Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Ces médias trop complaisants à l’égard des thèses complotistes de Philippe de Villiers

Publié par Haoues Seniguer18 avril 2021

Pendant une semaine, ils ont déroulé le tapis rouge devant lui. Pour Haoues Seniguer*, ceux qui offrent une tribune au discours conspirationniste de l'ancien président du Mouvement pour la France portent une lourde responsabilité devant la collectivité.

Philippe de Villiers sur Sud Radio (13 avril 2021), sur BFM TV (10 avril), en couverture de Valeurs actuelles (15-21 avril) et sur Europe 1 (9 avril).

Une question ne cesse de me tarauder, même si elle peut apparaître par bien des aspects comme, au mieux rhétorique, au pire naïve : la médiatisation d’auteurs suite à la parution d’ouvrages est-elle vraiment en rapport avec la qualité et la rigueur qui s’y déploient, ou est-ce leur identité sociale, la reconnaissance dont ils jouissent par ailleurs, qui « fait » leur médiatisation ?

Philippe de Villiers, entre autres ancien député, ancien ministre et surtout fondateur du parc du Puy du Fou, écrit régulièrement des livres dont l'exposition médiatique est inversement proportionnelle à leur consistance. Le jugement peut a priori sembler sévère. Il n’en est rien.

Par-delà son ancrage à l’extrême droite même si, officiellement, il n’appartient à aucune formation politique identifiée comme telle, Philippe de Villiers est, avec constance, complotiste. En effet, il croit, d’une part, dur comme fer en une conspiration des « élites » capables selon lui de toutes les félonies et complots contre « le peuple », et d’autre part, au « Grand Remplacement », un thème popularisé par l’écrivain Renaud Camus. Pour eux, les musulmans (et pas seulement les islamistes) « colonisent » notre pays, avec la trahison des autochtones.

Puisant au même lexique, empruntant à la même grammaire (« mondialisme », « mondialistes », « immigrationnisme », « remigration », etc.), et plus trivialement encore, à la logorrhée des propagateurs de clichés conspirationnistes, à l’instar de l’organisation Égalité & Réconciliation d’Alain Soral, il déclarait sans être contredit ou fermement discuté par les journalistes d’un grand quotidien national en novembre 2014, que « nos élites rêvent d’un petit homme sans racine, ni filiation », ajoutant qu’« on est train de fabriquer pour la France de demain, un petit homme consommateur à l’américaine qui sera asexué et apatride. Il n’aura plus ni racine, ni filiation […]. L’Europe aujourd’hui est en train de mourir. Elle meurt culturellement et démographiquement. Elle meurt d’un chassé-croisé entre l’avortement de masse et l’immigration de masse. »

Dans cette interview, non seulement il taxait le ministre de l’Education nationale de l’époque, Vincent Peillon, de « laïcisme qui propose d’absorber le spirituel dans le temporel et donc de fabriquer des enfants sans leurs parents pour pouvoir les élever dans un matérialisme absolu », raillant les dénonciateurs/affabulateurs de la « théorie du genre », mais il remettait purement et simplement en cause le principe laïque ; il affirmait effectivement, là aussi sans être seulement repris par les interviewers, que « la seule protection possible contre ces deux tentations séculaires [islamisme et laïcisme - ndlr] réside dans la culture chrétienne de la vraie laïcité fondée sur deux principes inséparables : le spirituel et le temporel s’irriguent mutuellement, mais ne se confondent pas ».

On pourrait citer d’autres passages ou interventions médiatiques au cours desquels de Villiers (re)prend ou (re)prenait, sans vergogne, les mots de la complosphère, à l’instar du passe-partout, « Système », qui a l’avantage de désigner des coupables au visage changeant.

