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« Bloquons tout ! » : comment le mouvement est passé de l’extrême droite à l’extrême gauche

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Né dans des groupes Telegram souverainistes et conspirationnistes, le mouvement « Bloquons tout ! » s’est peu à peu reconfiguré à gauche, jusqu’à recevoir le soutien de Jean-Luc Mélenchon et de plusieurs figures des Gilets jaunes. Un kaléidoscope politique où s’entremêlent ressentiment et défiance à l'égard de la classe politique.

Montage CW.

« Nébuleux », « extrême droite », « complotiste et antivax », « extrême gauche radicale » : presque toutes les étiquettes ont été apposées sur le mouvement « Bloquons tout ! » depuis son apparition début juillet dans des groupes Telegram. Qu’en est-il exactement ? Clairement, la réalité du mouvement est disparate, bigarrée et pleines de contradictions. Elle revêt aussi une forme d’homogénéité autour d'une idée force :  les élites agissent contre le peuple. Depuis qu’il est soutenu par certains partis politiques comme LFI, une lecture conspirationniste du mouvement lui-même a émergé pour en faire l’un des bras armés de... l'Elysée ! Bref, une chose est sûre : résumer « Bloquons tout ! » à un seul aspect du kaléidoscope politique s’apparente à une simplification. Récapitulons.

À l’origine, une mécanique conspi d’extrême droite

Au commencement de ce mouvement, un groupe Telegram confidentiel, « Les Essentiels », créé par un certain Julien Marissiaux. Les « Essentiels » c’est aussi le nom d’un café associatif du Nord où est tournée un soir de juillet une courte vidéo dans laquelle trois mots sont mis en avant : « boycott », « désobéissance », « solidarité ». Ainsi qu’une date, le 10 septembre. Le tout ne promettant rien d’autre que de « mettre la France à l’arrêt ».

Sur le profil Linkedin de Julien Marissiaux, Le Monde relève des louanges à Elon Musk, des mentions du Rassemblement national ou encore des contenus vidéos de Philippe de Villiers. Les premiers posts du compte, eux, se bornent à publier des messages consacrés au « ras-le-bol français », à la défense des « gilets jaunes », des TPE-PME et des « racines chrétiennes » de la France, ou appelant au « Frexit ».

À l'origine de ce mouvement, une idée : le 10 septembre, il convient de ne pas faire d'achat en ligne, de ne pas regarder la télévision, de ne pas travailler, une sorte de « confinement sans virus », peut-on lire dans les messages initiaux. S'y ajoute une phraséologie plus classique de l'extrême droite autour de la destitution d'Emmanuel Macron ou alors l'interdiction de l'appartenance maçonnique pour les élus et les préfets − idée proposée en son temps par le Mouvement 5 étoiles italien. Les autres contenus relayés accusent une nette tonalité populiste, avec notamment une diatribe de l’avocat Juan Branco et une logorrhée anti-Macron de Francis Lalanne [archive]. Les autres contenus partagés dans le fil Telegram flirtent clairement avec la droite populiste. À tel point que des figures de la droite souverainiste, comme Florian Philippot, s'enflamment en y décelant un « excellent signe de la vitalité du peuple français », et en salue l'origine très « frexiteuse ».

S’il reste au départ plutôt marginal, le mouvement prend de l’ampleur au lendemain du 14 juillet après les annonces budgétaires de François Bayrou. Surgissent alors des initiatives comme la « grève de la carte bleue », relayée sur X par l'avocat Alberto Carlo Brusa [archive]. Le 19 juillet, AuBonTouiteFrançais (136 000 abonnés) diffuse « l’appel national […] pour un arrêt total général et illimité du pays à partir du 10 septembre 2025 » [archive].

Dans un thread, le journaliste Raphaël Grably (BFM TV) pointe le tropisme complotiste de la mobilisation : sur « les Essentiels », articles sur le prétendu soutien d’Emmanuel Macron aux francs-maçons et mises en avant de figures de la complosphère telles qu'Idriss Aberkane.

