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Martine Aubry a dîné au "Siècle"… et après ?!

Publié par La Rédaction09 décembre 2008

En novembre dernier, lors du Congrès socialiste de Reims, certains internautes ont insisté lourdement sur l'appartenance de Martine Aubry au Siècle, ce club réunissant les élites politiques et économiques françaises, où se serait fomenté - selon eux - rien moins que le « sabotage » de la candidature de Ségolène Royal. La nouvelle Premier secrétaire du Parti socialiste a ainsi été présentée comme un pion de la droite française visant à faire échec à la présidente de la région Poitou-Charentes - que Nicolas Sarkozy redouterait plus que tout ! D'ailleurs, les 35 heures, que Martine Aubry avait mis en place sous le gouvernement Jospin, n'aurait été qu'un cadeau fait au grand patronat français !

En réalité, Martine Aubry n’a pas dîné au Siècle depuis dix ans. Or, si l’on en croit une vidéo postée récemment sur Dailymotion (voir ci-dessous), les fantasmes autour de ce club de réflexion créé en 1944 vont bon train :

A l’instar de la franc-maçonnerie, du Groupe Bilderberg ou du Council on Foreign Relations (CFR), le Siècle est tenu par certains pour être l’un de ces endroits où les « puissants » conspirent contre le petit peuple (voir ici).

C’est l’idéologue d’extrême droite Emmanuel Ratier qui a propagé la théorie du complot autour du Siècle dans son livre Au cœur du pouvoir (Faits & Documents, 1996). La quatrième de couverture est éloquente : « Voici le premier ouvrage qui dévoile les arcanes de ce club très secret, que d’aucuns ont comparé aux loges maçonniques ou à la Synarchie. Se fondant sur des centaines de documents internes, Au cœur du pouvoir parle de son fondateur, de son empire de presse et d’influence qu’il développa pendant près de cinquante ans. (…) Il y décrit (…) ce qui s’y trame, s’y noue et s’y décide, de la chute des ministères aux alliances entre banquiers ou capitaines d’industrie ».

Présenté, à tort, comme un think-tank (le Siècle n'organise ni colloque ni conférence mais des dîners ; il ne publie aucun acte, contrairement à la Fondation Saint-Simon par exemple), ce club élitaire n’est, de toute évidence, qu’une institution un peu désuète où se réunissent hommes et femmes, de gauche ou de droite, dirigeants d’entreprise, banquiers, haut fonctionnaires, magistrats, élus, journalistes, acteurs de la vie culturelle, etc. Anne Martin-Fugier, une historienne spécialiste des cercles de sociabilités, lui a consacré un article fouillé et démystificateur. On y apprend que le Siècle est une association loi de 1901 dont les statuts sont publics et dont le principe est de « faire un pont entre des mondes qui s’ignorent trop en France (politiques, hauts fonctionnaires, journalistes, industriels, banquiers) ». Il se fixe également pour but d’être « un tremplin pour des éléments brillants que la naissance ou le milieu ne prédisposent pas à se constituer un tissu de relations dans les antichambres du pouvoir ». Le Siècle organise un dîner tous les quatrième mercredi du mois. L’admission s’y fait par cooptation. Quant au caractère occulte du lieu, il est si « secret » qu’on en parle jusque dans les colonnes du Monde...

L’écrivain François Nourissier racontait ainsi son expérience au Siècle : « Je suis un des rares démissionnaires. On m’a proposé d’entrer, j’avais pour parrains Jacques Rigaud et Simon Nora. J’ai fréquenté les dîners pendant environ trois ans et puis tout d’un coup j’ai pris conscience que je m’ennuyais. De plus, devenant un peu sourd, avec le bruit des conversations, je n’entendais pas mes voisins de table. J’ai donc démissionné. Tout le monde avait été très gentil avec moi mais je n’ai le souvenir que d’un seul dîner intéressant. Il y avait quelque chose de tendu dans l’air, c’était une journée de manifestations ou un lendemain d’élection, et, pour une fois, j’ai eu l’impression d’entendre des propos que je n’aurais pas entendus ailleurs. Mais une fois en trois ans ! »

Et si le problème n'était pas le complot des élites, mais tout simplement leur homogénéité. L'ancien président du Siècle, Gérard Worms, regrettait que les 4/5 de ses membres étaient issus de « la haute fonction publique, de la société politique et du monde des affaires ». Il y a vingt ans de cela, l'Express parlait du club dans ces termes : « Imaginer Le Siècle comme une “loge” toute puissante serait faire preuve de naïveté ou de fantaisie romanesque. Mais n’y voir qu’un dîner mondain serait ignorer que la capitale est faite de réseaux, de codes non écrits, de relations personnelles, qui transcendent les frontières trop simples de l’univers politique. Et témoignent de l’homogénéité de l’élite française » (Olivier Jay, « Un dîner dans le Siècle », L’Express, 25-31 mars 1988).

Source :
Anne Martin-Fugier, «
LE SIECLE (1944-2004). Un exemple de sociabilité des élites », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 81, 2004/1, pp. 21-29. Lire l'article en format PDF sur le site CAIRN.

