Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Pourquoi le coronavirus n'est probablement pas une « arme biologique »

Non seulement la thèse selon laquelle l'agent infectieux du Covid-19 aurait été fabriqué en laboratoire n'est étayée par aucune preuve, mais elle est également peu plausible.

Représentation de coronavirus (crédits : Indo-Asian News Service).

Tandis que l’on tente d'endiguer la propagation du Covid-19, les rumeurs et les fausses nouvelles prolifèrent à la faveur d’un compréhensible besoin général d’information : l'épidémie de coronavirus actuelle serait la conséquence plus ou moins accidentelle de recherches secrètes sur des armes biologiques.

Il était presque fatal que l’Institut national de virologie de Wuhan, qui abrite le seul laboratoire de confinement haute sécurité de niveau 4 (ou « P4 », pour « pathogène de classe 4 », le niveau maximal) actuellement en activité en Chine et se situe à proximité de l'épicentre de l'épidémie de coronavirus, devienne un objet de spéculations conspirationnistes.

Interrogés par le Washington Post dès la fin du mois de janvier, les experts récusent pourtant l’idée que le virus ait été créé par l’homme : « Au vu du génome et des propriétés de ce virus, rien n’autorise à dire qu’il s’agit d’un virus fabriqué », estime Richard Ebright, professeur de biologie chimique à l’Université Rutgers (New Jersey).

Tim Trevan, un expert en biosécurité basé dans le Maryland, affirme que la plupart des pays ont quasiment renoncé aux armes biologiques après des années d’efforts infructueux. Selon lui, « la très grande majorité des nouvelles maladies nous arrive de la nature ».

Le tabloïd britannique Daily Mail a été l’un des premiers à suggérer un lien entre le nouveau coronavirus et l’Institut national de virologie de Wuhan. À la mi-janvier, on y lisait que les activités de ce laboratoire suscitaient des inquiétudes depuis longtemps. Le mois suivant, le journal relayait, à coups d’erreurs et d’approximations, la thèse conspirationniste selon laquelle le laboratoire travaillait pour l’armée chinoise et aurait créé ce virus à des fins militaires.

Le 25 janvier, le journaliste italien Paolo Liguori soutenait lui aussi sur TGcom24, une chaîne du groupe Mediaset de Silvio Berlusconi, que le coronavirus avait été créé en laboratoire.

Le 26 janvier, le Washington Times, un quotidien étroitement lié à la secte Moon – et à ne pas confondre avec le très sérieux Washington Post –, titrait : « Le coronavirus a pu être créé dans un laboratoire lié au programme d’armes biologiques chinois », et il pointait un doigt accusateur vers l’Institut de virologie de Wuhan. Dany Shoham, un ancien officier du renseignement militaire israélien, y était pris à témoin. Contacté par le Washington Post, il n'a pas souhaité faire de commentaires.

Le 30 janvier, un entretien vidéo de plus d'une demi-heure de l'Américain Francis Boyle, un professeur de droit international à la retraite qui a publié il y a près de 15 ans un essai sur les attaques terroristes à l'anthrax, était publié sur YouTube. Il a été vu plus de 300 000 fois à ce jour. L'homme y multipliait les erreurs, les approximations et les références conspirationnistes. Sa thèse était que le coronavirus a fuité par accident du laboratoire de haute sécurité de Wuhan.

Le 16 février, c'est un sénateur républicain de l’Arkansas, Tom Cotton, qui s'est fait le relais de cette rumeur sur Fox News. Quelques jours plus tard, le 22 février, c’était au tour du New York Post, un tabloïd du groupe Murdoch réputé pour son manque de fiabilité et son sensationnalisme, de publier un article de Steven W. Mosher prétendant que le nouveau coronavirus s'était échappé du laboratoire P4 de Wuhan.

Président d’une association au titre ronflant, le Population Research Institute, organisation anti-avortement ne jouissant d’aucune reconnaissance universitaire, Mosher n'a aucune compétence en virologie. Son texte, qui argue que l'Institut de virologie de Wuhan est situé à moins de 15 km du marché aux poissons où l'épidémie de Covid-19 a commencé, a été très largement diffusé sur les réseaux sociaux, avec plus de 13 millions de vues. Certaines de ses affirmations ont été reprises par des sites complotistes comme InfoWars – dont l'animateur, Alex Jones, a récemment soutenu que le dentifrice qu'il vendait sur sa boutique en ligne pouvait tuer « à bout portant » le coronavirus. Il a fallu attendre le 9 mars pour que Facebook bloque l’article de Mosher en l'étiquetant comme « fausse information » et réoriente les utilisateurs vers un article de fact-checking du site HealthFeedback.org.

