Le chanteur complotiste s'est rendu à Moscou pour assister aux commémorations du 9 mai et prôner « la paix » entre la Russie et la France. Comprendre : recracher tous les éléments de propagande du Kremlin. Quitte à se vautrer dans le ridicule.
Le 5 mai, Francis Lalanne s'est envolé. Non pas vers le succès, mais à destination de Moscou. Il faut dire que le pays des Tsars a toujours attiré les artistes : André Gide voulait voir le communisme de (trop) près, Emmanuel Carrère s'est enterré à Kotelnitch pour enquêter sur ses origines familiales, Sylvain Tesson a refait le trajet de la campagne de Russie, et Gérard Depardieu a gratté un passeport russe pour profiter d'une fiscalité avantageuse. Lalanne a lui aussi un objectif bien précis : recoller les morceaux avec cette grande Nation, au nom du « peuple français ». Pendant plusieurs jours, le chanteur – reconverti en ambassadeur – a interprété l'hymne russe, multiplié les interviews pour les médias d’États, assisté à des défilés militaires, rencontré des officiels et même bénéficié d'une tribune dans le bolloréen JDD pour nous faire profiter de ses vacances.
On vous raconte, jour après jour, les détails de cette excursion au pays des Soviets.
Un voyage, ça se prépare. Déjà, mi avril, Francis Lalanne était invité sur le plateau d'Europe 1 pour témoigner de sa plus sincère solidarité avec ce « peuple frère » qu'est la Russie. Interrogé par Cyril Hanouna, l'apprenti prix Nobel, en a profité pour qualifier la guerre en Ukraine de « litige », assurer que l'opposant politique Alexeï Navalny était décédé de « sa belle mort » ou remettre en doute le bombardement de la ville de Soumy par l'armée russe, qui a pourtant fait des dizaines de morts, principalement des civils. Quelques jours plus tard, l'artiste appelait les Français à se réunir, à Pâques, devant toutes les mairies de l'Hexagone afin « d'exiger l'arrêt de cette manœuvre infernale mise en route par l'actuel président frauduleux de la France pour déclencher la guerre mondiale ». Sans surprise, l'opération n'a pas été auréolée d'un grand succès.
Le 28 avril, Francis Lalanne a pris la parole lors d'une conférence organisée par la Maison russe des sciences et de la culture à Paris. Parmi les invités, Pierre de Gaulle, petit-fils du Général, qui a récemment quémandé la nationalité russe et dont la famille a renié ses prises de positions, ou encore Edouard Husson, directeur éditorial du site complotiste « Le Courrier des Stratèges », réputé proche de Marion Maréchal. « Honoré » d'avoir été convié, Lalanne a de nouveau lancé quelques unes de ses punchlines incohérentes. « Si on doit parler d'infidélité entre la France et la Russie, je ne pense pas que l'infidélité soit russe mais plutôt française de manière récurrente », a déploré l'ex figure des Gilets jaunes qui, en matière de relations toxiques, semble en connaître un rayon. En 2023, il avait fait l’objet d’une garde à vue, puis condamné à 800 euros d'amende pour « harcèlement moral » sur son ex-compagne avant d'être accusé de violences conjugales. Devant un public conquis, Lalanne insiste pour interpréter son (seul) tube métaphoriquement intitulé : « On se retrouvera ».
Le 4 mai, peu de temps avant le grand départ, le sexagénaire postait une vidéo sur les réseaux sociaux dans laquelle il assure que le gouvernement français veut « détruire notre amitié avec le peuple russe ». Il se livre alors à « quelque chose qu'il n'a jamais fait » : chanter l'hymne russe. A ses côtés, son ancien co-listier aux élections européennes, le polémiste antisémite Dieudonné, abonde, la main sur le cœur : « Les Russes, ils nous ont rien fait. On fera pas la guerre contre eux ! » Un moment grolandesque.
On l'aura compris, Francis Lalanne aime la Russie… de Poutine. C'est donc tout naturellement que, le 5 mai, l'agitateur complotiste se fend d'une annonce détonnante. « Le rôle de la France est d’aider à la paix dans le monde, pas de faire la guerre » déclame t-il, en préambule, bien résolu à vouloir empêcher « les sociopathes au pouvoir dans notre pays [de] déclencher la troisième guerre mondiale en attaquant la Russie ». La suite, vous la connaissez : « C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de partir en Russie fêter avec le peuple Russe la victoire contre la barbarie. »
« Je viderai ma bouteille de vodka à votre santé », promet-il dans un tweet.
Le lendemain, Lalanne est accueilli à Moscou par Alexander Makogonov. Ancien porte-parole de l’ambassade de Russie en France, il est l’un des visages les plus connus de la propagande du Kremlin en France. Multipliant les fake news et les contre vérités sur nos plateaux de télévision, il est retourné vivre en Russie l'été dernier, son visa n'ayant pas été renouvelé par les autorités françaises. Pas de quoi refroidir notre Francis national. Un petit selfie, et on repart.
En bon propagandiste, Lalanne se devait de faire un détour par les antennes de Russia Today et Sputnik. On y apprend qu'il aurait fait la demande auprès du ministère de la défense pour « aller chanter pour les soldats russes blessés dans des hôpitaux voire, éventuellement, aller chanter sur le front ».
