Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Lutter contre le conspirationnisme, une tâche ingrate mais nécessaire

Publié par Rudy Reichstadt24 février 2016,

Les nombreuses théories du complot ayant émergé après les attentats de l'année 2015 ont mis en lumière le degré de pénétration des idées conspirationnistes dans la société. Qu'est-ce que le conspirationnisme ? Et comment appendre à vivre avec les complotistes ?

"Les complots existent". C’est l’un des truismes les plus récurrents qu’en guise d’objection on oppose à ceux qui entreprennent de lutter contre les théories du complot.

Étrange objection si l’on y réfléchit bien car personne n’a jamais nié l’existence des complots ; elle ne poserait aucun problème si elle n’avait trop souvent servi à escamoter l’émergence d’un nouveau révisionnisme dont internet a, de l’avis de tous les experts, accéléré et accru dans des proportions inédites les possibilités de diffusion.

Bien sûr, la notion de "théorie du complot" est critiquable, à commencer par le fait qu’elle n’a rien d’une "théorie" au sens scientifique du terme. Mais pour peu qu’elle soit utilisée correctement et honnêtement, l’expression permet de nommer un phénomène bien tangible et de séparer complots authentiques et cabales imaginaires. Les uns jalonnent l’histoire de l’humanité et ne tardent généralement pas à être découverts après leur mise en œuvre. Les autres relèvent de la croyance paranoïaque précisément parce qu’aucune preuve ne vient les étayer.

Parce qu’il peut prendre des formes aussi abjectes qu’inquiétantes, parce que son développement sape les bases même de notre contrat démocratique, parce qu’il divertit des vraies menaces, justifie la violence et désigne des boucs émissaires à la vindicte publique, le conspirationnisme suscite une préoccupation croissante dans l’opinion.

Un discours qui gagne aussi l’élite française

Depuis un peu plus d’une année maintenant, l’État, à son plus haut niveau, a pris la mesure du problème. Le lancement d’une campagne de communication par le gouvernement, l’organisation d’une journée d’étude par le ministère de l’Education nationale, la multiplication des émissions de radio, de télévision et des reportages consacrés au phénomène attestent d’une prise de conscience salutaire.

Le traumatisme des attentats de janvier 2015 et la lumière crue jetée à cette occasion sur le degré de pénétration des idées conspirationnistes dans la société ont balayé – pour combien de temps ? – l’attitude qui consistait à traiter le conspirationnisme comme un folklore inoffensif ou un mot à la mode inventé pour stigmatiser les "mal-pensants".

Une première erreur d’analyse serait de considérer les plus socialement défavorisés ou les jeunes – qui passent pour les plus perméables au complotisme – comme les seuls concernés. Une seconde serait de réduire le conspirationnisme à un trouble psychique.

Car le conspirationnisme est non seulement un "discours politique" (Emmanuel Taïeb) mais il est aussi, ceci expliquant cela, bien présent au cœur de l’élite française. Ils sont ainsi un certain nombre d’universitaires, de journalistes, de responsables politiques et d’artistes à naviguer entre la mansuétude à l’égard du conspirationnisme et sa légitimation pure et simple.

La lutte contre le complotisme, un combat asymétrique

Sans parler de ces entrepreneurs de politisation qui en usent et abusent, au point d’en faire, comme Alain Soral, un fonds de commerce ou, comme Thierry Meyssan, un mercenariat intellectuel.

Il y a sans aucun doute une distinction à faire entre les professionnels de la désinformation conspirationniste et leur clientèle. On ne convaincra jamais les premiers. Il est en revanche permis d’espérer pouvoir ramener à la raison les seconds. Pas par la flatterie, cette politesse du mépris, ni par des sermons, mais en contre-argumentant, c’est-à-dire par un travail de fourmi.

La lutte contre le complotisme a tout du combat asymétrique : on y affronte un adversaire supérieur en nombre et usant volontiers de la calomnie à votre endroit. C’est pourtant une tâche nécessaire que de déconstruire les arguments complotistes et de les replacer dans leur contexte de production et de diffusion (quelles sont leurs origines, qui les a mis en circulation, etc.).

Il apparaît de plus en plus clairement que le complotisme fera dorénavant et pour longtemps encore partie de notre décor, comme un fond sonore permanent.

"Douter de tout pour ne plus douter du tout"

Même si elle ne peut pas tout, l’école a un rôle déterminant à jouer : à condition qu’il ne sacrifie pas au relativisme ambiant du "tout se vaut" et ne s’abîme pas dans une sorte de suspicion généralisée et indiscriminée à l’égard de toute source d’information, l’apprentissage du doute méthodique est peut-être le meilleur remède au doute orienté, capricieux et dogmatique qui caractérise le discours complotiste.

Un discours dont le chercheur en rhétorique Loïc Nicolas a ramassé tout le paradoxe dans une formule brillante et subtile : "Douter de tout pour ne plus douter du tout".

Mais au-delà des initiatives institutionnelles, c’est à la société civile de trouver en elle les ressources pour relever le défi que nous lance le conspirationnisme. En inventant une nouvelle "forme de militance républicaine" comme nous y engage le sociologue des croyances Gérald Bronner.

Ou, de manière plus modeste, en s’astreignant à ne pas partager sur les réseaux sociaux des contenus issus de sites douteux ou dont la source n’est pas identifiable.

 

(Texte publié dans Le Plus le 24/02/2016)

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"Les complots existent". C’est l’un des truismes les plus récurrents qu’en guise d’objection on oppose à ceux qui entreprennent de lutter contre les théories du complot.

