Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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La ligne de conduite de Yann Moix prête plus qu’à confusion

Publié par Valérie Igounet04 septembre 2019,

Provocants et violents, les écrits et les dessins antisémites de l’auteur s’inscrivent dans le courant post-négationniste apparu dans les années 1980, explique l’historienne Valérie Igounet dans une tribune au Monde.

Yann Moix (crédits : capture d'écran YouTube/librairie Mollat, Livre Paris 2017).

Les dessins et textes négationnistes de Yann Moix, révélés par L’Express en début de semaine dernière et extraits de sa publication Ushoahia sous-titrée « le magazine de l’extrême », datent des années 1989-1990. À ce moment, le négationnisme – apparu en France en 1948 et réactivé régulièrement depuis l’affaire Faurisson fin 1978 - est clairement identifié et combattu.

Dans Ushoahia, l’auteur d’Orléans use abondamment de cette propagande antisémite. Il qualifie Bernard-Henri Lévy de « youpin dont le crâne n’a hélas pas été rasé par les amis d’Adolf ». Il affirme que « chacun sait (…) que les camps de concentration n’ont jamais existé » ou encore  que « les juifs étaient heureux d’aller en camps pour se consumer dans quelque cendrier ». On peut également lire ceci : « Le contrat était celui-ci : l’Allemagne doit payer dix Francs par tête de circoncis. (…) Quel est (…) le stratagème ignominieux, puisque l’on ne retrouve pas le corps des morts ? Élémentaire : on compte les pyjamas qui ne sont pas portés par les prisonniers retrouvés vivants ! Comment des gouvernements ont-ils pu se laisser berner par un mensonge aussi éhonté ? »

La sémantique utilisée est évidemment loin d’être anodine. Baignée d’antisémitisme, de négationnisme et de complotisme, elle recycle les stéréotypes classiques de la propagande antijuive. Ce négationnisme désinhibé s’emploie à imposer une vision démonologique du monde contemporain. Il peut être mis en parallèle avec le « post-révisionnisme ». Ce courant, apparu à la fin des années 1980 et incarné par l’antisémite forcené Alain Guionnet, se révèle en inadéquation avec le discours faurissonien reposant sur une démarche soi-disant scientifique, affranchie de toute motivation politique.

« Holocause toujours, tu m’intéresses… »

Comme Moix, Guionnet abandonne toute précaution et exhibe un antisémitisme outrancier, provocateur. Le « post-révisionnisme » se consacre à « prouver » l’emprise juive sur le monde moderne tout en renouvelant le thème de la « conspiration juive mondiale ». Cette mainmise trouverait ses origines au début de l’histoire et son apogée avec le « mensonge du XXe siècle ». « Il n’y a pas eu de génocide des juifs et il y a bien eu arnaque, voilà tout. (...) Maintenant on connaît la chanson : “Holocause toujours, tu m’intéresses... Plus tu pleures, plus je crains... Plus tu palpes, plus je craque” » peut-on lire dans Revision, le « seul journal antijuif » (sic) et post-révisionniste. Ces écrits du même acabit que ceux d’Ushoahia – paraissent alors dans des publications marginales.

Aujourd’hui, le passé pas si lointain de Yann Moix ressurgit. Il est nécessaire de s’arrêter sur la « Pétition pour l’abrogation de la loi Gayssot et la libération de Vincent Reynouard », initiée par Paul-Éric-Blanrue, un des proches de Robert Faurisson. Mise en ligne en août 2010 sur Internet, la signature de Yann Moix s’ajoute à celles existantes, relevant en très grande majorité de personnes évoluant dans la mouvance négationniste et conspirationniste. L’écrivain la retire rapidement, invoquant qu’il ignorait que le nom de Faurisson apparaîtrait dans la liste des signataires.

Signer un texte sur lequel figure la mention Reynouard n’est pas neutre. Ancien membre du Parti nationaliste français et européen, cet homme n’a jamais caché son admiration pour le national-socialisme dans lequel il voit un « immense complexe intellectuel où l’économie, les arts, les sciences (exotériques et ésotériques), le social, l’hygiène de vie avaient leur place ». Cet ingénieur de formation est le premier enseignant révoqué de l’Éducation nationale pour cause de négationnisme en 1997. Auteur de plusieurs écrits et vidéos négationnistes, il a été condamné et emprisonné plusieurs fois pour apologie de crimes de guerre et contestation de crimes contre l’humanité. Invité d’honneur au banquet des 60 ans de Rivarol le 21 mai 2011, Vincent Reynouard y déclare doctement : « Vous me traitez de néo-nazi. Et moi, je vous dis : “pourquoi néo ?” Point final. C’est tout. Y’a rien d’autre à dire ».

