Depuis le 14 août dernier, date à laquelle les partisans du président islamiste déchu Mohamed Morsi ont été dispersés dans le sang par les forces de sécurité égyptiennes, des dizaines d’églises coptes à travers le pays (entre 60 et 80 selon les sources disponibles) ont été l’objet d’attaques, parfois complètement détruites.
Les témoignages rapportés par la presse et les ONG (ici et là) sont unanimes : les manifestants pro-Frères musulmans sont encouragés par des membres de la Confrérie à s'en prendre aux chrétiens, lesquels sont publiquement accusés d’être « à l’origine de la conspiration qui a amené au renversement du président Morsi ».
Mais pour Tariq Radaman, les Frères musulmans sont les victimes d'une effroyable manipulation.
L'islamologue suisse, qui est aussi le petis-fils d’Hassan Al-Banna – le fondateur de la Confrérie – estime non seulement que les accusations visant les Frères musulmans sont mensongères, mais aussi que les attaques contre les Coptes sont en réalité orchestrées par le nouveau pouvoir afin de faire porter le chapeau aux partisans de Mohamed Morsi. Dans une interview au Parisien publiée le 17 août dernier, il déclare :
« Ce sont de vieilles méthodes de propagande de l’armée que l’on connaît et qui passent très bien en Occident : brûler des Eglises coptes et mettre tout ça sur le compte des islamistes alors qu’on n’a absolument aucune preuve. Pour justifier à l’Occident une répression massive, on dit que les coptes sont en danger. Sadate l’a fait, Moubarak l’a fait. Cela donne une carte blanche supplémentaire à l’armée. »
Quelques jours plus tard, Tariq Ramadan enfonce le clou sur la Radio Télévision Suisse. Selon lui, un prêtre copte d'Al-Minya aurait dit que ce sont « les baltaguiyya, les milices pro-Moubarak » qui brûlent les églises, preuve qu'on cherche à diaboliser les Frères musulmans (vidéo à partir de 0’50’’) :
Des propos réitérés par Tariq Ramadan sur son profil Facebook et sur Twitter le 21 août :
« Des voix coptes courageuses et honnêtes s'élèvent peu à peu : comme celle du Père Ayoub Youssef d'al-Minya qui affirme que les incendies d'églises coptes sont l'œuvre des "baltaguiyya" (milices de délinquants soudoyés par l'Armée pour répandre la violence et le désordre). Le journaliste Robert Fisk le soupçonnait fortement récemment... Les vieilles méthodes de propagande des dictateurs précédents Sadate et Mubarak... »
Tariq Ramadan n’est pas le seul à s’appuyer sur les fameuses déclarations du Père Ayoub Youssef. Le 23 août 2013, sur Boulevard Voltaire, le journaliste d’extrême droite Nicolas Gauthier s’en réclame également, évoquant des attentats « sous faux drapeau ». Selon lui, l’implication des Frères musulmans dans les attaques anti-coptes pourraient bien n’être qu’un « bobard », « une énième opération de propagande ».
La source de Nicolas Gauthier ? HavredeSavoir.fr, site web d’une association dont la proximité idéologique avec les Frères musulmans est patente. C’est Havre de Savoir qui, le 17 août 2013, est le premier à rapporter les propos qui auraient été tenus la veille par le prêtre copte Ayoub Youssef sur la chaîne de télévision égyptienne ON TV.
« Baltaguiyya »
Problème : le Père Ayoub Youssef n’a jamais accusé le nouveau pouvoir, l’armée égyptienne ou même les partisans de l’ancien président Moubarak d’être les commanditaires des attaques anti-chrétiennes. Les incendies d’églises sont selon lui l’œuvre de « baltaguiyya ». Or, contrairement à ce qu’affirme Tariq Ramadan, rien n’indique que le Père Ayoub Youssef a utilisé le mot « baltaguiyya » comme synonyme de « milice pro-Moubarak » ou de « milices de délinquants soudoyés par l'Armée pour répandre la violence et le désordre ». Tous les Egyptiens que nous avons pu interroger sont formels : dans le dialecte égyptien, le sens usuel du mot « baltaguiyya » est celui de « casseurs » ou de « voyous ». Il peut également désigner des hommes de main chargés de semer la violence ou d'exécuter de basses œuvres pour le compte d'un tiers, mais le terme, utilisé sans plus de précision, ne désigne pas spécifiquement des milices à la solde de l'armée ou de l'ancien président Moubarak.
