Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme

La promesse qui n’a jamais existé : ce que le Monde diplomatique ne dit pas sur l’élargissement de l’OTAN

Partager :

« L’OTAN a trahi ses engagements. Elle avait promis à la Russie de ne pas s’étendre à l’Est ». Ce refrain revient inlassablement, du Kremlin à Jean-Luc Mélenchon, en passant par les pages du Monde diplomatique. Il est devenu un mythe fondateur pour la propagande russe et un pilier du discours anti-atlantiste. Pourtant, la promesse d’un non-élargissement de l’OTAN… n’a jamais existé. Démonstration, archives à l’appui.

Montage CW.

Depuis la diffusion de l’épisode 86 de Complorama consacré à l’OTAN dans les imaginaires complotistes, un certain nombre de critiques se sont exprimées, dont l’une, plus subtile mais non moins fallacieuse, est venue des colonnes du Monde diplomatique. Dans un court texte publié en mai 2025, Philippe Descamps tente d’utiliser un argument d’autorité : Mikhaïl Gorbatchev lui-même aurait dénoncé, en 2014, une trahison des engagements occidentaux à propos de l’élargissement de l’OTAN. Ce texte, sous ses airs de mise au point sobre, dissimule plusieurs approximations et manipulations. Il mérite d’être lu attentivement – et déconstruit point par point.

Le cœur de l’argument repose sur une citation tirée d’une interview de Gorbatchev donnée en 2014 à Russia Beyond The Headlines (RBTH) :

« L’élargissement de l’OTAN vers l’Est a été décidé de manière irrévocable en 1993. Je l’ai considéré comme une grande erreur dès le départ. C’était indéniablement une violation de l’esprit des déclarations et assurances qui nous avaient été faites en 1990 ».

Mais ce que Philippe Descamps ne précise pas, c’est que, dans cette même interview, à quelques lignes d’écart, le même Gorbatchev déclare aussi, de manière explicite :

« Le sujet de l’expansion de l’OTAN n’a pas du tout été discuté à l’époque, il n’a pas été soulevé ces années-là. Je le dis avec une pleine responsabilité. Aucun pays d’Europe de l’Est n’a évoqué cette question, pas même après la dissolution du Pacte de Varsovie [l’organisation de sécurité collective qui, de 1955 à 1991, a placé les armées des pays du Bloc de l'Est sous le contrôle direct de Moscou – ndlr]. Les dirigeants occidentaux non plus ».

Autrement dit, Gorbatchev lui-même affirme, noir sur blanc, qu’il n’y a jamais eu de discussion, encore moins d’engagement, sur un élargissement éventuel de l’OTAN à l’Europe de l’Est en 1990.

Ce que regrette l'ancien dirigeant soviétique dans cette interview n’est donc pas une trahison d’un accord explicite, mais un changement stratégique que, rétrospectivement, il juge regrettable. Quand il évoque une « violation de l’esprit » des discussions de 1990, il s’agit d’un jugement politique, subjectif, sur une orientation de long terme – pas la dénonciation d’un traité rompu. C’est là que réside toute la subtilité (et toute l’ambiguïté, parfois exploitée de mauvaise foi) de ses propos. Gorbatchev distingue très clairement deux choses : d’un côté, les discussions de 1990, qui ne concernaient que l’Allemagne réunifiée ; de l’autre, l’élargissement de l’OTAN envisagé par Washington à partir de 1993 et effectif à partir de 1999 avec l'adhésion de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque. Un élargissement que l'ancien dirigeant soviétique désapprouve mais qu’il ne présente jamais comme la violation d’un engagement formel des Occidentaux.

Une confusion fondamentale

C’est cette distinction que néglige Le Monde diplomatique. En clôturant son papier par cette citation tronquée, sans mentionner les autres passages de l’interview, Philippe Descamps livre au lecteur une version orientée des faits. Il contribue à entretenir une confusion fondamentale entre une hypothèse diplomatique évoquée à un moment donné – la non-extension des structures de l’OTAN à l’ex-RDA dans le cadre de la réunification allemande – et une promesse globale, formelle, durable, que l’Alliance atlantique aurait faite à l’URSS (dissoute en 1991). Cette promesse n’existe – et pour cause – dans aucune archive officielle. Elle ne figure dans aucun traité. Elle n’est validée par aucun mémo diplomatique. Et elle est démentie… par Gorbatchev lui-même.

Le document central à l’origine de cette idée est un compte-rendu de la rencontre du 9 février 1990 entre James Baker − alors chef de la diplomatie américaine − et Gorbatchev. On y lit que Baker, à titre exploratoire, suggère que « la juridiction de l’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’Est » – à condition que l’Allemagne unifiée reste dans l’OTAN. Mais ce que cette phrase ne dit pas, c’est qu’elle s’inscrit dans un échange limité exclusivement au territoire de l’ex-RDA et sans aucun engagement juridique. Ni l’Europe de l’Est ni les ex-pays du Pacte de Varsovie ne sont concernés. D’ailleurs, cette formule ne sera jamais reprise dans aucun document officiel, ni dans le traité de Moscou du 12 septembre 1990, ni dans les actes du sommet de Washington de mai, ni dans la charte de Paris de novembre. Quelques mois plus tard, Gorbatchev donne son feu vert à l’intégration de l’Allemagne réunifiée dans l’OTAN, tout en admettant que chaque pays est libre de choisir ses alliances.

