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De Sud Radio à CNews : comment la désinformation climatique s’installe dans le débat public

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Dix intox climatiques par semaine : et ça se passe sur des médias grand public !

Le physicien climato-sceptique François Gervais interviewé par Eric de Riedmatten (capture d'écran CNews, 03/12/2023).

Ces dernières semaines, la remise en question du réchauffement climatique et de sa réalité a de nouveau émergé. Lors de l'épisode caniculaire de juin en France, quelques influenceurs, sur X et dans les médias d'information mainstream ont ainsi mis en cause les présentateurs météo et le choix de la colorimétrie des cartes présentées aux Français. Accentuant toujours plus la défiance et instillant toujours plus le doute. Et cela fonctionne.

Dans le dernier baromètre ADEME, 46 % des Français se déclarent « hésitants » et 11 % « sceptiques » quant à l'origine humaine du réchauffement climatique, soit 57 % au total (contre 32 % en 2015). Pis : parallèlement, 42 % de nos compatriotes jugent crédible l’idée d’une « dictature climatique ». Une progression préoccupante du climato-scepticisme et du climato-complotisme favorisée, aussi, par les fake news assénées de manière péremptoire sur les plateaux et les réseaux sociaux. Cela n'est plus une simple intuition, c'est un fait, documenté par des chiffres et des rapports.

« Les volcans rejettent plus de CO₂ que l’humanité » : cette assertion fausse, prononcée le 29 janvier dernier en direct dans Bercoff dans tous ses états (Sud Radio), est l'une de celles relevées par la note sur la désinformation climatique publiée le 10 avril 2025 par les ONG Data For Good, Quota Climat et Science Feedback.

Ce jour-là, autour d'André Bercoff, pas la moindre réprobation, pas le moindre correctif. Quelques minutes après la fin de l'émission, la séquence est découpée, propulsée sur X et rediffusée dans de nombreuses boucles Telegram. Pour qui suit la fabrique des infox, la scène n’a rien d’extraordinaire. Elle illustre au contraire la nouvelle routine d’un écosystème complotiste parfaitement rodé.

Cette routine a toutefois un prix : selon la note de Data For Good, 128 séquences de désinformation climatique ont été relevées, au cours du premier trimestre 2025, sur dix‑huit chaînes radio‑télé françaises, soit près de dix par semaine.

Source : Note Data For Good-Quota Climat-Science Feedback, p. 9, avril 2025.

Sud Radio concentre quarante de ces séquences, CNews vingt‑six. L’ampleur du phénomène renverse le récit rassurant d’un climato‑dénialisme cantonné aux recoins d’Internet : l’intox s’est installée au cœur des antennes régulées, précisément celles auxquelles 69 % des Français affirment − bien davantage qu’aux réseaux sociaux − accorder leur confiance.

Une empreinte médiatique colossale

L'ampleur du phénomène avait déjà été repérée l'année dernière, conduisant l'Arcom à réagir. Le 25 juin 2024, le régulateur de l'audiovisuel et du numérique a adressé à Sud Radio une mise en garde pour deux émissions où le physicien François Gervais, auteur des livres L'urgence climatique est un leurre (L'Artilleur, 2018) et Le déraisonnement climatique (L'Artilleur, 2023), avait violemment attaqué le GIEC et ses rapports sans contradicteur.

Dans sa mise en garde, l'Arcom note : « plusieurs déclarations venaient contredire ou minimiser le consensus scientifique existant sur le dérèglement climatique actuel, par un traitement manquant de rigueur et sans contradiction ». Avant d'avertir la station contre « la répétition de tels manquements ».

Dans cette émission, François Gervais avait notamment lancé : « Tous les à peu près 100 000 ans, il y a une période très froide suivie d’une période plus chaude. Nous sommes au sommet de la période plus chaude. Il faut s’en féliciter ». Des propos qui ne résistent pas à l'examen scientifique. Les experts du GIEC sont formels : le réchauffement climatique est non seulement incontestable mais la responsabilité de l’homme dans l’augmentation des températures l’est tout autant. Les activités humaines ont, « sans équivoque », provoqué le réchauffement de la planète, à un rythme toujours plus soutenu. Depuis 1970, la température a augmenté « plus rapidement » qu’au cours de toute autre période de 50 ans sur les 2 000 dernières années, relève ainsi le GIEC.

Deux semaines plus tard, l'Arcom poursuivait son travail et c'est CNews qui écopait d'une amende de 20 000  euros pour avoir laissé, dans Punchline Été, un économiste qualifier le réchauffement anthropique d’« escroquerie » sans lui apporter là non plus la moindre contradiction.

Si cette désinformation climatique s'est retrouvée propulsée sur CNews, Sud Radio ou à des degrés moindres sur LCI, RMC ou BFM TV, c'est bel et bien parce que le sillon a été labouré en profondeur et entretenu sur les réseaux sociaux par quelques influenceurs.

