En recevant le président sud-africain dans le bureau ovale, Donald Trump a diffusé des vidéos montrant, selon lui, des "familles entières" d'agriculteurs blancs fuyant leurs terres. Pour le président américain, les agriculteurs blancs sud-africains sont victimes d’un "génocide".
"C'est un génocide qui est en train de se passer" : lors d’une conférence de presse, le 12 mai dernier, Donald Trump affirmait devant les médias que "des fermiers blancs sont brutalement tués et leurs terres confisquées en Afrique du Sud". Quelques mois plus tôt, le 7 février, le président américain signait un décret pour créer une procédure d’asile pour les "réfugiés afrikaners" et encourager leur réinstallation aux États-Unis. Mais c'est lors d'une rencontre avec le président sud-africain Cyril Ramaphosa que Donald Trump a prononcé des affirmations non étayées, présentant devant la presse des vidéos censées montrer des familles d'agriculteurs blancs fuyant leurs terres. Décrivant une situation "terrible", le président américain a soutenu que les fermiers blancs étaient "brutalement tués" et que "leurs terres sont confisquées".
Mais aucune donnée ne permet aujourd'hui de parler ni de génocide ni de persécution systématique des Blancs en Afrique du Sud. "Donald Trump va enchaîner les contre-vérités en sortant des documents, vidéos ou des images complètement de leur contexte", explique Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch. Il a notamment montré des croix blanches présentées comme des tombes, ou des images filmées en République démocratique du Congo et non en Afrique du Sud.
La théorie du "génocide blanc" n'est pas nouvelle : elle provient notamment de David Lane. Cet activiste raciste, antisémite et néonazi américain, qui a milité dans des groupes suprémacistes blancs comme le Ku Klux Klan et l'Aryan Nations, est l'auteur du célèbre slogan des "14 mots" : "We must secure the existence of our people and a future for white children" (Nous devons préserver l'existence de notre peuple et l'avenir des enfants blancs). Cette phrase incarne l'idée que les Blancs sont une minorité menacée par un génocide et qu'il faut lutter par tous les moyens, y compris la violence.
En Europe, cette théorie est souvent liée au concept du "Grand Remplacement", popularisé par l'écrivain d'extrême droite Renaud Camus. Le "Grand remplacement" postule une substitution supposée des populations européennes dites "de souche" par des immigrés extra-européens, principalement venus d'Afrique. Renaud Camus décrit ce processus comme un "génocide par substitution".
Rudy Reichstadt fait le lien entre ces concepts : "Dans les deux cas, de toute façon, il y a cette idée d'un génocide, donc d'une intention criminelle de faire disparaître une population soit par la submersion migratoire, soit par la violence active simplement".
Un autre fantasme complotiste associé est celui du plan Kalergi. Tristan Mendès France, maître de conférence associé spécialisé dans les cultures numériques, explique cette théorie du complot, "née dans les milieux néonazis et selon laquelle un prétendu projet orchestré par Richard Koudenov Kalergi viserait à organiser le génocide des Européens blancs par une immigration de masse". Cette théorie, populaire dans la complosphère, y compris covidosceptique, s'appuie sur une interprétation déformée des écrits de Kalergi et alimente un récit antisémite selon lequel une élite juive chercherait à détruire la population blanche par métissage forcé.
Le concept de "remigration" est présenté comme la solution politique à ces supposés génocides. Il s'agirait de renvoyer de force des personnes, y compris naturalisées, vers leur pays d'origine. L'idée a été promue lors d'un sommet européen en Italie, avec des figures comme Eva Vlaardingerbroek, qui lie immigration ("viols génocidaires") et la destruction de l'Europe si la remigration n'est pas mise en œuvre, désignant une "élite gauchiste maléfique" comme orchestratrice.
Ces discours ne restent pas de simples théories. Pour Tristan Mendès France, "ces mots se traduisent dans les faits et parfois par des meurtres et des crimes", citant l'attentat de Christchurch en 2019, où Brenton Tarrant, auteur d'un manifeste intitulé The Great replacement, a tué 51 personnes. Anders Behring Breivik, responsable des attentats d'Oslo et d'Utoya en 2011 (77 morts), dénonçait également dans son manifeste "le génocide de nos populations blanches". Enfin, Rudy Reichstadt cite l'attentat d'Oklahoma City en 1995 commis par le suprémaciste blanc Timothy McVeigh, qui avait fait 168 morts. L'auteur de l'attentat "avait sur lui un ouvrage, The Turner Diaries, explique Rudy Reichstadt, qui décrit la prise de pouvoir, une révolte des suprémacistes blancs contre un pouvoir à la fois sioniste et contre les Africains, contre les noirs etc... et qui est un véritable délire sur une guerre raciale aux États-Unis".
Enfin, Tristan Mendès France est frappé par "la permanence sous des formes diverses et la trajectoire" de cette théorie, qui est passée "des franges les plus radicales pour venir s'échouer aujourd'hui dans le bureau ovale de la Maison Blanche". Rudy Reichstadt ajoute que l'usage du terme "génocide" dans ce contexte montre "le rapport instrumental des complotistes aux mots", contribuant à "démonétiser" et banaliser un concept qui renvoie à une réalité criminelle d'une très grande gravité.
"'Génocide blanc' en Afrique du Sud : itinéraire d'une théorie complotiste", c'est le 90e épisode de Complorama avec Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, et Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l'université Paris-Cité, spécialiste des cultures numériques et membre de l'observatoire du conspirationnisme. Un podcast à retrouver sur le site de franceinfo, l'application Radio France et plusieurs autres plateformes comme Apple podcasts, Podcast Addict, Spotify, ou Deezer.
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