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Étoiles de David taguées à Paris : la piste russe, quelques Moldaves et beaucoup d’idiots utiles

Publié par Élie Guckert11 novembre 2023, ,

Depuis la découverte de dizaines d’étoiles de David taguées dans Paris, de nombreux commentateurs ont versé dans les discours de haine et le complotisme, au risque de servir les objectifs d’une probable opération de déstabilisation en lien avec la Russie.

Tags antisémites découverts le 30 octobre 2023 à Clichy (crédits : CW).

Une « nouvelle opération d’ingérence numérique russe contre la France » qui « témoigne de la persistance d’une stratégie opportuniste et irresponsable visant à exploiter les crises internationales pour semer la confusion et à créer des tensions dans le débat public en France et en Europe ». Le 9 novembre, le ministère français des Affaires étrangères a dénoncé « l’implication du réseau russe Recent Reliable News (RRN/Doppelgänger) » dans « l’amplification artificielle et la primo-diffusion sur les réseaux sociaux des photos des tags représentant des étoiles de David dans le 10e arrondissement de Paris » qui font la une des médias depuis le 31 octobre.

En juin dernier, le Quai d’Orsay avait déjà officiellement communiqué sur cette opération de propagande et de déstabilisation russe baptisée « Doppelgänger » qui fabriquait alors de faux articles de presse ainsi que de faux communiqués ministériels, notamment concernant le conflit en Ukraine, avant de les diffuser via un vaste réseau de faux comptes sur les réseaux sociaux, tout en utilisant des personnalités et entités françaises pro-Kremlin telles qu’Yves Pozzo di Borgo, Florian Philippot, le média Omerta ou Thierry Mariani.

Cette fois, ce sont 1 095 bots qui ont été mobilisés sur la plateforme X (anciennement Twitter) pour y publier 2 589 posts alimentant la polémique liée aux étoiles de David taguées dans la capitale selon Viginum, le service chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères.

Loin de mettre fin aux spéculations, la révélation rapide de ces informations a en réalité enclenché une mécanique complotiste qui continue encore de monter en puissance, démontrant de fait la vulnérabilité de la société française face à ce genre de déstabilisations extérieures.

Bien que, selon le ministère de l’Intérieur, 1 159 actes antisémites pour plus de 500 interpellations ont été comptabilisés en France depuis le 7 octobre et l’attaque du Hamas contre Israël, (pour l’ensemble de l’année 2022, « seuls » 436 actes avaient été recensés), de nombreux commentateurs s’affairent en effet depuis plus d’une semaine à y déceler un potentiel complot du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, voire tout simplement un complot juif, dont l’objectif serait d’exagérer le climat antisémite actuel en France pour mieux stigmatiser les musulmans. Un récit désormais également propagé par l’appareil de propagande russe.

La petite phrase de trop

À l’origine de ces théories : une petite phrase prononcée par Gérald Darmanin le 31 octobre et instrumentalisée ad nauseam depuis. Ce jour-là, alors que la France découvre les tags à Paris, le ministre s’exprime depuis la synagogue de Levallois-Perret, afin de réaffirmer la défense de la communauté juive par la République française. Au sujet des tags, il assure avoir « demandé à tous les préfets de la République de mobiliser la police technique et scientifique [...] pour retrouver les auteurs de ces menaces absolument ignobles ». Puis, interrogé par une journaliste sur les Français juifs qui souhaiteraient « partir vivre en Israël parce qu’ils ne se sentent pas protégés ici », il se permet alors cette petite phrase : « Nous regrettons bien évidemment que ce soit dans une forme d’Islam radical, ou dans une forme d’ultra gauche, que ceux-là se rejoignent dans la haine des juifs ». Dans la même séquence, interrogé par un autre journaliste plus précisément sur « ces graffitis », Gérald Darmanin ne répond pas, comme on peut le voir sur cet extrait publié sur X.

