Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Antisémitisme, négationnisme et apologie du terrorisme brouillent l'image de la Deutsche Welle

Le média allemand d'information internationale a publié au début du mois de février un rapport sur les cas d'antisémitisme caractérisé répertoriés chez une partie de ses employés.

Montage CW.

Le 7 février dernier, Naser Shrouf, le directeur de la rédaction arabe de la Deutsche Welle, a démissionné de ses fonctions. C'est le dernier acte d'un scandale déclenché fin novembre 2021, avec la parution, dans la Süddeutsche Zeitung, d'une enquête mettant au jour des posts Twitter et Facebook à caractère antisémite publiés par des journalistes – deux Libanais et trois Palestiniens – placés sous l'autorité de Shrouf.

Pour le média libanais Megaphone, les accusations d'antisémitisme visant ces journalistes ne tiennent pas. Ils se seraient contentés d'« exprimer leur soutien à la cause palestinienne ou de condamner le Sionisme ». En les « punissant », la Deutsche Welle attenterait à leur liberté d'expression.

La Deutsche Welle est l’équivalent allemand de RFI et France 24. Institué en 1953, le service public d'information international de l’Allemagne émet dans 30 langues pour la radio et quatre pour la télévision : l’allemand, l’anglais, l’espagnol et l’arabe.

La découverte de faits d’antisémitisme au sein d’un média public allemand a bien évidemment fait les gros titres de la presse nationale. Alors que la direction de la Deutsche Welle semblait vouloir minimiser la gravité de l'affaire en présentant ces faits comme des dérapages isolés, le magazine en ligne VICE a publié quelques jours plus tard des articles (ici, et encore ) révélant des partenariats avec des médias moyen-orientaux promouvant une vision du monde peu conforme aux valeurs que la Deutsche Welle est censée véhiculer. D'autres médias allemands, comme Die Welt, ont poursuivi l'enquête, révélant notamment que la tolérance à l'égard de l'antisémitisme et de l'islamisme était un problème qui se posait aussi concernant une partie des invités de la chaîne en langue arabe.

Dès lors, une commission d'enquête exceptionnelle a été formée et a commencé à examiner le bien-fondé des partenariats de la Deutsche Welle dans le monde arabe et à réévaluer ses exigences en matière de recrutement et de déontologie journalistique. Objectif : éviter de devenir le porte-voix de quelque propagande que ce soit.

A l’issue de deux mois d’enquête, la commission a présenté ses conclusions dans un rapport de 56 pages sur les allégations portées contre la rédaction arabe de la Deutsche Welle. Le document confirme et complète les allégations de la Süddeutsche Zeitung et de VICE. De nouvelles révélations publiées début mai 2022 par l'édition dominicale de Die Welt achèvent de montrer que les attitudes antisémites et anti-israéliennes étaient encore plus répandues qu'on ne le savait au sein de la Deutsche Welle.

Non seulement la mise à l'écart des cinq journalistes incriminés a été confirmée, mais onze autres cas (huit découverts grâce aux recherches de la commission et trois par la Deutsche Welle elle-même) sont venus s'ajouter à la liste et doivent encore faire l'objet d'une enquête plus approfondie afin de déterminer si ces soupçons justifient un licenciement. Par ailleurs, un plan en dix points qu'elle s'est imposée doit désormais garantir que les valeurs de la Deutsche Welle soient, à l'avenir, reconnues par un engagement écrit par tous ses collaborateurs. Parmi ces valeurs : le refus de l'antisémitisme, compris en référence à la définition de travail de l’antisémitisme élaborée par l’IHRA qui inclut la reconnaissance du droit d'Israël à exister et le rejet de la négation ou de la minimisation de la Shoah.

Activisme

Le journaliste libanais Bassel Aridi était, jusqu’à la parution de l’enquête de la Süddeutsche Zeitung, le chef du bureau de la Deutsche Welle à Beyrouth. Selon le journal allemand, Aridi a supprimé un certain nombres de ses tweets – mais les discussions apparentées aux tweets supprimés demeuraient, elles, toujours accessibles.

