La plainte contre X déposée par l'épouse du président de la République a conduit à la mise en examen de 10 internautes, dont plusieurs figures connues de la mouvance complotiste française. Conspiracy Watch était présent au procès qui s'est tenu au Tribunal de Paris pendant deux jours en début de semaine.

[Cet article est un résumé du live tweet de notre journaliste Victor Mottin qui a couvert les deux jours d'audience.]
Pour @conspiration, je couvre le procès intenté pour cyberharcèlement par Brigitte Macron contre plusieurs internautes français, dont Aurélien Poirson-Atlan alias « Zoé Sagan ».
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— Victor Mottin (@mtnn_Victor) October 27, 2025
Depuis 2021, Brigitte Macron est ciblée par une multitude d'influenceurs conspirationnistes, d'abord Français et désormais internationaux, qui considèrent qu'elle est en réalité un homme du nom de Jean-Michel Trogneux − qui existe bel et bien et n'est autre que son frère ainé. Certains l'accusent de pédophilie, voire d'inceste puisqu'ils considèrent que Brigitte Macron est non seulement née homme mais qu'elle serait aussi, en réalité, le père d'Emmanuel Macron. Depuis plus de quatre ans, l'épouse du président de la République a vécu l'une des campagnes de dénigrement les plus longues, violentes et massives de l'histoire des réseaux sociaux.
Brigitte Macron a déposé plainte contre X pour cyberharcèlement en août 2024. L'enquête a alors été confiée au pôle national de lutte contre la haine en ligne qui a identifié dix profils ayant publié ou relayé des posts visant la Première Dame. Sept d'entre eux étaient présents ces lundi 27 et mardi 28 octobre 2025 au Tribunal judiciaire de Paris. Des anonymes, pour la plupart, mais aussi certaines figures bien connues de la complopshère, à commencer par l'influenceur pro-Kremlin Bertrand Scholler (plus de 100 000 abonnés sur X) ou la « médium » Delphine Jégousse, plus connue sous son pseudonyme d'Amandine Roy. Aurélien Poirson-Atlan, l'animateur du compte X « Zoé Sagan », complète ce trio « d'instigateurs ». Caché derrière son alter ego numérique, ce quadragénaire, père de famille, a fortement contribué à mettre en orbite ce mensonge infamant sans hésiter à s'associer, pour ce faire, avec des individus évoluant au sein de l'extrême droite soralienne comme Xavier Poussard. Enfin, des avocats proche des milieux complotistes comme Carlo Alberto Brusa, le fantasque François Danglehant ou encore Maud Marian ont complété les rangs de la défense. Sous le coup d'une récente sanction disciplinaire, Juan Branco n'a quant à lui pas pu plaider. Ce qui ne l'a pas empêché d'être présent à l'audience aux côtés d'Aurélien Poirson-Atlan qui, sans rire, a parlé de Branco comme du « peut-être [...] futur président [de la France] »...
Dans ses réquisitions, le procureur a pris soin d’opérer une distinction claire entre les « instigateurs » (Aurélien Poirson-Atlan, Bertrand Scholler et Amandine Roy), contre lesquels il a requis les peines les plus lourdes, et les simples « suiveurs ». Les éléments de personnalité évoqués à l’audience révèlent que la plupart des prévenus évoluent dans un environnement profondément marqué par le conspirationnisme. Tour d’horizon.
Informaticien, travaillant en Suisse, célibataire et père de famille, Jérôme A. gagne environ 7 000 euros par mois. Son casier judiciaire est vierge. Il conteste les faits de cyberharcèlement : « On me reproche 9 tweets espacés sur 4 mois », dit-il, rappelant qu’il en a publiés plus de 36 000 depuis 2022.
Parmi les nombreux propos incriminés, Jérôme A. (le premier prévenu) affirme que « Brigitte Macron est un homme ». Il écrit aussi : « Une ultra minorité de détraqués ont pris le pouvoir à Paris. Qui doute de la bite à Brigitte ? »
— Victor Mottin (@mtnn_Victor) October 27, 2025
Il assure n’avoir voulu que « plaisanter », évoquant « des blagues » ou des propos « sarcastiques », relevant d’un « esprit Charlie ». La publication de quelques photos de Brigitte Macron enceinte aurait pu tuer la rumeur « dans l'œuf » croit-il bon de préciser. Calme à la barre, Jérôme A. ne comprend pas ce qu’il fait là : « Aujourd’hui, on peut envoyer des gens pour quelques tweets anodins en garde à vue, se retrouver dans des cellules qui sentent la pisse, être convoqué plusieurs jours à Paris, c’est effrayant. » Il se décrit comme un « simple internaute qui s’interroge » et souligne que « des journalistes ont enquêté » et « se posent des questions » qui lui paraissent légitimes. Ses sources ? Xavier Poussard ou encore Idriss Aberkane...