Entre temps, l'artiste vit toutes sortes d'aventures. Au bureau de changes, il rencontre par hasard une employée qui rêve de rencontrer des chanteurs français. « Mon ami lui dit que j’en suis un, et là elle écarquille des yeux de petite fille », détaille le principal intéressé, qui, pour la ravir, entonne illico presto un tube de Patricia Kaas. Sa conclusion est implacable : « On veut nous faire croire quoi ?! Que ces gens-là nous détestent ? Qu’ils veulent nous faire la guerre ? Mais de qui se moque-t-on ? Si vous saviez comme les Russes aiment la France ! »
C'est le grand jour ! Francis Lalanne est aux premières loges pour assister aux commémorations du 9 mai, date à laquelle la Russie fête l’anniversaire de la capitulation nazie. Depuis 2022 et le déclenchement de la guerre en Ukraine, cette célébration revêt une signification particulière. En effet, Vladimir Poutine mobilise la mémoire de la Seconde Guerre mondiale pour justifier l’offensive.
Pas le temps de chômer. Dans un bar, Lalanne a rencontré un « soldat russe » ayant « perdu sa main » qui l'a « décoré du badge des 80 ans de la victoire ». L'occasion de vider une bouteille de vodka et de prendre quelques photos pour les réseaux.
Aujourd'hui, l'expat' nous emmène arpenter les couloirs du « sublime métro » de Moscou. Attablé à une table de restaurant, Lalanne propose à ses amis une première lecture de sa nouvelle version de l’hymne à la paix. Extrait :
« Tu as voulu te jeter dans l'arène pour secourir les Russes du Donbass,
La France aurait fait de même en Ukraine, si nous les Français y menions un combat,
Mais ce n'est ni le cas, ni notre guerre. »
Depuis la capitale russe, l'influenceur complotiste adresse une « lettre aux Français ». Et quoi de mieux que Le JDD, propriété de Vincent Bolloré, pour la publier. Dès les premières lignes, Lalanne prend la peine de nous informer qu'il ne répond à aucune « invitation d’un pouvoir » et assure : « Je ne suis pas venu en messager d’un camp. » Personne n'en doutait...
Au fil des lignes, le chanteur se mue en journaliste-reporter. Ici, une femme, « la cinquantaine élégante », lui glisse dans un « français impeccable » que les Russes n'ont jamais voulu la guerre. Là, un homme « barbu et affable » qui passe ses étés dans le Périgord l'interpelle : « Pourquoi voudrions-nous attaquer la France ? » Soudain, comme par magie, « un petit attroupement se forme. […] Une phrase revient souvent : "Dites aux Français que nous les aimons. Nous ne voulons pas de guerre. Mais si on nous y contraint, nous devrons nous défendre." » Le message du Kremlin est passé. Spassiba Francis !
Cela fait maintenant presque dix jours que Lalanne a posé les pieds sur le sol russe. L'heure de la prise de conscience ? Dans un message posté sur X, il envisage désormais l'exil vers sa terre d'adoption. « De toute manière, à l’heure des comptes, la Russie deviendra si ça continue, un lieu de refuge pour les libres penseurs, comme sous Catherine II. »
On commence à connaître le refrain. Un énième « grand ami Russe » a décidé d'inviter Lalanne à sa réunion annuelle d'anciens élèves. Et pourquoi pas ? Tout le monde danse, tout le monde chante, tout le monde est content. Comme d'habitude, la star des années 1980 déchaîne les foules. « Deux femmes qui ne faisaient pas partie du groupe sont allées chez le fleuriste d’à côté me chercher un bouquet de fleurs pour me remercier d’avoir chanté et m'ont demandé des photos et autographes », confie-t-il, en toute modestie. Puis implore : « Et ce sont ces gens là qui détesteraient les Français et voudraient nous envahir ?!? Réveille toi peuple de France et pense aux Russes comme ils t’aiment. »
Le même jour, le barde des fake news se rend dans un salon de coiffure pour se faire tailler ses pointes. Ô surprise, la patronne est « parfaitement bilingue ». Sûrement une coïncidence...
Le 17 mai, il partage un lien vers une pétition en faveur de la « destitution » d'Emmanuel Macron sur le fondement de l'article 68 de la Constitution. Un texte qui dénonce les « actions », l'« approche autoritaire » et le « mépris des institutions » du Président. Visiblement motivé, Francis Lalanne participe pendant plusieurs heures à un live de l'ex-Gilet jaune Oliv Oliv afin de récolter un max de signatures. Expliquant s'être rendu à Moscou pour « mettre [s]a notoriété au service de l'amitié franco-russe », il milite plutôt pour que la France ne se mêle pas de l'Ukraine. L'Albert Londres des steppes nous confie même ses rêves les plus humides : « Si je rencontrais Poutine, je le saluerais avec respect et je m'excuserais en notre nom à tous de l'action de celui qui se prétend être notre président de la République. »
A l'heure où nous écrivons ces lignes, Francis Lalanne n'est toujours pas rentré en France.
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