Mis en lumière et gagnant en audience au moment de la pandémie de Covid-19, ils ont muté pour devenir ensuite des promoteurs du doute climatique, voire même le plus souvent de la « dictature climatique ». Au printemps 2024, une enquête d’Euronews Green suivait 3 899 canaux Telegram d’inspiration complotiste dans vingt‑deux langues : quand l’agenda Covid s’essoufflait, la production de messages « climat », elle, était multipliée par quatre, grimpant à 1 000 posts par jour et 100 millions de vues mensuelles. Comme si la pandémie avait servi de répétition générale. Le même décor, les mêmes influenceurs, le même sens du timing se déploient désormais sur le front climatique.

Des éléments déjà mis en évidence par la Fondation Jean-Jaurès dans sa note « Dictature climatique, pass climat, Great Reset » publiée en avril 2023. Le think tank avait relevé que, sur X, en un an, sur les comptes identifiés comme antivax, près de 2 millions de tweets à propos de désinformation climatique avaient nourri la conversation numérique et que l'expression « dictature climatique » apparaissait très régulièrement. Mieux, la Fondation notait qu'un compte antivax français influent sur deux relayait déjà des contenus climato-sceptiques, pesant pour 10 % du volume total de la conversation sur la thématique environnementale.

Autrement dit, quand Sud Radio, CNews et les autres médias traditionnels, plus prescripteurs que la moyenne, contribuent à populariser des théories conspirationnistes autour du climat, elles arrivent à la fin d'une bulle algorithmique déjà bien établie et puissante, alimentée par les usuals suspects du conspirationnisme. Plus récemment, dans Résister aux fake news (éd. First, 2025), le journaliste Thomas Huchon a montré, au moyen de l'outil d'analyse des conversations sociales Brandwatch, que la désinformation autour du climat constituait le huitième sujet le plus discuté et partagé avec plusieurs centaines de millions de reach.

Des colporteurs zélés

Pour atteindre les médias télé et radio et de tels niveaux d'engagements, tous ces récits sont portés et mis en avant par des influenceurs conspirationnistes. Leur narratif est simple : le discours sur le climat est en fait un paravent à la mise en place d'un contrôle social accru des populations. Parmi eux, on trouve Idriss Aberkane. Depuis plusieurs années, l'« hyper doctor » agite l'épouvantail d'une « dictature climatique ». Dans de nombreux tweets ou vidéos, il prédit l’instauration prochaine d’un « QR‑code carbone », transpose le mythe du Great Reset à la question environnementale et critique régulièrement le GIEC. Chacune de ses sorties accélère un peu plus la bascule de son public, déjà familier du récit anti‑passe sanitaire, vers le climato-complotisme.

Parmi les promoteurs zélés de la remise en cause des sciences du climat, on trouve également Philippe  Herlin, l'économiste qui a valu à Cnews d'être sanctionné par l'Arcom. Bien que fact-checké comme il se doit par l'AFP, il continue de distiller des fake news sur le climat, s'abritant derrière « une analyse de 500 scientifiques remise à l’ONU ». Il s'agit en réalité d'une tribune climato-sceptique, la « Déclaration européenne sur le climat », portée depuis 2019 par le lobby néerlandais CLINTEL et souvent présentée sous le titre « Il n'y a pas d'urgence climatique ».

Rédigée par l'ingénieur néerlandais climato-sceptique Guus Berkhout, cette lettre ouverte a été relayée sur le site de Valeurs Actuelles mais n'a jamais été publiée dans une revue scientifique, ni fait l'objet d'aucun processus de validation par les pairs. Plus de la moitié de ses signataires ne sont ni climatologues ni même des chercheurs actifs (on y trouve des ingénieurs retraités, des géologues de l’industrie fossile et même un ex‑négociant en maïs).

Plus globalement, Philippe Herlin distille tous les narratifs qui remettent en cause le réchauffement climatique : « Le réchauffement anthropique n’existe pas » ; « Il n’y a pas de consensus comme pour E = mc² ». Faux. Une fois encore : 99 % des articles évalués par des pairs attribuent le réchauffement actuel aux activités humaines. En outre, la comparaison avec E = mc² est hors de propos. Les modèles climatiques que l'économiste juge « foireux » reposent eux aussi sur des équations physiques robustes maintes fois testées. Pas étonnant, donc, que Philippe Herlin contribue régulièrement à comparer le discours sur le réchauffement climatique à un alibi pour l'instauration d'un contrôle social.