Étrange objection si l’on y réfléchit bien car personne n’a jamais nié l’existence des complots ; elle ne poserait aucun problème si elle n’avait trop souvent servi à escamoter l’émergence d’un nouveau révisionnisme dont internet a, de l’avis de tous les experts, accéléré et accru dans des proportions inédites les possibilités de diffusion.

Bien sûr, la notion de "théorie du complot" est critiquable, à commencer par le fait qu’elle n’a rien d’une "théorie" au sens scientifique du terme. Mais pour peu qu’elle soit utilisée correctement et honnêtement, l’expression permet de nommer un phénomène bien tangible et de séparer complots authentiques et cabales imaginaires. Les uns jalonnent l’histoire de l’humanité et ne tardent généralement pas à être découverts après leur mise en œuvre. Les autres relèvent de la croyance paranoïaque précisément parce qu’aucune preuve ne vient les étayer.

Parce qu’il peut prendre des formes aussi abjectes qu’inquiétantes, parce que son développement sape les bases même de notre contrat démocratique, parce qu’il divertit des vraies menaces, justifie la violence et désigne des boucs émissaires à la vindicte publique, le conspirationnisme suscite une préoccupation croissante dans l’opinion.

Un discours qui gagne aussi l’élite française

Depuis un peu plus d’une année maintenant, l’État, à son plus haut niveau, a pris la mesure du problème. Le lancement d’une campagne de communication par le gouvernement, l’organisation d’une journée d’étude par le ministère de l’Education nationale, la multiplication des émissions de radio, de télévision et des reportages consacrés au phénomène attestent d’une prise de conscience salutaire.

Le traumatisme des attentats de janvier 2015 et la lumière crue jetée à cette occasion sur le degré de pénétration des idées conspirationnistes dans la société ont balayé – pour combien de temps ? – l’attitude qui consistait à traiter le conspirationnisme comme un folklore inoffensif ou un mot à la mode inventé pour stigmatiser les "mal-pensants".

Une première erreur d’analyse serait de considérer les plus socialement défavorisés ou les jeunes – qui passent pour les plus perméables au complotisme – comme les seuls concernés. Une seconde serait de réduire le conspirationnisme à un trouble psychique.

Car le conspirationnisme est non seulement un "discours politique" (Emmanuel Taïeb) mais il est aussi, ceci expliquant cela, bien présent au cœur de l’élite française. Ils sont ainsi un certain nombre d’universitaires, de journalistes, de responsables politiques et d’artistes à naviguer entre la mansuétude à l’égard du conspirationnisme et sa légitimation pure et simple.

La lutte contre le complotisme, un combat asymétrique

Sans parler de ces entrepreneurs de politisation qui en usent et abusent, au point d’en faire, comme Alain Soral, un fonds de commerce ou, comme Thierry Meyssan, un mercenariat intellectuel.

Il y a sans aucun doute une distinction à faire entre les professionnels de la désinformation conspirationniste et leur clientèle. On ne convaincra jamais les premiers. Il est en revanche permis d’espérer pouvoir ramener à la raison les seconds. Pas par la flatterie, cette politesse du mépris, ni par des sermons, mais en contre-argumentant, c’est-à-dire par un travail de fourmi.

La lutte contre le complotisme a tout du combat asymétrique : on y affronte un adversaire supérieur en nombre et usant volontiers de la calomnie à votre endroit. C’est pourtant une tâche nécessaire que de déconstruire les arguments complotistes et de les replacer dans leur contexte de production et de diffusion (quelles sont leurs origines, qui les a mis en circulation, etc.).

Il apparaît de plus en plus clairement que le complotisme fera dorénavant et pour longtemps encore partie de notre décor, comme un fond sonore permanent.

"Douter de tout pour ne plus douter du tout"

Même si elle ne peut pas tout, l’école a un rôle déterminant à jouer : à condition qu’il ne sacrifie pas au relativisme ambiant du "tout se vaut" et ne s’abîme pas dans une sorte de suspicion généralisée et indiscriminée à l’égard de toute source d’information, l’apprentissage du doute méthodique est peut-être le meilleur remède au doute orienté, capricieux et dogmatique qui caractérise le discours complotiste.

Un discours dont le chercheur en rhétorique Loïc Nicolas a ramassé tout le paradoxe dans une formule brillante et subtile : "Douter de tout pour ne plus douter du tout".

Mais au-delà des initiatives institutionnelles, c’est à la société civile de trouver en elle les ressources pour relever le défi que nous lance le conspirationnisme. En inventant une nouvelle "forme de militance républicaine" comme nous y engage le sociologue des croyances Gérald Bronner.

Ou, de manière plus modeste, en s’astreignant à ne pas partager sur les réseaux sociaux des contenus issus de sites douteux ou dont la source n’est pas identifiable.

 

(Texte publié dans Le Plus le 24/02/2016)

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à propos de l'auteur
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Rudy Reichstadt
Directeur de Conspiracy Watch, Rudy Reichstadt est expert associé à la Fondation Jean-Jaurès et chroniqueur pour l'hebdomadaire Franc-Tireur. Co-auteur du film documentaire « Complotisme : les alibis de la terreur », il a publié chez Grasset L'Opium des imbéciles. Essai sur la question complotiste (2019) et Au cœur du complot (2023) et a co-dirigé Histoire politique de l'antisémitisme en France. De 1967 à nos jours, chez Robert Laffont (2024). Il a également participé à l'élaboration du rapport « Les Lumières à l’ère numérique » dans le cadre de la commission Bronner (2022). Depuis 2021, il co-anime le podcast « Complorama » sur France Info.
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