Courtier en crédit, « célibataire sur le papier », Jérôme C. a un casier vierge. Parmi les propos incriminés, cette phrase : « Demain Emmanuel Macron organise à l’Elysée le concours de celui qui a la plus grosse : sa femme a tenu à participer. » Il affirme que ses propos relèvent de l’humour et invoque, lui aussi, « l’esprit Charlie ».
Le Président lui demande s'il regrette ces propos. Réponse : « Je regrette d'être là. Je regrette d'avoir été un peu lourd et pas forcément marrant. Après j'suis peut être plus marrant en privé. »
— Victor Mottin (@mtnn_Victor) October 27, 2025
Là encore, il apparaît clairement qu’il s’inscrit dans la sphère complotiste. Il a notamment partagé des contenus publiés par le « média » Géopolitique profonde, ainsi que par Mike Borowski et le compte pro-Kremlin Camille Moscow.
Professeur d’EPS, père de famille, Jean-Christophe D. reconnaît avoir été influencé par les posts de « Zoé Sagan ». Six tweets lui sont reprochés, dont celui où il sous-entend que Brigitte Macron serait le père d’Emmanuel Macron. À la barre, il déclare : « Je m’excuse si j’ai pu lui causer du tort. Si c’est le cas, je le regrette. » Il précise que son compte était estampillé « parodique » sur X, invoque − lui aussi − l'esprit Charlie et s’interroge : « Où placer le curseur de l’humour ? » Jean-Christophe D. dit avoir lu l'enquête « précise et professionnelle » (sic) de Xavier Poussard. Il est d'ailleurs abonné à Faits & Documents depuis six ans et maintient que cette revue n’a « jamais été attaquée pour propos calomnieux ». Il confie que la garde à vue a été difficile pour sa famille, présente dans la salle. Il est le seul prévenu contre qui le procureur n'a pas requis de prison avec sursis, mais plutôt 80 heures de travaux d'intérêt général, soulignant qu'il avait exprimé des regrets.
Le prochain prévenu est absent mais représenté par son avocat. Né de parents yougoslaves en Haute-Savoie, titulaire d’un CAP, handicapé « à 80 % », il a un casier vierge. Son avocat évoque « une vie totalement cloisonnée », marquée par « des traumatismes qui le hantent encore aujourd’hui » et « des attouchements sexuels subis durant sa jeunesse ». Il explique que ces blessures pourraient éclairer certaines prises de position en ligne. Sur X, il partageait des publications de Marcel D et Didier Maïsto.
Absente elle aussi, Christelle L. vit avec sa fille dans la maison de sa mère. Elle perçoit environ 1200 euros par mois et a un casier vierge. Elle est accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH). Son avocat décrit une femme « pétrie de peur » à l’idée que ses opinions sur Brigitte Macron puissent « éclabousser son environnement professionnel ».
Absent à l’audience et non représenté par un avocat, Jean-Christophe P. a tenu des propos particulièrement violents sur X, qualifiant l'épouse du chef de l'État de « pouffiasse dégénérée pédosataniste » ou de « travelo de merde ». Après s'être plusieurs fois défilé, il est finalement entendu par les autorités le 6 mars 2025. Durant son audition, il déclare : « Madame Macron a une certaine notoriété. Je suis une personne parmi tant d’autres. Je ne pense pas participer à un harcèlement. »
Ancien chef d'une petite PME de la métallurgie et adjoint au maire dans une petite commune de Saône-et-Loire, aujourd’hui retraité, Jean-Luc M. reconnaît avoir écrit : « Il est monté comme un cheval » à propos de Brigitte Macron. Il ne « conçoit pas que ce soit du harcèlement » et évoque plutôt des « quolibets », des « ragots » voire des « plaisanteries de mauvais goût ».
« Vous retweeter sans réfléchir ? », lui demande le Président. « Ca peut arriver... »
— Victor Mottin (@mtnn_Victor) October 28, 2025
Le président d’audience lui rappelle qu’il est un élu de la République. Il rétorque : « C’est pas forcément incompatible et antinomique. » Il admet n’avoir « pas l’intention de nuire » et dit vouloir désormais diffuser des propos plus constructifs.
