Depuis le début du mois de juin 2025, une vieille rumeur anti-vaccin reprochant à l'OMS de mettre en place un programme de « dépopulation » refait surface. Le gynécologue kényan Wahome Ngare en est le principal promoteur, via des organisations anti-avortement. Retour sur une fake news aussi dangereuse qu'infondée.
« Le Kenya se retire de l'OMS », affirmait le 10 juin dernier un internaute visiblement mal informé. La raison de ce retrait allégué ? Les vaccins contre le tétanos, promus par l'organisme international, seraient « associés à un produit stérilisant »...
Rapidement relayé sans vérification par des figures connues de la complosphère, à l’image de AuBonTouiteFrançais − un internaute anonyme mais néanmoins collaborateur du média d'extrême droite Tocsin −, ce post est devenu viral en dépit de son caractère totalement trompeur. À ce jour, il cumule plus de 6 000 likes et a été vu près de 200 000 fois. Le tweet est accompagné d’un extrait du discours du gynécologue-obstétricien Wahome Ngare, praticien au centre médical Mercy à Nairobi. « En 2014-2015, l’OMS a lancé une campagne de vaccination contre le tétanos. Ce n’est pas un vaccin contre le tétanos mais un vaccin de régulation de la fertilité », harangue le médecin. La charge est virulente : l’Organisation mondiale de la santé mènerait, dans le plus grand secret, une opération de « dépopulation ».
Le Kenya se retire de l’OMS car il a découvert que dans le vaccin contre le tétanos, ils l'ont associé à un produit stérilisant. pic.twitter.com/w7O18IxodB
— Renard Jean-Michel (@Renardpaty) June 10, 2025
Cette attaque en règle prend place dans un contexte de défiance à l'égard des institutions internationales. Elle a, en réalité, été prononcée en mai 2024 devant l’assemblée de la Conférence interparlementaire africaine sur les valeurs familiales et la souveraineté, réunie en Ouganda notamment pour s’opposer à l'accord sur les pandémies de l’OMS. Ce rassemblement annuel est un tremplin pour des politiques réactionnaires, notamment anti-avortement. Il est un terreau idéal pour les théories alternatives. Ainsi, pour Anita Among, présidente du parlement ougandais, présente à la session 2025, « les forces qui s’opposent aux valeurs fondamentales de la famille ont des agents locaux et internationaux. Elles tenteront de nous diviser pour nous vaincre. » Les propos du médecin kényan y trouvent naturellement leur place.
Wahome Ngare n’en est pas à son coup d’essai. Sur sa page Facebook, le président du Kenya Christian Professionals Forum se montre particulièrement friand des discours conspirationnistes et radicaux : homophobie, transphobie, climatoscepticisme, anti-vaccination, anti-avortement, discours religieux intégristes, illustrations sur le « Nouvel Ordre Mondial »... Il aime à se faire connaître en multipliant les apparitions médiatiques en tout genre.
Ainsi, dès juin 2022, son histoire prend forme à l’international sous la caméra du militant antivax Andrew Wakefield dans son film « Infertility: a diabolical agenda ». Produit par Robert F. Kennedy Jr, ce film agite le thème de l'infertilité dans le but de discréditer les vaccins et, par extension, l’OMS. Ses liens avec l’actuel ministre de la santé américain ne s'arrêtent pas là. En effet, Wahome Ngare est membre du comité consultatif pour la branche africaine de la Children’s Health Defense, l'association anti-vaccins dirigée par RFK Jr entre 2015 et 2023. Le 5 juin 2023, le gynécologue kényan participe à une visioconférence avec l’organisme. « Ils [l’OMS] pouvaient stériliser clandestinement des femmes sans leur dire que l’injection qu’ils leur faisaient n’était pas un vaccin normal contre le tétanos mais un régulateur de fertilité. C’est très cruel », clame-t-il.
Rebelote en octobre 2024. Sur la chaîne YouTube de la journaliste kényane Lynn Ngugi, il affirme que « 80% des femmes enceintes ont perdu leur bébé » à la suite de ces campagnes de vaccination. La messe est dite dès le titre de la vidéo : « Un médecin kenyan dénonce le sombre programme de l'Organisation mondiale de la santé visant à dépeupler l'Afrique par le biais des vaccins ».
