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Affaire Jérôme Marty : pourquoi des médecins s'inquiètent que l'Ordre ait donné raison à Bigard et Lalanne

Les prises de position publiques du Dr Marty sur la vaccination et les gestes barrières lui valent d'être harcelé depuis des années. Il y a deux semaines, il a, en plus, subi les foudres du Conseil de l'Ordre qui avait été saisi en 2021 par deux désinformateurs notoires.

Le Dr Jérôme Marty (illustration CW, captures d'écran).

Cela ressemble à une mauvaise blague. Pour avoir dénoncé publiquement les harangues complotistes, les accusations délirantes et les imprécations dangereuses propagées pendant des mois contre des soignants par Jean-Marie Bigard et Francis Lalanne, le Dr Jérôme Marty a reçu, le 12 février dernier, un blâme de la chambre disciplinaire de première instance de l'Ordre régional des médecins d'Occitanie.

Bien qu'aucun des deux humoristes n'aient pris la peine de se présenter ou de se faire représenter lors d'une réunion de conciliation organisée à la suite de l'enregistrement de leur plainte, le Dr Marty a été condamné à leur verser la somme de 2000 euros à chacun. Hier, un collectif de médecins a publié une pétition de soutien au Dr Marty. À cette heure, elle a recueilli près de 4000 signatures.

Diffamé, menacé, sanctionné : ces trois mots résument bien la situation inique et ubuesque que vit aujourd'hui le médecin.

Retour en 2020. Jérôme Marty, généraliste et gériatre à Toulouse, est un invité régulier de l'émission « Les Grandes Gueules », sur RMC. Alors que la pandémie de coronavirus s'abat sur le pays, il est l'un des premiers à s'ériger publiquement contre le manque de moyens auquel sont confrontés les personnels de santé, ne mâchant jamais ses mots à l'égard de la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement.

Mais ce sont ses prises de position en faveur des gestes barrières et ses coups de gueule répétés contre les désinformateurs qui font de lui une cible de choix de la complosphère covido-sceptique. De courageux anonymes lui adressent quasi-quotidiennement messages d'intimidations et menaces de mort, ce dont il témoignera en décembre 2020 sur le plateau de « C à Vous » (France 5) et en janvier 2021 dans « Quotidien » (TMC).

En novembre 2020, après des mois d'intense désinformation complotiste autour de la crise sanitaire à laquelle Jean-Marie Bigard a déjà largement participé, le film « Hold-up », de Pierre Barnérias, fait plusieurs millions de vues cumulées en ligne. Y est développée la thèse selon laquelle la crise sanitaire est un complot international impliquant Jacques Attali et Bill Gates et visant à décimer une partie de la population mondiale. Peu après, un texte publié sur la plateforme désormais ouvertement conspirationniste FranceSoir remet en question la « réalité de cette fausse pandémie » (sic) et, en janvier 2021, FranceSoir − toujours − publie un texte de Francis Lalanne réclamant un coup d'État militaire contre Emmanuel Macron afin de le « faire comparaître devant un tribunal [et qu'il y soit jugé pour] haute trahison. »

Cible des antivax, Jérôme Marty voit le compteur des abonnés à son compte Twitter se bloquer littéralement. Cette situation durera trois ans. Semaine après semaine, il subit un cyber-harcèlement d'une virulence extrême. Dans une vidéo postée sur Twitter fin janvier 2021, il exhibe l'un des courriers anonymes de menaces de mort qu'il vient de recevoir. Il contient la reproduction d'un article intitulé « Assez de ces Dr Knock des médias, payés pour terroriser les Français ! » publié quelques jours plus tôt sur le site d'extrême droite Riposte laïque [archive]. On y lit : « Les faire taire relève de la salubrité publique ». Sur le document reçu par le Dr Marty, la phrase est accompagnée d'une image figurant des cordes de pendu avec, en arrière-plan, le nom de la clinique où il exerce...

Source : Jérôme Marty/Twitter, 29/01/2021.

