Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Premier logo du Front national (archives privées de Valérie Igounet).

Né de la fusion avec le groupuscule néo-fasciste Ordre nouveau, le Front national pour l’unité française (FNUF) voit le jour le 5 octobre 1972 à Paris. Son logo, une flamme tricolore bleu-blanc-rouge plantée sur un socle rouge où les lettres « F.N. » se détachent en lettres blanches, est directement inspiré de l'emblème du Movimento sociale italiano (MSI), le parti néo-fasciste italien.

Les différentes sensibilités et individualités de l’extrême droite française figurent à l’origine du parti présidé par Jean-Marie Le Pen, appelé dès sa fondation Front national (FN) : anciens poujadistes et militants de l’Algérie française, nationalistes-révolutionnaires, anciens SS, anciens collaborateurs du régime de Vichy comme François Brigneau qui racontera qu’il a dû rédiger seul « aux neuf dixièmes » le premier dépliant du FN en s’inspirant du « projet de Constitution que Xavier Vallat [ancien commissaire aux Questions juives sous l’Occupation – ndlr] soumit au Maréchal Pétain ».

Certains hommes ayant participé à l'aventure frontiste sont moins connus voire discrètement évincés des publications officielles. Parmi eux, Pierre Gérard, nommé secrétaire général du parti en juin 1980 et auteur d'une des « bibles » du FN, rééditée plusieurs fois, la Doctrine économique et sociale du FN. Cet ancien collaborateur du commissaire général aux Questions juives sous Vichy Louis Darquier de Pellepoix a été délégué général pour l’Alsace-Lorraine et la Franche-Comté du Rassemblement anti-juif, directeur adjoint de l’Aryanisation économique en 1942, avant de devenir le cerveau de l’Union française pour la défense de la race et de la Propagande du commissariat général aux Questions juives. Pierre Gérard, « fidèle second de Darquier de Pellepoix » selon l’historien Laurent Joly, sera condamné à l’indignité nationale à vie par la cour de justice de la Seine. Il a certainement bénéficié d’une amnistie pendant les années cinquante.

Pendant sa première période (1972-1981), le FN reste à l'état de groupuscule politique. Les médias s’intéressent alors peu à cette organisation qui ne dispose que d’un faible relais dans la presse, se résumant aux quelques publications de son obédience Minute et Rivarol. À ce moment, l'idéologue François Duprat est l'un des principaux diffuseurs des thèses négationnistes au sein du parti lepéniste tout comme à l'international. La thématique frontiste centrale, la « préférence nationale », s’accole à celle de la « lutte contre l’immigration »Un des premiers tracts du FN, imprimé et diffusé dans le cadre de la participation du parti aux élections législatives du printemps 1973, présente la lutte contre l’immigration – l’« invasion de la France par les indésirables » – en ces termes : « Les Français ne sont ni xénophobes ni racistes. De tout temps, ils ont accueilli généreusement les immigrés honnêtes et laborieux. Ils tendent une main fraternelle aux travailleurs étrangers sérieux et capables, utiles à notre économie, respectueux de nos lois, de notre morale, de notre civilisation. Mais ils ne supportent plus que la France soit colonisée, exploitée, terrorisée ». Si elle n'est pas encore conceptualisée sous la forme du refus du Grand Remplacement, la doctrine anti-immigration du FN y fait directement écho comme l'indiquera plus tard Jean-Marie Le Pen.

La lutte contre l'immigration se conjugue à celle contre l'avortement. Pour le FN, elle s'apparente aux « deux forces de la politique de génocide français et européen » qu'il entend combattre. Le parti lepéniste dénonce ainsi l’« avorteuse » Simone Veil tout en développant l’idée d’une « véritable solution finale » menée contre les Français. Se battre contre l’avortement équivaut bien à lutter contre l’immigration. Le taux de natalité des femmes étrangères dépassant celui des femmes françaises, il engendrerait un « remplacement progressif des Français décimés par des hordes d’immigrés ». La logique lepéniste suit : un « enfant français de moins, un immigré de plus ! »

À partir du début des années 1980, le FN obtient ses premiers succès électoraux en s’appuyant sur le marqueur anti-immigration associé à ceux de la lutte contre le chômage et contre l’insécurité. L'exploitation de cette triple thématique est notamment présente au cœur de la campagne des municipales partielles de Dreux en septembre 1983 qui voit l’élection de Jean-Pierre Stirbois au second tour comme adjoint au maire de cette ville, la liste FN ayant fusionné avec celle de la droite et des non-inscrits.