Opération de réhabilitation

Paul-Éric Blanrue quant à lui est notamment l’initiateur de la rencontre entre Dieudonné M’bala M’bala et Robert Faurisson… à l’origine de la renaissance médiatique du négationniste français au début des années 2000. Cet ancien directeur du Bulletin légitimiste (une publication d’information royaliste de Lorraine), un temps adhérent au FN en Moselle puis converti à l’islam, s’est affiché à Téhéran en février 2011 en compagnie notamment de Dieudonné et de Thierry Meyssan. Dans son essai Sécession. L’art de désobéir (Fiat Lux, 2018), il évoque en ces termes Yann Moix : « un ami (très) intime » depuis le début des années 2000 qui aurait signé ce texte « en connaissance de cause ». Paul-Éric Blanrue revient également sur son hagiographie filmée de Robert Faurisson. Intitulée « Un homme », elle peut être visionnée à partir de l’automne 2011 sur plusieurs sites web dont un éponyme, en français et en arabe ainsi qu’un autre nommé holocauste.com. « Moix m’a encouragé à le faire », affirme-t-il. Sa réaction aurait été celle-ci « à la sortie du film (…) "Excellent, il n’y a aucun racisme" ».

Il arrive que des hommes ayant participé à cette histoire du négationnisme reviennent sur leur engagement en faisant preuve d’une autocritique plus ou moins convaincante. La plupart du temps, ils y sont contraints ; leur passé antisémite ayant été révélé à leur insu. Depuis quelques années, des interventions de Yann Moix sont marquées par un certain philosémitisme. En même temps, sa ligne de conduite prête plus qu’à confusion. Après avoir nié être l’auteur des textes paru dans Ushoahia, Yann Moix déclare aujourd’hui en assumer la responsabilité tout en rapportant cet épisode à une sorte d’erreur de jeunesse. Pourquoi avoir, depuis lors, continué de cheminer aux côtés de compagnons de route du négationnisme ?

 

(Une version abrégée de ce texte est parue aujourd'hui sur le site du Monde)

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Provocants et violents, les écrits et les dessins antisémites de l’auteur s’inscrivent dans le courant post-négationniste apparu dans les années 1980, explique l’historienne Valérie Igounet dans une tribune au Monde.

Yann Moix (crédits : capture d'écran YouTube/librairie Mollat, Livre Paris 2017).

Les dessins et textes négationnistes de Yann Moix, révélés par L’Express en début de semaine dernière et extraits de sa publication Ushoahia sous-titrée « le magazine de l’extrême », datent des années 1989-1990. À ce moment, le négationnisme – apparu en France en 1948 et réactivé régulièrement depuis l’affaire Faurisson fin 1978 - est clairement identifié et combattu.

Dans Ushoahia, l’auteur d’Orléans use abondamment de cette propagande antisémite. Il qualifie Bernard-Henri Lévy de « youpin dont le crâne n’a hélas pas été rasé par les amis d’Adolf ». Il affirme que « chacun sait (…) que les camps de concentration n’ont jamais existé » ou encore  que « les juifs étaient heureux d’aller en camps pour se consumer dans quelque cendrier ». On peut également lire ceci : « Le contrat était celui-ci : l’Allemagne doit payer dix Francs par tête de circoncis. (…) Quel est (…) le stratagème ignominieux, puisque l’on ne retrouve pas le corps des morts ? Élémentaire : on compte les pyjamas qui ne sont pas portés par les prisonniers retrouvés vivants ! Comment des gouvernements ont-ils pu se laisser berner par un mensonge aussi éhonté ? »

La sémantique utilisée est évidemment loin d’être anodine. Baignée d’antisémitisme, de négationnisme et de complotisme, elle recycle les stéréotypes classiques de la propagande antijuive. Ce négationnisme désinhibé s’emploie à imposer une vision démonologique du monde contemporain. Il peut être mis en parallèle avec le « post-révisionnisme ». Ce courant, apparu à la fin des années 1980 et incarné par l’antisémite forcené Alain Guionnet, se révèle en inadéquation avec le discours faurissonien reposant sur une démarche soi-disant scientifique, affranchie de toute motivation politique.

« Holocause toujours, tu m’intéresses… »

Comme Moix, Guionnet abandonne toute précaution et exhibe un antisémitisme outrancier, provocateur. Le « post-révisionnisme » se consacre à « prouver » l’emprise juive sur le monde moderne tout en renouvelant le thème de la « conspiration juive mondiale ». Cette mainmise trouverait ses origines au début de l’histoire et son apogée avec le « mensonge du XXe siècle ». « Il n’y a pas eu de génocide des juifs et il y a bien eu arnaque, voilà tout. (...) Maintenant on connaît la chanson : “Holocause toujours, tu m’intéresses... Plus tu pleures, plus je crains... Plus tu palpes, plus je craque” » peut-on lire dans Revision, le « seul journal antijuif » (sic) et post-révisionniste. Ces écrits du même acabit que ceux d’Ushoahia – paraissent alors dans des publications marginales.

