Peu connu du grand public, le fondateur de Géopolitique Profonde est devenu l’un des relais francophones les plus actifs de la machine de désinformation russe. Retour sur le parcours d’un influenceur aux méthodes sulfureuses.
Le 20 mai, dans une salle de conférence du Centre National « RUSSIA » à Moscou, plusieurs « leaders d'opinion » de différentes nationalités étaient invités à s'exprimer pour vanter le modèle russe et la figure de Vladimir Poutine. Parmi eux, deux Français. Le premier, Alain Soral, est un mastodonte de la « Dissidence » hexagonale. Cumulant les condamnations pour incitation à la haine raciale, négationnisme ou apologie de crimes contre l'humanité, le sexagénaire a profité de la tribune moscovite pour encenser le Président russe, seul capable d'empêcher le « triomphe définitif […] des judéos-nazis ukrainiens et [des] judéos-nazis sionistes et israéliens ». Un classique !
Le second, plus jeune, semble moins sûr de lui. Flottant dans un costume mal taillé et affublé d'une extravagante coupe de cheveux, Franck Pengam − présenté comme « chercheur en processus international » − est lui aussi monté au pupitre. S'il n'a pas encore l'expérience et l'éloquence d'un Soral, il partage avec le polémiste antisémite une fascination certaine pour le maître du Kremlin.
Devant un public clairsemé, Franck Pengam a martelé que la Russie est « un modèle de souveraineté », contrairement à une France « sous domination américaine ». « Admiratif » du pays des Tsars, il confie même vouloir faire la promotion de ses « nouvelles technologies » et de son « idéologie ». « Et on espère un jour que vous allez nous aider également à retrouver notre souveraineté en France », conclut-il, des rêves plein les yeux.
S'il est inconnu du grand public, Franck Pengam n'en demeure pas moins un personnage clé dans l'écosystème complotiste francophone. Auteur de livres sur l'industrie minière, homme d'affaires à ses heures perdues, il est surtout le fondateur de Géopolitique Profonde, un média racoleur réunissant plus de 650 000 abonnés cumulés sur ses trois chaînes YouTube (GPTV, GPTV INVESTIGATION et GPTV L'ESSENTIEL). Emmené par le truculent Mike Borowski, ce conglomérat haut en couleurs est devenu incontournable dans les sphères dites « alternatives ». Négationnistes, pro-russes, antivax, « brigittologues », climato-sceptiques, souverainistes, antisémites, intégristes, crudivoristes, suprémacistes... Tout le ban et l'arrière-ban de la complosphère s'y est rendu.
En quelques années, Franck Pengam a donc réussi à bâtir un petit empire de la désinformation. De quoi lui ouvrir certaines portes en haut lieu. Il y a quelques mois, le trentenaire était par exemple invité à Mar-a-Lago, dans la résidence privée de Donald Trump, lors d'une « soirée exceptionnelle » organisée par America's Future. Cette ONG, fondée par le général Michael Flynn, une figure de la mouvance QAnon, a pour principaux objectifs de « promouvoir la famille [et] le capitalisme de marché », « protéger les valeurs américaines » et « revitaliser le rôle de la foi ».
Tout un programme. Pour le boss de Géopolitique Profonde, l'occasion de « faire beaucoup de contacts et travailler un peu les réseaux américains » est trop belle. Sur Instagram, le frenchie s'affiche tout sourire aux côtés du général Flynn et du boxeur trumpiste Mike Tyson et assure avoir échangé avec « le gratin des personnalités américaines ». Etaient notamment présents l'ancienne actrice conspi Roseanne Barr, le guitariste pro-armes Ted Nugent, l'humoriste britannique accusé d'abus sexuels Russell Brand ou encore Janice Trey, la PDG d'Epoch Times, un média chinois associé à la secte Falun Gong. Cerise sur le gâteau : le président américain en personne a gratifié ses hôtes d'un petit speech.
Avant de tutoyer le gotha de la conspicratie trumpienne, Franck Pengam a eu plusieurs vies. Fils d'un père breton et d'une mère ivoirienne, il a notamment effectué (selon l'un de ses CV laissé en ligne) un stage au ministère des Affaires étrangères à Abidjan durant lequel il aurait écrit des « notes de synthèse à l’attention du Ministre et des ambassades étrangères ». En 2016, il opère un premier virage complotiste en s'associant avec Les Crises, site confusionniste − et volontiers pro-russe − dirigé par Olivier Berruyer. Sa mission ? Rédiger un « chapitre scientifique sur les liens historiques entre l’Occident et le terrorisme international dans le cadre d’un ouvrage collectif ». Aujourd'hui, toute trace de ce travail a disparu.
