Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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« Hold-up » : la complosphère rattrapée par la justice

Le délibéré du procès opposant l'inflectiologue Karine Lacombe à Pierre Barnérias, Christian Perronne et Martine Wonner est prévu pour le 31 mai prochain.

Montage CW.

Trois ans et demi après la diffusion de « Hold-up », un brûlot covido-complotiste de plus de 160 minutes, Pierre Barnérias était jugé vendredi pour diffamation publique, aux côtés du Pr Christian Perronne et de l’ex-députée Martine Wonner. Face à eux, la Pr Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, dont l’image et les propos ont été utilisés pour dénoncer un prétendu complot mondial derrière l’épidémie de Covid-19.

« Avez-vous songé à interviewer Karine Lacombe pour votre documentaire ? » demande la présidente du tribunal à Pierre Barnerias. « Absolument pas » concède du tac-au-tac l’ex-journaliste. Un aveu regrettable : cette précaution lui aurait peut-être évité de se retrouver, ce 5 avril 2024, devant la 17ème chambre correctionnelle du Tribunal de Paris.

Présentant de manière fallacieuse dans son film Karine Lacombe comme « la caution scientifique du gouvernement », Pierre Barnérias sous-entend également que l'infectiologue serait à la botte de l'industrie pharmaceutique. Un autre passage va jusqu'à suggérer qu’elle aurait joué un rôle dans « l’achèvement » des personnes âgées en Ehpad. Une vaste machination politico-médiatique aurait, d'un côté, privé les Français d’un traitement contre le Covid-19 qui, en réalité, n'a jamais fait ses preuves − et dont une étude récente estime même qu'il a entraîné la mort de milliers de personnes lors de la première vague pandémique −, et de l'autre, euthanasié délibérément et massivement les personnes âgées au moyen d’un sédatif, le Rivotril. À supposer que cela soit vrai, il s'agirait d'un terrible scandale. Mais cette vision complotiste, qui constitue l'un des axes forts de « Hold-up », ne résiste pas à l'épreuve des faits comme les questions de la Cour et de la partie civile ne cesseront de le rappeler à Pierre Barnérias.

D'où tient-il que Karine Lacombe aurait été corrompue par des laboratoires ? « Du site Transparence Santé, répond le prévenu. Mais je me suis rendu compte après coup qu'il y avait des homonymes de Karine Lacombe sur le site ». Un ange passe.

Et les plus de « 200 000 euros » que la Pr Lacombe aurait touché des laboratoires ? Il reconnaît une possible erreur de calcul, voire une erreur tout court. L’assesseur tente encore : « Et savez- vous ce que Madame Lacombe pense du Rivotril ? » Hésitation du prévenu, quelques bégaiements, avant de finalement reconnaître : « Ça, je ne peux pas vous dire. »

Au fil de l’audience, le réalisateur s’empêtre dans des explications et des rétropédalages confus. En toute bonne foi, assure-t-il, son documentaire voulait « ouvrir le débat » et « confronter des discours totalement opposés ». Encore eût-il fallu vraiment les confronter. Or, Pierre Barnérias n’a donné la parole qu'à des intervenants animés par la défiance à l'égard des institutions sanitaires, des complotistes notoires pour certains d'entre eux, complaisamment présentés comme des « lanceurs d'alertes ». Le tout au service d'un argumentaire partant d’une critique de la gestion de la crise sanitaire pour finir par suggérer que le Covid-19 s'inscrirait en réalité dans un vaste complot fomenté de longue date par Bill Gates, Jacques Attali ou encore le Forum économique mondial afin de décimer la moitié de l'humanité...

Hydroxychloroquine

Pour défier le discours « officiel », incarné dans le film par Karine Lacombe, Pierre Barnerias a donc interrogé plusieurs « experts » dont deux étaient également jugés vendredi dernier à ses côtés : le Pr Christian Perronne, ancien chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), et la psychiatre et ex-députée du Bas-Rhin Martine Wonner − absente au procès. Durant la crise sanitaire, ils se sont imposés comme des influenceurs de la mouvance covido-sceptique, défendant bec et ongles l’efficacité supposée de l’hydroxychloroquine contre le Covid-19 et dénonçant corrélativement le refus des autorités de santé de prescrire cette molécule. Devant la caméra complaisante de Pierre Barnerias, l’un comme l’autre répandent leurs thèses, comme en réponse aux extraits télévisés de la Pr Lacombe.