Ainsi, commentant le séjour du patriarche libanais Bechara Boutros Rahi en Israël – voyage officiellement interdit par le Liban à ses ressortissants –, Aridi écrivait : « Quiconque a à voir avec les Israéliens » est un « collaborateur » et que « toute recrue dans les rangs de leur armée » est un traître et doit être exécuté.

Interrogé par la Süddeutsche Zeitung, Aridi a répondu qu'il s'était laissé emporté et qu'il regrettait cette formulation. Cependant, d’autres discussions montreraient que ce genre de sorties n’a rien d’exceptionnel, mais qu’au contraire son activité de journaliste chez son précédent employeur, la chaîne Al-Jadeed TV, s’apparentait à un activisme en faveur du Hezbollah, un mouvement islamiste chiite soutenu par l’Iran et classé comme organisation terroriste par l’Allemagne depuis 2020. Aridi avait ainsi publié pour ce média de nombreux reportages qui donnaient une image plutôt positive de la milice chiite et de son chef, Hassan Nasrallah, faisant l’éloge de ses succès dans la guerre de 2006 contre l’État hébreu.

Un autre collaborateur libanais de la Deutsche Welle, Daoud Ibrahim, a vu ses tweets exhumés par la Süddeutsche Zeitung. Celui-ci ne travaillait pas en tant que journaliste à proprement parler mais comme professeur à la Deutsche Welle Akademie, dont la devise est : « Pour des médias libres, des opinions libres et des individus libres – dans le monde entier ».

S’il ne fait pas partie de la rédaction de la chaîne allemande, les liens de Daoud Ibrahim avec la rédaction sont cependant étroits : son frère, Mohamed Ibrahim, est le chef adjoint du département principal de Deutsche Welle Arabia. Dans les années 1990, ce dernier travaillait pour le journal Al-Diyar, connu pour sa proximité avec le Parti social-nationaliste syrien (PSNS), une formation libanaise pro-syrienne dotée d'une branche paramilitaire et dont le nom et le logo s'inspirent directement du parti d'Adolf Hitler.

Après avoir quitté le Liban et travaillé pour la Deutsche Welle, Mohamed Ibrahim a écrit depuis Berlin pour le journal Al-Akhbar, considéré comme proche du Hezbollah. Selon le porte-parole de la Deutsche Welle, cette activité secondaire était connue et autorisée. La chaîne n'a pas voulu commenter l'orientation politique des deux journaux. Quant à Mohamed Ibrahim, il a répondu à la Süddeutsche Zeitung que des journalistes « de tous les courants politiques du pays » avaient écrit dans Al-Diyar et qu'en outre Al-Akhbar défendait des positions laïques.

« Liberté d'expression »

La raison d’être de la Deutsche Welle Akademie est le « développement international des médias, la formation et le perfectionnement journalistiques et la transmission des connaissances. Par ses projets, elle vise à renforcer le droit de l'homme à la liberté d'expression et à un accès sans entrave à l’information ». Une mission que semble particulièrement prendre à cœur Daoud Ibrahim lorsqu’il twitte, entre autres messages plus que douteux, que « l’Holocauste est un mensonge ».

Dans L’Orient-le-Jour, Daoud Ibrahim se scandalise que personne ne semble vouloir comprendre « le contexte » de ce tweet qui, selon lui, avait simplement pour but de dénoncer « le deux poids deux mesures bien connu qui s’applique lorsqu’il s’agit de liberté d’expression »

Une certaine conception de la liberté d’expression : s'il n'est pas prouvé que Maram Salem a tenu publiquement des propos aussi répréhensibles, elle a tout de même été suspendue puis licenciée en même temps que ses quatre autres collègues. Cette journaliste palestinienne originaire de Hébron assume avoir effacé certaines de ses publications sur Facebook. La liberté d’expression en Allemagne serait, à l’entendre, une « illusion ». Elle en veut pour preuve que l’on peut perdre son emploi pour avoir tenu des propos condamnables : « On pense qu'en Allemagne, on est un journaliste protégé, mais on vit dans la peur. Cela me rappelle les dictatures. Et je viens d'une région où les opinions et la liberté d'expression journalistiques ont toujours été attaquées. Je ressens exactement la même chose. »