Deux ans plus tard, Pengam fonde Géopolitique Profonde. A l'époque, la structure n'a pas la même dimension qu'aujourd'hui. Mais le verbiage conspi est déjà de rigueur. Se plaçant « aux antipodes de l'oligarchie politico-financière qui muselle les médias », le site milite pour une « défense stricte de la souveraineté française » et s'empare des « thèmes faisant pâlir les bien-pensants de l'idéologie dominante ». Comprendre : le « politiquement correct », « l'immigration de masse », le « carcan européen », le « mondialisme », « l'Etat profond »...
En mars 2019, après un petit passage dans une radio associative bordelaise, il signe un article sur le site Geopolitika.ru. Cette plateforme « coopère étroitement avec le Mouvement international eurasiatique », une ONG fondée par l'idéologue rouge-brun Alexandre Douguine. Selon Franck Pengam, « Douguine développe une pensée originale qui vise à contrecarrer la domination doctrinale et militaire atlantiste au profit d’un renouveau de la Russie dans un espace eurasien ». Rappelons qu'en 2013, le penseur ultra-nationaliste russe proposait d'« envahir » l'Europe, de la « conquérir » et de l'« annexer »...
L'année suivante, Franck Pengam se lance sur YouTube. Et achève sa mue complotiste. Dans l'une de ses premières vidéos, il chronique un livre intitulé « La grande invasion », publié chez Kontre-Kulture, la maison d'édition d'Alain Soral. Il y affirme que « l'immigration de masse » est « le fruit d'une promotion et d'une organisation certaine ».
A la même époque, notre propagandiste en herbe quitte la France et s'installe en Bulgarie, pays d'où il lance plusieurs business, opaques, parmi lesquelles Solution ILP qui exploite le site de Géopolitique Profonde.
Au fil de ses pérégrinations entrepreneuriales, l'homme d'affaires n'a pas toujours laissé une bonne image. « C'était difficile de travailler avec Franck, son ego est démesuré et il ne comprend tout simplement pas les exigences de la loi », déplore l'un de ses anciens collaborateurs qui l'accuse également de l'avoir arnaqué. Le reproche est récurrent. En mars 2023, Géopolitique Profonde était épinglé sur Warning Trading, un site spécialisé dans l’actualité des escroqueries financières sur Internet. Des avis laissés en ligne semblent corroborer ce constat. Un internaute dénonce par exemple une « commande de près de 50 euros faite à [son] insu avec [sa] carte bancaire ». Un autre assure carrément avoir été débité de 2000 euros après que le site lui a « vendu un investissement qui, après virement, serait seulement un achat de formation » et sans même avoir signé de contrat. Même constat sur un forum du site Signal Arnaques. L'engagement de remboursement après période d'essai, la livraison des livres mensuels normalement promis, la qualité des formations : tout, ou presque, laisserait à désirer.
Le 21 septembre 2024, Jean-Maxime Corneille, ancien présentateur de Géopolitique Profonde et huitième couteau de la complosphère, publie une vidéo cinglante à l'encontre de Franck Pengam. Selon ses dires, il aurait été injustement licencié, en représailles d'un désaccord concernant le partage des bénéfices de son livre. Franck Pengam aurait imposé un mode de communication « malsain et dominateur », « maquillé les comptes » concernant les ventes de l'ouvrage et pratiqué un « chantage assumé » à son égard avec « des éléments de langage quasiment mafieux assorti d'un irrespect notable ». L'ex associé assure avoir porté plainte pour « escroquerie ».
Au sein de sa propre famille idéologique, les méthodes utilisées par Franck Pengam et son entourage peuvent être agressives. Charles Gave, économiste fondateur du think tank conservateur Institut des Libertés, très apprécié dans la complosphère et proche de l'extrême droite identitaire, en a fait les frais. En 2022, par l'intermédiaire de sa fille Emmanuelle Gave, l'octogénaire accuse Franck Pengam d'avoir utilisé son image de manière abusive afin de vendre des produits financiers. « Il prenait toute notre clientèle et allait en messagerie privée pour leur vendre ses lettres d'investissement […] en se prévalant d'une promiscuité qui n'était pas », détaille l'entrepreneur dans un post. En réponse, Franck Pengam et Mike Borowski s'associent pour porter plainte contre Emmanuelle et Charles Gave leur reprochant d'avoir publié sur les réseaux sociaux des messages qu'ils considèrent comme diffamatoires, les accusant d'être des « usurpateurs et des escrocs » et réclamant 50 000 euros de dommages et intérêts pour chacun d'eux.