S’il est critiqué pour flirter avec le conspirationnisme soft ou hard, l’ancien élu répond que les seuls et vrais complotistes, en quelque sorte les comploteurs réels, ne sont ni plus ni moins que les élites que, précisément, il stigmatise. Ainsi, le « complotisme » ne serait au fond à ses yeux qu’une arme de dissuasion brandie par des adversaires et des ennemis, les élites, ou a minima ceux qui en sont les complices.

« Ce que nous avons vécu a déjà été joué »

Plus récemment, venu parler de son dernier livre paru en ce mois d’avril, Le Jour d’après (éd. Albin Michel), sur l’antenne de Sud Radio, au micro d’André Bercofflui-même connu pour ses sorties complotistes –, Philippe de Villiers expliquait, avec le sourire complice, le ton et les propos approbateurs de l’interviewer, que « les fake news » ou les complotistes, loin de revêtir une existence réelle, seraient en fait les élites dominantes qui vilipenderaient « ceux qui ne sont pas d’accord avec eux ». De ce point de vue, le complotiste n’est pas ou plus celui qui fantasme des complots par définition imaginaires. L’ancien ministre ne faisait que répéter à la radio ce qu’il écrit dans son derniers opus ; cela apparaît en exergue sur le site officiel des éditions Albin Michel, où il prétend que l’épidémie de coronavirus a « déjà été jouée » à l’occasion d’une réunion qui s’est tenue à New York le 18 octobre 2019 :

« Ce que nous avons vécu a déjà été joué. A New-York. Lors d’une réunion ou plutôt d’un exercice de simulation d’une pandémie de coronavirus, le 18 octobre 2019 ; tout a été filmé et se trouve sur Internet. Cela s’est passé plusieurs mois avant la survenance du virus. En réalité, les participants – les géants du capitalisme de surveillance – anticipaient ainsi la catastrophe à venir. Ils avaient voulu un monde d’un seul tenant, sans cloisons. Ils savaient que ce monde-là serait hautement pathogène. Ils le savaient et s’y préparaient. Ils attendaient la pandémie et ils la voyaient venir ».

Certes, jouant habilement sur l’ambiguïté, il ne va pas jusqu’à énoncer, expressis verbis, que le virus a été fabriqué en laboratoire puis propagé ensuite au reste du monde. Mais l’essayiste-militant n’en demeure pas moins convaincu que les élites « capitalistes » l’ont voulu, au point qu’elles l’auraient anticipé et accompagné. Et cela s’appelle objectivement du conspirationnisme, qui ensuite discrédite sans aucun fondement la parole publique et parallèlement les mesures sanitaires primordiales. Il en est ainsi lorsque Philippe de Villiers compare, de façon extrêmement douteuse, le docteur Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique, à... Pétain. Partant, si l’on va au bout du raisonnement, l’épidémie de la Covid-19 aurait été organisée et planifiée aux fins de grossir l’hydre « mondialiste » et asseoir la domination oligarchique !

Au micro de Sonia Mabrouk, sur les ondes d'Europe 1 le 9 avril dernier, de Villiers entonna de nouveau son couplet complotiste au sujet du « Great Reset », suggérant que la pandémie actuelle ne serait qu’une étape dans un vaste projet diabolique de « réinitialisation du monde ». Il accuse Klaus Schwab, fondateur du Forum économique mondial de Davos, celui-là même qui forgea l’expression, de soutenir, dans la perspective d’un monde post-pandémie, ni plus ni moins qu’un projet d’aliénation des peuples. Pourtant, ce n’est pas exactement ce qu’avance le leader économique qui plaide pour qu'advienne « un système fonctionnel de coopération mondiale intelligente, structuré pour relever les défis des 50 prochaines années ». Rien de secret ici et rien, en tous cas, qui trahisse les intentions malignes que lui prête le fondateur du Puy du Fou.