Depuis, de nombreuses sources primaires ont confirmé l’absence de promesse formelle. En réalité, les seuls engagements contraignants de 1990 portaient sur le statut militaire de l’ex-RDA : pas de troupes étrangères, pas d’armes nucléaires. Et encore, ces clauses ont été encadrées dans une annexe interprétable du traité, validée par l’URSS, qui permettait une souplesse d’application. C’est ce que rappelle le politologue Olivier Schmitt, professeur associé au Center for War Studies (University of Southern Denmark), dans ce fil détaillé publié sur X (ex-Twitter).

Un mythe

Il est donc absurde de brandir une formule isolée pour faire croire à l’existence d’une promesse globale. Il est encore plus problématique de continuer à entretenir ce récit alors même que l’ancien chef de l’Union soviétique l’a lui-même qualifié, en toutes lettres, de « mythe ». C’est d’ailleurs le terme exact qu’il emploie dans une interview à la chaîne allemande ZDF en 2014. Interrogé sur la circonstance selon laquelle il aurait « été trahi par l'Occident concernant l'expansion vers l'Est de l'OTAN », il répond : « Oui, c’est assurément un mythe. »

Ce travail de déconstruction historique, Conspiracy Watch l’a amorcé dans un article publié en 2017, à une époque où toutes les archives n’étaient pas encore disponibles. Depuis, de nouveaux documents, des vidéos, des témoignages ont consolidé ce constat : il n’existe aucune promesse de non-élargissement de l’OTAN.

Ce récit est une reconstruction politique, ressuscitée à contretemps pour justifier une posture géopolitique devenue révisionniste et agressive. Un mythe politique en somme. Que Le Monde diplomatique contribue à l’entretenir en dissimulant des faits pourtant accessibles interroge : s’agit-il d’un oubli… ou d’un choix éditorial assumé ?

 


 

Mise à jour du 07/08/2025 : Le 5 août 2025, Philippe Descamps, rédacteur en chef du Monde diplomatique, nous a fait parvenir un droit de réponse. Bien que plus long que l’article qu’il incrimine, ce qui entre en contradiction avec les textes qui régissent le droit de réponse pour les services de presse en ligne, nous le reproduisons ici en intégralité pour la plus complète information de nos lecteurs :

Réponse à M. Cyrille Amoursky

L’auteur de cet article, M. Cyrille Amoursky, et les responsables de l’autoproclamé « observatoire du conspirationnisme » tireraient profit de la lecture de Richard Hofstadter. Considéré comme le pionnier de la critique des théories du complot, cet historien américain mit en lumière le « style paranoïaque » en politique. Il s’intéressa notamment à Joseph McCarthy, le sénateur américain qui voyait des traîtres et des agents russes partout [i]. Il est en effet assez surprenant de voir un site ambitionnant de « sensibiliser aux dangers du complotisme » prendre de telles libertés avec la complexité des faits et présenter de manière manichéenne un épisode de l’histoire sur lequel nous disposons de nombreux documents. Trois questions méritent examen :

1 – Lors des négociations sur la réunification de l’Allemagne, les Occidentaux ont-ils promis qu’il n’y aurait pas d’extension de l’OTAN « vers l’Est » de l’Europe ?
2 – Quelle était la nature de cette promesse, juridique ou politique ?
3 – Quels territoires étaient concernés par ces propos ?

1) L’« observatoire du conspirationnisme » ne conteste pas vraiment ce point, contrairement au balado « Complorama » diffusé avec France Info le 4 avril dernier [ii]. Nous renvoyons aux nombreux mémos diplomatiques et autres documents déclassifiés [iii] par la National Security Archive de l’Université George Washington, que nous avions présentés en septembre 2018 [iv]. Les traces écrites des promesses orales des Occidentaux lors de leurs rencontres avec les dirigeants soviétiques sont nombreuses, notamment dans les propos du ministre allemand des Affaires étrangères, Hans-Dietrich Genscher et du secrétaire d’État américain James Baker.

En dépit de ces nombreuses traces indiscutables, « ces promesses ont été dissimulées et étouffées dans un véritable brouillard de dérobades, de demi-vérités et d’équivoques », note l’historien américain Jonathan Haslam [v].

2) Personne n’a jamais prétendu que l’adhésion des pays d’Europe centrale à l’OTAN violait un traité international ou tout autre engagement « contraignant ». Gorbatchev n’était pas à l’aise avec ce sujet, car ses compatriotes lui ont reproché tant son indécision que son incapacité à négocier le départ des troupes soviétiques d’Allemagne orientale en échange d’une contractualisation des engagements politiques occidentaux.

Le seul élément juridique figurant dans le traité « 2+4 » reste l’interdiction – toujours respectées – des forces non-allemandes de l’OTAN et des armes nucléaires dans l’ex-RDA après son intégration à la RFA : « Des forces armées et des armes nucléaires ou des vecteurs d’armes nucléaires étrangers ne seront pas stationnés dans cette partie de l’Allemagne et n’y seront pas déployés [vi] ».

Le poids des engagements politiques verbaux, de la « parole donnée » par les grands de ce monde, fait l’objet de nombreuses interprétations. L’expert Josuah Shifrinson note pour sa part que les « accords informels ont été particulièrement importants durant la guerre froide », en prenant en exemple les négociations qui mirent fin à la crise des fusées à Cuba, en 1962, ou les échanges entre Américains et Chinois dans les années 1970 [vii].

3) L’« observatoire du conspirationnisme » croit trouver une troisième ligne de défense en affirmant que la promesse en question ne valait que pour l’est… de l’Allemagne. Encore raté !