Les élections européennes de juin 1984 signent la première victoire politique nationale du FN. L'année suivante, les élections cantonales de mars 1985 puis les législatives de 1986 confirment la dynamique enclenchée même si, afin d'attirer une clientèle politique différente de celle de l’extrême droite traditionnelle, le FN présente ses candidats tantôt sous l’intitulé de « Front d’opposition nationale pour l’Europe des patries » ou sous le label « Rassemblement national ».

En septembre 1987, dans une émission de télévision, Jean-Marie Le Pen qualifie les chambres à gaz utilisées par les nazis pour exterminer les Juifs d'Europe de « point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale ». Il poursuit en demandant si « c’est la vérité révélée à laquelle tout le monde doit croire », si « c’est une obligation morale », et conclut par ces mots : « Des historiens débattent de ces questions » – les « historiens » concernés étant en fait pour l'essentiel des plumitifs négationnistes. Quelques mois plus tard, le 24 avril 1988, Jean-Marie Le Pen obtient 14,38 % des suffrages exprimés au premier tour de l'élection présidentielle. Ses sorties à caractère raciste, antisémite et complotiste se multiplient (« Durafour Crématoire », « inégalité des races », etc.). En août 1989, il dénonce dans Présent un « pouvoir juif » allié avec certaines « forces qui visent à établir une idéologie mondialiste, réductrice, égalisatrice ».

Fruits d’une stratégie politique, ces actions et appels à connotation antijuive représentent des signes bruyants en direction de l’électorat radical du parti. Des éditorialistes parmi lesquels François Brigneau et Martin Peltier feront du négationnisme un sujet récurrent de leurs chroniques dans National Hebdo durant les années 1990. Dans l'un de ses articles, Martin Peltier revient justement sur la stratégie de Jean-Marie Le Pen : ses « dérapages » devaient faire « sauter » les derniers « verrous politiques qui retiennent les Français d’adhérer » au FN. Ceux-ci trouvent leur fondement dans la « manipulation historique » de la Seconde Guerre mondiale, une manœuvre à l’origine du discrédit de l’extrême droite depuis 1945.

L’histoire du parti lepéniste entre dans une nouvelle phase pendant les années 1990. Il s'agit alors de s’imposer comme la troisième force du paysage politique français. Avec le secrétaire général Carl Lang, Bruno Mégret, délégué général du FN, s’entoure d’une équipe qui renouvelle et modernise le FN. Études, propagande, formation… Dans plusieurs domaines clés pour un parti politique, le FN affiche son ambition : faire jeu égal avec ses adversaires et capitaliser 30 % de l’électorat français. La solution : élargir son électorat en changeant l’image du parti avec la mise en place d’un substrat intellectuel et socio-professionnel. Les créations du Conseil scientifique, de l’Institut de formation nationale et de l’Atelier de propagande constituent une première étape. Les « missions » de ces trois structures frontistes s’inscrivent dans le renouvellement de la production des idées, de la formation politique et pratique des militants et des cadres et, pour ce qui concerne le domaine de la propagande, dans une nouvelle approche graphique et sémantique. C’est le début de la « dédiabolisation » du FN. Malgré ces objectifs affichés, le FN préserve et inscrit ses marqueurs idéologiques dans son patrimoine et son programme politique.