Les propos de Wahome Ngare sont une antienne récitée depuis 2014. Cette même année, il assure dans les pages du site anti-avortement Life Site News que la campagne de vaccination contre le tétanos organisée par l'OMS est « une campagne de stérilisation massive et rigoureuse, bien coordonnée et visant à contrôler la population ». Le médecin est alors porte-parole de la Kenya Catholic Doctors Association, dont le contenu en ligne est aujourd’hui consacré à la reprise de ses déclarations. Selon ce site, le vaccin anti-tétanos serait secrètement combiné à une hormone, la gonadotrophine chorionique humaine (hCG), visant à provoquer l’infertilité féminine. L’affirmation est démentie conjointement par l’OMS et l’UNICEF dès novembre 2014 ainsi que par les autorités sanitaires du pays (la déclaration intégrale de l'OMS est disponible ici).
Si la rumeur trouve son épicentre actuel au Kenya, elle en est pourtant extérieure. En effet, en 1994, l’organisation anti-avortement Human Life International (HLI) publie un communiqué de presse accusant l’OMS des mêmes maux, cette fois-ci aux Philippines, au Mexique et au Nicaragua. La découverte aurait été faite par le Pro-Life Committee of Mexico à l'automne 1994 lors d’une vaccination de millions de femmes au moyen d’« un vaccin anti-fertilité sous prétexte d’être vaccinées contre le tétanos ». Jouissant d’un réseau dense d’affiliés dans plus de 100 États, dont le Kenya, HLI propage la fausse information qui se répand alors comme traînée de poudre. Trente ans plus tard, le mythe persiste.
Comme souvent dans les théories alternatives, le récit repose sur un fond de vérité. Ce dernier est ensuite détourné, déformé, interprété de manière à correspondre à une vision du monde prédéterminée. Cette infox est ici propulsée par une myriade d’acteurs anti-avortement − « pro-life » selon leur terminologie − opposés à toute forme de « dévoiement de l’œuvre de Dieu ». Tout débute en 1972 lorsque l’OMS crée un groupe de travail afin de développer un nouveau moyen de contraception par la vaccination. Les études se penchent sur l’hormone hCG liée à l’anatoxine, une toxine inactivée associée au tétanos, afin de maîtriser temporairement la fertilité. Elles ne dépasseront cependant pas le stade expérimental, rappelle le Bureau pour la science et la société, en s’arrêtant à la phase II des essais cliniques.
Lorsque l’OMS lance en 1993 une vaste campagne mondiale de vaccination pour lutter contre le tétanos néonatal, l’occasion est trop belle pour l’organisation anti-avortement américaine. Elle y voit le moyen de faire d’une pierre deux coups : porter le discrédit sur les politiques de natalité et mettre à l’ordre du jour son agenda idéologique. Pour HLI, le vaccin Tetanos Toxiod (TT) serait en réalité celui des études développées à partir des années 1970. La preuve ne sera cependant jamais véritablement apportée. Quelques prélèvements ont été réalisés à partir du kit de diagnostic ELISA, un test de grossesse grand public. Ces kits se sont avérés inappropriés pour détecter la présence d’hCG dans un vaccin selon la revue Reproductive Health Matters. De multiples analyses ultérieures ont démontré l’absence de l’hormone dans les vaccins TT, comme le relève le site de vérification Snopes dès novembre 2014.
Face à l’ampleur de la rumeur, la MaterCare International − une association caritative basée au Canada dont « la mission est de réaliser l'œuvre de l’Évangile de la vie » − dément rapidement l’information. Le communiqué est ensuite repris par différentes organisations de médecins catholiques, à l’instar de la Catholic Medical Quarterly et de la Fédération Internationale des Associations de Médecins Catholiques (FIAMC). La position modérée des organisations caritatives catholiques rejette ainsi sur les franges les déclarations des associations anti-avortement radicales. Son impact sanitaire semble cependant limité. L’OMS précise qu’en 2018, 25 000 nouveaux nés sont décédés des suites de la maladie dans le monde, soit une baisse de 88 % par rapport à 2000. Le Kenya, pourtant à l’épicentre de la rumeur, parvient à maintenir un des taux les plus élevés d’Afrique : en 2021, 95 % des nourrissons sont vaccinés contre le tétanos.
Néanmoins, le contexte actuel offre une nouvelle chambre d’écho à cette rumeur. RFK Jr ne se contente plus de produire des films qui la mettent en scène. Il est aujourd’hui à la tête du Secrétariat à la Santé américain et place ses soutiens dans les comités de surveillance des vaccins.