Comme l’explique l’historienne américaine de la guerre froide Mary Sarotte [viii], l’une des conséquences majeures du traité « 2+4 » était justement de permettre à la juridiction de l’OTAN de s’étendre dans la partie orientale d’une Allemagne réunifiée, tandis que les pays d’Europe centrale (Tchécoslovaquie, Pologne, Hongrie, Roumanie et Bulgarie) faisaient encore partie d’un Pacte de Varsovie promis à la dissolution.

Plusieurs témoignages méritent d’être cités pour lever toute ambiguïté sur ce point. Dans ses mémoires, l’ambassadeur des États-Unis en URSS à l’époque explique : « Nous devions indiquer clairement que nous n’avions pas de visées sur cette région et que nous ne tenterions pas de déplacer l’OTAN vers l’est si les pays du Pacte de Varsovie cherchaient à obtenir leur indépendance [ix]. »

Son homologue britannique confirme : « Les hommes politiques occidentaux tentent de calmer les craintes des Russes. James Baker assure à Gorbatchev, en février 1990 puis en mai, que les juridictions et les troupes de l’OTAN resteront à l’ouest de l’Elbe. En mars 1991, Yazov interroge John Major sur l’appel lancé par le président Havel pour que l’OTAN intègre les Tchécoslovaques, les Polonais et les Hongrois. Le Premier ministre l’assure que rien de tel ne se produira [x]. »

À plusieurs reprises, Genscher parle explicitement de ce point, notamment à Washington quand il déclare devant les caméras et aux côtés de Baker : « Nous avons convenu qu’il n’était pas question d’étendre la zone de défense de l’OTAN vers l’Est. Cela vaut non seulement pour la RDA, mais aussi de manière générale [xi]. »

Les Occidentaux honorèrent leurs promesses d’aides financières à court terme, mais abandonnèrent progressivement leurs engagements à prendre en compte les intérêts soviétiques (puis russes) dans l’architecture de la sécurité en Europe. La « maison commune » appelée de ses vœux par Gorbatchev ne vit jamais le jour. Les Américains avancèrent leurs pions sur l’échiquier géopolitique européen en profitant du rejet qu’inspirait la politique russe. Sur les décombres de l’URSS, la Russie enregistra les extensions de l’OTAN dans l’Est de l’Europe sans réaction forte, tant que l’Ukraine, la Géorgie ou la Biélorussie n’étaient pas concernées.

Laissons la conclusion à l’historien américain Marc Trachtenberg : « Un examen du débat à la lumière des preuves – en particulier des preuves présentées par les participants eux-mêmes – permet de conclure que les allégations russes sont loin d’être sans fondement, ce qui influe sur la manière dont les relations américano-russes doivent être appréhendées aujourd’hui. [xii] »

Philippe Descamps, Le Monde diplomatique.

[i] Richard Hofstadter, Le Style paranoïaque. Théories du complot et droite radicale en Amérique, Bourin, 2012.
[ii] « “Complorama”, l’OTAN et les archives », Le Monde diplomatique, mai 2025.
[iii] « NATO expansion : What Gorbachev heard », National Security Archive.
[iv] « L’Otan ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est », Le Monde diplomatique, septembre 2018.
[v] Jonathan Haslam, Hubris, The origins of Russia’s War Against Ukraine, Head of Zeus, 2024.
[vi] Traité portant règlement définitif concernant l’Allemagne, Moscou 12/09/1990.
[vii] Joshua Shifrinson, « Deal or No Deal? The End of the Cold War and the U.S. Offer to Limit NATO Expansion », International Security n°40-4, 2016.
[viii] Mary Sarotte, Not one inch, America, Russia, and the making of post-cold war Stalemate, Yale University press, 2021.
[ix] Jack Matlock, Autopsy of an Empire: The American Ambassador’s Account of the Collapse of the Soviet Union, New York, Random House, 1995.
[x] Rodric Braithwaite, Accross the Moscow River, The World Turned Upside Down, Yale University Press, New Haven and London, 2002.
[xi] Vidéo reprise dans l’émission Weltspiegel de l’ARD, 9 mars 2014.
[xii] Marc Trachtenberg, « The United States and the NATO Non-extension Assurances of 1990: New Light on an Old Problem? », International Security n°45-3, 2021.

 

Ce droit de réponse appelle de notre part plusieurs précisions, organisées autour des trois questions soulevées par M. Descamps.

1) Les Occidentaux ont-ils promis qu’il n’y aurait pas d’extension de l’OTAN « vers l’Est » de l’Europe ?

Contrairement à ce qu'écrit M. Descamps, nous contestons ce point. Les seules traces documentaires régulièrement invoquées sont des échanges exploratoires – notamment la célèbre formule du chef de la diplomatie américaine James Baker du 9 février 1990 évoquant une Allemagne unifiée, liée à l'OTAN « avec l'assurance que la juridiction de l'OTAN ne se déplacerait pas d'un pouce vers l'est par rapport à sa position actuelle » – tenus dans le cadre étroit de la réunification allemande ; ils ne constituent ni un accord, ni même un projet d’accord. Aucune trace écrite d’un engagement formel portant sur l’ensemble de l’Europe centrale et orientale n’existe dans les volumineux dossiers de la National Security Archive. Mikhaïl Gorbatchev lui-même rappelait en 2014 que « le sujet de l’expansion de l’OTAN n’a pas du tout été discuté à l’époque », point que M. Descamps ne conteste pas – et pour cause.

