Depuis plusieurs semaines, une fièvre conspiratrice s'est emparée de l'Allemagne : les livres consacrés aux théories du complot, à propos des « secrets du 11 septembre 2001 », n'en finissent pas de figurer en tête des ventes dans les librairies d'outre-Rhin. En bonne place sur les étals depuis sa sortie, au mois d'août, l'ouvrage de l'ancien ministre social-démocrate du gouvernement de Helmut Schmidt, Andreas von Bülow, La CIA et le 11 septembre, se classe quatrième sur la liste des meilleures ventes établie par l’hebdomadaire Der Spiegel. Dans son essai, M. von Bülow soupçonne les services secrets américains et israéliens (Mossad) d’être impliqués dans les attaques terroristes du 11 septembre 2001 contre New York et Washington.
Tous trois, dans la droite ligne d’un Thierry Meyssan, l’auteur français qui avait fait scandale, en 2002, avec son livre L’Effroyable Imposture, traduit depuis dans plus de 18 langues, soupçonnent les stratèges de la Maison Blanche d’avoir sacrifié "deux tours" afin de justifier une politique d’intervention mondiale au nom de la lutte contre le terrorisme. Tous ces auteurs se retrouvent pour révéler les "mensonges des médias et des services secrets" et mettre en lumière le rôle des services spéciaux au sein du terrorisme international.
Traditionnellement, la théorie du complot est l’une des obsessions majeures de l’extrême droite, comme le rappelle régulièrement la presse allemande : un parallèle que réfutent catégoriquement les trois auteurs. Au cours d’une réunion publique consacrée au "Terrorisme mis en scène", qui s’est tenue au début du mois de septembre au Tempodrom, haut lieu de la scène alternative berlinoise, les organisateurs ont jugé utile de réaffirmer leurs distances avec "les milieux de la droite nationale". Lors de cette conférence, quelque 200 personnes ont entendu Mathias Bröckers, l’invité vedette, dire notamment que le 11 septembre 2001 et ses suites "ont été le plus grand lavage de cerveau de tous les temps".
Pourquoi une frange de la gauche allemande a-t-elle fini par succomber aux charmes de cette théorie du complot ? Jörg Lau, dans une analyse au vitriol parue dans Die Zeit, avance que "la présidence de Bush junior est certainement la période la plus fertile pour les adeptes de la conspiration depuis la mort de John Fitzgerald Kennedy".
D’après un sondage publié en juillet par l’hebdomadaire, 19 % des Allemands estiment que le gouvernement américain a commandité les attentats. Ceux qui voient la main de Washington derrière les attaques-suicides du 11 septembre 2001 sont plus nombreux dans l’ancienne RDA (29 %) qu’à l’Ouest (16 %). Toujours selon l’étude, près de 31 % des Allemands âgés de moins de 30 ans n’excluent pas l’idée que ces attentats aient pu être organisés par Washington.
En toile de fond, Mathias Bröckers trace, dans son livre, un parallèle entre les attentats du 11 septembre 2001 et l’incendie, en 1933, du Reichstag, préparé par Adolf Hitler pour écraser l’opposition communiste et sociale-démocrate. La comparaison entre George Bush et Adolf Hitler est d’ailleurs souvent faite chez les adversaires allemands de la guerre en Irak. Pour être allée dans ce sens, la ministre sociale-démocrate de la justice, Herta Daübler-Gmelin, avait dû abandonner son poste après les élections de septembre 2002. Des milliers d’opposants à la guerre en Irak avaient cependant défilé dans tout le pays en proclamant les mêmes slogans.
Source : Le Monde, 1er octobre 2003.
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