Le tribunal en a décidé autrement. Le 16 octobre 2024, les juges ont débouté les plaignants et les ont condamnés aux dépens et au paiement de 1500 euros au titre des frais irrépétibles.
On l'aura compris, Franck Pengam a les dents longues. Dans son insatiable quête de succès, le patron de Géopolitique Profonde est prêt à toutes les compromissions... notamment celles impliquant un régime autoritaire accusé de crimes contre l'humanité. En mars 2024, il fait partie des 115 observateurs « indépendants » à s'être rendus en Russie pour garantir la bonne tenue des élections présidentielles. Un exercice habituel pour la plupart des idiots utiles du Kremlin. Bon élève, Franck Pengam accorde quelques interviews à la presse locale. Louant la qualité et l'organisation des bureaux de vote de la Fédération − signe, selon lui, de la vitalité de la démocratie russe −, le touriste dit même avoir été « surpris par la victoire éclatante de Vladimir Poutine ».
De retour en France, Franck Pengam parachève son opération de propagande sur le plateau de Géopolitique Profonde. Quitte à frôler l'excès de zèle : « Poutine, c'est la Russie. […] Les gens l'ont dans la peau, leur Président c'est leur empereur ». Difficile donc, pour lui, d'envisager que les élections organisées en Russie ne soient pas libres et non faussées. Il conclut d'ailleurs en qualifiant le mode de gouvernance de l'autocrate de « régime démocratique avancé ». L'amour du travail bien fait.
L'aventure est concluante puisqu'un an plus tard, en mai 2025, il se rend de nouveau à Moscou, cette fois accompagné de Soral.
Le début d'une véritable tournée de rock star de la désinformation. Accompagné de son équipe, Franck Pengam se rend dans le Donbass et visite Lougansk, Donetsk et Marioupol, ville pilonnée par l'armée russe, « pour voir ce que les caméras occidentales ne montrent jamais ». L'apprenti reporter est formel : « Ce que j’ai vu là-bas détruit le récit imposé en France. Pas de guerre commencée en 2022, pas d’invasion. Juste un abandon. Et une volonté populaire de rattachement à la Russie, ignorée par tous. Les médias n’en parleront pas. Moi, je le fais. Parce que là-bas, chaque silence tue un peu plus. »
Quelques jours plus tard, il rend compte de son excursion sur le plateau de Russia Today, en compagnie d'Alain Soral, Xavier Moreau et Youssef Hindi (en duplex). Consciencieux, Franck Pengam s'attache à répéter mot pour mot les éléments de langage du Kremlin. « Dès 2014, les Ukrainiens ont lancé des missiles sur leur propre population », explique-t-il par exemple pour justifier l'invasion du pays, déplorant que Kiev ait « voulu basculer vers l'Ouest ».
Comme lors de son séjour aux Etats-Unis, le fondateur de Géopolitique Profonde en profite pour tisser des liens et approfondir certaines relations. Le 17 mai, il prend la pose avec son idole Alexandre Douguine. Le même jour, il annonce la tenue de deux semaines d'émissions tournées en Russie avec « l'élite politique intellectuelle, politique, et culturelle » du pays. Et pas n'importe laquelle. Parmi les invités de Géopolitique Profonde, Alexeï Pouchkov, sénateur et président de la commission des Affaires étrangères à la Douma, Margarita Simonian, rédactrice en cheffe de Russia Today, Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères ou encore Piotr Tolstoï, le Vice-président de la Douma.
Au point que le jeune Français commence à se faire une réputation par delà l'Oural. Son nom est cité dans de nombreux médias russes, à commencer par Tass, l'équivalent de l'AFP, mais aussi sur le site Pravfond.ru, une organisation créée par Dmitri Medvedev utilisée comme relai de financement d'opérations de déstabilisation dans les pays occidentaux, sur celui de la Fondation Rousskii Mir, créée par Poutine en 2007, sur Ridus.ru, soupçonné de collaboration avec l'administration présidentielle russe, ou encore sur Fedpress.ru, un média proche du gouvernement.
De quoi jeter le trouble sur les sources de financement de Géopolitique Profonde ? Pas le moins du monde, selon le principal intéressé, qui balaie ces accusations d'un revers de la main : « Vladimir Poutine ne nous donne pas d'argent, malheureusement, ça serait trop facile. » A suivre...