Autrement dit, l’hypothèse d’une « promesse occidentale » globale relève davantage d’une relecture rétrospective que d’un fait attesté par les archives. D’autant que l’Union soviétique, entité qui était partie prenante de ces discussions, a cessé d’exister le 26 décembre 1991.

2) Quelle était la nature de cette promesse, juridique ou politique ?

En posant la question de la sorte, Philippe Descamps déplace le coeur du débat, validant implicitement l'existence d'une « promesse » et se demandant si celle-ci était juridique ou politique. Nous venons de voir au point 1) que de « promesse », il n'y en a jamais eu à proprement parler. M. Descamps concède que « personne n’a jamais prétendu que l’adhésion des pays d’Europe centrale à l’OTAN violait un traité international ou tout autre engagement "contraignant" ». Nous partageons ce constat : les propos de 1990 étaient, au mieux, des déclarations politiques contingentes, immédiatement conditionnées par l’acceptation soviétique d’une Allemagne réunifiée au sein de l’Alliance. Or, ces propos ne furent jamais repris dans le traité « 2+4 » signé le 12 septembre 1990, lequel se contente de limiter le stationnement de forces alliées dans l’ex-RDA. Du reste, lorsqu’en 1993-1994, Washington lance l’idée d’un élargissement, aucune archive ne fait apparaître la moindre objection formelle de la Russie invoquant une quelconque « promesse » rompue.

3) Quels territoires étaient concernés par ces propos ?

L’article de Cyrille Amoursky ci-dessus rappelle encore une fois que la discussion de 1990 portait exclusivement sur le territoire de l’ex-RDA. Rien, dans les documents cités par M. Descamps, n’indique que les pays alors membres du Pacte de Varsovie aient été inclus dans le périmètre de la fameuse formule de Baker (« la juridiction de l'OTAN ne se déplacerait pas d'un pouce vers l'est par rapport à sa position actuelle »). Comme l'écrit encore le géopolitologue Jean-Sylvestre Mongrenier : « En aucun cas le débat ne porta sur les pays d’Europe centrale et orientale, pour la simple raison qu’à cette date l’effet domino n’avait pas encore fait tomber la totalité des régimes communistes ; le pacte de Varsovie et le COMECON étaient toujours en place. Aussi un élargissement de l’OTAN était-il tout simplement inconcevable. [...] Au demeurant, Mikhaïl Gorbatchev et le ministre soviétique des Affaires étrangères de l’époque, Edouard Chevardnadze, ont par la suite confirmé que ce point n’avait pas été abordé. L’examen des archives et la publication ensuite de travaux universitaires sur cette question corroborent leurs dires. De fait, Moscou n’a pu produire de document étayant le "petit récit" de la trahison par l’Occident. »

L’historienne Mary Elise Sarotte – que M. Descamps invoque – souligne d’ailleurs que la phrase de Baker fut rejetée concomitamment par le président George Bush et ne connut aucune traduction juridique.

De plus, M. Descamps écrit : « Sur les décombres de l’URSS, la Russie enregistra les extensions de l’OTAN dans l’Est de l’Europe sans réaction forte, tant que l’Ukraine, la Géorgie ou la Biélorussie n’étaient pas concernées. » Le fait est que, lors des adhésions successives d’ex-pays du bloc de l’Est à l’OTAN, la Russie n’a pas invoqué de « promesse trahie », Boris Eltsine se bornant à évoquer une « trahison » de « l’esprit [du traité sur la réunification allemande] ». Ce n’est que dans les années 2000 que le thème de la « promesse trahie » commença à devenir un élément central du récit officiel martelé par Moscou, Vladimir Poutine allant jusqu’à accuser les Occidentaux d’avoir « menti » aux Russes. Un élément de langage inventé a posteriori et dont il n'est pas absurde de penser qu'il est destiné à justifier la politique de déstabilisation et d’agression de la Russie dans le Caucase (Géorgie) et en Europe de l’Est (Ukraine).

Enfin, il est important de rappeler que l’OTAN n’a jamais forcé aucun Etat à la rejoindre, que tout Etat souverain qui y adhère est libre d’en sortir quand il le souhaite et que les candidatures d’adhésion de plusieurs Etats ont été bloquées par des membres de l’OTAN précisément pour ne pas froisser la Russie – qui a pourtant une longue histoire impérialiste à son actif.

Pour conclure, nous constatons que le droit de réponse de M. Descamps ne conteste pas le fait têtu qu’aucun document, à ce jour, n’établit l’existence d’une promesse occidentale de non-élargissement de l’OTAN au-delà de l’ex-RDA. Les fragments d’archives évoqués par M. Descamps témoignent de discussions exploratoires, limitées et non contraignantes. Ils ne sauraient se muer, par un simple effet de rhétorique, en engagement solennel violé par la suite comme le Kremlin cherche à le faire croire.

Nous restons bien entendu ouverts à tout élément d’archive inédit qui viendrait étayer la thèse inverse. Nous nous engageons à en prendre connaissance et, le cas échéant, à en informer nos lecteurs.

La Rédaction de Conspiracy Watch

 

(Dernière mise à jour le 07/08/2025)

Cet article est en accès libre.
Pour qu’il le reste, Conspiracy Watch a besoin de vous.
Je suis d'accord, je fais un don
je continue ma lecture
Montage CW.

