Cette inversion accusatoire alimente un imaginaire conspirationniste où l’État de droit français serait aux ordres d’intérêts étrangers.
Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 1987 pour complicité d’assassinats terroristes, Georges Ibrahim Abdallah doit quitter sa cellule de Lannemezan (Hautes-Pyrénées) le 25 juillet prochain sur décision de la chambre d’application des peines de la cour d’appel de Paris.
Né au Liban en 1951, Georges Abdallah a commencé son engagement militant dans les rangs du PSNS, un mouvement pro-syrien ouvertement fasciste et antisémite. Il rejoint par la suite le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), mouvement marxiste-léniniste palestinien dont la branche armée a participé aux massacres du 7 octobre 2023 aux côtés du Hamas.
Arrêté le 24 octobre 1984 à Lyon, Georges Abdallah est le fondateur de la Fraction armée révolutionnaire libanaise (FARL), une organisation terroriste soutenue par la Syrie de Hafez el-Assad et coopérant avec le groupe terroriste d’ultra-gauche Action directe. À l’issue de son procès en 1987 où il est défendu à titre principal par Me Jacques Vergès, il est reconnu coupable de complicité dans les assassinats, à Paris, du lieutenant-colonel Charles Robert Ray, attaché militaire de l’ambassade américaine (assassiné d'une balle dans la nuque le 18 janvier 1982), et du diplomate israélien Yacov Barsimantov (abattu sous les yeux de ses enfants, dans son immeuble, le 3 avril 1982).
En tant que dirigeant des FARL, Abdallah est aussi considéré comme responsable de la tentative d’attentat contre un troisième diplomate, Roderick Grant, le 21 août 1982 (une bombe placée sous sa voiture explose, tuant deux policiers français, Bernard Le Dreau et Bernard Mauron), et de l’attentat du 17 septembre 1982 : à la veille de la fête juive de Roch Hachana, les FARL font exploser la voiture du diplomate israélien Amos Manel devant le lycée Carnot (Paris, XVIIème arrondissement). L’explosion blesse 51 personnes (parmi lesquelles des dizaines de mineurs) dont cinq grièvement.
L’annonce de la libération de Georges Abdallah a suscité, de la part de plusieurs responsables politiques de gauche de premier plan, des réactions de satisfaction alternant entre le soulagement, la joie et le triomphalisme. Qu’il s’agisse des élus France insoumise Mathilde Panot (« immense soulagement »), Eric Coquerel (« Heureux d’apprendre la décision »), Thomas Portes (« VICTOIRE »), Rima Hassan (« !!! ») et Emma Fourreau (« Que vive son combat »), du communiste Fabien Roussel (« enfin libre ») ou encore de l’écologiste Marine Tondelier (« il existe encore des bonnes nouvelles »), tous qualifient le terroriste de « militant », de « résistant » ou de « prisonnier politique », reprenant à leur compte cette terminologie utilisée depuis des années par Me Jean-Louis Chalanset, l’avocat de Georges Abdallah. Blast, Le Média et AJ+ français font de même, ainsi que le site d’information 20 Minutes, qui annonce : « Le plus vieux prisonnier politique de France va retrouver la liberté ». 20 Minutes finira toutefois par effacer son post X (on peut en trouver une archive ici).
Les réactions à ce concert de louanges n’ont pas tardé, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau taclant « les élus LFI qui se réjouissent de la libération du terroriste Ibrahim Abdallah » : « En le faisant passer pour un prisonnier politique, ils méprisent les victimes et leurs familles et continuent de se complaire dans une incroyable inversion des valeurs où le bourreau devient la victime. » Une indignation partagée par de nombreux observateurs comme la philosophe Valérie Kokoszka, l’éditorialiste Françoise Degois, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) Yonathan Arfi, ou encore le magistrat Eric Halphen :
« Georges Ibrahim Abdallah avait été condamné à perpétuité par la justice française pour sa participation à des assassinats terroristes. Qu’il soit libéré après 40 ans n’apparaît pas anormal. En revanche, qu’on le qualifie de prisonnier politique est insupportable. »
En effet, comme l’explique l’Association française des victimes du terrorisme (AfVT), « cette description sous-entend que Georges Ibrahim Abdallah a été condamné par la justice française en raison de ses idées, et non de ses actes ».