Cette dernière ne trouverait donc sans doute rien à redire des posts Facebook de son ex-collègue, Morhaf Mahmoud, qui se vantait en juillet 2017 d'avoir mis fin à une conversation dans un café avec son interlocutrice immédiatement après avoir appris qu'elle était... juive. Celui-ci rapporte qu’il aurait lancé à cette femme : « nous avons beaucoup de choses contre vous ». Il aurait en outre qualifié de « sournois » le fait qu'elle ne lui ait pas tout de suite révélé son appartenance confessionnelle.

Trois semaines plus tard, sous un article annonçant le décès du négationniste allemand Ernst Zündel, Morhaf Mahmoud qualifie le génocide des juifs d’« invention ». Ces posts ne font pas exception : en janvier 2018, il écrivait, toujours sur Facebook, que le secteur culturel était dominé par des réseaux juifs qui, ainsi, contrôleraient « les cerveaux des gens par l'art, les médias et la musique ».

D'après la Süddeutsche Zeitung, la Deutsche Welle aurait été informée par un lecteur, dès 2017, de l’existence du post au sujet de la femme juive au café, mais aussi que Mahmoud apparaît, sur Internet, comme un fervent partisan du président syrien Bachar el-Assad. La Deutsche Welle affirme qu’une discussion de clarification avait déjà eu lieu en 2017, ce que nie Mahmoud : ce n'est qu'en 2020 que la chaîne lui aurait parlé, suite à un post où il s'attaquait violemment à la ligne éditoriale de son employeur. Toujours est-il que plusieurs employés de la rédaction arabe de la Deutsche Welle auraient infléchi la ligne éditoriale du média en faveur du régime de Damas dans sa couverture de la guerre en Syrie.

C’est à la suite d’un premier long stage à Berlin en 2016 que Farah Marava, également palestinienne, est entrée à la Deutsche Welle. Elle a ensuite rejoint l'équipe du talk show « Massaiyya » avant d'en devenir la présentatrice. Il semble difficile de croire que cette journaliste affectant un ton mesuré dans ses émissions soit la même personne capable de tenir des propos stupéfiants de fanatisme dans ses chroniques pour le journal en ligne Rai Al-Youm.

Ainsi, quelques mois avant de commencer à travailler pour la Deutsche Welle, elle y écrivait : « Je proclame que si l'État islamique combattait en Palestine pour la libération, je réviserais mon jugement sur lui, ses hommes et ses financiers. Et s'il expulsait les Israéliens de la Terre sainte, je rejoindrais ses rangs ».

Dans d'autres articles pour le journal, Farah Marava compare Israël à un « cancer qui doit être excisé » (sic), et affirme qu'elle souhaite « baiser personnellement les pieds » des combattants du Hezbollah qui ont tué trois soldats israéliens et se prosterner devant eux « en signe de respect et d’admiration ».

Avant la confirmation de son licenciement, Marava se défendait en qualifiant ses chroniques de « non conformes aux normes occidentales » et arguait que son travail à la Deutsche Welle prouvait qu’elle s’était adaptée aux lignes directrices et aux valeurs de la chaîne allemande. La Süddeutsche Zeitung montrait au contraire que, tandis qu’elle était déjà en stage à Berlin, elle n’hésitait pas à user d'antiques stéréotypes antisémites en écrivant par exemple que, « depuis toujours, les Israéliens mélangent du poison dans l’Histoire ».

Les révélations de VICE

Reprenant à nouveaux frais l'enquête de la Süddeutsche Zeitung, la rédaction allemande de VICE a publié en l’espace de dix jours une série d’articles sur les médias arabes avec qui la Deutsche Welle est partenaire dans la production d'une émission au succès populaire et critique, « Jaafar talks ».