Capture d'écran du post Facebook du Population Research Institute, la structure dirigée par Steven W. Mosher, renvoyant vers son article du New York Post du 22 février 2020.

Le laboratoire de biosécurité de Wuhan est une installation hautement sécurisée, autorisée à travailler sur de dangereux agents pathogènes tel le virus Ébola. Les personnels qui y sont affectés sont équipés de combinaisons intégrales. Tous les flux – eau, air, déchets – sont filtrés et aseptisés avant leur évacuation.

Milton Leitenberg, expert en armement chimique à l’Université du Maryland, dit avoir interrogé des collègues du monde entier sur la possibilité que des recherches en armement aient pu provoquer une sortie accidentelle d'un virus depuis ce laboratoire. Aucun n’a trouvé le moindre indice permettant d'étayer cette hypothèse. « Naturellement, s’ils développaient des armes, ils le feraient clandestinement », convient Leitenberg. Mais l'expert croit improbable que l’armée chinoise utilise ce complexe scientifique précis pour y développer des armes biologiques.

Car le laboratoire de Wuhan est bien connu de la communauté scientifique internationale, et il est plutôt transparent comparé à d’autres complexes scientifiques chinois. Mis sur pied avec l’aide d’ingénieurs français, il a noué une étroite coopération académique avec le Galveston National Laboratory, un laboratoire de biosécurité installé au Texas. « L’Institut de virologie de Wuhan est un centre de recherches de classe mondiale pour la virologie et l’immunologie, explique Ebright. Ils sont, entre autres, spécialisés dans l’étude des coronavirus transmis par les chauves-souris. »

Tim Trevan a été cité dans un article paru dans Nature en 2017. Il y alertait sur les risques potentiels d'une installation comme celle de Wuhan. Interrogé par le Washington Post, il a confié qu’il était préoccupé à l’époque par la question de « la prévention des risques dans ces systèmes complexes, quand il est impossible de prédire toutes les possibilités de faillite du système. » Ancien diplomate britannique et conseiller politique à l’ONU, il précise avoir cessé de s’intéresser spécifiquement au laboratoire après 2017 et n’avoir pas été informé de problèmes particuliers depuis. Il doute que le coronavirus puisse trouver son origine dans un programme d’armement.

Selon le rapport annuel du Département d’État d’août 2019, « la Chine serait engagée dans des activités de recherche biologique aux finalités potentiellement duales » – i.e. civiles et militaires. Cependant, pour Elsa Kania, chercheuse au Center for a New American Security, un coronavirus ne saurait constituer une bonne arme : « Par définition, une arme biologique est conçue pour avoir des effets très ciblés. Or, depuis son apparition, le Covid-19 est en voie de se répandre tous azimuts en Chine et dans le reste du monde. »

Et Vipin Narang, professeur au MIT, de renchérir, sur Twitter :

« Rien ne prouve qu'il s'agit d'une arme biologique, et toute affirmation contraire revient à répandre délibérément des fausses informations et est incroyablement irresponsable. En fait, ce serait une arme biologique complètement nulle à cause de l’effet boomerang. En théorie, une bonne arme biologique a un taux de létalité élevé mais aussi un taux de contagiosité faible, pas un taux élevé. »

En 2014, des médias conspirationnistes ont accusé le Département de la Défense américain d’avoir fabriqué le virus Ébola. Pendant la Guerre froide, les Soviétiques l’avaient étudié pour tenter d'en faire une arme. Ils ont finalement renoncé.

En janvier, le quotidien nationaliste chinois Global Times se faisait l’écho d’une nouvelle théorie conspirationniste incriminant les Américains. Mais Hu Xijin, rédacteur en chef du journal, tweetait en parallèle : « Peu de Chinois y croient. »

En février, le président du Sénat philippin, le journal du Parti communiste cubain Granma puis le président vénézuélien Nicolás Maduro ont tous suggéré que le coronavirus était une arme biologique américaine.