Contacté, Franck Pengam ne nous a pas repondu.
Le 20 mai, dans une salle de conférence du Centre National « RUSSIA » à Moscou, plusieurs « leaders d'opinion » de différentes nationalités étaient invités à s'exprimer pour vanter le modèle russe et la figure de Vladimir Poutine. Parmi eux, deux Français. Le premier, Alain Soral, est un mastodonte de la « Dissidence » hexagonale. Cumulant les condamnations pour incitation à la haine raciale, négationnisme ou apologie de crimes contre l'humanité, le sexagénaire a profité de la tribune moscovite pour encenser le Président russe, seul capable d'empêcher le « triomphe définitif […] des judéos-nazis ukrainiens et [des] judéos-nazis sionistes et israéliens ». Un classique !
Le second, plus jeune, semble moins sûr de lui. Flottant dans un costume mal taillé et affublé d'une extravagante coupe de cheveux, Franck Pengam − présenté comme « chercheur en processus international » − est lui aussi monté au pupitre. S'il n'a pas encore l'expérience et l'éloquence d'un Soral, il partage avec le polémiste antisémite une fascination certaine pour le maître du Kremlin.
Devant un public clairsemé, Franck Pengam a martelé que la Russie est « un modèle de souveraineté », contrairement à une France « sous domination américaine ». « Admiratif » du pays des Tsars, il confie même vouloir faire la promotion de ses « nouvelles technologies » et de son « idéologie ». « Et on espère un jour que vous allez nous aider également à retrouver notre souveraineté en France », conclut-il, des rêves plein les yeux.
S'il est inconnu du grand public, Franck Pengam n'en demeure pas moins un personnage clé dans l'écosystème complotiste francophone. Auteur de livres sur l'industrie minière, homme d'affaires à ses heures perdues, il est surtout le fondateur de Géopolitique Profonde, un média racoleur réunissant plus de 650 000 abonnés cumulés sur ses trois chaînes YouTube (GPTV, GPTV INVESTIGATION et GPTV L'ESSENTIEL). Emmené par le truculent Mike Borowski, ce conglomérat haut en couleurs est devenu incontournable dans les sphères dites « alternatives ». Négationnistes, pro-russes, antivax, « brigittologues », climato-sceptiques, souverainistes, antisémites, intégristes, crudivoristes, suprémacistes... Tout le ban et l'arrière-ban de la complosphère s'y est rendu.
En quelques années, Franck Pengam a donc réussi à bâtir un petit empire de la désinformation. De quoi lui ouvrir certaines portes en haut lieu. Il y a quelques mois, le trentenaire était par exemple invité à Mar-a-Lago, dans la résidence privée de Donald Trump, lors d'une « soirée exceptionnelle » organisée par America's Future. Cette ONG, fondée par le général Michael Flynn, une figure de la mouvance QAnon, a pour principaux objectifs de « promouvoir la famille [et] le capitalisme de marché », « protéger les valeurs américaines » et « revitaliser le rôle de la foi ».
Tout un programme. Pour le boss de Géopolitique Profonde, l'occasion de « faire beaucoup de contacts et travailler un peu les réseaux américains » est trop belle. Sur Instagram, le frenchie s'affiche tout sourire aux côtés du général Flynn et du boxeur trumpiste Mike Tyson et assure avoir échangé avec « le gratin des personnalités américaines ». Etaient notamment présents l'ancienne actrice conspi Roseanne Barr, le guitariste pro-armes Ted Nugent, l'humoriste britannique accusé d'abus sexuels Russell Brand ou encore Janice Trey, la PDG d'Epoch Times, un média chinois associé à la secte Falun Gong. Cerise sur le gâteau : le président américain en personne a gratifié ses hôtes d'un petit speech.
Avant de tutoyer le gotha de la conspicratie trumpienne, Franck Pengam a eu plusieurs vies. Fils d'un père breton et d'une mère ivoirienne, il a notamment effectué (selon l'un de ses CV laissé en ligne) un stage au ministère des Affaires étrangères à Abidjan durant lequel il aurait écrit des « notes de synthèse à l’attention du Ministre et des ambassades étrangères ». En 2016, il opère un premier virage complotiste en s'associant avec Les Crises, site confusionniste − et volontiers pro-russe − dirigé par Olivier Berruyer. Sa mission ? Rédiger un « chapitre scientifique sur les liens historiques entre l’Occident et le terrorisme international dans le cadre d’un ouvrage collectif ». Aujourd'hui, toute trace de ce travail a disparu.