Par la voix de leurs avocats, Christian Perronne et Martine Wonner disent avoir été contactés par Pierre Barnérias pour s’exprimer sur l’hydroxychloroquine, indépendamment des passages où apparaît Karine Lacombe... Et n'hésitent pas à pointer la responsabilité du montage du film, autrement dit de Pierre Barnérias, qui les présente comme réagissant aux propos de l'infectiologue.

Les avocats des prévenus sont coutumiers de cette méthode de défense. C’est le cabinet de Carlo Alberto Brusa − présent au tout début de l'audience − qui a défendu Martine Wonner. L’avocat est à la tête de l’association Reaction19 qui se fixe pour mission de lutter contre « la dictature sanitaire » qu'aurait imposé le gouvernement. On l’a vu se mobiliser contre le port du masque, contre la vaccination et la plupart des mesures prises pour empêcher la propagation du virus.

Pierre Barnérias était défendu par Me Ludovic Heringuez, un proche de la sphère covido-sceptique connu pour avoir défendu Xavier Azalbert, le patron du site complotiste FranceSoir. Ce dernier, présent dans la salle, a d’ailleurs provoqué par deux fois des incidents de séance : la première parce qu'il refusait d'éteindre son téléphone et son ordinateur, excipant en vain de son statut de « journaliste » ; la seconde parce qu'il donnait la dictée à l'un de ses employés venu en renfort pour faire ce qu'il n'était autorisé à faire qu'à la condition d'être muni d'une carte de presse. Repris par deux fois par la présidente du tribunal, son attitude a été, à la demande du Parquet, notée au compte-rendu de l’audience.

L’avocat de Christian Perronne, Me Thomas Benages, est quant à lui connu pour avoir défendu plusieurs groupes de soignants suspendus en raison de leur refus de se vacciner contre le Covid-19. Durant leurs questions et leurs plaidoiries, tous ont ressassé l’étude clinique – illégale – dirigée par l’équipe du Pr Dider Raoult, directeur de l’IHU de Marseille, sur 30 000 patients et visant à démontrer l'efficacité de l’hydroxychloroquine comme traitement contre le coronavirus.

À la barre, un témoin de la partie civile, le Pr Frédéric Adnet, ancien chef du service SAMU-SMUR-SAU de Seine-Saint-Denis, un des départements les plus touchés par l’épidémie, leur a opposé son expertise. Mais quelle légitimité a-t-elle puisqu’il n’est pas infectiologue, l’interroge la défense : « Mon domaine d’expertise, ce sont les essais cliniques : c'est-à-dire attribuer des niveaux de preuves sur l’efficacité ou non de certains médicaments. J’ai consulté cette étude [de l’IHU de Marseille – ndlr]. Et elle est à un très faible niveau de preuve » rétorque patiemment cet auteur de plusieurs ouvrages sur l’étude clinique.

Le témoignage du Pr Adnet visait également à contredire l’intervention du pharmacien Serge Rader, autre « expert » du documentaire (il était le conseiller « médicaments » de Nicolas Dupont-Aignan...), décédé en 2021 après avoir contracté le Covid-19. Rader accusait les autorités de santé, incarnées par Karine Lacombe dans le film, de s'ingénier à achever les personnes âgées, une thèse rapidement démentie à l'époque par la Société Française de Gériatrie et Gérontologie et par les contre-enquêtes journalistiques mais propagée largement par de nombreux influenceurs complotistes ou encore des élus comme Meyer Habib, Alain Houpert et Gilbert Collard.

Frédéric Adnet a défendu sa consoeur, assurant que toutes les personnes âgées dont l’état le nécessitait avaient bien été prises en charge par les services de réanimation dans son département et que le Rivotril ne faisait pas partie du protocole de traitement contre le Covid-19.

Deux autres témoins de la partie civile sont venues s’exprimer en faveur de Karine Lacombe. Ancien conseiller de l’ex-ministre de la Santé Olivier Véran, le Pr Xavier Lescure a lui aussi été la cible d'une campagne de désinformation impliquant Fabrice Di Vizio, Bruno Gaccio ou encore Corinne Reverbel (voir ici, ou encore ). Il participait à tous les comités et conseils scientifiques du gouvernement lors de la crise sanitaire. Il a démenti formellement une quelconque participation de Karine Lacombe à ces instances.