Naturellement, on pourrait objecter que le terrorisme étant par définition « politique », tous les terroristes purgeant leur peine dans des démocraties devraient ipso facto être reconnus comme des « prisonniers politiques ». Mais a-t-on conscience de ce que cela impliquerait ?
Le député LFI Eric Coquerel fait valoir un autre argument. Selon lui, le maintien de Georges Ibrahim Abdallah en prison « était une décision politique ». Qu’en est-il ? La condamnation de Georges Abdallah était assortie d’une période de sûreté de 15 ans. S'il est libérable depuis 1999, cela ne signifie pas qu’il avait alors « purgé sa peine » comme l'a affirmé à tort le chef de file des Insoumis Jean-Luc Mélenchon, mais qu’il avait purgé sa période d’épreuve.
Depuis lors, Abdallah a sollicité une libération conditionnelle à onze reprises. Jusque-là, il ne remplissait pas l’une des conditions de sa remise en liberté, à savoir un « effort conséquent » pour indemniser les victimes − condition qu'il avait toujours refusée, se considérant innocent de ce pour quoi il avait été condamné. En juin dernier toutefois, son avocat a indiqué qu’environ 16 000 euros étaient « à disposition des parties civiles ». Bien que cette somme soit considérée comme insuffisante, cette condition est désormais écartée et sa dernière demande de libération conditionnelle a pu aboutir sous réserve d’un départ immédiat hors du territoire français. La Cour d'appel de Paris a estimé la durée de sa détention « disproportionnée » par rapport aux crimes commis et a considéré que, compte tenu de son âge (74 ans), Georges Abdallah ne présentait plus de risque de trouble à l’ordre public.
Cependant, les textes sont clairs. Rien, en droit, n’autorise à qualifier Georges Abdallah de « prisonnier politique ». Adoptée le 3 octobre 2012, la Résolution 1900 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ne reconnaît ce statut qu’aux personnes détenues exclusivement pour leurs opinions ou victimes d’une procédure manifestement inéquitable, discriminatoire ou disproportionnée, tout en précisant explicitement que « les personnes privées de liberté individuelle pour des crimes terroristes ne seront pas considérées comme des prisonniers politiques si elles ont été poursuivies et condamnées pour de tels crimes en accord avec les législations nationales et la Convention européenne des droits de l’homme ». Une clause d’exclusion qui s’applique pleinement au cas de Georges Abdallah.
Des États tiers – en l’occurrence les États-Unis et Israël – ont-ils fait pression sur la France pour qu’Abdallah ne soit pas libéré ? Plusieurs témoignages le corroborent. Ces pressions ont-elles pour autant été décisives dans la décision de maintenir Abdallah en détention ? On ne peut pas l’affirmer. Car contrairement à ce qu’ont pu scander certains militants pour la libération d’Abdallah, qui dénonçaient une justice française « à la botte des sionistes et des Américains », il n’est pas prouvé que les préoccupations exprimées par les diplomaties américaine et israélienne aient jamais été déterminantes. Du reste, à supposer qu’elles puissent expliquer à elles seules ce maintien en détention, comment alors expliquer la libération d'Abdallah aujourd’hui ?
Les réactions de soutien à Georges Abdallah apparaissent comme une insulte à l’égard des victimes du terrorisme. Elles épousent le narratif terroriste qui estime que, dans un pays libre, le meurtre délibéré de civils innocents compte au nombre des moyens d’action politique légitimes. La qualification de « prisonnier politique » appliquée au terroriste suggère en outre que rien ne distingue vraiment l’État de droit du règne de l’arbitraire, en d’autres termes qu’il n’y a pas de différence de nature entre les démocraties et les dictatures. Elle nourrit enfin l’imaginaire toxique d’une justice française aux ordres d’intérêts étrangers.
Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 1987 pour complicité d’assassinats terroristes, Georges Ibrahim Abdallah doit quitter sa cellule de Lannemezan (Hautes-Pyrénées) le 25 juillet prochain sur décision de la chambre d’application des peines de la cour d’appel de Paris.
Né au Liban en 1951, Georges Abdallah a commencé son engagement militant dans les rangs du PSNS, un mouvement pro-syrien ouvertement fasciste et antisémite. Il rejoint par la suite le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), mouvement marxiste-léniniste palestinien dont la branche armée a participé aux massacres du 7 octobre 2023 aux côtés du Hamas.
Arrêté le 24 octobre 1984 à Lyon, Georges Abdallah est le fondateur de la Fraction armée révolutionnaire libanaise (FARL), une organisation terroriste soutenue par la Syrie de Hafez el-Assad et coopérant avec le groupe terroriste d’ultra-gauche Action directe. À l’issue de son procès en 1987 où il est défendu à titre principal par Me Jacques Vergès, il est reconnu coupable de complicité dans les assassinats, à Paris, du lieutenant-colonel Charles Robert Ray, attaché militaire de l’ambassade américaine (assassiné d'une balle dans la nuque le 18 janvier 1982), et du diplomate israélien Yacov Barsimantov (abattu sous les yeux de ses enfants, dans son immeuble, le 3 avril 1982).
En tant que dirigeant des FARL, Abdallah est aussi considéré comme responsable de la tentative d’attentat contre un troisième diplomate, Roderick Grant, le 21 août 1982 (une bombe placée sous sa voiture explose, tuant deux policiers français, Bernard Le Dreau et Bernard Mauron), et de l’attentat du 17 septembre 1982 : à la veille de la fête juive de Roch Hachana, les FARL font exploser la voiture du diplomate israélien Amos Manel devant le lycée Carnot (Paris, XVIIème arrondissement). L’explosion blesse 51 personnes (parmi lesquelles des dizaines de mineurs) dont cinq grièvement.
L’annonce de la libération de Georges Abdallah a suscité, de la part de plusieurs responsables politiques de gauche de premier plan, des réactions de satisfaction alternant entre le soulagement, la joie et le triomphalisme. Qu’il s’agisse des élus France insoumise Mathilde Panot (« immense soulagement »), Eric Coquerel (« Heureux d’apprendre la décision »), Thomas Portes (« VICTOIRE »), Rima Hassan (« !!! ») et Emma Fourreau (« Que vive son combat »), du communiste Fabien Roussel (« enfin libre ») ou encore de l’écologiste Marine Tondelier (« il existe encore des bonnes nouvelles »), tous qualifient le terroriste de « militant », de « résistant » ou de « prisonnier politique », reprenant à leur compte cette terminologie utilisée depuis des années par Me Jean-Louis Chalanset, l’avocat de Georges Abdallah. Blast, Le Média et AJ+ français font de même, ainsi que le site d’information 20 Minutes, qui annonce : « Le plus vieux prisonnier politique de France va retrouver la liberté ». 20 Minutes finira toutefois par effacer son post X (on peut en trouver une archive ici).
Les réactions à ce concert de louanges n’ont pas tardé, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau taclant « les élus LFI qui se réjouissent de la libération du terroriste Ibrahim Abdallah » : « En le faisant passer pour un prisonnier politique, ils méprisent les victimes et leurs familles et continuent de se complaire dans une incroyable inversion des valeurs où le bourreau devient la victime. » Une indignation partagée par de nombreux observateurs comme la philosophe Valérie Kokoszka, l’éditorialiste Françoise Degois, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) Yonathan Arfi, ou encore le magistrat Eric Halphen :
« Georges Ibrahim Abdallah avait été condamné à perpétuité par la justice française pour sa participation à des assassinats terroristes. Qu’il soit libéré après 40 ans n’apparaît pas anormal. En revanche, qu’on le qualifie de prisonnier politique est insupportable. »
En effet, comme l’explique l’Association française des victimes du terrorisme (AfVT), « cette description sous-entend que Georges Ibrahim Abdallah a été condamné par la justice française en raison de ses idées, et non de ses actes ».