Des théories du complot sans fondement scientifique

Ces spéculations ont profité de l'incertitude qui demeure quant à l’origine exacte de la contamination humaine par le nouveau coronavirus. En effet, les chercheurs ne savent pas si le SARS-CoV-2 (l’agent infectieux du Covid-19) a été transmis directement à l'homme par un animal, ou s'il a fallu plusieurs événements zoonotiques intermédiaires. Toutefois, il est à présent établi que le virus provient de la faune sauvage.

Dans un texte publié dans The Lancet le 7 mars dernier, un collectif d'une trentaine de scientifiques du monde entier condamne « fermement les théories du complot suggérant que le Covid-19 n'a pas d'origine naturelle ». Et de poursuivre :

« Des scientifiques de plusieurs pays ont publié et analysé les génomes de l'agent causal, le SRAS-CoV-2, et ils concluent à une écrasante majorité que ce coronavirus est originaire de la faune sauvage, comme tant d'autres agents pathogènes émergents. Les théories du complot ne font rien d'autre que de susciter la peur, des rumeurs et des préjugés qui mettent en péril notre collaboration mondiale dans la lutte contre ce virus. Nous soutenons l'appel du directeur général de l'OMS à promouvoir les preuves scientifiques et l'unité plutôt que la désinformation et les conjectures. Nous voulons que vous, les professionnels de la science et de la santé de Chine, sachiez que nous sommes à vos côtés dans votre lutte contre ce virus. »

La transmission à partir d'un animal, sans expérience de laboratoire ni manipulation génétique, correspond le mieux à ce que l’on sait de la façon dont d'autres coronavirus ont fait le saut vers l'homme. Dans le passé, ces virus se sont propagés par l'intermédiaire de chauves-souris sauvages qui infectent un hôte, lequel le transmet ensuite à l'homme. Ainsi, le SARS-CoV est passé des chauves-souris à des civettes – un petit mammifère sauvage – puis à l’homme. La version du virus chez la civette était similaire à 99,8% à celle trouvée chez l'homme. Chez les chauves-souris, le génome du Covid-19 n’est similaire qu’à 96% à celui trouvé chez l’homme. Les scientifiques cherchent donc l’animal qui a servi d’intermédiaire.

Quant à l’allégation selon laquelle le SARS-CoV-2 serait le résultat d’une manipulation génétique, elle est dénuée de fondement scientifique. Les chercheurs chinois ayant immédiatement mis en ligne la séquence génomique du virus, celle-ci a pu être examinée par les meilleurs laboratoires du monde. Ainsi, la revue de référence Emerging Microbes & Infections a publié le 13 février un article intitulé « Aucune preuve crédible étayant les affirmations de manipulation génétique du SARS-CoV-2 ». Ses auteurs, des chercheurs américains, concluent à l'apparition du SARS-CoV-2 de manière naturelle.

 

Sources : Adam Taylor, "Experts debunk fringe theory linking China’s coronavirus to weapons research", The Washington Post, 29 janvier 2020 ; Flora Teoh, "Viral New York Post article perpetuates the unfounded claim that the virus that causes COVID-19 is manmade", Healthfeedback.org, 2 mars 2020 ; Emily R. Makowski, "Theory that Coronavirus Escaped from a Lab Lacks Evidence", The Scientist, 5 mars 2020 ; remerciements à P. M. pour le travail de traduction et de synthèse.

 

MàJ (16/04/2020) : Le 14 avril 2020, le Washington Post a rapporté que deux ans avant la pandémie, des diplomates américains avaient signalé à deux reprises à Washington des problèmes de sécurité à l'Institut de virologie de Wuhan. Le journal a affirmé que des télégrammes diplomatiques envoyés en 2018 mettaient en garde contre la faiblesse de la sécurité de ce laboratoire P4 et pointé le manque de techniciens et d’enquêteurs dûment formés pour faire fonctionner ce site en toute sécurité. Pour Vincent Racaniello, professeur de microbiologie et d’immunologie à l’université Columbia de New York, l’hypothèse d’une fuite accidentelle du virus depuis un laboratoire chinois – qui, à ce stade, mérite encore d'être étayée – reflète « un manque de compréhension de la composition génétique du nouveau coronavirus ». Car, explique le chercheur interrogé par le South China Morning Post, le virus de la chauve-souris « aurait dû circuler, et évoluer, pendant un certain nombre d’années avant de muter suffisamment pour être capable d'infecter les gens ».