En effet, dans un ouvrage publié en juillet 2020, intitulé Covid-19: The Great Reset, Klaus Schwab et son co-auteur, l’économiste Thierry Malleret, proposent ainsi non pas de prospérer sur les cadavres en cherchant à contrôler à vil prix le monde et les individus comme le soutient et l’insinue inlassablement Philippe de Villiers, mais au contraire d’œuvrer à résorber des inégalités apparues justement criantes à l’occasion de la crise sanitaire, misant, pour ce faire, sur « la clairvoyance » et « l’ingéniosité » de l’être humain.

Bref, l’exacte antithèse de ce que martèle l’homme politique auquel peu de journalistes opposent des contre-arguments solides. La mécanique conspirationniste de Philippe de Villiers et consorts est parfaitement huilée, à la fois attendue et symptomatique d’une époque confuse où le relativisme de la vérité profite essentiellement à ceux qui s’en affranchissent. De la sorte, une culture de la suspicion et de l’anathème progresse ; s’ensuivent procès d’intention et perfidie prêtées sélectivement à des individus, a fortiori s’ils sont étrangers ou au patronyme apparemment non français.

« Ils le savaient, ils s’y attendaient, ils s’y préparaient »

Au micro de la journaliste Apolline de Malherbe, sur l’antenne de BFM TV samedi 10 avril dernier, Philippe de Villiers, par moments contradictoires (parce que poussé parfois dans ses derniers retranchements), proposait une énième définition du complotiste, pratiquant l’inversion accusatoire, pour aussitôt asséner l’existence d’une planification de l’épidémie de coronavirus voulue par « des géants du numérique » :

« Un complotiste, c’est quelqu’un qui ment, c’est quelqu’un qui est dans le fantasme. Ce qui nourrit le complotiste, c’est quand nos gouvernants eux-mêmes ne sont pas dans la vérité nue, vous voyez ? Et quand on triche, on triche partout. Et la tricherie implique la tricherie. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est que j’ai vu de mes propres yeux un exercice de simulation qui a eu lieu le 18 octobre 2019, donc bien avant qu’on ne parle du Covid, à New York, vraiment avec le gratin mondial des puissances privées : big-data, big-pharma, big-finances. Ils font une simulation d’une pandémie de coronavirus. Et en voyant ça, je me dis, "bon, ce n’est pas truqué, c’est un fait !" C’est-à-dire qu’il y a des gens qui, en fait, savaient… »

L’acmé de la connivence journalistique avec le complotisme de l’essayiste de Vendée est atteinte dans l’interview récente que ce dernier a accordé à cinq journalistes (dont certains sont des chroniqueurs-télé) de Valeurs actuelles avec un titre/mot d’ordre qui n’est pas que tapageur (« J’appelle à l’insurrection ») puisqu’il peut se comprendre comme un appel à troubler l'ordre public.

L'interview de l'ancien président du Mouvement pour la France est un parfait compendium de ses obsessions nationalistes avec, derechef, une complaisance déconcertante des journalistes. Il y réitère la croyance en une conspiration « de gens puissants » réunis le 18 octobre 2019, qui, d’après lui, « se doutaient de quelque chose » tandis qu’ils ne parlaient pas encore de Covid… Il voit cette réunion de New York comme l’une des étapes phares d’un moment fondateur : la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994, conférant à cet égard à ses architectes et participants une sorte d’omniscience et d’omnipotence irrésistibles dans « ce nouveau monde » chaotique qu’ils dessinèrent, qu’ils auraient de cette façon préparé de longue date !

« Ils ont fabriqué ce monde sans cloisons. Ils savaient que ce monde serait violemment pathogène. Quand vous mettez 5 ou 6 milliards de personnes dans une même pièce, le microbe se promène plus facilement. Ils le savaient, ils s’y attendaient, ils s’y préparaient ».

L’ancien ministre tance même – sans user de l’expression « puçage » largement en vogue dans les milieux conspirationnistes –, « les géants du numérique » accusés de nous rendre « serfs […] appelés à être géolocalisés, implantés, traqués, tracés, donc soumis ». Enfin, il voit un autre complot des animateurs du Forum de Davos : œuvrer à la normalisation des LGBT, encourager l’immigration…voire, opprobre suprême, les droits de l’homme !