Naturellement, on pourrait objecter que le terrorisme étant par définition « politique », tous les terroristes purgeant leur peine dans des démocraties devraient ipso facto être reconnus comme des « prisonniers politiques ». Mais a-t-on conscience de ce que cela impliquerait ?
Le député LFI Eric Coquerel fait valoir un autre argument. Selon lui, le maintien de Georges Ibrahim Abdallah en prison « était une décision politique ». Qu’en est-il ? La condamnation de Georges Abdallah était assortie d’une période de sûreté de 15 ans. S'il est libérable depuis 1999, cela ne signifie pas qu’il avait alors « purgé sa peine » comme l'a affirmé à tort le chef de file des Insoumis Jean-Luc Mélenchon, mais qu’il avait purgé sa période d’épreuve.
Depuis lors, Abdallah a sollicité une libération conditionnelle à onze reprises. Jusque-là, il ne remplissait pas l’une des conditions de sa remise en liberté, à savoir un « effort conséquent » pour indemniser les victimes − condition qu'il avait toujours refusée, se considérant innocent de ce pour quoi il avait été condamné. En juin dernier toutefois, son avocat a indiqué qu’environ 16 000 euros étaient « à disposition des parties civiles ». Bien que cette somme soit considérée comme insuffisante, cette condition est désormais écartée et sa dernière demande de libération conditionnelle a pu aboutir sous réserve d’un départ immédiat hors du territoire français. La Cour d'appel de Paris a estimé la durée de sa détention « disproportionnée » par rapport aux crimes commis et a considéré que, compte tenu de son âge (74 ans), Georges Abdallah ne présentait plus de risque de trouble à l’ordre public.
Cependant, les textes sont clairs. Rien, en droit, n’autorise à qualifier Georges Abdallah de « prisonnier politique ». Adoptée le 3 octobre 2012, la Résolution 1900 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ne reconnaît ce statut qu’aux personnes détenues exclusivement pour leurs opinions ou victimes d’une procédure manifestement inéquitable, discriminatoire ou disproportionnée, tout en précisant explicitement que « les personnes privées de liberté individuelle pour des crimes terroristes ne seront pas considérées comme des prisonniers politiques si elles ont été poursuivies et condamnées pour de tels crimes en accord avec les législations nationales et la Convention européenne des droits de l’homme ». Une clause d’exclusion qui s’applique pleinement au cas de Georges Abdallah.
Des États tiers – en l’occurrence les États-Unis et Israël – ont-ils fait pression sur la France pour qu’Abdallah ne soit pas libéré ? Plusieurs témoignages le corroborent. Ces pressions ont-elles pour autant été décisives dans la décision de maintenir Abdallah en détention ? On ne peut pas l’affirmer. Car contrairement à ce qu’ont pu scander certains militants pour la libération d’Abdallah, qui dénonçaient une justice française « à la botte des sionistes et des Américains », il n’est pas prouvé que les préoccupations exprimées par les diplomaties américaine et israélienne aient jamais été déterminantes. Du reste, à supposer qu’elles puissent expliquer à elles seules ce maintien en détention, comment alors expliquer la libération d'Abdallah aujourd’hui ?
Les réactions de soutien à Georges Abdallah apparaissent comme une insulte à l’égard des victimes du terrorisme. Elles épousent le narratif terroriste qui estime que, dans un pays libre, le meurtre délibéré de civils innocents compte au nombre des moyens d’action politique légitimes. La qualification de « prisonnier politique » appliquée au terroriste suggère en outre que rien ne distingue vraiment l’État de droit du règne de l’arbitraire, en d’autres termes qu’il n’y a pas de différence de nature entre les démocraties et les dictatures. Elle nourrit enfin l’imaginaire toxique d’une justice française aux ordres d’intérêts étrangers.
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