Depuis la diffusion de l’épisode 86 de Complorama consacré à l’OTAN dans les imaginaires complotistes, un certain nombre de critiques se sont exprimées, dont l’une, plus subtile mais non moins fallacieuse, est venue des colonnes du Monde diplomatique. Dans un court texte publié en mai 2025, Philippe Descamps tente d’utiliser un argument d’autorité : Mikhaïl Gorbatchev lui-même aurait dénoncé, en 2014, une trahison des engagements occidentaux à propos de l’élargissement de l’OTAN. Ce texte, sous ses airs de mise au point sobre, dissimule plusieurs approximations et manipulations. Il mérite d’être lu attentivement – et déconstruit point par point.

Le cœur de l’argument repose sur une citation tirée d’une interview de Gorbatchev donnée en 2014 à Russia Beyond The Headlines (RBTH) :

« L’élargissement de l’OTAN vers l’Est a été décidé de manière irrévocable en 1993. Je l’ai considéré comme une grande erreur dès le départ. C’était indéniablement une violation de l’esprit des déclarations et assurances qui nous avaient été faites en 1990 ».

Mais ce que Philippe Descamps ne précise pas, c’est que, dans cette même interview, à quelques lignes d’écart, le même Gorbatchev déclare aussi, de manière explicite :

« Le sujet de l’expansion de l’OTAN n’a pas du tout été discuté à l’époque, il n’a pas été soulevé ces années-là. Je le dis avec une pleine responsabilité. Aucun pays d’Europe de l’Est n’a évoqué cette question, pas même après la dissolution du Pacte de Varsovie [l’organisation de sécurité collective qui, de 1955 à 1991, a placé les armées des pays du Bloc de l'Est sous le contrôle direct de Moscou – ndlr]. Les dirigeants occidentaux non plus ».

Autrement dit, Gorbatchev lui-même affirme, noir sur blanc, qu’il n’y a jamais eu de discussion, encore moins d’engagement, sur un élargissement éventuel de l’OTAN à l’Europe de l’Est en 1990.

Ce que regrette l'ancien dirigeant soviétique dans cette interview n’est donc pas une trahison d’un accord explicite, mais un changement stratégique que, rétrospectivement, il juge regrettable. Quand il évoque une « violation de l’esprit » des discussions de 1990, il s’agit d’un jugement politique, subjectif, sur une orientation de long terme – pas la dénonciation d’un traité rompu. C’est là que réside toute la subtilité (et toute l’ambiguïté, parfois exploitée de mauvaise foi) de ses propos. Gorbatchev distingue très clairement deux choses : d’un côté, les discussions de 1990, qui ne concernaient que l’Allemagne réunifiée ; de l’autre, l’élargissement de l’OTAN envisagé par Washington à partir de 1993 et effectif à partir de 1999 avec l'adhésion de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque. Un élargissement que l'ancien dirigeant soviétique désapprouve mais qu’il ne présente jamais comme la violation d’un engagement formel des Occidentaux.

Une confusion fondamentale

C’est cette distinction que néglige Le Monde diplomatique. En clôturant son papier par cette citation tronquée, sans mentionner les autres passages de l’interview, Philippe Descamps livre au lecteur une version orientée des faits. Il contribue à entretenir une confusion fondamentale entre une hypothèse diplomatique évoquée à un moment donné – la non-extension des structures de l’OTAN à l’ex-RDA dans le cadre de la réunification allemande – et une promesse globale, formelle, durable, que l’Alliance atlantique aurait faite à l’URSS (dissoute en 1991). Cette promesse n’existe – et pour cause – dans aucune archive officielle. Elle ne figure dans aucun traité. Elle n’est validée par aucun mémo diplomatique. Et elle est démentie… par Gorbatchev lui-même.

Le document central à l’origine de cette idée est un compte-rendu de la rencontre du 9 février 1990 entre James Baker − alors chef de la diplomatie américaine − et Gorbatchev. On y lit que Baker, à titre exploratoire, suggère que « la juridiction de l’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’Est » – à condition que l’Allemagne unifiée reste dans l’OTAN. Mais ce que cette phrase ne dit pas, c’est qu’elle s’inscrit dans un échange limité exclusivement au territoire de l’ex-RDA et sans aucun engagement juridique. Ni l’Europe de l’Est ni les ex-pays du Pacte de Varsovie ne sont concernés. D’ailleurs, cette formule ne sera jamais reprise dans aucun document officiel, ni dans le traité de Moscou du 12 septembre 1990, ni dans les actes du sommet de Washington de mai, ni dans la charte de Paris de novembre. Quelques mois plus tard, Gorbatchev donne son feu vert à l’intégration de l’Allemagne réunifiée dans l’OTAN, tout en admettant que chaque pays est libre de choisir ses alliances.

Depuis, de nombreuses sources primaires ont confirmé l’absence de promesse formelle. En réalité, les seuls engagements contraignants de 1990 portaient sur le statut militaire de l’ex-RDA : pas de troupes étrangères, pas d’armes nucléaires. Et encore, ces clauses ont été encadrées dans une annexe interprétable du traité, validée par l’URSS, qui permettait une souplesse d’application. C’est ce que rappelle le politologue Olivier Schmitt, professeur associé au Center for War Studies (University of Southern Denmark), dans ce fil détaillé publié sur X (ex-Twitter).

