Une vidéo de 15 secondes montrant Emmanuel Macron rangeant un mouchoir a suffi à déclencher une tempête conspirationniste mondiale. Entre interprétations délirantes, emballement viral et recyclage de vieux fantasmes anti-élitistes : retour sur une mécanique bien huilée de la désinformation.
Il range un mouchoir. Eux y voient un gramme de coke. Dans la scène, tout est d’un classicisme banal : vendredi 10 mai, Emmanuel Macron, Friedrich Merz, le chancelier allemand, et Keir Starmer, le Premier ministre britannique, sont filmés dans un train, en direction de Kyiv. Au moment de s’asseoir à table, le président français remarque un mouchoir usagé sur la table. Il le range rapidement dans sa poche. Une vidéo de 15 secondes, à peine.
Il n’en a pas fallu davantage pour que l’ensemble de l’écosystème conspirationniste mondial s’emballe... Sur X, l’image est extraite, ralentie, surcommentée. Très vite, l’objet devient « suspect », puis « une pochette de cocaïne », et enfin, dans un emballement généralisé, la preuve que « les élites se droguent ensemble » . Parmi ces messages, une autre « preuve » est avancée : celle d’une paille pour se droguer qui serait posée à côté du bras de Friedrich Merz.
Outre-Atlantique, Alex Jones, animateur sulfureux d’Infowars, désinformateur professionnel et chantre du complotisme trumpiste, ne tarde pas à s’emparer de l’affaire. Dans une vidéo de presque 7 minutes diffuées sur X, il affirme que Macron aurait été filmé en train de « dissimuler de la drogue ». Il exige en direct que les trois dirigeants passent un test antidrogue. « Ils pensent qu’ils peuvent faire ça en plein jour sans conséquences, parce qu’ils se croient intouchables ! », tonne-t-il à son audience radicalisée. En quelques heures, le complotiste américain aux 4,4 millions d’abonnés sur X, publie 17 tweets.
Jones, condamné à verser près d’un milliard et demi de dollars à des familles de victimes de la tuerie de l'école Sandy Hook pour avoir affirmé et répété que le massacre était une mise en scène, n’en est pas à sa première offensive contre Macron, qu’il dépeint régulièrement comme un « pantin de Davos ».
En France, plusieurs figures familières de la complosphère relaient à leur tour la rumeur.
D’abord le site complotiste Qactus qui y va franco : « Macron Merz sniff party en équipe à Kiev pendant que l’Ukraine brûle ». L’article, truffé de conditionnels, de points d’interrogation et d’allusions appuyées, se conclut de la façon suivante : « Macron, Merz &Co nous offrent une nouvelle preuve que la politique est devenue un trip entre initiés. Entre deux rails (de "réformes"), ils snifferaient bien l’avenir de l’Europe. Et nous on paye l’addition. »
Silvano Trotta, théoricien de la Lune creuse, n'est pas en reste, affirmant sans ambages que l'on est « dirigé par des gens qui prennent de la coke ».
Alexis Haupt écrit, lui : « Je voulais commenter cette vidéo, dire un petit mot... mais le pire, c'est qu'il n'y a rien à ajouter. Les images parlent d’elles-mêmes. Ce qui se passe en France est d'une extrême gravité, et le plus terrible, c'est que beaucoup l'ignorent : ils vivent dans le Médiavers. »
Florian Philippot se demande ce que « planque » [archive] Emmanuel Macron, avant de disserter sur le fait que le président de la République serait la « honte de la France » [archive]. Yves Pozzo di Borgo, ex-sénateur LR, s'interroge lui sur la provenance de la drogue : « ça vient de Seine Saint-Denis ? C'est une question ! » [archive]
Au-delà de ces délires conspirationnistes classiques, d'autres profitent de cette séquence pour manier un grand confusionnisme qui consiste à relayer la fake news, puis à relayer son démenti, et enfin à se moquer de la polémique. Dans cette mouvance un acteur principal : le journaliste et essayiste Alexis Poulin.
Mode d'emploi du confusionnisme : étape 1 relayer la vidéo en l'accompagnant d'un « pochon club ».
Étape 2 : la relayer à nouveau en écrivant : « C'est un mouchoir ».
