Musk/Trump : la complosphère entre incrédulité et désarroi

Tout a commencé par une querelle d'ordre budgétaire. Mardi 3 juin, Elon Musk qualifie une proposition soutenue par Donald Trump d’« abomination dégoûtante ». Trump réplique en le traitant de « fou » et en menaçant de couper les subventions à Tesla. La tension est à son comble quand, tout à coup, Musk publie sur X : « @realDonaldTrump est dans les fichiers Epstein… C’est la vraie raison pour laquelle ils ne sont pas publics. Bonne journée, DJT ! » Le propriétaire de X ira jusqu'à appeler à la destitution du président des États-Unis pour l'élection duquel il n'a pourtant pas ménagé ses efforts...

L'affaire prend des allures de schisme. Voir leurs deux idoles s’affronter ? Inconcevable. Alors on invente une histoire. Comme le rapporte Wired dans un article bien documenté, les figures de QAnon ont rapidement parlé de « kayfabe », un terme emprunté au monde du catch pour désigner une mise en scène codée à destination, ici, des éveillés. Le compte conspirationniste MJ Truth écrit : « Autant ils essaient de vendre cette dispute comme étant réelle, autant elle ne l’est pas. […] C’est du KAYFABE à un niveau MAGAnanime. » De son côté, la complotiste Liz Crokin exulte : « Échecs en 5D à son meilleur niveau, bébé — échec et mat ! »

Les Français ne sont pas en reste. Le compte conspirationniste Black Bond PTV voit dans ce clash un « arc narratif pour révéler publiquement l’effondrement de la vieille corporation américaine en faillite (les éveillés comprendront) ». Dans son récit, « Musk dans le rôle du bon flic montre les reçus », pendant que « Trump en mode mauvais flic met le feu à la vieille structure ».

Marcel D., lui, préfère l’argument circulaire : « Si ce qu’Elon Musk affirme sur Trump est vrai − à savoir que le président américain serait impliqué dans les dossiers d’Epstein, et que c’est pour cette raison que cela n’a jamais été rendu public − alors pourquoi les agences américaines, Biden, les médias mainstream, bref, tous ceux qui sont contre Trump, n’ont-ils pas utilisé ce dossier pour le faire tomber ? Ce serait quand même plus simple que d’essayer de l’assassiner à plusieurs reprises, non ? »

Quand Kanye pleure et que Bongino décroche

Mais pour certains, la pilule est plus dure à avaler. Alex Jones gémit : « Ce monde est au bord de la destruction totale ». Un utilisateur de Telegram avoue : « Je suis tellement perdu. » Kanye West, plus émotif, poste simplement : « Broooos please noooooo 🫂 We love you both so much. »

Pendant ce temps, l’Administration Trump se débat avec ses propres chimères. Comme le rapporte le New York Times, Dan Bongino, ancien policier, podcasteur conspirationniste et aujourd'hui numéro 2 du FBI, a dû admettre à la télévision que Jeffrey Epstein s’était bel et bien suicidé  : « J'ai vu le dossier complet […]  Il s'est tué lui-même. » Loin d’apaiser les esprits, cette déclaration a déclenché l’ire des conspirationnistes. Alex Jones crie au « damage control », Tucker Carlson parle de « promesses de tout révéler sans jamais rien révéler ». Pam Bondi, l'actuelle ministre de la Justice et ancienne lobbyiste pour le Qatar, avait lancé son administration dans les archives du ministère à la recherche d’un éventuel scoop. En vain. Ils « n’ont pas trouvé grand-chose mais continuent à creuser » assure Bongino. Comme si l’acharnement suffisait à compenser le vide.

Dans l’univers conspirationniste, l’affaire Epstein n’est pas un fait à élucider. C’est un mythe à entretenir. Rien n’est plus suspect que l’absence de révélation. Et ceux qui ont bâti leur pouvoir sur ces récits sont désormais sommés, puisqu'ils sont aux commandes, d’en produire la preuve.

« Patel [actuel directeur du FBI − ndlr], Bongino et les autres leaders sont pris dans un piège qu’ils ont eux-mêmes créé », analyse le politologue Russell Muirhead. « Le monde qu’ils ont contribué à fabriquer − un monde où les théories du complot détruisent les faits − est maintenant celui dans lequel ils doivent gouverner. »