Voir aussi :
[COMPLORAMA] Aux États-Unis, le complotisme contre la science
« Le Kenya se retire de l'OMS », affirmait le 10 juin dernier un internaute visiblement mal informé. La raison de ce retrait allégué ? Les vaccins contre le tétanos, promus par l'organisme international, seraient « associés à un produit stérilisant »...
Rapidement relayé sans vérification par des figures connues de la complosphère, à l’image de AuBonTouiteFrançais − un internaute anonyme mais néanmoins collaborateur du média d'extrême droite Tocsin −, ce post est devenu viral en dépit de son caractère totalement trompeur. À ce jour, il cumule plus de 6 000 likes et a été vu près de 200 000 fois. Le tweet est accompagné d’un extrait du discours du gynécologue-obstétricien Wahome Ngare, praticien au centre médical Mercy à Nairobi. « En 2014-2015, l’OMS a lancé une campagne de vaccination contre le tétanos. Ce n’est pas un vaccin contre le tétanos mais un vaccin de régulation de la fertilité », harangue le médecin. La charge est virulente : l’Organisation mondiale de la santé mènerait, dans le plus grand secret, une opération de « dépopulation ».
Le Kenya se retire de l’OMS car il a découvert que dans le vaccin contre le tétanos, ils l'ont associé à un produit stérilisant. pic.twitter.com/w7O18IxodB
— Renard Jean-Michel (@Renardpaty) June 10, 2025
Cette attaque en règle prend place dans un contexte de défiance à l'égard des institutions internationales. Elle a, en réalité, été prononcée en mai 2024 devant l’assemblée de la Conférence interparlementaire africaine sur les valeurs familiales et la souveraineté, réunie en Ouganda notamment pour s’opposer à l'accord sur les pandémies de l’OMS. Ce rassemblement annuel est un tremplin pour des politiques réactionnaires, notamment anti-avortement. Il est un terreau idéal pour les théories alternatives. Ainsi, pour Anita Among, présidente du parlement ougandais, présente à la session 2025, « les forces qui s’opposent aux valeurs fondamentales de la famille ont des agents locaux et internationaux. Elles tenteront de nous diviser pour nous vaincre. » Les propos du médecin kényan y trouvent naturellement leur place.
Wahome Ngare n’en est pas à son coup d’essai. Sur sa page Facebook, le président du Kenya Christian Professionals Forum se montre particulièrement friand des discours conspirationnistes et radicaux : homophobie, transphobie, climatoscepticisme, anti-vaccination, anti-avortement, discours religieux intégristes, illustrations sur le « Nouvel Ordre Mondial »... Il aime à se faire connaître en multipliant les apparitions médiatiques en tout genre.
Ainsi, dès juin 2022, son histoire prend forme à l’international sous la caméra du militant antivax Andrew Wakefield dans son film « Infertility: a diabolical agenda ». Produit par Robert F. Kennedy Jr, ce film agite le thème de l'infertilité dans le but de discréditer les vaccins et, par extension, l’OMS. Ses liens avec l’actuel ministre de la santé américain ne s'arrêtent pas là. En effet, Wahome Ngare est membre du comité consultatif pour la branche africaine de la Children’s Health Defense, l'association anti-vaccins dirigée par RFK Jr entre 2015 et 2023. Le 5 juin 2023, le gynécologue kényan participe à une visioconférence avec l’organisme. « Ils [l’OMS] pouvaient stériliser clandestinement des femmes sans leur dire que l’injection qu’ils leur faisaient n’était pas un vaccin normal contre le tétanos mais un régulateur de fertilité. C’est très cruel », clame-t-il.
Rebelote en octobre 2024. Sur la chaîne YouTube de la journaliste kényane Lynn Ngugi, il affirme que « 80% des femmes enceintes ont perdu leur bébé » à la suite de ces campagnes de vaccination. La messe est dite dès le titre de la vidéo : « Un médecin kenyan dénonce le sombre programme de l'Organisation mondiale de la santé visant à dépeupler l'Afrique par le biais des vaccins ».