Et pour savoir ce qu’a réellement dit le Père Ayoub Youssef, nous avons demandé à l'un des administrateurs du BlogCopte.fr, qui effectue un travail de veille quotidien sur la situation de la minorité chrétienne en Egypte, de commenter l’interview diffusée le 16 août 2013 sur ON TV (chaîne dont il n'est pas inutile d'indiquer que la ligne éditoriale est notoirement favorable à l'armée et anti-islamiste). Voici sa réponse :
« Je viens d'écouter le document en entier. Le Père Ayoub Youssef parle de "baltaguiyas" qui sont, au moment où il parle, en train de semer le trouble dans le pays et notamment contre les églises et plusieurs maisons coptes. Ce qui est extrêmement intéressant, et ça, il fallait bien comprendre pour traduire exactement ses mots, c'est qu'il dit au journaliste qu'il avait anticipé ceci depuis plusieurs jours, après les appels de vengeance. Ce qui est encore plus frappant, c'est qu'il appelle et supplie même à la fin de la vidéo l'armée et les forces de l'ordre de venir protéger les coptes car des baltaguiyas prennent pour cible sa communauté copte dans la ville de Gerga à Minya. Il n'en dit pas plus sur ces dits "baltaguiyas", mais je pense qu'il voulait surtout parler de "casseurs" ou de "voyous". »
Au final, les propos du Père Ayoub Youssef ont tout simplement été dénaturés par des traducteurs bien peu scrupuleux qui ont cherché à lui faire dire ce qu’il n’a jamais dit. Une intox qui est en passe de s'imposer comme une vérité alternative sur toute une partie de la complosphère. Du reste, il suffit de se reporter à d’autres interviews données par le Père Ayoub Youssef pour constater qu’il n’épargne nullement les partisans de Mohamed Morsi. Ainsi, le 17 juillet 2013, la BBC rapportait son témoignage sur la nuit ayant suivie la destitution du président Morsi :
« Il y avait beaucoup de gens, environ 500. Ils ont pris d’assaut l’église en scandant des slogans accusant les Chrétiens d’avoir fait campagne contre Morsi comme "Honte à vous Chrétiens : Vous êtes des traîtres, des comploteurs. Vous êtes condamnés !". Ils ont tout pillé – les bancs, les ventilateurs, les fenêtres et même les toilettes. Ils ont brisé une statue de la Vierge Marie, avant de mettre le feu à tout le bâtiment. »
Sans passer sous silence les chaînes humaines improvisées autour des églises par des Egyptiens musulmans souhaitant signifier leur refus de la violence, le BlogCopte.fr a multiplié au cours des dernières semaines les vidéos, photos et témoignages sur les attaques dont sont victimes les chrétiens en Egypte. Des documents qui laissent peu de doutes sur l’affiliation des auteurs de ces violences.
« Pour chaque action, il y a une réaction »
Car si les Frères musulmans condamnent officiellement les attaques contre les chrétiens, il en va différemment dans la rue et sur les réseaux sociaux. Le 14 août dernier, la section de la ville d’Helwan du Parti de la Liberté et de la Justice – la vitrine politique des Frères musulmans – a ainsi publié sur son compte Facebook un violent réquisitoire contre le patriarche de l'Eglise copte orthodoxe, accusant l’Eglise d'être « en guerre contre l'Islam et les musulmans » et ajoutant qu'il ne faut pas s'étonner, après cela, de voir les églises incendiées ! « Pour chaque action il y a une réaction », conclut le post, qui a depuis été effacé (lire la traduction en français sur le BlogCopte.fr).
Comme l’explique l’historien Tewfik Aclimandos qui a travaillé pendant vingt-cinq au Centre français d’études et de documentation économiques, juridiques, et sociales (CEDEJ) au Caire, l’animosité de la Confrérie à l’égard des Coptes est profondément enracinée dans son idéologie :
« Le discours en interne des Frères attribue la chute de Morsi à un complot armé fomenté par des coptes. Ce qui esquive la question de savoir pourquoi autant de musulmans détestent les Frères. Et ce qui permet de se convaincre que ce conflit est une guerre sainte et qu’il est licite de tuer ses ennemis. Plus généralement, la Confrérie est farouchement antichrétienne. »
Voir aussi :
* Egypte : les Coptes accusés de préparer une ''guerre contre les musulmans''
* Mohamed Morsi, les Frères musulmans et le 11-Septembre
* Alain Soral sur Boulevard Voltaire ? Rien que de très logique
* Terrorisme : pour Tariq Ramadan, il est urgent de questionner les services de renseignements
Depuis le 14 août dernier, date à laquelle les partisans du président islamiste déchu Mohamed Morsi ont été dispersés dans le sang par les forces de sécurité égyptiennes, des dizaines d’églises coptes à travers le pays (entre 60 et 80 selon les sources disponibles) ont été l’objet d’attaques, parfois complètement détruites.