Cette désignation de « l’ultra gauche » et de « l’Islam radical » est immédiatement critiquée sur les réseaux sociaux, d’autant que Laurent Nuñez assurera au contraire quelques jours plus tard qu’il n’y « pas de profil type » parmi les récents interpellés pour antisémitisme qui sont « des jeunes gamins, qui disent des choses très graves [mais aussi des] personnes plus ancrées dans la défense de la cause pro-palestinienne et qui dérapent ».

Au lendemain de la déclaration de Darmanin, BFMTV révèle que quelque jours plus tôt, le 27, un couple de Moldaves en situation irrégulière a été interpellé dans le 10e arrondissement en flagrant délit avec un pochoir similaire à ceux qui seront découverts le 31 avant d’être placé en Centre de rétention administrative en vue d’une éventuelle expulsion du territoire. Un autre couple, également moldave, est aussi recherché.

Le ministre de l’Intérieur est immédiatement accusé de l’avoir caché. L’avocat Jean-Pierre Mignard, soutien d’Emmanuel Macron en 2016 puis de Jean-Luc Mélenchon en 2022, déplore ainsi sur X que les Moldaves soient, selon lui, « expulsés à grande vitesse » et demande « qui les interrogera, quels juges ? », avant de conclure que « ça arrange bien tout le monde ». Juan Branco, avocat et nouvelle coqueluche de la fachosphère et des réseaux antivax, accuse carrément le ministre de l’intérieur d’avoir « monté de toutes pièces […] cette histoire d’étoiles de David » pour « accuser des adversaires politiques de connivence avec le terrorisme islamiste avec le relais de l’ensemble de la presse mainstream », avant qu’une « opération soit montée à la va-vite pour la masquer, via l’expulsion de ses auteurs et le classement de l’enquête sans suites ».

L’affaire semble décidément passionner les avocats hypermédiatiques. Yassine Bouzrou commente : « Ils avaient déclaré avoir commis cette infraction "sur la commande d’un tiers" pourtant l’enquête a été clôturée immédiatement sans identifier le commanditaire ! Malgré ça M. Darmanin accuse "l’islam et l’ultra gauche"… cette affaire est très grave ». Une « analyse » qui atteint les plus de 800 000 vues et bientôt relayée par la député France insoumise Sophia Chikirou, qui a déjà participé à amplifier la propagande pro-Assad ou pro-Poutine lorsqu’elle était à la tête de la webtélé insoumise Le Média. « Mensonge et manipulation », s’offusque-t-elle, estimant que « désormais en macronie, quand Darmanin foire, c'est la faute aux Russes ou à Mélenchon ».

Le complot juif de l’Intérieur

L’affaire est en réalité loin d’être étouffée ou classée. Le 5 novembre, le préfet de Paris, Laurent Nuñez, confiait même faire face à une « affaire atypique par rapport aux autres actes antisémites ». Le Parquet de Paris a ensuite annoncé le 7 que les trois enquêtes qui avaient été ouvertes à Bobigny, Nanterre et Paris, pour « dégradation du bien d’autrui aggravée par la circonstance qu’elle a été commise en raison de l’origine, la race, l’ethnie ou la religion », sont finalement regroupées à Paris et qu’une juge a été désignée. « Il est nécessaire de poursuivre les investigations sur le caractère antisémite de l’intention des auteurs de ces dégradations, notamment au regard du contexte géopolitique et de son retentissement en France », ajoute la procureure. Toujours le 7 novembre, FranceInfo explique même que le couple de Moldaves interpellés le 27 octobre, loin d’avoir été expulsé « à grande vitesse », a en fait « été extrait de son centre de rétention pour être interrogé à nouveau ».