Parmi ces médias, on trouve la chaîne jordanienne Roya TV. Il est apparu que cette chaine, par son refus de nommer Israël par son nom et en privilégiant des périphrases dégradantes et/ou abusives telles que « l’entité sioniste » ou « l’ennemi sioniste », nie de fait son existence. VICE a également fait état de publications sur les réseaux sociaux comme des caricatures déshumanisant les Juifs et les Israéliens, faisant l'apologie de l'« intifada des couteaux » ou présentant des cartes du Proche-Orient sur lesquelles l’État d’Israël ne figure pas.

Exemples de caricatures diffusées par Roya TV (source).

Cette vision unilatérale du conflit israélo-palestinien s’apparente, à force de répétitions, à de la propagande : tout mort côté israélien, qu’il soit civil ou militaire et qu'il réside à l'intérieur des frontières internationalement reconnues de l’État hébreu ou dans les Territoires palestiniens qu'il contrôle, y est ainsi systématiquement désigné sous l’appellation « colon de l’occupation israélienne ». Tout mort côté palestinien y est, a contrario, qualifié de « martyr ». Ce qui n'a pas empêché le patron de la Deutsche Welle, Peter Limbourg, de remettre en mai 2020 à son homologue de Roya TV, Fares Sayegh, un « prix de la liberté d'expression »...

VICE a également montré la collaboration de la Deutsche Welle avec Al-Jadeed, un média libanais qui relaie, sans commentaire et sans contextualisation, des vidéos de propagande du Hezbollah et des discours martiaux de Hassan Nasrallah, et célèbre comme un martyr l'activiste du Hezbollah Samir Kuntar, responsable dans sa jeunesse de l'assassinat de sang-froid de civils israéliens, dont une fillette de quatre ans.

Contactée par VICE avant que les articles ne paraissent, la Deutsche Welle a d’abord tenté de défendre ces partenariats en soulignant qu'elle avait initialement choisi ces médias pour leur engagement en faveur de l'égalité femmes-hommes, des droits des minorités et de l'éducation des jeunes aux médias. Mais devant la gravité des faits soulevés par les articles successifs de VICE, et se soumettant sans doute à la pression politique et médiatique, la Deutsche Welle a finit par reconnaître le caractère problématique de ces partenariats.

Suite au scandale déclenché par l’article de la Süddeutsche Zeitung, une commission d’enquête indépendante a été chargée de statuer sur le caractère antisémite des propos sus-cités et de formuler des recommandations, notamment en matière de recrutement. En faisaient partie l'ancienne ministre fédérale de la Justice (2009-2013) Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, du Parti libéral-démocrate, le psychologue Ahmad Mansour, Arabe israélien naturalisé allemand en 2017, et son épouse, Beatrice Mansour, politologue et consultante en prévention de l'extrémisme.

Sur les près de 200 collaborateurs de la Deutsche Welle dans le monde arabe, la commission a conduit des entretiens individuels avec 32 d’entre eux. Elle a également examiné de manière aléatoire les programmes des quelque 70 chaînes partenaires avec lesquelles la Deutsche Welle collabore dans le monde arabe.

Sabine Leutheusser-Schnarrenberger considère que les discussions et examens menés par sa commission doivent se poursuivre au sein de la chaîne afin de compléter le travail commencé. Selon elle, il est clair que la Deutsche Welle a besoin de partenaires pour promouvoir ses valeurs au Moyen-Orient et que le dialogue avec les partenaires dont les infractions aux valeurs de la chaîne sont jugées peu nombreuses et non systémiques doit être recherché. Si ces médias se montrent prêts à supprimer ces contenus et à mener une réflexion sur le problème de l'antisémitisme, alors la Deutsche Welle pourrait à l'avenir poursuivre sa collaboration avec eux.