Les témoignages rapportés par la presse et les ONG (ici et là) sont unanimes : les manifestants pro-Frères musulmans sont encouragés par des membres de la Confrérie à s'en prendre aux chrétiens, lesquels sont publiquement accusés d’être « à l’origine de la conspiration qui a amené au renversement du président Morsi ».
Mais pour Tariq Radaman, les Frères musulmans sont les victimes d'une effroyable manipulation.
L'islamologue suisse, qui est aussi le petis-fils d’Hassan Al-Banna – le fondateur de la Confrérie – estime non seulement que les accusations visant les Frères musulmans sont mensongères, mais aussi que les attaques contre les Coptes sont en réalité orchestrées par le nouveau pouvoir afin de faire porter le chapeau aux partisans de Mohamed Morsi. Dans une interview au Parisien publiée le 17 août dernier, il déclare :
« Ce sont de vieilles méthodes de propagande de l’armée que l’on connaît et qui passent très bien en Occident : brûler des Eglises coptes et mettre tout ça sur le compte des islamistes alors qu’on n’a absolument aucune preuve. Pour justifier à l’Occident une répression massive, on dit que les coptes sont en danger. Sadate l’a fait, Moubarak l’a fait. Cela donne une carte blanche supplémentaire à l’armée. »
Quelques jours plus tard, Tariq Ramadan enfonce le clou sur la Radio Télévision Suisse. Selon lui, un prêtre copte d'Al-Minya aurait dit que ce sont « les baltaguiyya, les milices pro-Moubarak » qui brûlent les églises, preuve qu'on cherche à diaboliser les Frères musulmans (vidéo à partir de 0’50’’) :
Des propos réitérés par Tariq Ramadan sur son profil Facebook et sur Twitter le 21 août :
« Des voix coptes courageuses et honnêtes s'élèvent peu à peu : comme celle du Père Ayoub Youssef d'al-Minya qui affirme que les incendies d'églises coptes sont l'œuvre des "baltaguiyya" (milices de délinquants soudoyés par l'Armée pour répandre la violence et le désordre). Le journaliste Robert Fisk le soupçonnait fortement récemment... Les vieilles méthodes de propagande des dictateurs précédents Sadate et Mubarak... »
Tariq Ramadan n’est pas le seul à s’appuyer sur les fameuses déclarations du Père Ayoub Youssef. Le 23 août 2013, sur Boulevard Voltaire, le journaliste d’extrême droite Nicolas Gauthier s’en réclame également, évoquant des attentats « sous faux drapeau ». Selon lui, l’implication des Frères musulmans dans les attaques anti-coptes pourraient bien n’être qu’un « bobard », « une énième opération de propagande ».
La source de Nicolas Gauthier ? HavredeSavoir.fr, site web d’une association dont la proximité idéologique avec les Frères musulmans est patente. C’est Havre de Savoir qui, le 17 août 2013, est le premier à rapporter les propos qui auraient été tenus la veille par le prêtre copte Ayoub Youssef sur la chaîne de télévision égyptienne ON TV.
« Baltaguiyya »
Problème : le Père Ayoub Youssef n’a jamais accusé le nouveau pouvoir, l’armée égyptienne ou même les partisans de l’ancien président Moubarak d’être les commanditaires des attaques anti-chrétiennes. Les incendies d’églises sont selon lui l’œuvre de « baltaguiyya ». Or, contrairement à ce qu’affirme Tariq Ramadan, rien n’indique que le Père Ayoub Youssef a utilisé le mot « baltaguiyya » comme synonyme de « milice pro-Moubarak » ou de « milices de délinquants soudoyés par l'Armée pour répandre la violence et le désordre ». Tous les Egyptiens que nous avons pu interroger sont formels : dans le dialecte égyptien, le sens usuel du mot « baltaguiyya » est celui de « casseurs » ou de « voyous ». Il peut également désigner des hommes de main chargés de semer la violence ou d'exécuter de basses œuvres pour le compte d'un tiers, mais le terme, utilisé sans plus de précision, ne désigne pas spécifiquement des milices à la solde de l'armée ou de l'ancien président Moubarak.