Deux ans plus tard, Pengam fonde Géopolitique Profonde. A l'époque, la structure n'a pas la même dimension qu'aujourd'hui. Mais le verbiage conspi est déjà de rigueur. Se plaçant « aux antipodes de l'oligarchie politico-financière qui muselle les médias », le site milite pour une « défense stricte de la souveraineté française » et s'empare des « thèmes faisant pâlir les bien-pensants de l'idéologie dominante ». Comprendre : le « politiquement correct », « l'immigration de masse », le « carcan européen », le « mondialisme », « l'Etat profond »...
En mars 2019, après un petit passage dans une radio associative bordelaise, il signe un article sur le site Geopolitika.ru. Cette plateforme « coopère étroitement avec le Mouvement international eurasiatique », une ONG fondée par l'idéologue rouge-brun Alexandre Douguine. Selon Franck Pengam, « Douguine développe une pensée originale qui vise à contrecarrer la domination doctrinale et militaire atlantiste au profit d’un renouveau de la Russie dans un espace eurasien ». Rappelons qu'en 2013, le penseur ultra-nationaliste russe proposait d'« envahir » l'Europe, de la « conquérir » et de l'« annexer »...
L'année suivante, Franck Pengam se lance sur YouTube. Et achève sa mue complotiste. Dans l'une de ses premières vidéos, il chronique un livre intitulé « La grande invasion », publié chez Kontre-Kulture, la maison d'édition d'Alain Soral. Il y affirme que « l'immigration de masse » est « le fruit d'une promotion et d'une organisation certaine ».
A la même époque, notre propagandiste en herbe quitte la France et s'installe en Bulgarie, pays d'où il lance plusieurs business, opaques, parmi lesquelles Solution ILP qui exploite le site de Géopolitique Profonde.
Au fil de ses pérégrinations entrepreneuriales, l'homme d'affaires n'a pas toujours laissé une bonne image. « C'était difficile de travailler avec Franck, son ego est démesuré et il ne comprend tout simplement pas les exigences de la loi », déplore l'un de ses anciens collaborateurs qui l'accuse également de l'avoir arnaqué. Le reproche est récurrent. En mars 2023, Géopolitique Profonde était épinglé sur Warning Trading, un site spécialisé dans l’actualité des escroqueries financières sur Internet. Des avis laissés en ligne semblent corroborer ce constat. Un internaute dénonce par exemple une « commande de près de 50 euros faite à [son] insu avec [sa] carte bancaire ». Un autre assure carrément avoir été débité de 2000 euros après que le site lui a « vendu un investissement qui, après virement, serait seulement un achat de formation » et sans même avoir signé de contrat. Même constat sur un forum du site Signal Arnaques. L'engagement de remboursement après période d'essai, la livraison des livres mensuels normalement promis, la qualité des formations : tout, ou presque, laisserait à désirer.
Le 21 septembre 2024, Jean-Maxime Corneille, ancien présentateur de Géopolitique Profonde et huitième couteau de la complosphère, publie une vidéo cinglante à l'encontre de Franck Pengam. Selon ses dires, il aurait été injustement licencié, en représailles d'un désaccord concernant le partage des bénéfices de son livre. Franck Pengam aurait imposé un mode de communication « malsain et dominateur », « maquillé les comptes » concernant les ventes de l'ouvrage et pratiqué un « chantage assumé » à son égard avec « des éléments de langage quasiment mafieux assorti d'un irrespect notable ». L'ex associé assure avoir porté plainte pour « escroquerie ».
Au sein de sa propre famille idéologique, les méthodes utilisées par Franck Pengam et son entourage peuvent être agressives. Charles Gave, économiste fondateur du think tank conservateur Institut des Libertés, très apprécié dans la complosphère et proche de l'extrême droite identitaire, en a fait les frais. En 2022, par l'intermédiaire de sa fille Emmanuelle Gave, l'octogénaire accuse Franck Pengam d'avoir utilisé son image de manière abusive afin de vendre des produits financiers. « Il prenait toute notre clientèle et allait en messagerie privée pour leur vendre ses lettres d'investissement […] en se prévalant d'une promiscuité qui n'était pas », détaille l'entrepreneur dans un post. En réponse, Franck Pengam et Mike Borowski s'associent pour porter plainte contre Emmanuelle et Charles Gave leur reprochant d'avoir publié sur les réseaux sociaux des messages qu'ils considèrent comme diffamatoires, les accusant d'être des « usurpateurs et des escrocs » et réclamant 50 000 euros de dommages et intérêts pour chacun d'eux.