Un mythe

Il est donc absurde de brandir une formule isolée pour faire croire à l’existence d’une promesse globale. Il est encore plus problématique de continuer à entretenir ce récit alors même que l’ancien chef de l’Union soviétique l’a lui-même qualifié, en toutes lettres, de « mythe ». C’est d’ailleurs le terme exact qu’il emploie dans une interview à la chaîne allemande ZDF en 2014. Interrogé sur la circonstance selon laquelle il aurait « été trahi par l'Occident concernant l'expansion vers l'Est de l'OTAN », il répond : « Oui, c’est assurément un mythe. »

Ce travail de déconstruction historique, Conspiracy Watch l’a amorcé dans un article publié en 2017, à une époque où toutes les archives n’étaient pas encore disponibles. Depuis, de nouveaux documents, des vidéos, des témoignages ont consolidé ce constat : il n’existe aucune promesse de non-élargissement de l’OTAN.

Ce récit est une reconstruction politique, ressuscitée à contretemps pour justifier une posture géopolitique devenue révisionniste et agressive. Un mythe politique en somme. Que Le Monde diplomatique contribue à l’entretenir en dissimulant des faits pourtant accessibles interroge : s’agit-il d’un oubli… ou d’un choix éditorial assumé ?

 


 

Mise à jour du 07/08/2025 : Le 5 août 2025, Philippe Descamps, rédacteur en chef du Monde diplomatique, nous a fait parvenir un droit de réponse. Bien que plus long que l’article qu’il incrimine, ce qui entre en contradiction avec les textes qui régissent le droit de réponse pour les services de presse en ligne, nous le reproduisons ici en intégralité pour la plus complète information de nos lecteurs :

Réponse à M. Cyrille Amoursky

L’auteur de cet article, M. Cyrille Amoursky, et les responsables de l’autoproclamé « observatoire du conspirationnisme » tireraient profit de la lecture de Richard Hofstadter. Considéré comme le pionnier de la critique des théories du complot, cet historien américain mit en lumière le « style paranoïaque » en politique. Il s’intéressa notamment à Joseph McCarthy, le sénateur américain qui voyait des traîtres et des agents russes partout [i]. Il est en effet assez surprenant de voir un site ambitionnant de « sensibiliser aux dangers du complotisme » prendre de telles libertés avec la complexité des faits et présenter de manière manichéenne un épisode de l’histoire sur lequel nous disposons de nombreux documents. Trois questions méritent examen :

1 – Lors des négociations sur la réunification de l’Allemagne, les Occidentaux ont-ils promis qu’il n’y aurait pas d’extension de l’OTAN « vers l’Est » de l’Europe ?
2 – Quelle était la nature de cette promesse, juridique ou politique ?
3 – Quels territoires étaient concernés par ces propos ?

1) L’« observatoire du conspirationnisme » ne conteste pas vraiment ce point, contrairement au balado « Complorama » diffusé avec France Info le 4 avril dernier [ii]. Nous renvoyons aux nombreux mémos diplomatiques et autres documents déclassifiés [iii] par la National Security Archive de l’Université George Washington, que nous avions présentés en septembre 2018 [iv]. Les traces écrites des promesses orales des Occidentaux lors de leurs rencontres avec les dirigeants soviétiques sont nombreuses, notamment dans les propos du ministre allemand des Affaires étrangères, Hans-Dietrich Genscher et du secrétaire d’État américain James Baker.

En dépit de ces nombreuses traces indiscutables, « ces promesses ont été dissimulées et étouffées dans un véritable brouillard de dérobades, de demi-vérités et d’équivoques », note l’historien américain Jonathan Haslam [v].

2) Personne n’a jamais prétendu que l’adhésion des pays d’Europe centrale à l’OTAN violait un traité international ou tout autre engagement « contraignant ». Gorbatchev n’était pas à l’aise avec ce sujet, car ses compatriotes lui ont reproché tant son indécision que son incapacité à négocier le départ des troupes soviétiques d’Allemagne orientale en échange d’une contractualisation des engagements politiques occidentaux.

Le seul élément juridique figurant dans le traité « 2+4 » reste l’interdiction – toujours respectées – des forces non-allemandes de l’OTAN et des armes nucléaires dans l’ex-RDA après son intégration à la RFA : « Des forces armées et des armes nucléaires ou des vecteurs d’armes nucléaires étrangers ne seront pas stationnés dans cette partie de l’Allemagne et n’y seront pas déployés [vi] ».

Le poids des engagements politiques verbaux, de la « parole donnée » par les grands de ce monde, fait l’objet de nombreuses interprétations. L’expert Josuah Shifrinson note pour sa part que les « accords informels ont été particulièrement importants durant la guerre froide », en prenant en exemple les négociations qui mirent fin à la crise des fusées à Cuba, en 1962, ou les échanges entre Américains et Chinois dans les années 1970 [vii].

3) L’« observatoire du conspirationnisme » croit trouver une troisième ligne de défense en affirmant que la promesse en question ne valait que pour l’est… de l’Allemagne. Encore raté !

Comme l’explique l’historienne américaine de la guerre froide Mary Sarotte [viii], l’une des conséquences majeures du traité « 2+4 » était justement de permettre à la juridiction de l’OTAN de s’étendre dans la partie orientale d’une Allemagne réunifiée, tandis que les pays d’Europe centrale (Tchécoslovaquie, Pologne, Hongrie, Roumanie et Bulgarie) faisaient encore partie d’un Pacte de Varsovie promis à la dissolution.