Fin 1998, le FN traverse une crise existentielle liée à la scission mégrétiste. Les cadres et dirigeants restés fidèles à Jean-Marie Le Pen visent un objectif : reconstruire le parti qui ne va pas tarder à revenir sur le devant de la scène politique avec l'accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002, année déterminante pour l’implication de Marine Le Pen en passe de s’imposer avec l’aide et le soutien de son père. Cinq ans plus tard, au premier tour de la présidentielle de 2007, Jean-Marie Le Pen réalise son plus mauvais résultat (10,44 % des voix) depuis l’émergence électorale du FN. C’est un échec, entre autres, pour Marine Le Pen, sa directrice de campagne. Celle de 2007, à laquelle Dieudonné M'Bala M'Bala et Alain Soral ont pris part (ce dernier en inspirant le discours de Valmy prononcé par Jean-Marie Le Pen le 20 septembre 2006), a suscité de nombreuses interrogations de la part des lepénistes historiques sur la « gestion » du capital frontiste. Sont alors visés les nouveaux positionnements, notamment en faveur de l’assimilation des étrangers, jugés incompatibles avec l’idéologie du FN.

Lors du Congrès de Tours (15-16 janvier 2011), Marine Le Pen devient présidente du parti d'extrême droite. Alors qu'il n'est pas reconduit dans ses fonctions, le secrétaire départemental de la fédération de l’Essonne et soutien de Bruno Gollnisch Farid Smahi déclare « en avoir marre d’être le bougnoule de service » et dénonce le « racialisme » de la « pro-sioniste » Marine Le Pen. Au FN, depuis 1998, ce fils de harki avait accédé rapidement à des responsabilités politiques. C’est lui qui a présenté Alain Soral à Jean-Marie Le Pen. Farid Smahi se trouvait aux côtés de Bruno Gollnisch, Frédéric Chatillon, Alain Soral, Thierry Meyssan ou encore de l'ancien secrétaire général d'Égalité & Réconciliation et candidat FN aux élections municipales à Nice en 2008 Marc George au spectacle donné par Dieudonné au Zénith, le 18 décembre 2006.

Le FN entame cette période en s’affranchissant officiellement du négationnisme. Il compte à ce moment-là près de 47 000 adhérents. Il impose deux marqueurs : la lutte contre le « mondialisme » économique et contre l'islam. Mis à part quelques contextualisations, notamment dans les domaines économiques, géopolitiques et sémantiques, le logiciel idéologique frontiste perdure. Pendant ces années, Jean-Marie Le Pen remet en cause une histoire officielle, au sens large du terme, à travers le prisme complotiste. Il remet en cause la version communément acceptée des attentats du 11 septembre 2001. Jusqu'à son exclusion du FN en août 2015, nombre de ses faits et gestes accréditent sa stratégie langagière désinhibée (ici et ). D'autres n'hésitent pas à reprendre à leur compte la thèse du Grand Remplacement. Pour Marion Maréchal, c’est une « vérité sur un certain nombre de territoires en France : ceux qu’on appelle les Français de souche sont remplacés par une population récemment immigrée ». Début janvier 2018, Julien Sanchez, le maire FN de Beaucaire, explique quant à lui avoir « l’impression d’avoir un grand remplacement du porc dans les cantines », des propos qui font suite à sa décision de supprimer dans les cantines des écoles publiques de la ville du Gard les menus de substitution.

Au second tour de la présidentielle de 2017 et malgré son débat raté de l'entre-deux tours, Marine Le Pen rassemble sur son nom 33,94% des suffrages, soit plus de 10 millions de Français. Aux législatives de juin 2017, 8 députés FN sont élus. Le FN termine officiellement son histoire le 1er juin 2018, date à laquelle le Rassemblement national (RN) prend le relai. Peu de temps auparavant, en mars, à l’occasion du 16ème congrès du FN, Marine Le Pen s’était livrée à une subreptice dénonciation du « nouvel ordre mondial » qu’elle a immédiatement identifié à un « nouvel ordre marchand ».