Étape 3 : Dénoncer une « instrumentalisation grossière pour hurler à la désinformation sur les réseaux sociaux ».
Dans cette discipline du confusionnisme, Bruno Gaccio, ancien auteur des Guignols de l’info devenu tribun de la contestation tous azimuts, partage la vidéo accompagnée d’un message ironique : « Sans déconner, c’est quoi ? » [archive]. Puis il relaye à nouveau la vidéo avec la mention d'un mouchoir. Un clin d’œil appuyé à ceux qui veulent y croire − sans dire qu’il y croit.
Face à l’emballement, Libération publie un fact-check rapide et limpide : « Non, Emmanuel Macron n’a pas caché de la cocaïne. » Il s’agit bien, comme le montre la séquence complète, d’un mouchoir en papier, rangé dans un sac avec une grande banalité. Aucun sachet, aucune poudre, aucune ligne. D'ailleurs des photos de l'AFP et d'AP en attestent. Mais le mal est fait. La vidéo, sortie de son contexte, circule dans plusieurs langues, notamment via les chaînes Telegram conspirationnistes pro-russes. Le terme « Macron coke » explose sur les moteurs de recherche, jusqu’à TikTok où les mèmes pullulent.
A tel point que l'Elysée publie sur X un message en français et en anglais.
Cette affaire du mouchoir s’inscrit dans une mécanique désormais bien rodée : une image anodine, sortie de son contexte, devient le support d’une fiction délirante, relayée par des figures d’autorité dans l’écosystème conspi, qui alimentent un récit global : celui d’élites corrompues, droguées, décadentes, qui se moquent des peuples.
La drogue, ici, joue un rôle symbolique puissant. Elle est à la fois marqueur de transgression et outil de déshumanisation. Accuser un dirigeant d’en consommer, c’est le disqualifier moralement, et faire basculer la critique politique dans le registre du soupçon paranoïaque. Il y a, dans cette obsession pour la « coke des puissants », un vieux fond complotiste nourri de fantasmes sur la décadence des élites. Macron, avec son allure contrôlée et sa posture de technocrate, devient une cible parfaite. L’affaire du mouchoir montre, une fois encore, combien l’image est devenue une arme de désinformation massive. Et combien certains milieux ne cherchent pas à comprendre le réel, mais à y projeter leurs croyances.
Il range un mouchoir. Eux y voient un gramme de coke. Dans la scène, tout est d’un classicisme banal : vendredi 10 mai, Emmanuel Macron, Friedrich Merz, le chancelier allemand, et Keir Starmer, le Premier ministre britannique, sont filmés dans un train, en direction de Kyiv. Au moment de s’asseoir à table, le président français remarque un mouchoir usagé sur la table. Il le range rapidement dans sa poche. Une vidéo de 15 secondes, à peine.
Il n’en a pas fallu davantage pour que l’ensemble de l’écosystème conspirationniste mondial s’emballe... Sur X, l’image est extraite, ralentie, surcommentée. Très vite, l’objet devient « suspect », puis « une pochette de cocaïne », et enfin, dans un emballement généralisé, la preuve que « les élites se droguent ensemble » . Parmi ces messages, une autre « preuve » est avancée : celle d’une paille pour se droguer qui serait posée à côté du bras de Friedrich Merz.
Outre-Atlantique, Alex Jones, animateur sulfureux d’Infowars, désinformateur professionnel et chantre du complotisme trumpiste, ne tarde pas à s’emparer de l’affaire. Dans une vidéo de presque 7 minutes diffuées sur X, il affirme que Macron aurait été filmé en train de « dissimuler de la drogue ». Il exige en direct que les trois dirigeants passent un test antidrogue. « Ils pensent qu’ils peuvent faire ça en plein jour sans conséquences, parce qu’ils se croient intouchables ! », tonne-t-il à son audience radicalisée. En quelques heures, le complotiste américain aux 4,4 millions d’abonnés sur X, publie 17 tweets.
Jones, condamné à verser près d’un milliard et demi de dollars à des familles de victimes de la tuerie de l'école Sandy Hook pour avoir affirmé et répété que le massacre était une mise en scène, n’en est pas à sa première offensive contre Macron, qu’il dépeint régulièrement comme un « pantin de Davos ».