Le caractère antisémite des tags, condamnés comme tels par une majorité de la classe politique française, fait à lui seul l’objet d’une polémique… pour le plus grand bonheur des antisémites. « Deux Moldaves taguent des étoiles de David : sémitisme ou antisémitisme ? » fait ainsi mine de s’interroger Égalité & Réconciliation. Le site d’Alain Soral, volontiers pro-Kremlin à l’occasion, y voit en fait un complot juif, estimant que « nos médias se sont donc encore emballés pour une affaire assez étrange, aux commanditaires nébuleux, dont l’objectif était peut-être de montrer que les actes antisémites sont en hausse en France, ce qui est un mantra des autorités et qui est bien sûr invérifiable », puisque « les sources du ministère de l’Intérieur sont fournies par la communauté juive organisée elle-même. Qui peut donc, à son gré, faire monter ou baisser l’antisémitisme ».

Une théorie qui apparaît aussi ailleurs. Ismaël Boudjekada, élu municipal dans l’opposition à Grand-Charmont, dans le Doubs et influenceur TikTok aux plus de 290 000 abonnés, assure par exemple avoir infiltré un groupe de « 540 extrémistes sionistes » et explique dans une vidéo que les tags d’étoiles de David à Paris « n’ont rien d’antisémites et qu’ils sont au contraire une marque de soutien à Israël commandée par des sionistes », une « information » dont Gérald Darmanin aurait été « potentiellement au courant », assure-t-il.

Le commanditaire présumé de l’opération est visiblement bien conscient des discours générés par son opération et sur lesquels il devrait surfer pour continuer à produire un maximum de dégâts. Son nom, Anatoli Prizenko, homme d’affaires moldave, spécialisé dans le marketing en ligne mais surtout ancien candidat pour le Parti des socialistes de la République de Moldavie, un mouvement pro-Kremlin accusé de servir de relais aux opérations d’ingérence du Kremlin en Moldavie. Le 8 novembre, il a assuré en personne à Checknews que son opération n’avait rien d’antisémite, et qu’elle consistait en fait à « soutenir les Juifs d’Europe », sans oublier d’accuser les responsables politiques français d’avoir inutilement « suscité une vague de peur et de panique dans la société ». Il affirme surtout que l’opération aurait en réalité été menée pour le compte d’une obscure organisation de la communauté juive européenne nommée « Bouclier de David ».

Comme le note Maxime Audinet, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) et auteur de Russia Today (RT) : un média d’influence au service de l’État russe (INA 2021), cette affaire de tags ressemble à s’y méprendre à une opération de déstabilisation menée par les soviétiques entre 1959 et 1960. Le KGB avait alors « supervisé une campagne clandestine d'affichage de slogans antisémites et de croix gammées en République fédérale d'Allemagne et dans d'autres pays du bloc occidental », déjà dans un contexte d’explosion d’actes antisémites.

David Colon, professeur à Sciences-Po, ajoute de son côté que la grande nouveauté c’est que cette fois « le faux drapeau n’est pas, comme en 1959, une prétendue organisation nazie, mais une prétendue organisation juive » avec l’objectif « d’accréditer l’idée d’une mise en scène d’actes antisémites par des juifs (voire Israël), et par voie de conséquence diffuser le doute quant à la réalité des authentiques actes antisémites, qui se multiplient en France comme ailleurs ». D’ailleurs, l’appareil de propagande russe, « s'est mis en ordre de marche depuis le communiqué de la France pour rejeter la responsabilité de l'opération sur cette prétendue organisation juive », ajoute-t-il.

Le 10 novembre, l’agence officielle russe Tass a en effet repris la version d’Anatoli Prizenko, qualifiant le réseau RRN/Doppelgänger de « prétendument associé à la Fédération de Russie », et citant au passage l’ambassadeur de Russie en France, Alexeï Mechkov, qui qualifie évidemment les accusations du ministère français des Affaires étrangères de « scandaleuses ». Selon Checknews, Anatoli Prizenko relayait en 2014 un texte en russe au sujet de la révolution du Maïdan où l’on pouvait lire : « les Juifs sont en première ligne du coup d’État nazi et de la destruction de l’Ukraine », Israël y étant qualifié de « colonie des États-Unis ».