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En novembre dernier, lors du Congrès socialiste de Reims, certains internautes ont insisté lourdement sur l'appartenance de Martine Aubry au Siècle, ce club réunissant les élites politiques et économiques françaises, où se serait fomenté - selon eux - rien moins que le « sabotage » de la candidature de Ségolène Royal. La nouvelle Premier secrétaire du Parti socialiste a ainsi été présentée comme un pion de la droite française visant à faire échec à la présidente de la région Poitou-Charentes - que Nicolas Sarkozy redouterait plus que tout ! D'ailleurs, les 35 heures, que Martine Aubry avait mis en place sous le gouvernement Jospin, n'aurait été qu'un cadeau fait au grand patronat français !

En réalité, Martine Aubry n’a pas dîné au Siècle depuis dix ans. Or, si l’on en croit une vidéo postée récemment sur Dailymotion (voir ci-dessous), les fantasmes autour de ce club de réflexion créé en 1944 vont bon train :

A l’instar de la franc-maçonnerie, du Groupe Bilderberg ou du Council on Foreign Relations (CFR), le Siècle est tenu par certains pour être l’un de ces endroits où les « puissants » conspirent contre le petit peuple (voir ici).

C’est l’idéologue d’extrême droite Emmanuel Ratier qui a propagé la théorie du complot autour du Siècle dans son livre Au cœur du pouvoir (Faits & Documents, 1996). La quatrième de couverture est éloquente : « Voici le premier ouvrage qui dévoile les arcanes de ce club très secret, que d’aucuns ont comparé aux loges maçonniques ou à la Synarchie. Se fondant sur des centaines de documents internes, Au cœur du pouvoir parle de son fondateur, de son empire de presse et d’influence qu’il développa pendant près de cinquante ans. (…) Il y décrit (…) ce qui s’y trame, s’y noue et s’y décide, de la chute des ministères aux alliances entre banquiers ou capitaines d’industrie ».

Présenté, à tort, comme un think-tank (le Siècle n'organise ni colloque ni conférence mais des dîners ; il ne publie aucun acte, contrairement à la Fondation Saint-Simon par exemple), ce club élitaire n’est, de toute évidence, qu’une institution un peu désuète où se réunissent hommes et femmes, de gauche ou de droite, dirigeants d’entreprise, banquiers, haut fonctionnaires, magistrats, élus, journalistes, acteurs de la vie culturelle, etc. Anne Martin-Fugier, une historienne spécialiste des cercles de sociabilités, lui a consacré un article fouillé et démystificateur. On y apprend que le Siècle est une association loi de 1901 dont les statuts sont publics et dont le principe est de « faire un pont entre des mondes qui s’ignorent trop en France (politiques, hauts fonctionnaires, journalistes, industriels, banquiers) ». Il se fixe également pour but d’être « un tremplin pour des éléments brillants que la naissance ou le milieu ne prédisposent pas à se constituer un tissu de relations dans les antichambres du pouvoir ». Le Siècle organise un dîner tous les quatrième mercredi du mois. L’admission s’y fait par cooptation. Quant au caractère occulte du lieu, il est si « secret » qu’on en parle jusque dans les colonnes du Monde...

L’écrivain François Nourissier racontait ainsi son expérience au Siècle : « Je suis un des rares démissionnaires. On m’a proposé d’entrer, j’avais pour parrains Jacques Rigaud et Simon Nora. J’ai fréquenté les dîners pendant environ trois ans et puis tout d’un coup j’ai pris conscience que je m’ennuyais. De plus, devenant un peu sourd, avec le bruit des conversations, je n’entendais pas mes voisins de table. J’ai donc démissionné. Tout le monde avait été très gentil avec moi mais je n’ai le souvenir que d’un seul dîner intéressant. Il y avait quelque chose de tendu dans l’air, c’était une journée de manifestations ou un lendemain d’élection, et, pour une fois, j’ai eu l’impression d’entendre des propos que je n’aurais pas entendus ailleurs. Mais une fois en trois ans ! »

Et si le problème n'était pas le complot des élites, mais tout simplement leur homogénéité. L'ancien président du Siècle, Gérard Worms, regrettait que les 4/5 de ses membres étaient issus de « la haute fonction publique, de la société politique et du monde des affaires ». Il y a vingt ans de cela, l'Express parlait du club dans ces termes : « Imaginer Le Siècle comme une “loge” toute puissante serait faire preuve de naïveté ou de fantaisie romanesque. Mais n’y voir qu’un dîner mondain serait ignorer que la capitale est faite de réseaux, de codes non écrits, de relations personnelles, qui transcendent les frontières trop simples de l’univers politique. Et témoignent de l’homogénéité de l’élite française » (Olivier Jay, « Un dîner dans le Siècle », L’Express, 25-31 mars 1988).

Source :
Anne Martin-Fugier, «
LE SIECLE (1944-2004). Un exemple de sociabilité des élites », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 81, 2004/1, pp. 21-29. Lire l'article en format PDF sur le site CAIRN.

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