Dix entretiens avec des penseurs « iconoclastes, visionnaires et acteurs du pouvoir ». C'est ce que nous promet Julian Assange, le sulfureux fondateur du site Wikileaks, pour l'émission de télévision qu'il animera à compter de la mi-mars depuis le manoir anglais où il est assigné à résidence. Une émission qui ne sera pas retransmise sur n'importe quelle chaîne, mais sur l’un des principaux vecteurs audiovisuels de théories du complot qui existent à ce jour : Russia Today.
Chaîne anglophone d’information en continue, « RT » a été lancée fin 2005 par l'agence de presse gouvernementale russe RIA Novosti. Son créateur, Mikhail Lesin, ancien ministre de la communication puis conseiller de Vladimir Poutine, a voulu doter le Kremlin d’un instrument de soft power capable de rivaliser avec CNN et la BBC. Mais RT n’est pas tout à fait une chaîne d’information comme une autre. Décriée pour ses manquements répétés aux règles de base de la déontologie journalistique – dans sa couverture du conflit russo-géorgien de 2008 en particulier –, elle est fréquemment dépeinte comme une « chaîne de propagande » digne de l’époque soviétique. Au point d’avoir fait signer à chacun de ses employés une déclaration par laquelle ils s’engagent à ne pas parler à d’autres médias.
La mission assignée à RT semble être tout à la fois de redorer le blason de la Russie à travers le monde et de mener une véritable guerre de l’information aux médias occidentaux, à qui il est reproché d’exercer une hégémonie préjudiciable à Moscou. Mais pour contrebalancer la force de frappe médiatique de l’information made in USA, RT ne recule devant aucun moyen. La chaîne russe, qui revendique fièrement son ton décalé, représente aujourd’hui une tribune de choix en même temps qu'un refuge pour toute une faune hétéroclite de journalistes, blogueurs, hommes politiques, universitaires ou activistes qui ont une fâcheuse tendance à voir des complots partout – de préférence des complots de la CIA et du Mossad. RT diffuse par exemple sur son site internet un long article en trois parties intitulé « 911 raisons qui font que le 11-Septembre a (probablement) été fomenté de l’intérieur » reprenant consciencieusement l'argumentaire complotiste habituel.
Ce tropisme conspirationniste est pour ainsi dire inscrit dans l'acte de naissance de la chaîne : avant même de commencer à émettre, RT s’était en effet associée au Réseau Voltaire pour organiser, sous l’égide de Thierry Meyssan, une conférence des « non-alignés », Axis for Peace, rassemblement improbable d’« experts » communiant dans la certitude que l'impérialisme américain est la source du mal sur la Terre.
Selon une technique éprouvée, la plupart des personnalités auxquelles RT ouvre grand ses micros ont des passeports américains, canadiens ou européens. Issus généralement des franges les plus radicales du spectre politique, beaucoup d'entre elles professent un discours classiquement paranoïde voire parfois complètement délirant (références aux Illuminati par exemple). Les fidèles lecteurs de Conspiracy Watch retrouveront des figures connues du conspirationnisme contemporain (lire de gauche à droite) :
L'eurodéputé italien Giulietto Chiesa (auteur du film conspirationniste Zéro, enquête sur le 11-Septembre, intervenant à la conférence Axis for Peace organisée par Thierry Meyssan), l'ancienne congressiste américaine Cynthia McKinney (Green Party, 9/11 Truth Movement) et le républicain Ron Paul (candidat libertarien aux présidentielles américaines).
Peter Joseph (fondateur du mouvement Zeitgeist), Luke Rudkowski (fondateur du mouvement conspirationniste WeAreChange) et Kevin Barrett (9/11 Truth Movement).
L'avocat Jacques Vergès, le journaliste belge Michel Collon (intervenant à la conférence Axis for Peace, de Thierry Meyssan) et le physicien belge Jean Bricmont (intervenant à Axis for Peace).
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