Pendant ces décennies d'histoire, nombre des fidèles de Jean-Marie Le Pen, des cadres, candidats, adhérents et représentants du Front national se sont appropriés des thèses complotistes et/ou négationnistes. Citons entre autres Yvan Benedetti, Jérôme Bourbon, Christian BouchetCassandre Fristot, Bruno Gollnisch, Éric Delcroix, Paul-Éric BlanrueJean-François Jalkh, Benoît Loeuillet ou encore Aymeric Chauprade. Certains n'ont pas hésité non plus à effectuer le geste de la quenelle. Rappelons également que le FN a été la seule formation politique française à avoir ouvertement réclamé l’abrogation de la loi Gayssot, au nom de la liberté d’expression. Dans ses programmes électoraux, le parti d'extrême droite rapportait, sans pour autant convaincre, vouloir défendre la liberté des « historiens révisionnistes » et appelait à la suppression des lois « liberticides ».

Le RN est-il entaché du même tropisme complotiste que le FN ? Plusieurs enquêtes et publications ont mis en lumière la propension des électeurs de Marine Le Pen et des adhérents du parti à adhérer davantage que les autres électorats à des énoncés conspirationnistes. Récemment, Les Échos rapportaient que dans le cadre de la dernière présidentielle, le député européen Hervé Juvin n'avait pas manqué d'inspirer Marine Le Pen. Aux législatives de juin 2022, le RN n'aura pas non plus réussi à éviter de présenter des candidats compromis avec la théorie du complot. Parmi eux, Anne Jacqmin, qui avait choisi comme suppléant Bruno Gollnisch et qui s'était illustrée sur les réseaux sociaux en partageant des contenus à caractère conspirationniste comme en mars 2020, où elle criait au génocide sur la base d'une fausse information émanant du site Le Courrier des Stratèges et relayée par l'avocat Régis de Castelnau.

Pour marquer le 50ème anniversaire du FN, le RN organise un colloque à l’Assemblée nationale, revisitant son histoire… sans Jean-Marie Le Pen.

 

Lire aussi :

Pourquoi prive-t-on des élus FN de déplacement à Auschwitz ?

 

(Dernière mise à jour le 02/10/2022)

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Né de la fusion avec le groupuscule néo-fasciste Ordre nouveau, le Front national pour l’unité française (FNUF) voit le jour le 5 octobre 1972 à Paris. Son logo, une flamme tricolore bleu-blanc-rouge plantée sur un socle rouge où les lettres « F.N. » se détachent en lettres blanches, est directement inspiré de l'emblème du Movimento sociale italiano (MSI), le parti néo-fasciste italien.

Les différentes sensibilités et individualités de l’extrême droite française figurent à l’origine du parti présidé par Jean-Marie Le Pen, appelé dès sa fondation Front national (FN) : anciens poujadistes et militants de l’Algérie française, nationalistes-révolutionnaires, anciens SS, anciens collaborateurs du régime de Vichy comme François Brigneau qui racontera qu’il a dû rédiger seul « aux neuf dixièmes » le premier dépliant du FN en s’inspirant du « projet de Constitution que Xavier Vallat [ancien commissaire aux Questions juives sous l’Occupation – ndlr] soumit au Maréchal Pétain ».

Certains hommes ayant participé à l'aventure frontiste sont moins connus voire discrètement évincés des publications officielles. Parmi eux, Pierre Gérard, nommé secrétaire général du parti en juin 1980 et auteur d'une des « bibles » du FN, rééditée plusieurs fois, la Doctrine économique et sociale du FN. Cet ancien collaborateur du commissaire général aux Questions juives sous Vichy Louis Darquier de Pellepoix a été délégué général pour l’Alsace-Lorraine et la Franche-Comté du Rassemblement anti-juif, directeur adjoint de l’Aryanisation économique en 1942, avant de devenir le cerveau de l’Union française pour la défense de la race et de la Propagande du commissariat général aux Questions juives. Pierre Gérard, « fidèle second de Darquier de Pellepoix » selon l’historien Laurent Joly, sera condamné à l’indignité nationale à vie par la cour de justice de la Seine. Il a certainement bénéficié d’une amnistie pendant les années cinquante.