Parce que Philippe de Villiers est un bon client, en raison des milliers de vues que ses apparitions totalisent sur YouTube, des médias par ailleurs sérieux tendent à baisser la garde, sans crier gare. Bon gré mal gré, ils servent ainsi de réceptacles, de caisses de résonance ou de catalyseurs à des contre-vérités ; à entretenir un imaginaire complotiste où toutes les interprétations des événements se valent, jusques et y compris les plus farfelues. Surtout, la médiatisation de cette parole renforce un discours de défiance en vogue dans les milieux conspirationnistes, mais pas seulement, sur le « deux poids, deux mesures ». Le seul grief qu'Égalité & Réconciliation fait à Philippe de Villiers, c’est d’une certaine façon son défaut d’antisémitisme, que l’association d’extrême droite attribue à son soi-disant « national-sionisme ».

En tout état de cause, il ne saurait y avoir, sinon au risque d’abîmer encore davantage les fondations démocratiques fragilisées par un vent populiste qui se diffuse, un conspirationnisme acceptable et un autre qui ne le serait pas, suivant ses foyers d’émission. Il n’est pas illégal certes, dans une certaine mesure, mais ceux qui relaient ou servent d’interface publique à ce type de discours portent une énorme responsabilité devant la collectivité. On ne pourra ensuite déplorer les conséquences dont on chérit, consciemment ou non, les causes.

 

Voir aussi :

Contre le « mondialisme Rothschild », Bruxelles et la « Partition », Philippe de Villiers veut questionner les « vérités officielles »

 

 

* Dernier ouvrage paru :  Le Lobby saoudien en France. Comment vendre un pays invendable, Paris, Denoël, 2021 (avec Pierre Conesa, Sofia Karampali Farhat et Régis Soubrouillard).

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Philippe de Villiers sur Sud Radio (13 avril 2021), sur BFM TV (10 avril), en couverture de Valeurs actuelles (15-21 avril) et sur Europe 1 (9 avril).

Une question ne cesse de me tarauder, même si elle peut apparaître par bien des aspects comme, au mieux rhétorique, au pire naïve : la médiatisation d’auteurs suite à la parution d’ouvrages est-elle vraiment en rapport avec la qualité et la rigueur qui s’y déploient, ou est-ce leur identité sociale, la reconnaissance dont ils jouissent par ailleurs, qui « fait » leur médiatisation ?

Philippe de Villiers, entre autres ancien député, ancien ministre et surtout fondateur du parc du Puy du Fou, écrit régulièrement des livres dont l'exposition médiatique est inversement proportionnelle à leur consistance. Le jugement peut a priori sembler sévère. Il n’en est rien.

Par-delà son ancrage à l’extrême droite même si, officiellement, il n’appartient à aucune formation politique identifiée comme telle, Philippe de Villiers est, avec constance, complotiste. En effet, il croit, d’une part, dur comme fer en une conspiration des « élites » capables selon lui de toutes les félonies et complots contre « le peuple », et d’autre part, au « Grand Remplacement », un thème popularisé par l’écrivain Renaud Camus. Pour eux, les musulmans (et pas seulement les islamistes) « colonisent » notre pays, avec la trahison des autochtones.

Puisant au même lexique, empruntant à la même grammaire (« mondialisme », « mondialistes », « immigrationnisme », « remigration », etc.), et plus trivialement encore, à la logorrhée des propagateurs de clichés conspirationnistes, à l’instar de l’organisation Égalité & Réconciliation d’Alain Soral, il déclarait sans être contredit ou fermement discuté par les journalistes d’un grand quotidien national en novembre 2014, que « nos élites rêvent d’un petit homme sans racine, ni filiation », ajoutant qu’« on est train de fabriquer pour la France de demain, un petit homme consommateur à l’américaine qui sera asexué et apatride. Il n’aura plus ni racine, ni filiation […]. L’Europe aujourd’hui est en train de mourir. Elle meurt culturellement et démographiquement. Elle meurt d’un chassé-croisé entre l’avortement de masse et l’immigration de masse. »