En juillet 2021, lors d'une manifestation antivax à Marseille, son portrait est, parmi d'autres, affiché, affublé d'une moustache hitlérienne. En août 2021, dans un texte publié sur FranceSoir − encore − appelant en des termes à peine codés à décapiter les professionnels de santé qui, selon son auteur − toujours anonyme −, sont responsables de la crise sanitaire, Jérôme Marty est cité nommément. Parallèlement, l'ancien Gilet jaune Christophe Chalençon dira dans une vidéo qu'il faut abattre le Dr Marty... L'intensification des menaces à son encontre l'oblige à engager un garde du corps pour assurer sa sécurité pendant ses déplacements.

En plus des menaces, ce sont les propos du médecin qui sont éhontément détournés pour lui faire dire des choses qu'il n'a jamais dites, comme il l'explique en mai 2021, à nouveau sur France 5. Sur le plateau de « C à Vous », il confie sa crainte qu'on « en arrive à un drame ».

Deux jours plus tôt, lors d'une manifestation anti-pass sanitaire organisée par la fine fleur de la mouvance covido-complotiste, Jean-Marie Bigard, compagnon de route de longue date des complotistes, a osé une comparaison entre le pass sanitaire et l'étoile jaune tout en appelant à la mort de l'ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn qu'il n'hésite pas à présenter comme une criminelle. Dans le même mouvement, Bigard a également accusé le ministre de la Santé Olivier Véran d'avoir « du sang sur les mains », avant de conclure sur ces mots : « Ils le paieront et ils mourront de leur cupidité ».

C'est dans ce contexte particulèrement tendu que Jérôme Marty publie, le 27 mai 2021 sur son compte Twitter, un thread en forme de lettre ouverte à Jean-Marie Bigard et Francis Lalanne. Les deux artistes complotistes portent plainte devant le Conseil de l'Ordre. C'est le contenu de cette lettre ouverte qui vaut aujourd'hui au Dr Marty d'être sanctionné par la justice ordinale. Une sanction qui suscite une large incompréhension de la part de la profession. D'autant que Francis Lalanne est allé jusqu'à dénoncer l'Ordre comme complice de « crimes contre l'Humanité ». De plus, ainsi que le souligne le texte de soutien au Dr Marty publié le 22 février sur Change.org :

« Les deux plaignants ont soigneusement évité d’attaquer le Dr Jérôme Marty devant les tribunaux, où la jurisprudence sur la liberté d’expression aurait laminé leurs plaintes sans fondement. En choisissant expressément une juridiction d’exception, ils ont mis en place une procédure-bâillon à laquelle l’Ordre a apporté son blanc-seing. C’est une atteinte inacceptable à la liberté d’expression des médecins, et une preuve supplémentaire du caractère profondément dysfonctionnel de cette exception juridique plus prompte à condamner un médecin attentif à partager des vérités scientifiques et à éclairer les patients, que des confrères accusés de violences sexuelles. 

Au-delà du caractère dérisoire et pathétique de l’argumentation du Conseil Régional de l’Ordre, en tant que médecins, en tant que soignants, nous considérons que le Dr Jérôme Marty, impliqué comme nombre d’entre nous dans la lutte contre la pandémie et la désinformation, confronté aux conséquences dramatiques voire meurtrières de cette désinformation sur certains de nos patients, faisant face comme nombre d’entre nous à une violence verbale et à des menaces inacceptables dont l’Ordre s’est rarement ému, fait honneur à notre profession. Nous nous tenons à ses côtés et condamnons l’action du Conseil Régional de l’Ordre des Médecins d’Occitanie, complice de désinformateurs notoires, qui lui déshonore notre profession. »

Après avoir annoncé son intention de faire appel de cette décision, Jérôme Marty avait déjà reçu le soutien de plusieurs professionnels de la santé tels que le Pr Mathieu Molimard, le Dr Jérôme Barrière, le Dr Bernard Jomier ou encore l'ex-ministre de la Santé Aurélien Rousseau. « J’ai eu des sujets de désaccords avec le Dr Marty, explique ce dernier, mais je lui dis ma totale solidarité. Il a défendu la médecine par les preuves, l’éthique de la responsabilité dans une période où le vrai et le faux étaient pour certains relatifs. C’est à son honneur. Et ce combat continue. »

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Le Dr Jérôme Marty (illustration CW, captures d'écran).