Le directeur de Conspiracy Watch, Rudy Reichstadt, a enfin été cité comme témoin par la partie civile. Il a montré en quoi le propos de « Hold-up » s’inscrivait dans une rhétorique typiquement complotiste dans la mesure où le film suggère pesamment qu'il existe un vaste complot criminel mondial dont Karine Lacombe serait l'un des agents. Il a rappelé à cet égard que les enquêtes journalistiques relatives aux liens d'intérêt du Pr Lacombe étaient facilement trouvables, plusieurs mois avant la diffusion en novembre 2020 de « Hold-up », par exemple dans Libération, dès la fin mars 2020, ou sur les sites de France Info et de l'AFP, toutes informations dont Pierre Barnérias n'a tenu aucun compte dans son film. Il a expliqué que la narration de « Hold-up » avait recours, sur près de trois heures, à la technique dite du « millefeuille argumentatif », qui consiste à juxtaposer des arguments empruntés à des champs très variés de la connaissance afin de produire un effet d'intimidation intellectuelle propre à jeter le doute sur la réalité. Il a expliqué la difficulté à contrer un tel discours qui vise à prendre de court toute entreprise de réfutation systématique : « Son propos vous met dans une situation d’asymétrie. C’est difficile de contredire tout cela rapidement. » Interrogé par la défense, il a cité deux cas d'allégations erronées caractérisées qui ont été proférées par le Pr Perronne concernant aussi bien les effets de la vaccination sur les femmes enceintes que le nombre de morts respectifs en Allemagne et en France au printemps 2020.

À la barre, Karine Lacombe a pu exposer sa situation et les raisons de sa plainte : pour avoir apporté son expertise sur la crise sanitaire, elle est harcelée depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux « en tant que médecin et en tant que femme ». Elle dit aujourd’hui vouloir « continuer à porter la voix de la science sans que sa parole soit bâillonnée ». Questionnée par la défense sur la différence qu'il y aurait, selon elle, entre conflit d’intérêts et lien d’intérêts, Karine Lacombe a fait une réponse cinglante : « Ce n’est pas mon opinion, c’est la réglementation ». Le conflit d'intérêt est en effet défini par la loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique. Elle a précisé n'avoir jamais été en situation de conflit d'intérêts mais avoir eu en revanche des liens d'intérêts qu'elle a déclarés publiquement, conformément à ses obligations.

Le ministère public a estimé dans son réquisitoire que certains des passages incriminés dans « Hold-up » étaient suffisants pour entrer en voie de condamnation.

Le délibéré du procès est attendu le 31 mai prochain.

 


Le sketchnote du procès, par Ogé :

 

© 2024 Conspiracy Watch
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Le live-tweet, de Perla Msika :

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Montage CW.

Trois ans et demi après la diffusion de « Hold-up », un brûlot covido-complotiste de plus de 160 minutes, Pierre Barnérias était jugé vendredi pour diffamation publique, aux côtés du Pr Christian Perronne et de l’ex-députée Martine Wonner. Face à eux, la Pr Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, dont l’image et les propos ont été utilisés pour dénoncer un prétendu complot mondial derrière l’épidémie de Covid-19.

« Avez-vous songé à interviewer Karine Lacombe pour votre documentaire ? » demande la présidente du tribunal à Pierre Barnerias. « Absolument pas » concède du tac-au-tac l’ex-journaliste. Un aveu regrettable : cette précaution lui aurait peut-être évité de se retrouver, ce 5 avril 2024, devant la 17ème chambre correctionnelle du Tribunal de Paris.

Présentant de manière fallacieuse dans son film Karine Lacombe comme « la caution scientifique du gouvernement », Pierre Barnérias sous-entend également que l'infectiologue serait à la botte de l'industrie pharmaceutique. Un autre passage va jusqu'à suggérer qu’elle aurait joué un rôle dans « l’achèvement » des personnes âgées en Ehpad. Une vaste machination politico-médiatique aurait, d'un côté, privé les Français d’un traitement contre le Covid-19 qui, en réalité, n'a jamais fait ses preuves − et dont une étude récente estime même qu'il a entraîné la mort de milliers de personnes lors de la première vague pandémique −, et de l'autre, euthanasié délibérément et massivement les personnes âgées au moyen d’un sédatif, le Rivotril. À supposer que cela soit vrai, il s'agirait d'un terrible scandale. Mais cette vision complotiste, qui constitue l'un des axes forts de « Hold-up », ne résiste pas à l'épreuve des faits comme les questions de la Cour et de la partie civile ne cesseront de le rappeler à Pierre Barnérias.

D'où tient-il que Karine Lacombe aurait été corrompue par des laboratoires ? « Du site Transparence Santé, répond le prévenu. Mais je me suis rendu compte après coup qu'il y avait des homonymes de Karine Lacombe sur le site ». Un ange passe.