Amandine Roy a préféré, dans un premier temps, garder le silence, estimant s’être « déjà exprimée très longuement » durant son audition. Elle se décrit comme « un être humain qui a le droit d'avoir des moments de ras-le-bol » et dit se sentir « harcelée depuis des années en tant que femme anatomique » (sic). Elle évoque ses dettes (« 44 000 euros ») et son quotidien difficile.
« Elle n'a pas gagné d'argent, elle est agile, elle donne des consultations médiumniques […] pour s'en sortir. »
— Victor Mottin (@mtnn_Victor) October 28, 2025
Elle n'hésite pas à évoquer son activité de « médium ». « On a déjà eu deux miracles », explique-t-elle à propos d’une statue de « vierge guérisseuse » censée soigner les malades. Seule déception : elle n'a fait, à la barre, aucune allusion à ses allégations récentes relatives à son entrée en politique pour diriger la France à partir de septembre 2026 ni à son couronnement comme « reine ».
Au contraire d'Amandine Roy, Bertrand Scholler a beaucoup parlé. De lui. Égrenant un long curriculum vitæ : « Scout, enfant de chœur, délégué de classe, Bac C mention très bien, Louis le Grand, président d'un BDE, ingénieur civil, Sciences Po Paris, officier d'état-major... » Il explique avoir vu « le monde changer en 2020 », date à partir de laquelle il s'est senti « investi d'une mission ».
Sur les rumeurs visant Brigitte Macron, il s'offusque :« On n'arrête pas une polémique en embastillant les gens ! »
— Victor Mottin (@mtnn_Victor) October 28, 2025
Il ajoute : « Il faut que j'aide les personnes qui me liront à y voir clair, à comprendre la mécanique en train de se mettre en place. » Le président de séance peine à le suivre tant il digresse, évoquant tour à tour ses liens familiaux avec Bernadette Chirac, la naissance de la « communauté trans », ou l’histoire d'Internet. L’avocat de Brigitte Macron, Me Jean Ennochi, parle à son propos d’« arrogance ».
Bertrand Scholler affirme que Didier Lestrade, co-fondateur de Act-Up, est son cousin. Ce qui expliquerait qu'il ait « une culture des travestis, des gays, etc. […] A l'époque la communauté trans n'existait pas. C'est apparu après mais cela m'apparait...
— Victor Mottin (@mtnn_Victor) October 28, 2025
Durant sa plaidoirie, l'avocat de Bertrand Scholler soutient que son client n'est « pas une mégastar » malgré sa centaine de milliers d'abonnés sur X.
Le cas d’Aurélien Poirson-Atlan, alias « Zoé Sagan », est sans doute le plus déroutant. Ce quadragénaire est le créateur du personnage numérique qu’il présente comme « l'instigatrice d'un nouveau genre littéraire : l'infofiction ». Devant le tribunal, il oscille entre la posture de l’artiste incompris et celle du provocateur politique. « Il est inconcevable qu’un satiriste soit privé de sa liberté », affirme-t-il. Pour lui, « Zoé Sagan » n’est qu’un jeu littéraire, une expérience d’écriture.
Défendant son concept d'infofiction, il affirme, sûr de lui : « Si Flaubert était vivant, il aurait inscrit Emma Bovary sur X. »
— Victor Mottin (@mtnn_Victor) October 28, 2025
L'ex publicitaire se dit victime d’un « cyberharcèlement inversé » et d’une « officine proche de Netanyahou » qui serait responsable de la censure de son compte. Il convoque Gustave Flaubert et Elon Musk et revendique l’héritage de « l’esprit Charlie » tout en niant le harcèlement. L’avocat de Brigitte Macron évoquera un « ego surdimensionné », tandis que le prévenu, sûr de lui, assure : « Zoé Sagan va rentrer dans l’histoire d’une certaine façon par ce procès. »
Le délibéré sera rendu le 5 janvier 2026. Ce procès, marqué par certaines déclarations confuses et des échanges à la limite de la farce, a surtout brillé par ses absences. Plusieurs figures centrales de la désinformation n’étaient pas sur le banc des prévenus, alors même que leurs noms ont été abondamment cités au fil des débats.
Dans un très long post publié à l'issue des deux jours d'audience, Myriam Palomba, ancienne chroniqueuse à « Touche pas à mon poste ! » et engagée en politique auprès de Florian Philippot, s'emporte : « Vous n’êtes que des petites merdes qui protégeaient le système QUITTE À DÉFENDRE UNE BONNE FEMME (ou NON) QUI A DÉTOURNÉ SON ÉLÈVE MINEUR DE 14 ANS ALORS QU’ELLE EN AVAIT 39! » écrit-elle. Preuve, s'il en fallait, que cette théorie complotiste n'a pas fini de circuler.
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