Les 17, 18 et 19 juillet, des comptes complotistes propulsent les hashtags #10septembre et #BloquonsTout. Un autre hashtag, #GouvernementDeTromperie, intrigue. Poussé dès le 29 juin par deux comptes complotistes, il est repris par quelques comptes à l'authenticité douteuse, note encore Raphaël Grably. Une opération de d'amplification de la mobilisation par des bots étrangers n'est pas à exclure.

Le soutien politique de Jean-Luc Mélenchon change la donne

L'empreinte numérique du mouvement prend une autre ampleur au milieu du mois d'août. Le hashtag #10septembre sort de sa niche militante. Dans les boucles d’anciens Gilets jaunes sont réactivées et des anciennes figures comme Jérôme Rodrigues relaient les messages. Des visuels circulent sur plusieurs comptes X et le hashtag devient l'une des tendances les plus suivies sur TikTok. Un autre collectif, « Indignons-nous », émerge à la mi-juillet et devient, assez rapidement, la bannière la plus visible de « Bloquons tout ! ».

Le groupe « Bloquons tout – Indignons-nous » qui devient le groupe dominant de la mobilisation est « plus marqué à gauche » et le site indignonsnous.fr sert de plaque tournante : visuels prêts à l’emploi, formulaire et cahier de doléances, renvois vers les réseaux sociaux. Une page « Sites » agrège une constellation de domaines miroirs (10s25.fr, 10s25.ovh, bloquonstout.ovh, indignonsnous.fr, etc.), signe d’une stratégie de démultiplication. « Indignons-nous » privilégie blocages, AG et actions coordonnées, en rupture avec le confinement citoyen initial popularisé par la nébuleuse des Essentiels sur Telegram. Sur X, la montée d’« Indignons-nous » coïncide avec le début de la réorientation « à gauche » des conversations au mois d'août. À ce moment-là, le basculement politique du mouvement de la droite vers la gauche n'a pas encore totalement eu lieu. L'étude de l'agence Visibrain intitulée « Le 10 septembre : 50 nuances de colère anti-système » le montre avec acuité.

L'analyse confirme que la mobilisation du « 10 septembre » est donc bien née sur Telegram au sein du collectif souverainiste « Les Essentiels », avant de se structurer, surtout sur X, où la séquence suit trois temps : un démarrage rapide (environ 19 000 messages par jour), un creux fin juillet–mi-août (8 000 par jour), puis un net décollage à partir du 17 août le lendemain du soutien officiel apporté par Jean-Luc Mélenchon dans La Tribune Dimanche.

Si le triple candidat à la présidentielle avait déjà apporté son soutien au mouvement le 30 juillet sur son blog en écrivant : « Et comme pour les gilets jaunes, si je dois donner mon avis je dirai que je me reconnais dans les motifs de cette action », le 17 août il va beaucoup plus loin : « Nous appelons à une offensive déterminée pour faire tomber ce gouvernement. Sur le terrain par la mobilisation populaire tous azimuts et au parlement par une motion de censure immédiate ». Il demande aussi aux militants de la France insoumise de se mettre « au service des collectifs locaux qui proposent cette mobilisation et à tout faire pour sa réussite ».

Selon les chiffres de Visibrain, l'effet est immédiat et le nombre de messages quotidiens est désormais de 70 000 messages. Les cartographies montrent une mosaïque initiale (souverainistes, droite identitaire, ex-Gilets jaunes, gauche radicale) qui se recompose « à gauche toute » après la mi-août, avec un retrait des droites. Visibrain signale par ailleurs une forte présence de faux comptes dans un cluster distinct du reste de la mobilisation. L’institut estime qu’il serait erroné d’y voir un simple « faux-nez » étranger, tout en soulignant que la séquence peut être exploitée par des « ingénieurs du chaos ». Enfin, Visibrain rappelle que l’effervescence numérique ne préjuge pas de l’ampleur des actions dans la rue. Dans ce vacarme, deux récits s'affrontent : la chaîne « Les Essentiels » sur Telegram, souverainiste, où est apparue la première mention du « 10 septembre ». Puis un réseau « Indignons-nous », plus frontal, qui passe de l'appel au « confinement citoyen » des Essentiels au « blocage total ».