Plusieurs témoignages méritent d’être cités pour lever toute ambiguïté sur ce point. Dans ses mémoires, l’ambassadeur des États-Unis en URSS à l’époque explique : « Nous devions indiquer clairement que nous n’avions pas de visées sur cette région et que nous ne tenterions pas de déplacer l’OTAN vers l’est si les pays du Pacte de Varsovie cherchaient à obtenir leur indépendance [ix]. »

Son homologue britannique confirme : « Les hommes politiques occidentaux tentent de calmer les craintes des Russes. James Baker assure à Gorbatchev, en février 1990 puis en mai, que les juridictions et les troupes de l’OTAN resteront à l’ouest de l’Elbe. En mars 1991, Yazov interroge John Major sur l’appel lancé par le président Havel pour que l’OTAN intègre les Tchécoslovaques, les Polonais et les Hongrois. Le Premier ministre l’assure que rien de tel ne se produira [x]. »

À plusieurs reprises, Genscher parle explicitement de ce point, notamment à Washington quand il déclare devant les caméras et aux côtés de Baker : « Nous avons convenu qu’il n’était pas question d’étendre la zone de défense de l’OTAN vers l’Est. Cela vaut non seulement pour la RDA, mais aussi de manière générale [xi]. »

Les Occidentaux honorèrent leurs promesses d’aides financières à court terme, mais abandonnèrent progressivement leurs engagements à prendre en compte les intérêts soviétiques (puis russes) dans l’architecture de la sécurité en Europe. La « maison commune » appelée de ses vœux par Gorbatchev ne vit jamais le jour. Les Américains avancèrent leurs pions sur l’échiquier géopolitique européen en profitant du rejet qu’inspirait la politique russe. Sur les décombres de l’URSS, la Russie enregistra les extensions de l’OTAN dans l’Est de l’Europe sans réaction forte, tant que l’Ukraine, la Géorgie ou la Biélorussie n’étaient pas concernées.

Laissons la conclusion à l’historien américain Marc Trachtenberg : « Un examen du débat à la lumière des preuves – en particulier des preuves présentées par les participants eux-mêmes – permet de conclure que les allégations russes sont loin d’être sans fondement, ce qui influe sur la manière dont les relations américano-russes doivent être appréhendées aujourd’hui. [xii] »

Philippe Descamps, Le Monde diplomatique.

[i] Richard Hofstadter, Le Style paranoïaque. Théories du complot et droite radicale en Amérique, Bourin, 2012.
[ii] « “Complorama”, l’OTAN et les archives », Le Monde diplomatique, mai 2025.
[iii] « NATO expansion : What Gorbachev heard », National Security Archive.
[iv] « L’Otan ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est », Le Monde diplomatique, septembre 2018.
[v] Jonathan Haslam, Hubris, The origins of Russia’s War Against Ukraine, Head of Zeus, 2024.
[vi] Traité portant règlement définitif concernant l’Allemagne, Moscou 12/09/1990.
[vii] Joshua Shifrinson, « Deal or No Deal? The End of the Cold War and the U.S. Offer to Limit NATO Expansion », International Security n°40-4, 2016.
[viii] Mary Sarotte, Not one inch, America, Russia, and the making of post-cold war Stalemate, Yale University press, 2021.
[ix] Jack Matlock, Autopsy of an Empire: The American Ambassador’s Account of the Collapse of the Soviet Union, New York, Random House, 1995.
[x] Rodric Braithwaite, Accross the Moscow River, The World Turned Upside Down, Yale University Press, New Haven and London, 2002.
[xi] Vidéo reprise dans l’émission Weltspiegel de l’ARD, 9 mars 2014.
[xii] Marc Trachtenberg, « The United States and the NATO Non-extension Assurances of 1990: New Light on an Old Problem? », International Security n°45-3, 2021.

 

Ce droit de réponse appelle de notre part plusieurs précisions, organisées autour des trois questions soulevées par M. Descamps.

1) Les Occidentaux ont-ils promis qu’il n’y aurait pas d’extension de l’OTAN « vers l’Est » de l’Europe ?

Contrairement à ce qu'écrit M. Descamps, nous contestons ce point. Les seules traces documentaires régulièrement invoquées sont des échanges exploratoires – notamment la célèbre formule du chef de la diplomatie américaine James Baker du 9 février 1990 évoquant une Allemagne unifiée, liée à l'OTAN « avec l'assurance que la juridiction de l'OTAN ne se déplacerait pas d'un pouce vers l'est par rapport à sa position actuelle » – tenus dans le cadre étroit de la réunification allemande ; ils ne constituent ni un accord, ni même un projet d’accord. Aucune trace écrite d’un engagement formel portant sur l’ensemble de l’Europe centrale et orientale n’existe dans les volumineux dossiers de la National Security Archive. Mikhaïl Gorbatchev lui-même rappelait en 2014 que « le sujet de l’expansion de l’OTAN n’a pas du tout été discuté à l’époque », point que M. Descamps ne conteste pas – et pour cause.

Autrement dit, l’hypothèse d’une « promesse occidentale » globale relève davantage d’une relecture rétrospective que d’un fait attesté par les archives. D’autant que l’Union soviétique, entité qui était partie prenante de ces discussions, a cessé d’exister le 26 décembre 1991.

2) Quelle était la nature de cette promesse, juridique ou politique ?

