
Retour en arrière sur le 18 novembre 2005, à Bruxelles, où le Réseau Voltaire vient d’organiser une conférence intitulée « Axis for Peace ». Ceux qui y ont participé représentent la coalition des antisionismes antagonistes : des complotistes d’extrême droite et des communistes staliniens ; des hommes d’ultra-gauche et des dirigeants du Parti Ouvrier Européen ; et Dieudonné lui-même. Si la réunion est davantage qu’anecdotique, c’est que des États, ou des intérêts importants à l’intérieur de certains appareils d’État, l’ont soutenue, l’ont diffusée dans leurs médias, y ont participé. Ce sont la Syrie, l’Iran, le Venezuela, Cuba, et une partie de l’appareil d’État russe composée des nationalistes inféodés à Poutine. Si l’anti-américanisme est leur religion commune, le soutien à la « résistance irakienne » et aux Palestiniens radicaux figure dans leur credo.
Dans chaque pays occidental, ces États plus ou moins mis au ban de la communauté internationale ont besoin de relais pour leur propagande : ils l’ont trouvé dans le tandem Dieudonné-Meyssan. C’est ainsi que, depuis un an, sont apparus sur les différents sites liés à Dieudonné des interventions de responsables du parti russe d’extrême droite Rodina, plusieurs articles reprenant les déclarations du président Chavez qui accuse l’administration américaine d’avoir organisé les attentats du 11-Septembre, et divers textes fort peu critiques envers les déclarations du président iranien Ahmadinejad sur Israël et la Shoah.
Le Hezbollah et ses soutiens de Damas et de Téhéran, justement, sont fédérateurs. Ce qui explique un aspect proprement stupéfiant du voyage de Dieudonné à Beyrouth : la présence à ses côtés d’un ancien dirigeant du mouvement d’ultra-droite GUD, nommé Frédéric Chatillon, dont les amitiés syriennes sont anciennes et notoires, et dont le parcours politique a croisé dans les années 90 Roger Garaudy, la librairie néo-nazie Ogmios et ses bailleurs de fonds iraniens, ainsi que quelques cadres du Front national.
La présence de Chatillon dans la délégation n’était évidemment pas mentionnée par le bureau de campagne de Dieudonné, et l’on doit à un autre site Internet encore plus radicalement antisioniste que celui de Dieudonné, Quibla.net, d’avoir vendu la mèche. Visiblement, dans ce petit monde, une question commence à être posée : pourquoi, après avoir choisi comme directeur de campagne un ancien militant du Front national (qui ne se cache pas de l’avoir été), Dieudonné s’associe-t-il à un des cadres les plus connus de l’ultra-droite ? Pourquoi appelle-t-il de ses vœux une présence de Le Pen au second tour de la présidentielle, et pourquoi donne-t-il une interview en ce sens au mensuel d’extrême droite Le Choc du Mois ?
Non accessoirement, la présence de Thierry Meyssan aux côtés des ultra-droitiers amis de Dieudonné signifie-t-elle que le nouveau ciment de la coalition des radicalités n’est plus la croyance au bon vieux « complot judéo-maçonnique », mais la croyance au « complot judéo-américain », qui se manifesterait à la fois par la mise en scène des événements du 11-Septembre et par tout ce que font et disent Israël ainsi que les communautés juives de par le monde ? Avec cette différence fondamentale que, si le complot judéo-maçonnique n’a plus guère d’adeptes que dans les églises lefebvristes et les groupuscules rances de la « droite nationale », la thématique du « complot judéo-américain » émane du sommet de plusieurs États et trouve de plus en plus d’adeptes dans une gauche alternative qui reprend de la vigueur.
Source : L’Arche, n° 582, octobre 2006.