Le journaliste et essayiste Olivier Postel-Vinay, ancien rédacteur en chef du très sérieux magazine scientifique La Recherche, y va aussi de ses approximations trompeuses sur CNews. Le 13 septembre 2023, sur le plateau de Pascal Praud, l'auteur de Sapiens et le climat (Litos, 2023) affirme que notre espèce a connu par le passé « plusieurs épisodes de réchauffement dont certains ont été plus marqués [de l'ordre de plusieurs degrés Celsius − ndlr] et aussi plus rapides que celui que nous connaissons aujourd'hui », de l'ordre de « quelques décennies, [...] moins de cent ans ». Scoop ? Non. Car Postel-Vinay le précise : les gens du GIEC « le savent ». Ce qu'il omet d'indiquer, c'est que si ces réchauffements brutaux sont bien documentés par les scientifiques, ils ont toujours été localisés et que lorsque le GIEC parle de réchauffement climatique, il parle de réchauffement moyen global, c'est-à-dire à l'échelle de la planète tout entière. Le réchauffement moyen récent demeure sans précédent dans la longue histoire du climat. C'est d'ailleurs ce que rappellera un an plus tard le climatologue et physicien François-Marie Bréon au micro de Pascal Praud : « Il n'y a absolument aucun doute sur le fait que le réchauffement actuel est dû à l'augmentation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère [et que] la multiplication de la fréquence de ce type d'événements [climatiques extrêmes] est sans aucun doute lié au réchauffement climatique qui a des causes anthropiques ».

Autre visage passé sans transition de la seringue à l’éolienne : Silvano  Trotta. Le théoricien de la Lune creuse affirme par exemple que l'Etna produit des émissions de CO2 qui ne sont pas taxées.

Quelques années auparavant, il creusait déjà ce sillon en expliquant qu’une éruption de l’Etna aurait émis plus de CO₂ que l’humanité entière. Des affirmations fausses, maintes et maintes fois débunkées (les volcans produisent en réalité cent fois moins de CO₂ que nos activités), mais qui résonnent avec celles lancées chez André Bercoff sur Sud Radio. Circulation circulaire du complotisme.

Silvano Trotta relance cette légende lors d’un podcast publié en février 2025, où il attribue cette fois les inondations en Andalousie à la station de recherche américaine HAARP. Plus récemment encore, il considère que « ceux qui luttent contre le CO2 sont des escrocs »...

Dans la galerie de portraits de ces influenceurs qui alimentent la défiance vis-à-vis du consensus scientifique autour du réchauffement climatique, il y a aussi Jean‑Dominique  Michel qui applique exactement la même recette. Porte‑voix du film Hold‑up, il passe des masques aux « chemtrails » : en juillet 2024, son podcast « Chemtrails : crime contre l’humanité » associe géo‑ingénierie, vaccins ARNm et « guerre climatique secrète ». Un an plus tôt, il cosignait déjà « Pas de GIEC, pas d’urgence climatique », tribune aussitôt viralisée par de nombreux sites conspirationnistes. Dans cette tribune, il écrivait : « Le GIEC cache sciemment les travaux prouvant que le Soleil est le principal moteur du climat actuel ». Évidemment, tout cela n'est que faribole puisque les rapports IPCC AR6 incluent plus de 400 publications sur l’irradiance solaire dont l'influence sur le réchauffement entre 1975 et 2020 est évaluée à moins de 0,1 °C...

Florian  Philippot orchestre la jonction entre complotisme d'extrême droite et mobilisation de rue. En avril 2023, son compte X lance le hashtag #DictatureClimatique. L'ex-numéro 2 du Front national distille régulièrement l'idée selon laquelle le pass sanitaire va se transformer en passe climat : « Le pass climat arrive : un futur QR‑code pour restreindre achats et déplacements ». Quant à sa co-listière aux dernières élections européennes, l'ex-chroniqueuse Myriam Palomba, elle s'« interroge sur ce fameux réchauffement climatique ».

À l'exception d'Olivier Postel-Vinay, tous recyclent le même schéma narratif qu'au moment de la crise sanitaire. On passe de la dénonciation du confinement sanitaire à la peur d'un confinement climatique, de la dénonciation du passe vaccinal à un hypothétique passe climat, et c'est le GIEC qui prend la place de l'OMS comme grand méchant de l'histoire.

Ces récits fallacieux trouveraient‑ils un écho si large s'ils n'étaient pas légitimés sur les antennes et présentés comme les éléments d'une introuvable « controverse » scientifique ? Le fait est qu'avec l'ouverture de la fenêtre d'Overton, le complotisme se répand dans l'atmosphère du débat public comme un gaz toxique.

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à propos de l'auteur
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David Medioni
Journaliste indépendant, David Medioni anime l'émission « Les Déconspirateurs ». Il collabore à Franc-Tireur, La Tribune et CB News. Directeur de l'Observatoire des médias de la Fondation Jean-Jaurès, il est également le fondateur et le rédacteur en chef du magazine littéraire en ligne Ernest. Essayiste, il a publié plusieurs essais aux éditions de l'Aube : Être en train. Récits sur les rails, Eloge de la séduction, L'an zéro du tourisme (avec Jean Viard), et Quand l'info épuise (avec Guénaëlle Gault).
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