En posant la question de la sorte, Philippe Descamps déplace le coeur du débat, validant implicitement l'existence d'une « promesse » et se demandant si celle-ci était juridique ou politique. Nous venons de voir au point 1) que de « promesse », il n'y en a jamais eu à proprement parler. M. Descamps concède que « personne n’a jamais prétendu que l’adhésion des pays d’Europe centrale à l’OTAN violait un traité international ou tout autre engagement "contraignant" ». Nous partageons ce constat : les propos de 1990 étaient, au mieux, des déclarations politiques contingentes, immédiatement conditionnées par l’acceptation soviétique d’une Allemagne réunifiée au sein de l’Alliance. Or, ces propos ne furent jamais repris dans le traité « 2+4 » signé le 12 septembre 1990, lequel se contente de limiter le stationnement de forces alliées dans l’ex-RDA. Du reste, lorsqu’en 1993-1994, Washington lance l’idée d’un élargissement, aucune archive ne fait apparaître la moindre objection formelle de la Russie invoquant une quelconque « promesse » rompue.

3) Quels territoires étaient concernés par ces propos ?

L’article de Cyrille Amoursky ci-dessus rappelle encore une fois que la discussion de 1990 portait exclusivement sur le territoire de l’ex-RDA. Rien, dans les documents cités par M. Descamps, n’indique que les pays alors membres du Pacte de Varsovie aient été inclus dans le périmètre de la fameuse formule de Baker (« la juridiction de l'OTAN ne se déplacerait pas d'un pouce vers l'est par rapport à sa position actuelle »). Comme l'écrit encore le géopolitologue Jean-Sylvestre Mongrenier : « En aucun cas le débat ne porta sur les pays d’Europe centrale et orientale, pour la simple raison qu’à cette date l’effet domino n’avait pas encore fait tomber la totalité des régimes communistes ; le pacte de Varsovie et le COMECON étaient toujours en place. Aussi un élargissement de l’OTAN était-il tout simplement inconcevable. [...] Au demeurant, Mikhaïl Gorbatchev et le ministre soviétique des Affaires étrangères de l’époque, Edouard Chevardnadze, ont par la suite confirmé que ce point n’avait pas été abordé. L’examen des archives et la publication ensuite de travaux universitaires sur cette question corroborent leurs dires. De fait, Moscou n’a pu produire de document étayant le "petit récit" de la trahison par l’Occident. »

L’historienne Mary Elise Sarotte – que M. Descamps invoque – souligne d’ailleurs que la phrase de Baker fut rejetée concomitamment par le président George Bush et ne connut aucune traduction juridique.

De plus, M. Descamps écrit : « Sur les décombres de l’URSS, la Russie enregistra les extensions de l’OTAN dans l’Est de l’Europe sans réaction forte, tant que l’Ukraine, la Géorgie ou la Biélorussie n’étaient pas concernées. » Le fait est que, lors des adhésions successives d’ex-pays du bloc de l’Est à l’OTAN, la Russie n’a pas invoqué de « promesse trahie », Boris Eltsine se bornant à évoquer une « trahison » de « l’esprit [du traité sur la réunification allemande] ». Ce n’est que dans les années 2000 que le thème de la « promesse trahie » commença à devenir un élément central du récit officiel martelé par Moscou, Vladimir Poutine allant jusqu’à accuser les Occidentaux d’avoir « menti » aux Russes. Un élément de langage inventé a posteriori et dont il n'est pas absurde de penser qu'il est destiné à justifier la politique de déstabilisation et d’agression de la Russie dans le Caucase (Géorgie) et en Europe de l’Est (Ukraine).

Enfin, il est important de rappeler que l’OTAN n’a jamais forcé aucun Etat à la rejoindre, que tout Etat souverain qui y adhère est libre d’en sortir quand il le souhaite et que les candidatures d’adhésion de plusieurs Etats ont été bloquées par des membres de l’OTAN précisément pour ne pas froisser la Russie – qui a pourtant une longue histoire impérialiste à son actif.

Pour conclure, nous constatons que le droit de réponse de M. Descamps ne conteste pas le fait têtu qu’aucun document, à ce jour, n’établit l’existence d’une promesse occidentale de non-élargissement de l’OTAN au-delà de l’ex-RDA. Les fragments d’archives évoqués par M. Descamps témoignent de discussions exploratoires, limitées et non contraignantes. Ils ne sauraient se muer, par un simple effet de rhétorique, en engagement solennel violé par la suite comme le Kremlin cherche à le faire croire.

Nous restons bien entendu ouverts à tout élément d’archive inédit qui viendrait étayer la thèse inverse. Nous nous engageons à en prendre connaissance et, le cas échéant, à en informer nos lecteurs.

La Rédaction de Conspiracy Watch

 

(Dernière mise à jour le 07/08/2025)

Afficher plus

Inscrivez-vous à notre newsletter 

Depuis dix-sept ans, Conspiracy Watch contribue à sensibiliser aux dangers du complotisme en assurant un travail d’information et de veille critique sans équivalent. Pour pérenniser nos activités, le soutien de nos lecteurs est indispensable.  

Faire un don !
à propos de l'auteur
[show_profile_image]
Cyrille Amoursky
Cyrille Amoursky est un journaliste indépendant. Reporter de guerre, il est basé en Ukraine et en France. Né à Moscou en 2001 dans une famille franco-russe, il a vécu à Kyïv de 2008 à 2019, puis a étudié à Lille et à Paris. Il est notamment consultant pour BFM TV. Il anime également une chaîne YouTube.
TOUS LES ARTICLES DE Cyrille Amoursky
Partager :
Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
Bluesky
© 2007-2025 Conspiracy Watch | Une réalisation de l'Observatoire du conspirationnisme (association loi de 1901) avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
cross