Dans cette interview, non seulement il taxait le ministre de l’Education nationale de l’époque, Vincent Peillon, de « laïcisme qui propose d’absorber le spirituel dans le temporel et donc de fabriquer des enfants sans leurs parents pour pouvoir les élever dans un matérialisme absolu », raillant les dénonciateurs/affabulateurs de la « théorie du genre », mais il remettait purement et simplement en cause le principe laïque ; il affirmait effectivement, là aussi sans être seulement repris par les interviewers, que « la seule protection possible contre ces deux tentations séculaires [islamisme et laïcisme - ndlr] réside dans la culture chrétienne de la vraie laïcité fondée sur deux principes inséparables : le spirituel et le temporel s’irriguent mutuellement, mais ne se confondent pas ».

On pourrait citer d’autres passages ou interventions médiatiques au cours desquels de Villiers (re)prend ou (re)prenait, sans vergogne, les mots de la complosphère, à l’instar du passe-partout, « Système », qui a l’avantage de désigner des coupables au visage changeant.

S’il est critiqué pour flirter avec le conspirationnisme soft ou hard, l’ancien élu répond que les seuls et vrais complotistes, en quelque sorte les comploteurs réels, ne sont ni plus ni moins que les élites que, précisément, il stigmatise. Ainsi, le « complotisme » ne serait au fond à ses yeux qu’une arme de dissuasion brandie par des adversaires et des ennemis, les élites, ou a minima ceux qui en sont les complices.

« Ce que nous avons vécu a déjà été joué »

Plus récemment, venu parler de son dernier livre paru en ce mois d’avril, Le Jour d’après (éd. Albin Michel), sur l’antenne de Sud Radio, au micro d’André Bercofflui-même connu pour ses sorties complotistes –, Philippe de Villiers expliquait, avec le sourire complice, le ton et les propos approbateurs de l’interviewer, que « les fake news » ou les complotistes, loin de revêtir une existence réelle, seraient en fait les élites dominantes qui vilipenderaient « ceux qui ne sont pas d’accord avec eux ». De ce point de vue, le complotiste n’est pas ou plus celui qui fantasme des complots par définition imaginaires. L’ancien ministre ne faisait que répéter à la radio ce qu’il écrit dans son derniers opus ; cela apparaît en exergue sur le site officiel des éditions Albin Michel, où il prétend que l’épidémie de coronavirus a « déjà été jouée » à l’occasion d’une réunion qui s’est tenue à New York le 18 octobre 2019 :

« Ce que nous avons vécu a déjà été joué. A New-York. Lors d’une réunion ou plutôt d’un exercice de simulation d’une pandémie de coronavirus, le 18 octobre 2019 ; tout a été filmé et se trouve sur Internet. Cela s’est passé plusieurs mois avant la survenance du virus. En réalité, les participants – les géants du capitalisme de surveillance – anticipaient ainsi la catastrophe à venir. Ils avaient voulu un monde d’un seul tenant, sans cloisons. Ils savaient que ce monde-là serait hautement pathogène. Ils le savaient et s’y préparaient. Ils attendaient la pandémie et ils la voyaient venir ».

Certes, jouant habilement sur l’ambiguïté, il ne va pas jusqu’à énoncer, expressis verbis, que le virus a été fabriqué en laboratoire puis propagé ensuite au reste du monde. Mais l’essayiste-militant n’en demeure pas moins convaincu que les élites « capitalistes » l’ont voulu, au point qu’elles l’auraient anticipé et accompagné. Et cela s’appelle objectivement du conspirationnisme, qui ensuite discrédite sans aucun fondement la parole publique et parallèlement les mesures sanitaires primordiales. Il en est ainsi lorsque Philippe de Villiers compare, de façon extrêmement douteuse, le docteur Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique, à... Pétain. Partant, si l’on va au bout du raisonnement, l’épidémie de la Covid-19 aurait été organisée et planifiée aux fins de grossir l’hydre « mondialiste » et asseoir la domination oligarchique !