 

Voir aussi :

Guerre froide : quand le KGB fabriquait une rumeur conspirationniste sur le SIDA

Le virus Ebola alimente les théories du complot

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Représentation de coronavirus (crédits : Indo-Asian News Service).

Tandis que l’on tente d'endiguer la propagation du Covid-19, les rumeurs et les fausses nouvelles prolifèrent à la faveur d’un compréhensible besoin général d’information : l'épidémie de coronavirus actuelle serait la conséquence plus ou moins accidentelle de recherches secrètes sur des armes biologiques.

Il était presque fatal que l’Institut national de virologie de Wuhan, qui abrite le seul laboratoire de confinement haute sécurité de niveau 4 (ou « P4 », pour « pathogène de classe 4 », le niveau maximal) actuellement en activité en Chine et se situe à proximité de l'épicentre de l'épidémie de coronavirus, devienne un objet de spéculations conspirationnistes.

Interrogés par le Washington Post dès la fin du mois de janvier, les experts récusent pourtant l’idée que le virus ait été créé par l’homme : « Au vu du génome et des propriétés de ce virus, rien n’autorise à dire qu’il s’agit d’un virus fabriqué », estime Richard Ebright, professeur de biologie chimique à l’Université Rutgers (New Jersey).

Tim Trevan, un expert en biosécurité basé dans le Maryland, affirme que la plupart des pays ont quasiment renoncé aux armes biologiques après des années d’efforts infructueux. Selon lui, « la très grande majorité des nouvelles maladies nous arrive de la nature ».

Le tabloïd britannique Daily Mail a été l’un des premiers à suggérer un lien entre le nouveau coronavirus et l’Institut national de virologie de Wuhan. À la mi-janvier, on y lisait que les activités de ce laboratoire suscitaient des inquiétudes depuis longtemps. Le mois suivant, le journal relayait, à coups d’erreurs et d’approximations, la thèse conspirationniste selon laquelle le laboratoire travaillait pour l’armée chinoise et aurait créé ce virus à des fins militaires.

Le 25 janvier, le journaliste italien Paolo Liguori soutenait lui aussi sur TGcom24, une chaîne du groupe Mediaset de Silvio Berlusconi, que le coronavirus avait été créé en laboratoire.

Le 26 janvier, le Washington Times, un quotidien étroitement lié à la secte Moon – et à ne pas confondre avec le très sérieux Washington Post –, titrait : « Le coronavirus a pu être créé dans un laboratoire lié au programme d’armes biologiques chinois », et il pointait un doigt accusateur vers l’Institut de virologie de Wuhan. Dany Shoham, un ancien officier du renseignement militaire israélien, y était pris à témoin. Contacté par le Washington Post, il n'a pas souhaité faire de commentaires.

Le 30 janvier, un entretien vidéo de plus d'une demi-heure de l'Américain Francis Boyle, un professeur de droit international à la retraite qui a publié il y a près de 15 ans un essai sur les attaques terroristes à l'anthrax, était publié sur YouTube. Il a été vu plus de 300 000 fois à ce jour. L'homme y multipliait les erreurs, les approximations et les références conspirationnistes. Sa thèse était que le coronavirus a fuité par accident du laboratoire de haute sécurité de Wuhan.

Le 16 février, c'est un sénateur républicain de l’Arkansas, Tom Cotton, qui s'est fait le relais de cette rumeur sur Fox News. Quelques jours plus tard, le 22 février, c’était au tour du New York Post, un tabloïd du groupe Murdoch réputé pour son manque de fiabilité et son sensationnalisme, de publier un article de Steven W. Mosher prétendant que le nouveau coronavirus s'était échappé du laboratoire P4 de Wuhan.

Président d’une association au titre ronflant, le Population Research Institute, organisation anti-avortement ne jouissant d’aucune reconnaissance universitaire, Mosher n'a aucune compétence en virologie. Son texte, qui argue que l'Institut de virologie de Wuhan est situé à moins de 15 km du marché aux poissons où l'épidémie de Covid-19 a commencé, a été très largement diffusé sur les réseaux sociaux, avec plus de 13 millions de vues. Certaines de ses affirmations ont été reprises par des sites complotistes comme InfoWars – dont l'animateur, Alex Jones, a récemment soutenu que le dentifrice qu'il vendait sur sa boutique en ligne pouvait tuer « à bout portant » le coronavirus. Il a fallu attendre le 9 mars pour que Facebook bloque l’article de Mosher en l'étiquetant comme « fausse information » et réoriente les utilisateurs vers un article de fact-checking du site HealthFeedback.org.