 

Voir aussi :

AJ+ en arabe diffuse (puis retire) une vidéo éducative aux relents négationnistes

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Le 7 février dernier, Naser Shrouf, le directeur de la rédaction arabe de la Deutsche Welle, a démissionné de ses fonctions. C'est le dernier acte d'un scandale déclenché fin novembre 2021, avec la parution, dans la Süddeutsche Zeitung, d'une enquête mettant au jour des posts Twitter et Facebook à caractère antisémite publiés par des journalistes – deux Libanais et trois Palestiniens – placés sous l'autorité de Shrouf.

Pour le média libanais Megaphone, les accusations d'antisémitisme visant ces journalistes ne tiennent pas. Ils se seraient contentés d'« exprimer leur soutien à la cause palestinienne ou de condamner le Sionisme ». En les « punissant », la Deutsche Welle attenterait à leur liberté d'expression.

La Deutsche Welle est l’équivalent allemand de RFI et France 24. Institué en 1953, le service public d'information international de l’Allemagne émet dans 30 langues pour la radio et quatre pour la télévision : l’allemand, l’anglais, l’espagnol et l’arabe.

La découverte de faits d’antisémitisme au sein d’un média public allemand a bien évidemment fait les gros titres de la presse nationale. Alors que la direction de la Deutsche Welle semblait vouloir minimiser la gravité de l'affaire en présentant ces faits comme des dérapages isolés, le magazine en ligne VICE a publié quelques jours plus tard des articles (ici, et encore ) révélant des partenariats avec des médias moyen-orientaux promouvant une vision du monde peu conforme aux valeurs que la Deutsche Welle est censée véhiculer. D'autres médias allemands, comme Die Welt, ont poursuivi l'enquête, révélant notamment que la tolérance à l'égard de l'antisémitisme et de l'islamisme était un problème qui se posait aussi concernant une partie des invités de la chaîne en langue arabe.

Dès lors, une commission d'enquête exceptionnelle a été formée et a commencé à examiner le bien-fondé des partenariats de la Deutsche Welle dans le monde arabe et à réévaluer ses exigences en matière de recrutement et de déontologie journalistique. Objectif : éviter de devenir le porte-voix de quelque propagande que ce soit.

A l’issue de deux mois d’enquête, la commission a présenté ses conclusions dans un rapport de 56 pages sur les allégations portées contre la rédaction arabe de la Deutsche Welle. Le document confirme et complète les allégations de la Süddeutsche Zeitung et de VICE. De nouvelles révélations publiées début mai 2022 par l'édition dominicale de Die Welt achèvent de montrer que les attitudes antisémites et anti-israéliennes étaient encore plus répandues qu'on ne le savait au sein de la Deutsche Welle.

Non seulement la mise à l'écart des cinq journalistes incriminés a été confirmée, mais onze autres cas (huit découverts grâce aux recherches de la commission et trois par la Deutsche Welle elle-même) sont venus s'ajouter à la liste et doivent encore faire l'objet d'une enquête plus approfondie afin de déterminer si ces soupçons justifient un licenciement. Par ailleurs, un plan en dix points qu'elle s'est imposée doit désormais garantir que les valeurs de la Deutsche Welle soient, à l'avenir, reconnues par un engagement écrit par tous ses collaborateurs. Parmi ces valeurs : le refus de l'antisémitisme, compris en référence à la définition de travail de l’antisémitisme élaborée par l’IHRA qui inclut la reconnaissance du droit d'Israël à exister et le rejet de la négation ou de la minimisation de la Shoah.

Activisme

Le journaliste libanais Bassel Aridi était, jusqu’à la parution de l’enquête de la Süddeutsche Zeitung, le chef du bureau de la Deutsche Welle à Beyrouth. Selon le journal allemand, Aridi a supprimé un certain nombres de ses tweets – mais les discussions apparentées aux tweets supprimés demeuraient, elles, toujours accessibles.