Au micro de Sonia Mabrouk, sur les ondes d'Europe 1 le 9 avril dernier, de Villiers entonna de nouveau son couplet complotiste au sujet du « Great Reset », suggérant que la pandémie actuelle ne serait qu’une étape dans un vaste projet diabolique de « réinitialisation du monde ». Il accuse Klaus Schwab, fondateur du Forum économique mondial de Davos, celui-là même qui forgea l’expression, de soutenir, dans la perspective d’un monde post-pandémie, ni plus ni moins qu’un projet d’aliénation des peuples. Pourtant, ce n’est pas exactement ce qu’avance le leader économique qui plaide pour qu'advienne « un système fonctionnel de coopération mondiale intelligente, structuré pour relever les défis des 50 prochaines années ». Rien de secret ici et rien, en tous cas, qui trahisse les intentions malignes que lui prête le fondateur du Puy du Fou.

En effet, dans un ouvrage publié en juillet 2020, intitulé Covid-19: The Great Reset, Klaus Schwab et son co-auteur, l’économiste Thierry Malleret, proposent ainsi non pas de prospérer sur les cadavres en cherchant à contrôler à vil prix le monde et les individus comme le soutient et l’insinue inlassablement Philippe de Villiers, mais au contraire d’œuvrer à résorber des inégalités apparues justement criantes à l’occasion de la crise sanitaire, misant, pour ce faire, sur « la clairvoyance » et « l’ingéniosité » de l’être humain.

Bref, l’exacte antithèse de ce que martèle l’homme politique auquel peu de journalistes opposent des contre-arguments solides. La mécanique conspirationniste de Philippe de Villiers et consorts est parfaitement huilée, à la fois attendue et symptomatique d’une époque confuse où le relativisme de la vérité profite essentiellement à ceux qui s’en affranchissent. De la sorte, une culture de la suspicion et de l’anathème progresse ; s’ensuivent procès d’intention et perfidie prêtées sélectivement à des individus, a fortiori s’ils sont étrangers ou au patronyme apparemment non français.

« Ils le savaient, ils s’y attendaient, ils s’y préparaient »

Au micro de la journaliste Apolline de Malherbe, sur l’antenne de BFM TV samedi 10 avril dernier, Philippe de Villiers, par moments contradictoires (parce que poussé parfois dans ses derniers retranchements), proposait une énième définition du complotiste, pratiquant l’inversion accusatoire, pour aussitôt asséner l’existence d’une planification de l’épidémie de coronavirus voulue par « des géants du numérique » :

« Un complotiste, c’est quelqu’un qui ment, c’est quelqu’un qui est dans le fantasme. Ce qui nourrit le complotiste, c’est quand nos gouvernants eux-mêmes ne sont pas dans la vérité nue, vous voyez ? Et quand on triche, on triche partout. Et la tricherie implique la tricherie. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est que j’ai vu de mes propres yeux un exercice de simulation qui a eu lieu le 18 octobre 2019, donc bien avant qu’on ne parle du Covid, à New York, vraiment avec le gratin mondial des puissances privées : big-data, big-pharma, big-finances. Ils font une simulation d’une pandémie de coronavirus. Et en voyant ça, je me dis, "bon, ce n’est pas truqué, c’est un fait !" C’est-à-dire qu’il y a des gens qui, en fait, savaient… »

L’acmé de la connivence journalistique avec le complotisme de l’essayiste de Vendée est atteinte dans l’interview récente que ce dernier a accordé à cinq journalistes (dont certains sont des chroniqueurs-télé) de Valeurs actuelles avec un titre/mot d’ordre qui n’est pas que tapageur (« J’appelle à l’insurrection ») puisqu’il peut se comprendre comme un appel à troubler l'ordre public.