Capture d'écran du post Facebook du Population Research Institute, la structure dirigée par Steven W. Mosher, renvoyant vers son article du New York Post du 22 février 2020.

Le laboratoire de biosécurité de Wuhan est une installation hautement sécurisée, autorisée à travailler sur de dangereux agents pathogènes tel le virus Ébola. Les personnels qui y sont affectés sont équipés de combinaisons intégrales. Tous les flux – eau, air, déchets – sont filtrés et aseptisés avant leur évacuation.

Milton Leitenberg, expert en armement chimique à l’Université du Maryland, dit avoir interrogé des collègues du monde entier sur la possibilité que des recherches en armement aient pu provoquer une sortie accidentelle d'un virus depuis ce laboratoire. Aucun n’a trouvé le moindre indice permettant d'étayer cette hypothèse. « Naturellement, s’ils développaient des armes, ils le feraient clandestinement », convient Leitenberg. Mais l'expert croit improbable que l’armée chinoise utilise ce complexe scientifique précis pour y développer des armes biologiques.

Car le laboratoire de Wuhan est bien connu de la communauté scientifique internationale, et il est plutôt transparent comparé à d’autres complexes scientifiques chinois. Mis sur pied avec l’aide d’ingénieurs français, il a noué une étroite coopération académique avec le Galveston National Laboratory, un laboratoire de biosécurité installé au Texas. « L’Institut de virologie de Wuhan est un centre de recherches de classe mondiale pour la virologie et l’immunologie, explique Ebright. Ils sont, entre autres, spécialisés dans l’étude des coronavirus transmis par les chauves-souris. »

Tim Trevan a été cité dans un article paru dans Nature en 2017. Il y alertait sur les risques potentiels d'une installation comme celle de Wuhan. Interrogé par le Washington Post, il a confié qu’il était préoccupé à l’époque par la question de « la prévention des risques dans ces systèmes complexes, quand il est impossible de prédire toutes les possibilités de faillite du système. » Ancien diplomate britannique et conseiller politique à l’ONU, il précise avoir cessé de s’intéresser spécifiquement au laboratoire après 2017 et n’avoir pas été informé de problèmes particuliers depuis. Il doute que le coronavirus puisse trouver son origine dans un programme d’armement.

Selon le rapport annuel du Département d’État d’août 2019, « la Chine serait engagée dans des activités de recherche biologique aux finalités potentiellement duales » – i.e. civiles et militaires. Cependant, pour Elsa Kania, chercheuse au Center for a New American Security, un coronavirus ne saurait constituer une bonne arme : « Par définition, une arme biologique est conçue pour avoir des effets très ciblés. Or, depuis son apparition, le Covid-19 est en voie de se répandre tous azimuts en Chine et dans le reste du monde. »

Et Vipin Narang, professeur au MIT, de renchérir, sur Twitter :

« Rien ne prouve qu'il s'agit d'une arme biologique, et toute affirmation contraire revient à répandre délibérément des fausses informations et est incroyablement irresponsable. En fait, ce serait une arme biologique complètement nulle à cause de l’effet boomerang. En théorie, une bonne arme biologique a un taux de létalité élevé mais aussi un taux de contagiosité faible, pas un taux élevé. »

En 2014, des médias conspirationnistes ont accusé le Département de la Défense américain d’avoir fabriqué le virus Ébola. Pendant la Guerre froide, les Soviétiques l’avaient étudié pour tenter d'en faire une arme. Ils ont finalement renoncé.

En janvier, le quotidien nationaliste chinois Global Times se faisait l’écho d’une nouvelle théorie conspirationniste incriminant les Américains. Mais Hu Xijin, rédacteur en chef du journal, tweetait en parallèle : « Peu de Chinois y croient. »

En février, le président du Sénat philippin, le journal du Parti communiste cubain Granma puis le président vénézuélien Nicolás Maduro ont tous suggéré que le coronavirus était une arme biologique américaine.

Des théories du complot sans fondement scientifique

Ces spéculations ont profité de l'incertitude qui demeure quant à l’origine exacte de la contamination humaine par le nouveau coronavirus. En effet, les chercheurs ne savent pas si le SARS-CoV-2 (l’agent infectieux du Covid-19) a été transmis directement à l'homme par un animal, ou s'il a fallu plusieurs événements zoonotiques intermédiaires. Toutefois, il est à présent établi que le virus provient de la faune sauvage.