Pendant sa première période (1972-1981), le FN reste à l'état de groupuscule politique. Les médias s’intéressent alors peu à cette organisation qui ne dispose que d’un faible relais dans la presse, se résumant aux quelques publications de son obédience Minute et Rivarol. À ce moment, l'idéologue François Duprat est l'un des principaux diffuseurs des thèses négationnistes au sein du parti lepéniste tout comme à l'international. La thématique frontiste centrale, la « préférence nationale », s’accole à celle de la « lutte contre l’immigration »Un des premiers tracts du FN, imprimé et diffusé dans le cadre de la participation du parti aux élections législatives du printemps 1973, présente la lutte contre l’immigration – l’« invasion de la France par les indésirables » – en ces termes : « Les Français ne sont ni xénophobes ni racistes. De tout temps, ils ont accueilli généreusement les immigrés honnêtes et laborieux. Ils tendent une main fraternelle aux travailleurs étrangers sérieux et capables, utiles à notre économie, respectueux de nos lois, de notre morale, de notre civilisation. Mais ils ne supportent plus que la France soit colonisée, exploitée, terrorisée ». Si elle n'est pas encore conceptualisée sous la forme du refus du Grand Remplacement, la doctrine anti-immigration du FN y fait directement écho comme l'indiquera plus tard Jean-Marie Le Pen.

La lutte contre l'immigration se conjugue à celle contre l'avortement. Pour le FN, elle s'apparente aux « deux forces de la politique de génocide français et européen » qu'il entend combattre. Le parti lepéniste dénonce ainsi l’« avorteuse » Simone Veil tout en développant l’idée d’une « véritable solution finale » menée contre les Français. Se battre contre l’avortement équivaut bien à lutter contre l’immigration. Le taux de natalité des femmes étrangères dépassant celui des femmes françaises, il engendrerait un « remplacement progressif des Français décimés par des hordes d’immigrés ». La logique lepéniste suit : un « enfant français de moins, un immigré de plus ! »

À partir du début des années 1980, le FN obtient ses premiers succès électoraux en s’appuyant sur le marqueur anti-immigration associé à ceux de la lutte contre le chômage et contre l’insécurité. L'exploitation de cette triple thématique est notamment présente au cœur de la campagne des municipales partielles de Dreux en septembre 1983 qui voit l’élection de Jean-Pierre Stirbois au second tour comme adjoint au maire de cette ville, la liste FN ayant fusionné avec celle de la droite et des non-inscrits.

Les élections européennes de juin 1984 signent la première victoire politique nationale du FN. L'année suivante, les élections cantonales de mars 1985 puis les législatives de 1986 confirment la dynamique enclenchée même si, afin d'attirer une clientèle politique différente de celle de l’extrême droite traditionnelle, le FN présente ses candidats tantôt sous l’intitulé de « Front d’opposition nationale pour l’Europe des patries » ou sous le label « Rassemblement national ».

En septembre 1987, dans une émission de télévision, Jean-Marie Le Pen qualifie les chambres à gaz utilisées par les nazis pour exterminer les Juifs d'Europe de « point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale ». Il poursuit en demandant si « c’est la vérité révélée à laquelle tout le monde doit croire », si « c’est une obligation morale », et conclut par ces mots : « Des historiens débattent de ces questions » – les « historiens » concernés étant en fait pour l'essentiel des plumitifs négationnistes. Quelques mois plus tard, le 24 avril 1988, Jean-Marie Le Pen obtient 14,38 % des suffrages exprimés au premier tour de l'élection présidentielle. Ses sorties à caractère raciste, antisémite et complotiste se multiplient (« Durafour Crématoire », « inégalité des races », etc.). En août 1989, il dénonce dans Présent un « pouvoir juif » allié avec certaines « forces qui visent à établir une idéologie mondialiste, réductrice, égalisatrice ».