Et les plus de « 200 000 euros » que la Pr Lacombe aurait touché des laboratoires ? Il reconnaît une possible erreur de calcul, voire une erreur tout court. L’assesseur tente encore : « Et savez- vous ce que Madame Lacombe pense du Rivotril ? » Hésitation du prévenu, quelques bégaiements, avant de finalement reconnaître : « Ça, je ne peux pas vous dire. »

Au fil de l’audience, le réalisateur s’empêtre dans des explications et des rétropédalages confus. En toute bonne foi, assure-t-il, son documentaire voulait « ouvrir le débat » et « confronter des discours totalement opposés ». Encore eût-il fallu vraiment les confronter. Or, Pierre Barnérias n’a donné la parole qu'à des intervenants animés par la défiance à l'égard des institutions sanitaires, des complotistes notoires pour certains d'entre eux, complaisamment présentés comme des « lanceurs d'alertes ». Le tout au service d'un argumentaire partant d’une critique de la gestion de la crise sanitaire pour finir par suggérer que le Covid-19 s'inscrirait en réalité dans un vaste complot fomenté de longue date par Bill Gates, Jacques Attali ou encore le Forum économique mondial afin de décimer la moitié de l'humanité...

Hydroxychloroquine

Pour défier le discours « officiel », incarné dans le film par Karine Lacombe, Pierre Barnerias a donc interrogé plusieurs « experts » dont deux étaient également jugés vendredi dernier à ses côtés : le Pr Christian Perronne, ancien chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), et la psychiatre et ex-députée du Bas-Rhin Martine Wonner − absente au procès. Durant la crise sanitaire, ils se sont imposés comme des influenceurs de la mouvance covido-sceptique, défendant bec et ongles l’efficacité supposée de l’hydroxychloroquine contre le Covid-19 et dénonçant corrélativement le refus des autorités de santé de prescrire cette molécule. Devant la caméra complaisante de Pierre Barnerias, l’un comme l’autre répandent leurs thèses, comme en réponse aux extraits télévisés de la Pr Lacombe.

Par la voix de leurs avocats, Christian Perronne et Martine Wonner disent avoir été contactés par Pierre Barnérias pour s’exprimer sur l’hydroxychloroquine, indépendamment des passages où apparaît Karine Lacombe... Et n'hésitent pas à pointer la responsabilité du montage du film, autrement dit de Pierre Barnérias, qui les présente comme réagissant aux propos de l'infectiologue.

Les avocats des prévenus sont coutumiers de cette méthode de défense. C’est le cabinet de Carlo Alberto Brusa − présent au tout début de l'audience − qui a défendu Martine Wonner. L’avocat est à la tête de l’association Reaction19 qui se fixe pour mission de lutter contre « la dictature sanitaire » qu'aurait imposé le gouvernement. On l’a vu se mobiliser contre le port du masque, contre la vaccination et la plupart des mesures prises pour empêcher la propagation du virus.

Pierre Barnérias était défendu par Me Ludovic Heringuez, un proche de la sphère covido-sceptique connu pour avoir défendu Xavier Azalbert, le patron du site complotiste FranceSoir. Ce dernier, présent dans la salle, a d’ailleurs provoqué par deux fois des incidents de séance : la première parce qu'il refusait d'éteindre son téléphone et son ordinateur, excipant en vain de son statut de « journaliste » ; la seconde parce qu'il donnait la dictée à l'un de ses employés venu en renfort pour faire ce qu'il n'était autorisé à faire qu'à la condition d'être muni d'une carte de presse. Repris par deux fois par la présidente du tribunal, son attitude a été, à la demande du Parquet, notée au compte-rendu de l’audience.

L’avocat de Christian Perronne, Me Thomas Benages, est quant à lui connu pour avoir défendu plusieurs groupes de soignants suspendus en raison de leur refus de se vacciner contre le Covid-19. Durant leurs questions et leurs plaidoiries, tous ont ressassé l’étude clinique – illégale – dirigée par l’équipe du Pr Dider Raoult, directeur de l’IHU de Marseille, sur 30 000 patients et visant à démontrer l'efficacité de l’hydroxychloroquine comme traitement contre le coronavirus.

À la barre, un témoin de la partie civile, le Pr Frédéric Adnet, ancien chef du service SAMU-SMUR-SAU de Seine-Saint-Denis, un des départements les plus touchés par l’épidémie, leur a opposé son expertise. Mais quelle légitimité a-t-elle puisqu’il n’est pas infectiologue, l’interroge la défense : « Mon domaine d’expertise, ce sont les essais cliniques : c'est-à-dire attribuer des niveaux de preuves sur l’efficacité ou non de certains médicaments. J’ai consulté cette étude [de l’IHU de Marseille – ndlr]. Et elle est à un très faible niveau de preuve » rétorque patiemment cet auteur de plusieurs ouvrages sur l’étude clinique.