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Tags antisémites découverts le 30 octobre 2023 à Clichy (crédits : CW).

Une « nouvelle opération d’ingérence numérique russe contre la France » qui « témoigne de la persistance d’une stratégie opportuniste et irresponsable visant à exploiter les crises internationales pour semer la confusion et à créer des tensions dans le débat public en France et en Europe ». Le 9 novembre, le ministère français des Affaires étrangères a dénoncé « l’implication du réseau russe Recent Reliable News (RRN/Doppelgänger) » dans « l’amplification artificielle et la primo-diffusion sur les réseaux sociaux des photos des tags représentant des étoiles de David dans le 10e arrondissement de Paris » qui font la une des médias depuis le 31 octobre.

En juin dernier, le Quai d’Orsay avait déjà officiellement communiqué sur cette opération de propagande et de déstabilisation russe baptisée « Doppelgänger » qui fabriquait alors de faux articles de presse ainsi que de faux communiqués ministériels, notamment concernant le conflit en Ukraine, avant de les diffuser via un vaste réseau de faux comptes sur les réseaux sociaux, tout en utilisant des personnalités et entités françaises pro-Kremlin telles qu’Yves Pozzo di Borgo, Florian Philippot, le média Omerta ou Thierry Mariani.

Cette fois, ce sont 1 095 bots qui ont été mobilisés sur la plateforme X (anciennement Twitter) pour y publier 2 589 posts alimentant la polémique liée aux étoiles de David taguées dans la capitale selon Viginum, le service chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères.

Loin de mettre fin aux spéculations, la révélation rapide de ces informations a en réalité enclenché une mécanique complotiste qui continue encore de monter en puissance, démontrant de fait la vulnérabilité de la société française face à ce genre de déstabilisations extérieures.

Bien que, selon le ministère de l’Intérieur, 1 159 actes antisémites pour plus de 500 interpellations ont été comptabilisés en France depuis le 7 octobre et l’attaque du Hamas contre Israël, (pour l’ensemble de l’année 2022, « seuls » 436 actes avaient été recensés), de nombreux commentateurs s’affairent en effet depuis plus d’une semaine à y déceler un potentiel complot du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, voire tout simplement un complot juif, dont l’objectif serait d’exagérer le climat antisémite actuel en France pour mieux stigmatiser les musulmans. Un récit désormais également propagé par l’appareil de propagande russe.

La petite phrase de trop

À l’origine de ces théories : une petite phrase prononcée par Gérald Darmanin le 31 octobre et instrumentalisée ad nauseam depuis. Ce jour-là, alors que la France découvre les tags à Paris, le ministre s’exprime depuis la synagogue de Levallois-Perret, afin de réaffirmer la défense de la communauté juive par la République française. Au sujet des tags, il assure avoir « demandé à tous les préfets de la République de mobiliser la police technique et scientifique [...] pour retrouver les auteurs de ces menaces absolument ignobles ». Puis, interrogé par une journaliste sur les Français juifs qui souhaiteraient « partir vivre en Israël parce qu’ils ne se sentent pas protégés ici », il se permet alors cette petite phrase : « Nous regrettons bien évidemment que ce soit dans une forme d’Islam radical, ou dans une forme d’ultra gauche, que ceux-là se rejoignent dans la haine des juifs ». Dans la même séquence, interrogé par un autre journaliste plus précisément sur « ces graffitis », Gérald Darmanin ne répond pas, comme on peut le voir sur cet extrait publié sur X.

Cette désignation de « l’ultra gauche » et de « l’Islam radical » est immédiatement critiquée sur les réseaux sociaux, d’autant que Laurent Nuñez assurera au contraire quelques jours plus tard qu’il n’y « pas de profil type » parmi les récents interpellés pour antisémitisme qui sont « des jeunes gamins, qui disent des choses très graves [mais aussi des] personnes plus ancrées dans la défense de la cause pro-palestinienne et qui dérapent ».