Cela ressemble à une mauvaise blague. Pour avoir dénoncé publiquement les harangues complotistes, les accusations délirantes et les imprécations dangereuses propagées pendant des mois contre des soignants par Jean-Marie Bigard et Francis Lalanne, le Dr Jérôme Marty a reçu, le 12 février dernier, un blâme de la chambre disciplinaire de première instance de l'Ordre régional des médecins d'Occitanie.

Bien qu'aucun des deux humoristes n'aient pris la peine de se présenter ou de se faire représenter lors d'une réunion de conciliation organisée à la suite de l'enregistrement de leur plainte, le Dr Marty a été condamné à leur verser la somme de 2000 euros à chacun. Hier, un collectif de médecins a publié une pétition de soutien au Dr Marty. À cette heure, elle a recueilli près de 4000 signatures.

Diffamé, menacé, sanctionné : ces trois mots résument bien la situation inique et ubuesque que vit aujourd'hui le médecin.

Retour en 2020. Jérôme Marty, généraliste et gériatre à Toulouse, est un invité régulier de l'émission « Les Grandes Gueules », sur RMC. Alors que la pandémie de coronavirus s'abat sur le pays, il est l'un des premiers à s'ériger publiquement contre le manque de moyens auquel sont confrontés les personnels de santé, ne mâchant jamais ses mots à l'égard de la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement.

Mais ce sont ses prises de position en faveur des gestes barrières et ses coups de gueule répétés contre les désinformateurs qui font de lui une cible de choix de la complosphère covido-sceptique. De courageux anonymes lui adressent quasi-quotidiennement messages d'intimidations et menaces de mort, ce dont il témoignera en décembre 2020 sur le plateau de « C à Vous » (France 5) et en janvier 2021 dans « Quotidien » (TMC).

En novembre 2020, après des mois d'intense désinformation complotiste autour de la crise sanitaire à laquelle Jean-Marie Bigard a déjà largement participé, le film « Hold-up », de Pierre Barnérias, fait plusieurs millions de vues cumulées en ligne. Y est développée la thèse selon laquelle la crise sanitaire est un complot international impliquant Jacques Attali et Bill Gates et visant à décimer une partie de la population mondiale. Peu après, un texte publié sur la plateforme désormais ouvertement conspirationniste FranceSoir remet en question la « réalité de cette fausse pandémie » (sic) et, en janvier 2021, FranceSoir − toujours − publie un texte de Francis Lalanne réclamant un coup d'État militaire contre Emmanuel Macron afin de le « faire comparaître devant un tribunal [et qu'il y soit jugé pour] haute trahison. »

Cible des antivax, Jérôme Marty voit le compteur des abonnés à son compte Twitter se bloquer littéralement. Cette situation durera trois ans. Semaine après semaine, il subit un cyber-harcèlement d'une virulence extrême. Dans une vidéo postée sur Twitter fin janvier 2021, il exhibe l'un des courriers anonymes de menaces de mort qu'il vient de recevoir. Il contient la reproduction d'un article intitulé « Assez de ces Dr Knock des médias, payés pour terroriser les Français ! » publié quelques jours plus tôt sur le site d'extrême droite Riposte laïque [archive]. On y lit : « Les faire taire relève de la salubrité publique ». Sur le document reçu par le Dr Marty, la phrase est accompagnée d'une image figurant des cordes de pendu avec, en arrière-plan, le nom de la clinique où il exerce...

Source : Jérôme Marty/Twitter, 29/01/2021.