Aujourd’hui, le passé pas si lointain de Yann Moix ressurgit. Il est nécessaire de s’arrêter sur la « Pétition pour l’abrogation de la loi Gayssot et la libération de Vincent Reynouard », initiée par Paul-Éric-Blanrue, un des proches de Robert Faurisson. Mise en ligne en août 2010 sur Internet, la signature de Yann Moix s’ajoute à celles existantes, relevant en très grande majorité de personnes évoluant dans la mouvance négationniste et conspirationniste. L’écrivain la retire rapidement, invoquant qu’il ignorait que le nom de Faurisson apparaîtrait dans la liste des signataires.

Signer un texte sur lequel figure la mention Reynouard n’est pas neutre. Ancien membre du Parti nationaliste français et européen, cet homme n’a jamais caché son admiration pour le national-socialisme dans lequel il voit un « immense complexe intellectuel où l’économie, les arts, les sciences (exotériques et ésotériques), le social, l’hygiène de vie avaient leur place ». Cet ingénieur de formation est le premier enseignant révoqué de l’Éducation nationale pour cause de négationnisme en 1997. Auteur de plusieurs écrits et vidéos négationnistes, il a été condamné et emprisonné plusieurs fois pour apologie de crimes de guerre et contestation de crimes contre l’humanité. Invité d’honneur au banquet des 60 ans de Rivarol le 21 mai 2011, Vincent Reynouard y déclare doctement : « Vous me traitez de néo-nazi. Et moi, je vous dis : “pourquoi néo ?” Point final. C’est tout. Y’a rien d’autre à dire ».

Opération de réhabilitation

Paul-Éric Blanrue quant à lui est notamment l’initiateur de la rencontre entre Dieudonné M’bala M’bala et Robert Faurisson… à l’origine de la renaissance médiatique du négationniste français au début des années 2000. Cet ancien directeur du Bulletin légitimiste (une publication d’information royaliste de Lorraine), un temps adhérent au FN en Moselle puis converti à l’islam, s’est affiché à Téhéran en février 2011 en compagnie notamment de Dieudonné et de Thierry Meyssan. Dans son essai Sécession. L’art de désobéir (Fiat Lux, 2018), il évoque en ces termes Yann Moix : « un ami (très) intime » depuis le début des années 2000 qui aurait signé ce texte « en connaissance de cause ». Paul-Éric Blanrue revient également sur son hagiographie filmée de Robert Faurisson. Intitulée « Un homme », elle peut être visionnée à partir de l’automne 2011 sur plusieurs sites web dont un éponyme, en français et en arabe ainsi qu’un autre nommé holocauste.com. « Moix m’a encouragé à le faire », affirme-t-il. Sa réaction aurait été celle-ci « à la sortie du film (…) "Excellent, il n’y a aucun racisme" ».

Il arrive que des hommes ayant participé à cette histoire du négationnisme reviennent sur leur engagement en faisant preuve d’une autocritique plus ou moins convaincante. La plupart du temps, ils y sont contraints ; leur passé antisémite ayant été révélé à leur insu. Depuis quelques années, des interventions de Yann Moix sont marquées par un certain philosémitisme. En même temps, sa ligne de conduite prête plus qu’à confusion. Après avoir nié être l’auteur des textes paru dans Ushoahia, Yann Moix déclare aujourd’hui en assumer la responsabilité tout en rapportant cet épisode à une sorte d’erreur de jeunesse. Pourquoi avoir, depuis lors, continué de cheminer aux côtés de compagnons de route du négationnisme ?

 

(Une version abrégée de ce texte est parue aujourd'hui sur le site du Monde)

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à propos de l'auteur
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Valérie Igounet
Directrice-adjointe de Conspiracy Watch, Valérie Igounet est docteure en histoire (Sciences Po Paris) et chercheuse associée à l’Institut d’Histoire du Temps Présent (CNRS). Ses recherches se situent au croisement de l’histoire politique et de l’histoire des idées. Spécialiste du négationnisme et de l’extrême droite en France après 1945, elle est notamment l’autrice de Robert Faurisson. Portrait d’un négationniste (Denoël, 2012), de Le négationnisme en France (PUF, Que sais-je ?, 2020) et des romans graphiques Ils sont partout. Voyage en terres conspirationnistes (Les Arènes, 2022) et Crayon noir. Samuel Paty, histoire d'un prof (StudioFact éditions, 2023). Elle a co-écrit avec Michaël Prazan le film documentaire « Les Faussaires de l’histoire » (France 5, 2014) et a animé le blog « Derrière le Front. Histoires, analyses et décodages du Front national » sur FranceTVinfo.fr.
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