Ainsi, commentant le séjour du patriarche libanais Bechara Boutros Rahi en Israël – voyage officiellement interdit par le Liban à ses ressortissants –, Aridi écrivait : « Quiconque a à voir avec les Israéliens » est un « collaborateur » et que « toute recrue dans les rangs de leur armée » est un traître et doit être exécuté.

Interrogé par la Süddeutsche Zeitung, Aridi a répondu qu'il s'était laissé emporté et qu'il regrettait cette formulation. Cependant, d’autres discussions montreraient que ce genre de sorties n’a rien d’exceptionnel, mais qu’au contraire son activité de journaliste chez son précédent employeur, la chaîne Al-Jadeed TV, s’apparentait à un activisme en faveur du Hezbollah, un mouvement islamiste chiite soutenu par l’Iran et classé comme organisation terroriste par l’Allemagne depuis 2020. Aridi avait ainsi publié pour ce média de nombreux reportages qui donnaient une image plutôt positive de la milice chiite et de son chef, Hassan Nasrallah, faisant l’éloge de ses succès dans la guerre de 2006 contre l’État hébreu.

Un autre collaborateur libanais de la Deutsche Welle, Daoud Ibrahim, a vu ses tweets exhumés par la Süddeutsche Zeitung. Celui-ci ne travaillait pas en tant que journaliste à proprement parler mais comme professeur à la Deutsche Welle Akademie, dont la devise est : « Pour des médias libres, des opinions libres et des individus libres – dans le monde entier ».

S’il ne fait pas partie de la rédaction de la chaîne allemande, les liens de Daoud Ibrahim avec la rédaction sont cependant étroits : son frère, Mohamed Ibrahim, est le chef adjoint du département principal de Deutsche Welle Arabia. Dans les années 1990, ce dernier travaillait pour le journal Al-Diyar, connu pour sa proximité avec le Parti social-nationaliste syrien (PSNS), une formation libanaise pro-syrienne dotée d'une branche paramilitaire et dont le nom et le logo s'inspirent directement du parti d'Adolf Hitler.

Après avoir quitté le Liban et travaillé pour la Deutsche Welle, Mohamed Ibrahim a écrit depuis Berlin pour le journal Al-Akhbar, considéré comme proche du Hezbollah. Selon le porte-parole de la Deutsche Welle, cette activité secondaire était connue et autorisée. La chaîne n'a pas voulu commenter l'orientation politique des deux journaux. Quant à Mohamed Ibrahim, il a répondu à la Süddeutsche Zeitung que des journalistes « de tous les courants politiques du pays » avaient écrit dans Al-Diyar et qu'en outre Al-Akhbar défendait des positions laïques.

« Liberté d'expression »

La raison d’être de la Deutsche Welle Akademie est le « développement international des médias, la formation et le perfectionnement journalistiques et la transmission des connaissances. Par ses projets, elle vise à renforcer le droit de l'homme à la liberté d'expression et à un accès sans entrave à l’information ». Une mission que semble particulièrement prendre à cœur Daoud Ibrahim lorsqu’il twitte, entre autres messages plus que douteux, que « l’Holocauste est un mensonge ».

Dans L’Orient-le-Jour, Daoud Ibrahim se scandalise que personne ne semble vouloir comprendre « le contexte » de ce tweet qui, selon lui, avait simplement pour but de dénoncer « le deux poids deux mesures bien connu qui s’applique lorsqu’il s’agit de liberté d’expression »

Une certaine conception de la liberté d’expression : s'il n'est pas prouvé que Maram Salem a tenu publiquement des propos aussi répréhensibles, elle a tout de même été suspendue puis licenciée en même temps que ses quatre autres collègues. Cette journaliste palestinienne originaire de Hébron assume avoir effacé certaines de ses publications sur Facebook. La liberté d’expression en Allemagne serait, à l’entendre, une « illusion ». Elle en veut pour preuve que l’on peut perdre son emploi pour avoir tenu des propos condamnables : « On pense qu'en Allemagne, on est un journaliste protégé, mais on vit dans la peur. Cela me rappelle les dictatures. Et je viens d'une région où les opinions et la liberté d'expression journalistiques ont toujours été attaquées. Je ressens exactement la même chose. »