Reste à savoir qui s'exprime quand « Bloquons tout » parle. Le politiste Antoine Bristielle a dressé pour la Fondation Jean-Jaurès une radiographie politique des sympathisants sur la base d'une enquête administrée entre le 15 et le 23 août dans les canaux du mouvement (1 089 réponses). Cela fixe un ordre de grandeur : compte tenu de leurs votes au premier tour de l'élection présidentielle de 2022, « ce sont plus de 80 % des soutiens de "Bloquons tout" qui semblent provenir de la gauche radicale », 86 % s’auto-positionnant à l’extrême gauche. De plus, 27 % d'entre eux revendiquent une participation active aux Gilets jaunes et 61 % déclarent avoir soutenu le mouvement, soit 88 % au total. Ainsi, si la radiographie du mouvement tel qu'il se constituait dans la deuxième quinzaine du mois d'août l'ancre à la gauche de la gauche, il affiche aussi une forme de continuité avec les Gilets jaunes. Ce qu'accrédite également le soutien de plusieurs figures des Gilets jaunes à « Bloquons tout ».

Un mouvement manipulé par l'Elysée ?

Le basculement de « Bloquons tout » n'a pas plu à tout le monde. Aussitôt celui-ci acté qu'une lecture conspirationniste de la mobilisation en ligne a émergé. En première ligne : François Asselineau. « Il est maintenant clair que cette opération est pilotée en sous-main par l'extrême-gauche peut-être avec le soutien discret de Macron. Mélenchon est un faux opposant qui a fait élire Macron 2 fois et refuse le Frexit », lance ainsi le leader de l'UPR [archive]. La vidéaste antivax Momotchi y va aussi de sa théorie et estime que deux mois pour donner au gouvernement le temps de préparer sa réponse, c'est louche. Relayée par Le Media en 4-4-2 [archive], elle invite ses followers à court-circuiter le mouvement. Dans cette frange conspirationniste, on tente de reprendre la main. Notamment en apportant un soutien au mouvement britannique anti-immigration « Raise the colours » (« hissez nos couleurs ») sous la forme du hashtag #OperationTricolore. Ainsi Myriam Palomba [archive] et Florian Philippot [archive] espèrent ainsi se raccrocher à une autre mouvance plus proches de leurs idées.

Au final, « Bloquons tout » semble avoir muté d'un mouvement de protestation contre la classe politique perméable au complotisme à une mobilisation sociale plus classique. De facto, le mouvement en ligne apparaît comme une mobilisation dégagiste et populiste qui se retrouve autour d'une idée simple : eux (les élites) contre nous (le peuple). Reste à savoir qui sera vraiment dans la rue demain, 10 septembre.

 

Voir aussi :

[PODCAST] "Bloquons tout" : la complosphère en embuscade le 10 septembre ?

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à propos de l'auteur
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David Medioni
Journaliste indépendant, David Medioni anime l'émission « Les Déconspirateurs ». Il collabore à Franc-Tireur, La Tribune et CB News. Directeur de l'Observatoire des médias de la Fondation Jean-Jaurès, il est également le fondateur et le rédacteur en chef du magazine littéraire en ligne Ernest. Essayiste, il a publié plusieurs essais aux éditions de l'Aube : Être en train. Récits sur les rails, Eloge de la séduction, L'an zéro du tourisme (avec Jean Viard), et Quand l'info épuise (avec Guénaëlle Gault).
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