Au lendemain de la déclaration de Darmanin, BFMTV révèle que quelque jours plus tôt, le 27, un couple de Moldaves en situation irrégulière a été interpellé dans le 10e arrondissement en flagrant délit avec un pochoir similaire à ceux qui seront découverts le 31 avant d’être placé en Centre de rétention administrative en vue d’une éventuelle expulsion du territoire. Un autre couple, également moldave, est aussi recherché.

Le ministre de l’Intérieur est immédiatement accusé de l’avoir caché. L’avocat Jean-Pierre Mignard, soutien d’Emmanuel Macron en 2016 puis de Jean-Luc Mélenchon en 2022, déplore ainsi sur X que les Moldaves soient, selon lui, « expulsés à grande vitesse » et demande « qui les interrogera, quels juges ? », avant de conclure que « ça arrange bien tout le monde ». Juan Branco, avocat et nouvelle coqueluche de la fachosphère et des réseaux antivax, accuse carrément le ministre de l’intérieur d’avoir « monté de toutes pièces […] cette histoire d’étoiles de David » pour « accuser des adversaires politiques de connivence avec le terrorisme islamiste avec le relais de l’ensemble de la presse mainstream », avant qu’une « opération soit montée à la va-vite pour la masquer, via l’expulsion de ses auteurs et le classement de l’enquête sans suites ».

L’affaire semble décidément passionner les avocats hypermédiatiques. Yassine Bouzrou commente : « Ils avaient déclaré avoir commis cette infraction "sur la commande d’un tiers" pourtant l’enquête a été clôturée immédiatement sans identifier le commanditaire ! Malgré ça M. Darmanin accuse "l’islam et l’ultra gauche"… cette affaire est très grave ». Une « analyse » qui atteint les plus de 800 000 vues et bientôt relayée par la député France insoumise Sophia Chikirou, qui a déjà participé à amplifier la propagande pro-Assad ou pro-Poutine lorsqu’elle était à la tête de la webtélé insoumise Le Média. « Mensonge et manipulation », s’offusque-t-elle, estimant que « désormais en macronie, quand Darmanin foire, c'est la faute aux Russes ou à Mélenchon ».

Le complot juif de l’Intérieur

L’affaire est en réalité loin d’être étouffée ou classée. Le 5 novembre, le préfet de Paris, Laurent Nuñez, confiait même faire face à une « affaire atypique par rapport aux autres actes antisémites ». Le Parquet de Paris a ensuite annoncé le 7 que les trois enquêtes qui avaient été ouvertes à Bobigny, Nanterre et Paris, pour « dégradation du bien d’autrui aggravée par la circonstance qu’elle a été commise en raison de l’origine, la race, l’ethnie ou la religion », sont finalement regroupées à Paris et qu’une juge a été désignée. « Il est nécessaire de poursuivre les investigations sur le caractère antisémite de l’intention des auteurs de ces dégradations, notamment au regard du contexte géopolitique et de son retentissement en France », ajoute la procureure. Toujours le 7 novembre, FranceInfo explique même que le couple de Moldaves interpellés le 27 octobre, loin d’avoir été expulsé « à grande vitesse », a en fait « été extrait de son centre de rétention pour être interrogé à nouveau ».

Le caractère antisémite des tags, condamnés comme tels par une majorité de la classe politique française, fait à lui seul l’objet d’une polémique… pour le plus grand bonheur des antisémites. « Deux Moldaves taguent des étoiles de David : sémitisme ou antisémitisme ? » fait ainsi mine de s’interroger Égalité & Réconciliation. Le site d’Alain Soral, volontiers pro-Kremlin à l’occasion, y voit en fait un complot juif, estimant que « nos médias se sont donc encore emballés pour une affaire assez étrange, aux commanditaires nébuleux, dont l’objectif était peut-être de montrer que les actes antisémites sont en hausse en France, ce qui est un mantra des autorités et qui est bien sûr invérifiable », puisque « les sources du ministère de l’Intérieur sont fournies par la communauté juive organisée elle-même. Qui peut donc, à son gré, faire monter ou baisser l’antisémitisme ».