Dans un texte publié dans The Lancet le 7 mars dernier, un collectif d'une trentaine de scientifiques du monde entier condamne « fermement les théories du complot suggérant que le Covid-19 n'a pas d'origine naturelle ». Et de poursuivre :

« Des scientifiques de plusieurs pays ont publié et analysé les génomes de l'agent causal, le SRAS-CoV-2, et ils concluent à une écrasante majorité que ce coronavirus est originaire de la faune sauvage, comme tant d'autres agents pathogènes émergents. Les théories du complot ne font rien d'autre que de susciter la peur, des rumeurs et des préjugés qui mettent en péril notre collaboration mondiale dans la lutte contre ce virus. Nous soutenons l'appel du directeur général de l'OMS à promouvoir les preuves scientifiques et l'unité plutôt que la désinformation et les conjectures. Nous voulons que vous, les professionnels de la science et de la santé de Chine, sachiez que nous sommes à vos côtés dans votre lutte contre ce virus. »

La transmission à partir d'un animal, sans expérience de laboratoire ni manipulation génétique, correspond le mieux à ce que l’on sait de la façon dont d'autres coronavirus ont fait le saut vers l'homme. Dans le passé, ces virus se sont propagés par l'intermédiaire de chauves-souris sauvages qui infectent un hôte, lequel le transmet ensuite à l'homme. Ainsi, le SARS-CoV est passé des chauves-souris à des civettes – un petit mammifère sauvage – puis à l’homme. La version du virus chez la civette était similaire à 99,8% à celle trouvée chez l'homme. Chez les chauves-souris, le génome du Covid-19 n’est similaire qu’à 96% à celui trouvé chez l’homme. Les scientifiques cherchent donc l’animal qui a servi d’intermédiaire.

Quant à l’allégation selon laquelle le SARS-CoV-2 serait le résultat d’une manipulation génétique, elle est dénuée de fondement scientifique. Les chercheurs chinois ayant immédiatement mis en ligne la séquence génomique du virus, celle-ci a pu être examinée par les meilleurs laboratoires du monde. Ainsi, la revue de référence Emerging Microbes & Infections a publié le 13 février un article intitulé « Aucune preuve crédible étayant les affirmations de manipulation génétique du SARS-CoV-2 ». Ses auteurs, des chercheurs américains, concluent à l'apparition du SARS-CoV-2 de manière naturelle.

 

Sources : Adam Taylor, "Experts debunk fringe theory linking China’s coronavirus to weapons research", The Washington Post, 29 janvier 2020 ; Flora Teoh, "Viral New York Post article perpetuates the unfounded claim that the virus that causes COVID-19 is manmade", Healthfeedback.org, 2 mars 2020 ; Emily R. Makowski, "Theory that Coronavirus Escaped from a Lab Lacks Evidence", The Scientist, 5 mars 2020 ; remerciements à P. M. pour le travail de traduction et de synthèse.

 

MàJ (16/04/2020) : Le 14 avril 2020, le Washington Post a rapporté que deux ans avant la pandémie, des diplomates américains avaient signalé à deux reprises à Washington des problèmes de sécurité à l'Institut de virologie de Wuhan. Le journal a affirmé que des télégrammes diplomatiques envoyés en 2018 mettaient en garde contre la faiblesse de la sécurité de ce laboratoire P4 et pointé le manque de techniciens et d’enquêteurs dûment formés pour faire fonctionner ce site en toute sécurité. Pour Vincent Racaniello, professeur de microbiologie et d’immunologie à l’université Columbia de New York, l’hypothèse d’une fuite accidentelle du virus depuis un laboratoire chinois – qui, à ce stade, mérite encore d'être étayée – reflète « un manque de compréhension de la composition génétique du nouveau coronavirus ». Car, explique le chercheur interrogé par le South China Morning Post, le virus de la chauve-souris « aurait dû circuler, et évoluer, pendant un certain nombre d’années avant de muter suffisamment pour être capable d'infecter les gens ».

 

Voir aussi :

Guerre froide : quand le KGB fabriquait une rumeur conspirationniste sur le SIDA

Le virus Ebola alimente les théories du complot

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