En juillet 2021, lors d'une manifestation antivax à Marseille, son portrait est, parmi d'autres, affiché, affublé d'une moustache hitlérienne. En août 2021, dans un texte publié sur FranceSoir − encore − appelant en des termes à peine codés à décapiter les professionnels de santé qui, selon son auteur − toujours anonyme −, sont responsables de la crise sanitaire, Jérôme Marty est cité nommément. Parallèlement, l'ancien Gilet jaune Christophe Chalençon dira dans une vidéo qu'il faut abattre le Dr Marty... L'intensification des menaces à son encontre l'oblige à engager un garde du corps pour assurer sa sécurité pendant ses déplacements.

En plus des menaces, ce sont les propos du médecin qui sont éhontément détournés pour lui faire dire des choses qu'il n'a jamais dites, comme il l'explique en mai 2021, à nouveau sur France 5. Sur le plateau de « C à Vous », il confie sa crainte qu'on « en arrive à un drame ».

Deux jours plus tôt, lors d'une manifestation anti-pass sanitaire organisée par la fine fleur de la mouvance covido-complotiste, Jean-Marie Bigard, compagnon de route de longue date des complotistes, a osé une comparaison entre le pass sanitaire et l'étoile jaune tout en appelant à la mort de l'ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn qu'il n'hésite pas à présenter comme une criminelle. Dans le même mouvement, Bigard a également accusé le ministre de la Santé Olivier Véran d'avoir « du sang sur les mains », avant de conclure sur ces mots : « Ils le paieront et ils mourront de leur cupidité ».

C'est dans ce contexte particulèrement tendu que Jérôme Marty publie, le 27 mai 2021 sur son compte Twitter, un thread en forme de lettre ouverte à Jean-Marie Bigard et Francis Lalanne. Les deux artistes complotistes portent plainte devant le Conseil de l'Ordre. C'est le contenu de cette lettre ouverte qui vaut aujourd'hui au Dr Marty d'être sanctionné par la justice ordinale. Une sanction qui suscite une large incompréhension de la part de la profession. D'autant que Francis Lalanne est allé jusqu'à dénoncer l'Ordre comme complice de « crimes contre l'Humanité ». De plus, ainsi que le souligne le texte de soutien au Dr Marty publié le 22 février sur Change.org :

« Les deux plaignants ont soigneusement évité d’attaquer le Dr Jérôme Marty devant les tribunaux, où la jurisprudence sur la liberté d’expression aurait laminé leurs plaintes sans fondement. En choisissant expressément une juridiction d’exception, ils ont mis en place une procédure-bâillon à laquelle l’Ordre a apporté son blanc-seing. C’est une atteinte inacceptable à la liberté d’expression des médecins, et une preuve supplémentaire du caractère profondément dysfonctionnel de cette exception juridique plus prompte à condamner un médecin attentif à partager des vérités scientifiques et à éclairer les patients, que des confrères accusés de violences sexuelles. 

Au-delà du caractère dérisoire et pathétique de l’argumentation du Conseil Régional de l’Ordre, en tant que médecins, en tant que soignants, nous considérons que le Dr Jérôme Marty, impliqué comme nombre d’entre nous dans la lutte contre la pandémie et la désinformation, confronté aux conséquences dramatiques voire meurtrières de cette désinformation sur certains de nos patients, faisant face comme nombre d’entre nous à une violence verbale et à des menaces inacceptables dont l’Ordre s’est rarement ému, fait honneur à notre profession. Nous nous tenons à ses côtés et condamnons l’action du Conseil Régional de l’Ordre des Médecins d’Occitanie, complice de désinformateurs notoires, qui lui déshonore notre profession. »

Après avoir annoncé son intention de faire appel de cette décision, Jérôme Marty avait déjà reçu le soutien de plusieurs professionnels de la santé tels que le Pr Mathieu Molimard, le Dr Jérôme Barrière, le Dr Bernard Jomier ou encore l'ex-ministre de la Santé Aurélien Rousseau. « J’ai eu des sujets de désaccords avec le Dr Marty, explique ce dernier, mais je lui dis ma totale solidarité. Il a défendu la médecine par les preuves, l’éthique de la responsabilité dans une période où le vrai et le faux étaient pour certains relatifs. C’est à son honneur. Et ce combat continue. »

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