L'interview de l'ancien président du Mouvement pour la France est un parfait compendium de ses obsessions nationalistes avec, derechef, une complaisance déconcertante des journalistes. Il y réitère la croyance en une conspiration « de gens puissants » réunis le 18 octobre 2019, qui, d’après lui, « se doutaient de quelque chose » tandis qu’ils ne parlaient pas encore de Covid… Il voit cette réunion de New York comme l’une des étapes phares d’un moment fondateur : la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994, conférant à cet égard à ses architectes et participants une sorte d’omniscience et d’omnipotence irrésistibles dans « ce nouveau monde » chaotique qu’ils dessinèrent, qu’ils auraient de cette façon préparé de longue date !

« Ils ont fabriqué ce monde sans cloisons. Ils savaient que ce monde serait violemment pathogène. Quand vous mettez 5 ou 6 milliards de personnes dans une même pièce, le microbe se promène plus facilement. Ils le savaient, ils s’y attendaient, ils s’y préparaient ».

L’ancien ministre tance même – sans user de l’expression « puçage » largement en vogue dans les milieux conspirationnistes –, « les géants du numérique » accusés de nous rendre « serfs […] appelés à être géolocalisés, implantés, traqués, tracés, donc soumis ». Enfin, il voit un autre complot des animateurs du Forum de Davos : œuvrer à la normalisation des LGBT, encourager l’immigration…voire, opprobre suprême, les droits de l’homme !

Parce que Philippe de Villiers est un bon client, en raison des milliers de vues que ses apparitions totalisent sur YouTube, des médias par ailleurs sérieux tendent à baisser la garde, sans crier gare. Bon gré mal gré, ils servent ainsi de réceptacles, de caisses de résonance ou de catalyseurs à des contre-vérités ; à entretenir un imaginaire complotiste où toutes les interprétations des événements se valent, jusques et y compris les plus farfelues. Surtout, la médiatisation de cette parole renforce un discours de défiance en vogue dans les milieux conspirationnistes, mais pas seulement, sur le « deux poids, deux mesures ». Le seul grief qu'Égalité & Réconciliation fait à Philippe de Villiers, c’est d’une certaine façon son défaut d’antisémitisme, que l’association d’extrême droite attribue à son soi-disant « national-sionisme ».

En tout état de cause, il ne saurait y avoir, sinon au risque d’abîmer encore davantage les fondations démocratiques fragilisées par un vent populiste qui se diffuse, un conspirationnisme acceptable et un autre qui ne le serait pas, suivant ses foyers d’émission. Il n’est pas illégal certes, dans une certaine mesure, mais ceux qui relaient ou servent d’interface publique à ce type de discours portent une énorme responsabilité devant la collectivité. On ne pourra ensuite déplorer les conséquences dont on chérit, consciemment ou non, les causes.

 

Voir aussi :

Contre le « mondialisme Rothschild », Bruxelles et la « Partition », Philippe de Villiers veut questionner les « vérités officielles »

 

 

* Dernier ouvrage paru :  Le Lobby saoudien en France. Comment vendre un pays invendable, Paris, Denoël, 2021 (avec Pierre Conesa, Sofia Karampali Farhat et Régis Soubrouillard).

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à propos de l'auteur
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Haoues Seniguer
Haoues Seniguer est maître de conférences en science politique à Sciences Po Lyon, chercheur au laboratoire Triangle (ENS/CNRS) et directeur adjoint de l'Institut d'études de l'islam et des sociétés du monde musulman (EHESS/CNRS). Il est notamment l’auteur de "L'islamisme décrypté" (L'Harmattan, 2020) et de "La république autoritaire. Islam de France et illusion républicaine (2015-2022)" (éd. Le Bord de l’eau, 2022).
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