Fruits d’une stratégie politique, ces actions et appels à connotation antijuive représentent des signes bruyants en direction de l’électorat radical du parti. Des éditorialistes parmi lesquels François Brigneau et Martin Peltier feront du négationnisme un sujet récurrent de leurs chroniques dans National Hebdo durant les années 1990. Dans l'un de ses articles, Martin Peltier revient justement sur la stratégie de Jean-Marie Le Pen : ses « dérapages » devaient faire « sauter » les derniers « verrous politiques qui retiennent les Français d’adhérer » au FN. Ceux-ci trouvent leur fondement dans la « manipulation historique » de la Seconde Guerre mondiale, une manœuvre à l’origine du discrédit de l’extrême droite depuis 1945.

L’histoire du parti lepéniste entre dans une nouvelle phase pendant les années 1990. Il s'agit alors de s’imposer comme la troisième force du paysage politique français. Avec le secrétaire général Carl Lang, Bruno Mégret, délégué général du FN, s’entoure d’une équipe qui renouvelle et modernise le FN. Études, propagande, formation… Dans plusieurs domaines clés pour un parti politique, le FN affiche son ambition : faire jeu égal avec ses adversaires et capitaliser 30 % de l’électorat français. La solution : élargir son électorat en changeant l’image du parti avec la mise en place d’un substrat intellectuel et socio-professionnel. Les créations du Conseil scientifique, de l’Institut de formation nationale et de l’Atelier de propagande constituent une première étape. Les « missions » de ces trois structures frontistes s’inscrivent dans le renouvellement de la production des idées, de la formation politique et pratique des militants et des cadres et, pour ce qui concerne le domaine de la propagande, dans une nouvelle approche graphique et sémantique. C’est le début de la « dédiabolisation » du FN. Malgré ces objectifs affichés, le FN préserve et inscrit ses marqueurs idéologiques dans son patrimoine et son programme politique.

Fin 1998, le FN traverse une crise existentielle liée à la scission mégrétiste. Les cadres et dirigeants restés fidèles à Jean-Marie Le Pen visent un objectif : reconstruire le parti qui ne va pas tarder à revenir sur le devant de la scène politique avec l'accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002, année déterminante pour l’implication de Marine Le Pen en passe de s’imposer avec l’aide et le soutien de son père. Cinq ans plus tard, au premier tour de la présidentielle de 2007, Jean-Marie Le Pen réalise son plus mauvais résultat (10,44 % des voix) depuis l’émergence électorale du FN. C’est un échec, entre autres, pour Marine Le Pen, sa directrice de campagne. Celle de 2007, à laquelle Dieudonné M'Bala M'Bala et Alain Soral ont pris part (ce dernier en inspirant le discours de Valmy prononcé par Jean-Marie Le Pen le 20 septembre 2006), a suscité de nombreuses interrogations de la part des lepénistes historiques sur la « gestion » du capital frontiste. Sont alors visés les nouveaux positionnements, notamment en faveur de l’assimilation des étrangers, jugés incompatibles avec l’idéologie du FN.

Lors du Congrès de Tours (15-16 janvier 2011), Marine Le Pen devient présidente du parti d'extrême droite. Alors qu'il n'est pas reconduit dans ses fonctions, le secrétaire départemental de la fédération de l’Essonne et soutien de Bruno Gollnisch Farid Smahi déclare « en avoir marre d’être le bougnoule de service » et dénonce le « racialisme » de la « pro-sioniste » Marine Le Pen. Au FN, depuis 1998, ce fils de harki avait accédé rapidement à des responsabilités politiques. C’est lui qui a présenté Alain Soral à Jean-Marie Le Pen. Farid Smahi se trouvait aux côtés de Bruno Gollnisch, Frédéric Chatillon, Alain Soral, Thierry Meyssan ou encore de l'ancien secrétaire général d'Égalité & Réconciliation et candidat FN aux élections municipales à Nice en 2008 Marc George au spectacle donné par Dieudonné au Zénith, le 18 décembre 2006.