En France, plusieurs figures familières de la complosphère relaient à leur tour la rumeur.
D’abord le site complotiste Qactus qui y va franco : « Macron Merz sniff party en équipe à Kiev pendant que l’Ukraine brûle ». L’article, truffé de conditionnels, de points d’interrogation et d’allusions appuyées, se conclut de la façon suivante : « Macron, Merz &Co nous offrent une nouvelle preuve que la politique est devenue un trip entre initiés. Entre deux rails (de "réformes"), ils snifferaient bien l’avenir de l’Europe. Et nous on paye l’addition. »
Silvano Trotta, théoricien de la Lune creuse, n'est pas en reste, affirmant sans ambages que l'on est « dirigé par des gens qui prennent de la coke ».
Alexis Haupt écrit, lui : « Je voulais commenter cette vidéo, dire un petit mot... mais le pire, c'est qu'il n'y a rien à ajouter. Les images parlent d’elles-mêmes. Ce qui se passe en France est d'une extrême gravité, et le plus terrible, c'est que beaucoup l'ignorent : ils vivent dans le Médiavers. »
Florian Philippot se demande ce que « planque » [archive] Emmanuel Macron, avant de disserter sur le fait que le président de la République serait la « honte de la France » [archive]. Yves Pozzo di Borgo, ex-sénateur LR, s'interroge lui sur la provenance de la drogue : « ça vient de Seine Saint-Denis ? C'est une question ! » [archive]
Au-delà de ces délires conspirationnistes classiques, d'autres profitent de cette séquence pour manier un grand confusionnisme qui consiste à relayer la fake news, puis à relayer son démenti, et enfin à se moquer de la polémique. Dans cette mouvance un acteur principal : le journaliste et essayiste Alexis Poulin.
Mode d'emploi du confusionnisme : étape 1 relayer la vidéo en l'accompagnant d'un « pochon club ».
Étape 2 : la relayer à nouveau en écrivant : « C'est un mouchoir ».
Étape 3 : Dénoncer une « instrumentalisation grossière pour hurler à la désinformation sur les réseaux sociaux ».
Dans cette discipline du confusionnisme, Bruno Gaccio, ancien auteur des Guignols de l’info devenu tribun de la contestation tous azimuts, partage la vidéo accompagnée d’un message ironique : « Sans déconner, c’est quoi ? » [archive]. Puis il relaye à nouveau la vidéo avec la mention d'un mouchoir. Un clin d’œil appuyé à ceux qui veulent y croire − sans dire qu’il y croit.
Face à l’emballement, Libération publie un fact-check rapide et limpide : « Non, Emmanuel Macron n’a pas caché de la cocaïne. » Il s’agit bien, comme le montre la séquence complète, d’un mouchoir en papier, rangé dans un sac avec une grande banalité. Aucun sachet, aucune poudre, aucune ligne. D'ailleurs des photos de l'AFP et d'AP en attestent. Mais le mal est fait. La vidéo, sortie de son contexte, circule dans plusieurs langues, notamment via les chaînes Telegram conspirationnistes pro-russes. Le terme « Macron coke » explose sur les moteurs de recherche, jusqu’à TikTok où les mèmes pullulent.
A tel point que l'Elysée publie sur X un message en français et en anglais.
Cette affaire du mouchoir s’inscrit dans une mécanique désormais bien rodée : une image anodine, sortie de son contexte, devient le support d’une fiction délirante, relayée par des figures d’autorité dans l’écosystème conspi, qui alimentent un récit global : celui d’élites corrompues, droguées, décadentes, qui se moquent des peuples.
La drogue, ici, joue un rôle symbolique puissant. Elle est à la fois marqueur de transgression et outil de déshumanisation. Accuser un dirigeant d’en consommer, c’est le disqualifier moralement, et faire basculer la critique politique dans le registre du soupçon paranoïaque. Il y a, dans cette obsession pour la « coke des puissants », un vieux fond complotiste nourri de fantasmes sur la décadence des élites. Macron, avec son allure contrôlée et sa posture de technocrate, devient une cible parfaite. L’affaire du mouchoir montre, une fois encore, combien l’image est devenue une arme de désinformation massive. Et combien certains milieux ne cherchent pas à comprendre le réel, mais à y projeter leurs croyances.
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