Le tribunal en a décidé autrement. Le 16 octobre 2024, les juges ont débouté les plaignants et les ont condamnés aux dépens et au paiement de 1500 euros au titre des frais irrépétibles.
On l'aura compris, Franck Pengam a les dents longues. Dans son insatiable quête de succès, le patron de Géopolitique Profonde est prêt à toutes les compromissions... notamment celles impliquant un régime autoritaire accusé de crimes contre l'humanité. En mars 2024, il fait partie des 115 observateurs « indépendants » à s'être rendus en Russie pour garantir la bonne tenue des élections présidentielles. Un exercice habituel pour la plupart des idiots utiles du Kremlin. Bon élève, Franck Pengam accorde quelques interviews à la presse locale. Louant la qualité et l'organisation des bureaux de vote de la Fédération − signe, selon lui, de la vitalité de la démocratie russe −, le touriste dit même avoir été « surpris par la victoire éclatante de Vladimir Poutine ».
De retour en France, Franck Pengam parachève son opération de propagande sur le plateau de Géopolitique Profonde. Quitte à frôler l'excès de zèle : « Poutine, c'est la Russie. […] Les gens l'ont dans la peau, leur Président c'est leur empereur ». Difficile donc, pour lui, d'envisager que les élections organisées en Russie ne soient pas libres et non faussées. Il conclut d'ailleurs en qualifiant le mode de gouvernance de l'autocrate de « régime démocratique avancé ». L'amour du travail bien fait.
L'aventure est concluante puisqu'un an plus tard, en mai 2025, il se rend de nouveau à Moscou, cette fois accompagné de Soral.
Le début d'une véritable tournée de rock star de la désinformation. Accompagné de son équipe, Franck Pengam se rend dans le Donbass et visite Lougansk, Donetsk et Marioupol, ville pilonnée par l'armée russe, « pour voir ce que les caméras occidentales ne montrent jamais ». L'apprenti reporter est formel : « Ce que j’ai vu là-bas détruit le récit imposé en France. Pas de guerre commencée en 2022, pas d’invasion. Juste un abandon. Et une volonté populaire de rattachement à la Russie, ignorée par tous. Les médias n’en parleront pas. Moi, je le fais. Parce que là-bas, chaque silence tue un peu plus. »
Quelques jours plus tard, il rend compte de son excursion sur le plateau de Russia Today, en compagnie d'Alain Soral, Xavier Moreau et Youssef Hindi (en duplex). Consciencieux, Franck Pengam s'attache à répéter mot pour mot les éléments de langage du Kremlin. « Dès 2014, les Ukrainiens ont lancé des missiles sur leur propre population », explique-t-il par exemple pour justifier l'invasion du pays, déplorant que Kiev ait « voulu basculer vers l'Ouest ».
Comme lors de son séjour aux Etats-Unis, le fondateur de Géopolitique Profonde en profite pour tisser des liens et approfondir certaines relations. Le 17 mai, il prend la pose avec son idole Alexandre Douguine. Le même jour, il annonce la tenue de deux semaines d'émissions tournées en Russie avec « l'élite politique intellectuelle, politique, et culturelle » du pays. Et pas n'importe laquelle. Parmi les invités de Géopolitique Profonde, Alexeï Pouchkov, sénateur et président de la commission des Affaires étrangères à la Douma, Margarita Simonian, rédactrice en cheffe de Russia Today, Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères ou encore Piotr Tolstoï, le Vice-président de la Douma.
Au point que le jeune Français commence à se faire une réputation par delà l'Oural. Son nom est cité dans de nombreux médias russes, à commencer par Tass, l'équivalent de l'AFP, mais aussi sur le site Pravfond.ru, une organisation créée par Dmitri Medvedev utilisée comme relai de financement d'opérations de déstabilisation dans les pays occidentaux, sur celui de la Fondation Rousskii Mir, créée par Poutine en 2007, sur Ridus.ru, soupçonné de collaboration avec l'administration présidentielle russe, ou encore sur Fedpress.ru, un média proche du gouvernement.
De quoi jeter le trouble sur les sources de financement de Géopolitique Profonde ? Pas le moins du monde, selon le principal intéressé, qui balaie ces accusations d'un revers de la main : « Vladimir Poutine ne nous donne pas d'argent, malheureusement, ça serait trop facile. » A suivre...
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