Cette dernière ne trouverait donc sans doute rien à redire des posts Facebook de son ex-collègue, Morhaf Mahmoud, qui se vantait en juillet 2017 d'avoir mis fin à une conversation dans un café avec son interlocutrice immédiatement après avoir appris qu'elle était... juive. Celui-ci rapporte qu’il aurait lancé à cette femme : « nous avons beaucoup de choses contre vous ». Il aurait en outre qualifié de « sournois » le fait qu'elle ne lui ait pas tout de suite révélé son appartenance confessionnelle.

Trois semaines plus tard, sous un article annonçant le décès du négationniste allemand Ernst Zündel, Morhaf Mahmoud qualifie le génocide des juifs d’« invention ». Ces posts ne font pas exception : en janvier 2018, il écrivait, toujours sur Facebook, que le secteur culturel était dominé par des réseaux juifs qui, ainsi, contrôleraient « les cerveaux des gens par l'art, les médias et la musique ».

D'après la Süddeutsche Zeitung, la Deutsche Welle aurait été informée par un lecteur, dès 2017, de l’existence du post au sujet de la femme juive au café, mais aussi que Mahmoud apparaît, sur Internet, comme un fervent partisan du président syrien Bachar el-Assad. La Deutsche Welle affirme qu’une discussion de clarification avait déjà eu lieu en 2017, ce que nie Mahmoud : ce n'est qu'en 2020 que la chaîne lui aurait parlé, suite à un post où il s'attaquait violemment à la ligne éditoriale de son employeur. Toujours est-il que plusieurs employés de la rédaction arabe de la Deutsche Welle auraient infléchi la ligne éditoriale du média en faveur du régime de Damas dans sa couverture de la guerre en Syrie.

C’est à la suite d’un premier long stage à Berlin en 2016 que Farah Marava, également palestinienne, est entrée à la Deutsche Welle. Elle a ensuite rejoint l'équipe du talk show « Massaiyya » avant d'en devenir la présentatrice. Il semble difficile de croire que cette journaliste affectant un ton mesuré dans ses émissions soit la même personne capable de tenir des propos stupéfiants de fanatisme dans ses chroniques pour le journal en ligne Rai Al-Youm.

Ainsi, quelques mois avant de commencer à travailler pour la Deutsche Welle, elle y écrivait : « Je proclame que si l'État islamique combattait en Palestine pour la libération, je réviserais mon jugement sur lui, ses hommes et ses financiers. Et s'il expulsait les Israéliens de la Terre sainte, je rejoindrais ses rangs ».

Dans d'autres articles pour le journal, Farah Marava compare Israël à un « cancer qui doit être excisé » (sic), et affirme qu'elle souhaite « baiser personnellement les pieds » des combattants du Hezbollah qui ont tué trois soldats israéliens et se prosterner devant eux « en signe de respect et d’admiration ».

Avant la confirmation de son licenciement, Marava se défendait en qualifiant ses chroniques de « non conformes aux normes occidentales » et arguait que son travail à la Deutsche Welle prouvait qu’elle s’était adaptée aux lignes directrices et aux valeurs de la chaîne allemande. La Süddeutsche Zeitung montrait au contraire que, tandis qu’elle était déjà en stage à Berlin, elle n’hésitait pas à user d'antiques stéréotypes antisémites en écrivant par exemple que, « depuis toujours, les Israéliens mélangent du poison dans l’Histoire ».

Les révélations de VICE

Reprenant à nouveaux frais l'enquête de la Süddeutsche Zeitung, la rédaction allemande de VICE a publié en l’espace de dix jours une série d’articles sur les médias arabes avec qui la Deutsche Welle est partenaire dans la production d'une émission au succès populaire et critique, « Jaafar talks ».