Le témoignage du Pr Adnet visait également à contredire l’intervention du pharmacien Serge Rader, autre « expert » du documentaire (il était le conseiller « médicaments » de Nicolas Dupont-Aignan...), décédé en 2021 après avoir contracté le Covid-19. Rader accusait les autorités de santé, incarnées par Karine Lacombe dans le film, de s'ingénier à achever les personnes âgées, une thèse rapidement démentie à l'époque par la Société Française de Gériatrie et Gérontologie et par les contre-enquêtes journalistiques mais propagée largement par de nombreux influenceurs complotistes ou encore des élus comme Meyer Habib, Alain Houpert et Gilbert Collard.

Frédéric Adnet a défendu sa consoeur, assurant que toutes les personnes âgées dont l’état le nécessitait avaient bien été prises en charge par les services de réanimation dans son département et que le Rivotril ne faisait pas partie du protocole de traitement contre le Covid-19.

Deux autres témoins de la partie civile sont venues s’exprimer en faveur de Karine Lacombe. Ancien conseiller de l’ex-ministre de la Santé Olivier Véran, le Pr Xavier Lescure a lui aussi été la cible d'une campagne de désinformation impliquant Fabrice Di Vizio, Bruno Gaccio ou encore Corinne Reverbel (voir ici, ou encore ). Il participait à tous les comités et conseils scientifiques du gouvernement lors de la crise sanitaire. Il a démenti formellement une quelconque participation de Karine Lacombe à ces instances.

Le directeur de Conspiracy Watch, Rudy Reichstadt, a enfin été cité comme témoin par la partie civile. Il a montré en quoi le propos de « Hold-up » s’inscrivait dans une rhétorique typiquement complotiste dans la mesure où le film suggère pesamment qu'il existe un vaste complot criminel mondial dont Karine Lacombe serait l'un des agents. Il a rappelé à cet égard que les enquêtes journalistiques relatives aux liens d'intérêt du Pr Lacombe étaient facilement trouvables, plusieurs mois avant la diffusion en novembre 2020 de « Hold-up », par exemple dans Libération, dès la fin mars 2020, ou sur les sites de France Info et de l'AFP, toutes informations dont Pierre Barnérias n'a tenu aucun compte dans son film. Il a expliqué que la narration de « Hold-up » avait recours, sur près de trois heures, à la technique dite du « millefeuille argumentatif », qui consiste à juxtaposer des arguments empruntés à des champs très variés de la connaissance afin de produire un effet d'intimidation intellectuelle propre à jeter le doute sur la réalité. Il a expliqué la difficulté à contrer un tel discours qui vise à prendre de court toute entreprise de réfutation systématique : « Son propos vous met dans une situation d’asymétrie. C’est difficile de contredire tout cela rapidement. » Interrogé par la défense, il a cité deux cas d'allégations erronées caractérisées qui ont été proférées par le Pr Perronne concernant aussi bien les effets de la vaccination sur les femmes enceintes que le nombre de morts respectifs en Allemagne et en France au printemps 2020.

À la barre, Karine Lacombe a pu exposer sa situation et les raisons de sa plainte : pour avoir apporté son expertise sur la crise sanitaire, elle est harcelée depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux « en tant que médecin et en tant que femme ». Elle dit aujourd’hui vouloir « continuer à porter la voix de la science sans que sa parole soit bâillonnée ». Questionnée par la défense sur la différence qu'il y aurait, selon elle, entre conflit d’intérêts et lien d’intérêts, Karine Lacombe a fait une réponse cinglante : « Ce n’est pas mon opinion, c’est la réglementation ». Le conflit d'intérêt est en effet défini par la loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique. Elle a précisé n'avoir jamais été en situation de conflit d'intérêts mais avoir eu en revanche des liens d'intérêts qu'elle a déclarés publiquement, conformément à ses obligations.

Le ministère public a estimé dans son réquisitoire que certains des passages incriminés dans « Hold-up » étaient suffisants pour entrer en voie de condamnation.

Le délibéré du procès est attendu le 31 mai prochain.

 


Le sketchnote du procès, par Ogé :

 

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Le live-tweet, de Perla Msika :

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à propos de l'auteur
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Perla Msika
Fondatrice de La Perle, web media d'actualité artistique et culturelle, Perla Msika est journaliste. Passée par RFI, parfois sur BFM, elle écrit dans Elle, dans Franc-Tireur et dans Conspiracy Watch.
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