pas de faire le jeu des négationnistes en accréditant l'idée d'un « complot juif » ? C'est le sens des mots de Simone Veil. Pour l'ancienne déportée, survivante d'Auschwitz, interdire la négation de la Solution finale « est une erreur, parce qu'on a l'air de vouloir cacher des choses, on n'a rien à cacher. L'histoire est flagrante, elle est ce qu'elle est, il ne faut pas empêcher les historiens de travailler. » La loi ne permet-elle pas aux négationnistes de se faire passer pour des martyrs de la liberté d'expression ? N'entrouvre-t-elle pas dangereusement la boîte de Pandore de la « concurrence  mémorielle » (même si, depuis 2017, les mêmes dispositions sont applicables concernant la négation du génocide des Tutsi du Rwanda) ? Ces questions demeurent entières.

Quel bilan peut-on tirer de cette loi qui, en 2016, fut validée par le Conseil constitutionnel à la faveur d'une question prioritaire de constitutionnalité déposée par le négationniste Vincent Reynouard ?

La loi Gayssot a-t-elle eu pour effet, comme on pouvait le craindre, de stimuler le négationnisme ? En réalité, rien ne permet de l'affirmer. La France est l'un des pays du monde où les idées négationnistes ont le moins de succès, autour de 2% selon une enquête d'opinion Ifop que nous avons menée en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès.

Est-ce à dire que la loi Gayssot a réussi à faire reculer le négationnisme ? Pour répondre à cette question, il faudrait pouvoir évaluer les parts respectives, dans la stagnation du négationnisme dans notre pays, d'un côté de la loi Gayssot, de l'autre de l'apport des historiens à notre connaissance du génocide, un apport considérable au cours de ces trois dernières décennies.

Le négationnisme n'est pas mort. Il a même probablement trouvé une nouvelle vigueur avec Internet. Les militants négationnistes ont le profil-type de ces croyants radicaux dont l'activisme a tout à gagner au grand mouvement de « dérégulation du marché de l'information » mis en évidence par Gérald Bronner dans ses travaux. La révolution numérique des deux dernières décennies a considérablement changé la donne en matière de diffusion des idées extrémistes. Force est de constater que des thèses pourtant totalement discréditées sont parvenues à toucher un nouveau public et à recruter directement par écrans d'ordinateurs ou de smartphones interposés, soit très au-delà de l'espace du militantisme politique traditionnel. Les moins de 25 ans sont ainsi nettement plus ouverts aux idées négationnistes que leurs aînés.

Le négationnisme prolifère aussi sur un relativisme très répandu ayant pour corollaire de mettre au même niveau experts et activistes et de brouiller toute distinction entre sources d'informations fiables et douteuses. Il se nourrit du conspirationnisme ambiant et recrute par le truchement de personnalités comme Dieudonné ou Alain Soral, fortement exposés médiatiquement. On le constate régulièrement, les héritiers de Faurisson ne se limitent pas au cercle restreint des nostalgiques du Troisième Reich. Blogueurs, vidéastes, activistes de la « Dissidence » s'avèrent particulièrement perméables à l'argumentaire négationniste, reprenant à leur compte la phraséologie faurissonienne. De la même manière, les thèses de Faurisson ont fait leur apparition, au cours de la décennie écoulée, sur des sites conspirationnistes dont l'antisémitisme n'est pourtant pas le fonds de commerce principal : la remise en cause de l'existence des chambres à gaz y côtoie des contenus sur les « chemtrails », les Illuminati, le Bilderberg, le 11-Septembre, la dangerosité supposée des vaccins ou le coronavirus.

Une impunité quasi-généralisée règne en matière d'expression des idées négationnistes : les propos qui revêtent un tel caractère sont peu régulés par les grandes plateformes de réseaux sociaux lorsqu'elles émanent d'utilisateurs anonymes. Une part infime des internautes a le réflexe de signaler ces contenus qui ne font que de manière exceptionnelle l'objet d'une constatation par huissier. Le volume des propos de ce type est tel que les plaintes en la matière demeurent, en regard, relativement rares, se concentrant sur les têtes d'affiche de la scène négationniste : Robert Faurisson, Vincent Reynouard, Roger Garaudy, Alain Soral, Dieudonné M'Bala M'Bala, Jérôme Bourbon, Henry de Lesquen... Quant aux peines prononcées, elles consistent dans la plupart des cas en une sanction pécuniaire. Une réalité aux antipodes de la « dictature totalitaire » dénoncée à longueur de temps par les négationnistes pour mieux se victimiser.

Le négationnisme est-il sur le point de disparaître ? On peut en douter. On sait en effet qu'il existe un lien entre la négation ou la minimisation du génocide et la connaissance de l'événement lui-même. Là où l'histoire du génocide est enseignée, les idées négationnistes sont contenues. Là où elle ne l'est pas, elles prospèrent. Or, nous basculons de manière irréversible dans une époque où les derniers témoins du génocide auront disparu. Chaque jour qui passe nous éloigne un peu plus de cette histoire. Il serait donc logique que cette configuration finisse par profiter à la croisade négationniste. D'autant que le négationnisme dispose d'une marge de progression apparemment considérable. Un Français sur cinq approuve en effet l'idée qu'il existerait un « complot sioniste mondial », une idée qui est au cœur du discours négationniste, au cœur même de la fameuse phrase de soixante mots de Robert Faurisson. Une idée dix fois plus prégnante que le négationnisme lui-même à proprement parler.

Abroger la loi Gayssot serait-il catastrophique ? Probablement pas. Mais quelle urgence y aurait-il à revenir, aujourd'hui, sur une loi qui n'a jamais troublé la sérénité d'aucun historien ni entravé la moindre recherche historique sur la Seconde Guerre mondiale ? Abroger la loi Gayssot reviendrait en fait à accéder à la revendication centrale des négationnistes. Ces derniers accueilleraient triomphalement un tel retour en arrière. Ils présenteraient tous ceux qui ont été condamnés au titre de la loi Gayssot comme les victimes d'une législation « inique » et s'engageraient dans des campagnes de réhabilitation. N'en doutons pas : ils ne tarderaient pas à réinvestir dans leur entreprise de falsification de l'histoire toute l'énergie qu'ils déploient à lutter contre cette loi. Les négationnistes ne sont pas stupides. Ils ont conscience de leurs intérêts. S'ils mettent un tel acharnement à combattre la loi Gayssot, ce n'est pas en raison d'un quelconque souci des libertés publiques ou de la vérité historique : beaucoup d'entre eux sont clairement fâchés avec les faits quand ils ne sont pas carrément fascinés par un régime criminel fondamentalement liberticide. S'ils combattent la loi Gayssot, c'est parce qu'ils savent qu'elle constitue une pierre dans leur jardin, qu'elle représente au moins autant un verrou judiciaire qu'un verrou symbolique et politique.

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