Le FN entame cette période en s’affranchissant officiellement du négationnisme. Il compte à ce moment-là près de 47 000 adhérents. Il impose deux marqueurs : la lutte contre le « mondialisme » économique et contre l'islam. Mis à part quelques contextualisations, notamment dans les domaines économiques, géopolitiques et sémantiques, le logiciel idéologique frontiste perdure. Pendant ces années, Jean-Marie Le Pen remet en cause une histoire officielle, au sens large du terme, à travers le prisme complotiste. Il remet en cause la version communément acceptée des attentats du 11 septembre 2001. Jusqu'à son exclusion du FN en août 2015, nombre de ses faits et gestes accréditent sa stratégie langagière désinhibée (ici et ). D'autres n'hésitent pas à reprendre à leur compte la thèse du Grand Remplacement. Pour Marion Maréchal, c’est une « vérité sur un certain nombre de territoires en France : ceux qu’on appelle les Français de souche sont remplacés par une population récemment immigrée ». Début janvier 2018, Julien Sanchez, le maire FN de Beaucaire, explique quant à lui avoir « l’impression d’avoir un grand remplacement du porc dans les cantines », des propos qui font suite à sa décision de supprimer dans les cantines des écoles publiques de la ville du Gard les menus de substitution.

Au second tour de la présidentielle de 2017 et malgré son débat raté de l'entre-deux tours, Marine Le Pen rassemble sur son nom 33,94% des suffrages, soit plus de 10 millions de Français. Aux législatives de juin 2017, 8 députés FN sont élus. Le FN termine officiellement son histoire le 1er juin 2018, date à laquelle le Rassemblement national (RN) prend le relai. Peu de temps auparavant, en mars, à l’occasion du 16ème congrès du FN, Marine Le Pen s’était livrée à une subreptice dénonciation du « nouvel ordre mondial » qu’elle a immédiatement identifié à un « nouvel ordre marchand ».

Pendant ces décennies d'histoire, nombre des fidèles de Jean-Marie Le Pen, des cadres, candidats, adhérents et représentants du Front national se sont appropriés des thèses complotistes et/ou négationnistes. Citons entre autres Yvan Benedetti, Jérôme Bourbon, Christian BouchetCassandre Fristot, Bruno Gollnisch, Éric Delcroix, Paul-Éric BlanrueJean-François Jalkh, Benoît Loeuillet ou encore Aymeric Chauprade. Certains n'ont pas hésité non plus à effectuer le geste de la quenelle. Rappelons également que le FN a été la seule formation politique française à avoir ouvertement réclamé l’abrogation de la loi Gayssot, au nom de la liberté d’expression. Dans ses programmes électoraux, le parti d'extrême droite rapportait, sans pour autant convaincre, vouloir défendre la liberté des « historiens révisionnistes » et appelait à la suppression des lois « liberticides ».

Le RN est-il entaché du même tropisme complotiste que le FN ? Plusieurs enquêtes et publications ont mis en lumière la propension des électeurs de Marine Le Pen et des adhérents du parti à adhérer davantage que les autres électorats à des énoncés conspirationnistes. Récemment, Les Échos rapportaient que dans le cadre de la dernière présidentielle, le député européen Hervé Juvin n'avait pas manqué d'inspirer Marine Le Pen. Aux législatives de juin 2022, le RN n'aura pas non plus réussi à éviter de présenter des candidats compromis avec la théorie du complot. Parmi eux, Anne Jacqmin, qui avait choisi comme suppléant Bruno Gollnisch et qui s'était illustrée sur les réseaux sociaux en partageant des contenus à caractère conspirationniste comme en mars 2020, où elle criait au génocide sur la base d'une fausse information émanant du site Le Courrier des Stratèges et relayée par l'avocat Régis de Castelnau.

Pour marquer le 50ème anniversaire du FN, le RN organise un colloque à l’Assemblée nationale, revisitant son histoire… sans Jean-Marie Le Pen.

 

Lire aussi :

Pourquoi prive-t-on des élus FN de déplacement à Auschwitz ?

 

(Dernière mise à jour le 02/10/2022)

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