Parmi ces médias, on trouve la chaîne jordanienne Roya TV. Il est apparu que cette chaine, par son refus de nommer Israël par son nom et en privilégiant des périphrases dégradantes et/ou abusives telles que « l’entité sioniste » ou « l’ennemi sioniste », nie de fait son existence. VICE a également fait état de publications sur les réseaux sociaux comme des caricatures déshumanisant les Juifs et les Israéliens, faisant l'apologie de l'« intifada des couteaux » ou présentant des cartes du Proche-Orient sur lesquelles l’État d’Israël ne figure pas.

Exemples de caricatures diffusées par Roya TV (source).

Cette vision unilatérale du conflit israélo-palestinien s’apparente, à force de répétitions, à de la propagande : tout mort côté israélien, qu’il soit civil ou militaire et qu'il réside à l'intérieur des frontières internationalement reconnues de l’État hébreu ou dans les Territoires palestiniens qu'il contrôle, y est ainsi systématiquement désigné sous l’appellation « colon de l’occupation israélienne ». Tout mort côté palestinien y est, a contrario, qualifié de « martyr ». Ce qui n'a pas empêché le patron de la Deutsche Welle, Peter Limbourg, de remettre en mai 2020 à son homologue de Roya TV, Fares Sayegh, un « prix de la liberté d'expression »...

VICE a également montré la collaboration de la Deutsche Welle avec Al-Jadeed, un média libanais qui relaie, sans commentaire et sans contextualisation, des vidéos de propagande du Hezbollah et des discours martiaux de Hassan Nasrallah, et célèbre comme un martyr l'activiste du Hezbollah Samir Kuntar, responsable dans sa jeunesse de l'assassinat de sang-froid de civils israéliens, dont une fillette de quatre ans.

Contactée par VICE avant que les articles ne paraissent, la Deutsche Welle a d’abord tenté de défendre ces partenariats en soulignant qu'elle avait initialement choisi ces médias pour leur engagement en faveur de l'égalité femmes-hommes, des droits des minorités et de l'éducation des jeunes aux médias. Mais devant la gravité des faits soulevés par les articles successifs de VICE, et se soumettant sans doute à la pression politique et médiatique, la Deutsche Welle a finit par reconnaître le caractère problématique de ces partenariats.

Suite au scandale déclenché par l’article de la Süddeutsche Zeitung, une commission d’enquête indépendante a été chargée de statuer sur le caractère antisémite des propos sus-cités et de formuler des recommandations, notamment en matière de recrutement. En faisaient partie l'ancienne ministre fédérale de la Justice (2009-2013) Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, du Parti libéral-démocrate, le psychologue Ahmad Mansour, Arabe israélien naturalisé allemand en 2017, et son épouse, Beatrice Mansour, politologue et consultante en prévention de l'extrémisme.

Sur les près de 200 collaborateurs de la Deutsche Welle dans le monde arabe, la commission a conduit des entretiens individuels avec 32 d’entre eux. Elle a également examiné de manière aléatoire les programmes des quelque 70 chaînes partenaires avec lesquelles la Deutsche Welle collabore dans le monde arabe.

Sabine Leutheusser-Schnarrenberger considère que les discussions et examens menés par sa commission doivent se poursuivre au sein de la chaîne afin de compléter le travail commencé. Selon elle, il est clair que la Deutsche Welle a besoin de partenaires pour promouvoir ses valeurs au Moyen-Orient et que le dialogue avec les partenaires dont les infractions aux valeurs de la chaîne sont jugées peu nombreuses et non systémiques doit être recherché. Si ces médias se montrent prêts à supprimer ces contenus et à mener une réflexion sur le problème de l'antisémitisme, alors la Deutsche Welle pourrait à l'avenir poursuivre sa collaboration avec eux.

 

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à propos de l'auteur
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Samuel Petit
Samuel Petit est né en 1992 à Paris. Il a étudié l'histoire contemporaine à la Sorbonne puis à la Freie Universität de Berlin. Il vit et travaille en tant que metteur en scène, traducteur et journaliste entre l'Allemagne et la France.
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