Une théorie qui apparaît aussi ailleurs. Ismaël Boudjekada, élu municipal dans l’opposition à Grand-Charmont, dans le Doubs et influenceur TikTok aux plus de 290 000 abonnés, assure par exemple avoir infiltré un groupe de « 540 extrémistes sionistes » et explique dans une vidéo que les tags d’étoiles de David à Paris « n’ont rien d’antisémites et qu’ils sont au contraire une marque de soutien à Israël commandée par des sionistes », une « information » dont Gérald Darmanin aurait été « potentiellement au courant », assure-t-il.

Le commanditaire présumé de l’opération est visiblement bien conscient des discours générés par son opération et sur lesquels il devrait surfer pour continuer à produire un maximum de dégâts. Son nom, Anatoli Prizenko, homme d’affaires moldave, spécialisé dans le marketing en ligne mais surtout ancien candidat pour le Parti des socialistes de la République de Moldavie, un mouvement pro-Kremlin accusé de servir de relais aux opérations d’ingérence du Kremlin en Moldavie. Le 8 novembre, il a assuré en personne à Checknews que son opération n’avait rien d’antisémite, et qu’elle consistait en fait à « soutenir les Juifs d’Europe », sans oublier d’accuser les responsables politiques français d’avoir inutilement « suscité une vague de peur et de panique dans la société ». Il affirme surtout que l’opération aurait en réalité été menée pour le compte d’une obscure organisation de la communauté juive européenne nommée « Bouclier de David ».

Comme le note Maxime Audinet, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) et auteur de Russia Today (RT) : un média d’influence au service de l’État russe (INA 2021), cette affaire de tags ressemble à s’y méprendre à une opération de déstabilisation menée par les soviétiques entre 1959 et 1960. Le KGB avait alors « supervisé une campagne clandestine d'affichage de slogans antisémites et de croix gammées en République fédérale d'Allemagne et dans d'autres pays du bloc occidental », déjà dans un contexte d’explosion d’actes antisémites.

David Colon, professeur à Sciences-Po, ajoute de son côté que la grande nouveauté c’est que cette fois « le faux drapeau n’est pas, comme en 1959, une prétendue organisation nazie, mais une prétendue organisation juive » avec l’objectif « d’accréditer l’idée d’une mise en scène d’actes antisémites par des juifs (voire Israël), et par voie de conséquence diffuser le doute quant à la réalité des authentiques actes antisémites, qui se multiplient en France comme ailleurs ». D’ailleurs, l’appareil de propagande russe, « s'est mis en ordre de marche depuis le communiqué de la France pour rejeter la responsabilité de l'opération sur cette prétendue organisation juive », ajoute-t-il.

Le 10 novembre, l’agence officielle russe Tass a en effet repris la version d’Anatoli Prizenko, qualifiant le réseau RRN/Doppelgänger de « prétendument associé à la Fédération de Russie », et citant au passage l’ambassadeur de Russie en France, Alexeï Mechkov, qui qualifie évidemment les accusations du ministère français des Affaires étrangères de « scandaleuses ». Selon Checknews, Anatoli Prizenko relayait en 2014 un texte en russe au sujet de la révolution du Maïdan où l’on pouvait lire : « les Juifs sont en première ligne du coup d’État nazi et de la destruction de l’Ukraine », Israël y étant qualifié de « colonie des États-Unis ».

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à propos de l'auteur
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Élie Guckert
Élie Guckert est journaliste indépendant. Il a collaboré avec Mediapart, Disclose, Bellingcat, Slate, Street Press et Conspiracy Watch. Il est l'auteur de Comment Poutine a conquis nos cerveaux, dix ans de propagande russe en France (Plon, 2023).
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