Et pour savoir ce qu’a réellement dit le Père Ayoub Youssef, nous avons demandé à l'un des administrateurs du BlogCopte.fr, qui effectue un travail de veille quotidien sur la situation de la minorité chrétienne en Egypte, de commenter l’interview diffusée le 16 août 2013 sur ON TV (chaîne dont il n'est pas inutile d'indiquer que la ligne éditoriale est notoirement favorable à l'armée et anti-islamiste). Voici sa réponse :
« Je viens d'écouter le document en entier. Le Père Ayoub Youssef parle de "baltaguiyas" qui sont, au moment où il parle, en train de semer le trouble dans le pays et notamment contre les églises et plusieurs maisons coptes. Ce qui est extrêmement intéressant, et ça, il fallait bien comprendre pour traduire exactement ses mots, c'est qu'il dit au journaliste qu'il avait anticipé ceci depuis plusieurs jours, après les appels de vengeance. Ce qui est encore plus frappant, c'est qu'il appelle et supplie même à la fin de la vidéo l'armée et les forces de l'ordre de venir protéger les coptes car des baltaguiyas prennent pour cible sa communauté copte dans la ville de Gerga à Minya. Il n'en dit pas plus sur ces dits "baltaguiyas", mais je pense qu'il voulait surtout parler de "casseurs" ou de "voyous". »
Au final, les propos du Père Ayoub Youssef ont tout simplement été dénaturés par des traducteurs bien peu scrupuleux qui ont cherché à lui faire dire ce qu’il n’a jamais dit. Une intox qui est en passe de s'imposer comme une vérité alternative sur toute une partie de la complosphère. Du reste, il suffit de se reporter à d’autres interviews données par le Père Ayoub Youssef pour constater qu’il n’épargne nullement les partisans de Mohamed Morsi. Ainsi, le 17 juillet 2013, la BBC rapportait son témoignage sur la nuit ayant suivie la destitution du président Morsi :
« Il y avait beaucoup de gens, environ 500. Ils ont pris d’assaut l’église en scandant des slogans accusant les Chrétiens d’avoir fait campagne contre Morsi comme "Honte à vous Chrétiens : Vous êtes des traîtres, des comploteurs. Vous êtes condamnés !". Ils ont tout pillé – les bancs, les ventilateurs, les fenêtres et même les toilettes. Ils ont brisé une statue de la Vierge Marie, avant de mettre le feu à tout le bâtiment. »
Sans passer sous silence les chaînes humaines improvisées autour des églises par des Egyptiens musulmans souhaitant signifier leur refus de la violence, le BlogCopte.fr a multiplié au cours des dernières semaines les vidéos, photos et témoignages sur les attaques dont sont victimes les chrétiens en Egypte. Des documents qui laissent peu de doutes sur l’affiliation des auteurs de ces violences.
« Pour chaque action, il y a une réaction »
Car si les Frères musulmans condamnent officiellement les attaques contre les chrétiens, il en va différemment dans la rue et sur les réseaux sociaux. Le 14 août dernier, la section de la ville d’Helwan du Parti de la Liberté et de la Justice – la vitrine politique des Frères musulmans – a ainsi publié sur son compte Facebook un violent réquisitoire contre le patriarche de l'Eglise copte orthodoxe, accusant l’Eglise d'être « en guerre contre l'Islam et les musulmans » et ajoutant qu'il ne faut pas s'étonner, après cela, de voir les églises incendiées ! « Pour chaque action il y a une réaction », conclut le post, qui a depuis été effacé (lire la traduction en français sur le BlogCopte.fr).
Comme l’explique l’historien Tewfik Aclimandos qui a travaillé pendant vingt-cinq au Centre français d’études et de documentation économiques, juridiques, et sociales (CEDEJ) au Caire, l’animosité de la Confrérie à l’égard des Coptes est profondément enracinée dans son idéologie :
« Le discours en interne des Frères attribue la chute de Morsi à un complot armé fomenté par des coptes. Ce qui esquive la question de savoir pourquoi autant de musulmans détestent les Frères. Et ce qui permet de se convaincre que ce conflit est une guerre sainte et qu’il est licite de tuer ses ennemis. Plus généralement, la Confrérie est farouchement antichrétienne. »
Voir aussi :
* Egypte : les Coptes accusés de préparer une ''guerre contre les musulmans''
* Mohamed Morsi, les Frères musulmans et le 11-Septembre
* Alain Soral sur Boulevard Voltaire ? Rien que de très logique
* Terrorisme : pour Tariq Ramadan, il est urgent de questionner les services de renseignements
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