Les propos de Wahome Ngare sont une antienne récitée depuis 2014. Cette même année, il assure dans les pages du site anti-avortement Life Site News que la campagne de vaccination contre le tétanos organisée par l'OMS est « une campagne de stérilisation massive et rigoureuse, bien coordonnée et visant à contrôler la population ». Le médecin est alors porte-parole de la Kenya Catholic Doctors Association, dont le contenu en ligne est aujourd’hui consacré à la reprise de ses déclarations. Selon ce site, le vaccin anti-tétanos serait secrètement combiné à une hormone, la gonadotrophine chorionique humaine (hCG), visant à provoquer l’infertilité féminine. L’affirmation est démentie conjointement par l’OMS et l’UNICEF dès novembre 2014 ainsi que par les autorités sanitaires du pays (la déclaration intégrale de l'OMS est disponible ici).
Si la rumeur trouve son épicentre actuel au Kenya, elle en est pourtant extérieure. En effet, en 1994, l’organisation anti-avortement Human Life International (HLI) publie un communiqué de presse accusant l’OMS des mêmes maux, cette fois-ci aux Philippines, au Mexique et au Nicaragua. La découverte aurait été faite par le Pro-Life Committee of Mexico à l'automne 1994 lors d’une vaccination de millions de femmes au moyen d’« un vaccin anti-fertilité sous prétexte d’être vaccinées contre le tétanos ». Jouissant d’un réseau dense d’affiliés dans plus de 100 États, dont le Kenya, HLI propage la fausse information qui se répand alors comme traînée de poudre. Trente ans plus tard, le mythe persiste.
Comme souvent dans les théories alternatives, le récit repose sur un fond de vérité. Ce dernier est ensuite détourné, déformé, interprété de manière à correspondre à une vision du monde prédéterminée. Cette infox est ici propulsée par une myriade d’acteurs anti-avortement − « pro-life » selon leur terminologie − opposés à toute forme de « dévoiement de l’œuvre de Dieu ». Tout débute en 1972 lorsque l’OMS crée un groupe de travail afin de développer un nouveau moyen de contraception par la vaccination. Les études se penchent sur l’hormone hCG liée à l’anatoxine, une toxine inactivée associée au tétanos, afin de maîtriser temporairement la fertilité. Elles ne dépasseront cependant pas le stade expérimental, rappelle le Bureau pour la science et la société, en s’arrêtant à la phase II des essais cliniques.
Lorsque l’OMS lance en 1993 une vaste campagne mondiale de vaccination pour lutter contre le tétanos néonatal, l’occasion est trop belle pour l’organisation anti-avortement américaine. Elle y voit le moyen de faire d’une pierre deux coups : porter le discrédit sur les politiques de natalité et mettre à l’ordre du jour son agenda idéologique. Pour HLI, le vaccin Tetanos Toxiod (TT) serait en réalité celui des études développées à partir des années 1970. La preuve ne sera cependant jamais véritablement apportée. Quelques prélèvements ont été réalisés à partir du kit de diagnostic ELISA, un test de grossesse grand public. Ces kits se sont avérés inappropriés pour détecter la présence d’hCG dans un vaccin selon la revue Reproductive Health Matters. De multiples analyses ultérieures ont démontré l’absence de l’hormone dans les vaccins TT, comme le relève le site de vérification Snopes dès novembre 2014.
Face à l’ampleur de la rumeur, la MaterCare International − une association caritative basée au Canada dont « la mission est de réaliser l'œuvre de l’Évangile de la vie » − dément rapidement l’information. Le communiqué est ensuite repris par différentes organisations de médecins catholiques, à l’instar de la Catholic Medical Quarterly et de la Fédération Internationale des Associations de Médecins Catholiques (FIAMC). La position modérée des organisations caritatives catholiques rejette ainsi sur les franges les déclarations des associations anti-avortement radicales. Son impact sanitaire semble cependant limité. L’OMS précise qu’en 2018, 25 000 nouveaux nés sont décédés des suites de la maladie dans le monde, soit une baisse de 88 % par rapport à 2000. Le Kenya, pourtant à l’épicentre de la rumeur, parvient à maintenir un des taux les plus élevés d’Afrique : en 2021, 95 % des nourrissons sont vaccinés contre le tétanos.
Néanmoins, le contexte actuel offre une nouvelle chambre d’écho à cette rumeur. RFK Jr ne se contente plus de produire des films qui la mettent en scène. Il est aujourd’hui à la tête du Secrétariat à la Santé américain et place ses soutiens dans les comités de surveillance des vaccins.
Voir aussi :
[COMPLORAMA] Aux États-Unis, le complotisme contre la science
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