Rudy Reichstadt : La presse hexagonale a largement commenté les résultats d’un sondage CSA donnant 57% de Français favorables à la thèse d’un complot contre Dominique Strauss-Kahn. Selon une majorité des sondés (70% chez les sympathisants socialistes), l’ex-directeur général du FMI aurait été victime d’un « coup monté ». Quelques jours après l’effervescence qu’on a pu constater sur un certain nombre de sites conspirationnistes après l’annonce de la mort d’Oussama Ben Laden, la tentation est grande de lier les deux phénomènes et de l’interpréter comme une sorte de victoire du conspirationnisme de masse. Je ne dirais pas que les choses sont si simples mais j’aimerais d’abord avoir ta réaction…
Nicolas Lebourg : Dans le cas de Ben Laden son issue était logique, rationnelle. La pratique de l’exécution sans forme de procès des terroristes est classique, elle fait partie d’un dispositif politique, et ici il s’agit d’une opération de guerre, non d’une affaire de police. En somme, on a un fait qui était attendu. DSK c’est l’exact inverse : un phénomène surgi auquel nul n’avait bien sûr jamais songé, construit non dans la longue durée mais dans le flux de l’information en temps réel, avec, pour le moins, le flot de contradictions inhérent. S’interroger face aux faits relatés et leurs contradictions est ici rationnel. Un certain mépris de classe fait dire à d’aucuns que 57% des Français seraient conspirationnistes ? Disons que, quitte à dire quelque chose sans preuve aucune, je préfère dire que 57% des sondés ont retenu les leçons du scandale d’Outreau ou du lynchage médiatique de Richard Roman et se refusent à déchiqueter la réputation d’un être humain avant qu’une vérité judiciaire réellement construite n’ait démontré son éventuelle culpabilité…
RR : Pour prolonger ce que tu dis, j’ajouterais qu’on n’a pas du tout assisté, de la part de ceux qui ont été choqués par cette affaire, aux délires suscités par la mort de Ben Laden. Ainsi, ceux qui expriment des doutes sur les faits, et qui vont de Bernard-Henri Lévy à Vladimir Poutine en passant par Christine Boutin, ne pensent pas que les images le montrant sortant d’un commissariat les mains dans le dos ont été truquées par ses ennemis. Ils ne croient pas que le « vrai » DSK a été enlevé et éliminé et qu’un sosie a pris sa place ! On est plus dans l’expression d’une dissonance cognitive, dans une incrédulité diffuse et confuse à l’égard de l’éventuelle culpabilité de Strauss-Kahn, que dans l’articulation d’un discours complotiste. Quant aux sondés qui affirment croire à un complot contre DSK, on a plutôt l’impression qu’ils s’y raccrochent comme ils s’appuieraient sur une béquille. Par conséquent, il est très contestable de mettre tout ce beau monde dans le même panier : des gens choqués qui s’interrogent sincèrement et d’autres dont la vision du monde confine à la paranoïa.
Pour autant, est-ce à dire qu’il n’y a aucun motif d’inquiétude ? Est-ce que les glissements ne sont pas possibles ? Tu dis que la croyance au complot, dans ce cas d’espèce, est rationnelle. Pourtant, ceux qui y ont répondu ne savent pas plus que toi et moi ce qui s’est réellement passé dans la chambre 2806 du Sofitel de New York. Ils se laissent guider uniquement par la logique du « à qui profite le crime ? » et ils n’ont pas la moindre preuve d’un quelconque coup monté…
NL : Tout à fait et ça appelle deux remarques. En premier lieu, on assiste à un certain épuisement de l’anti-conspirationnisme. C’est rationnel là aussi : on ne compte plus les ouvrages faisant de manière feignante le catalogue des « conspis », on ne compte plus les interventions d’hommes politiques mis en cause pour un fait X et s’abritant derrière la dénonciation de « la théorie du complot ». Sociologiquement, nous sommes à ce stade où le conspirationnisme est certes une idéologie de masse mais où également l’anti-conspirationnisme a été absorbé au sein du paradigme. D’où l’étroitesse effroyable de notre marge. Symptomatiquement, on peut prendre comme marqueur la victoire en justice de Denis Robert dans l’affaire Clearstream, lui qui avait été crucifié par un Philippe Val assimilant ses enquêtes sur la finance internationale aux Protocoles des Sages de Sion – le cas Val nous montre d’ailleurs vraiment que c’est compliqué pour les démocrates qui cherchent à démonter le conspirationnisme ou l’antisémitisme tout en rejetant le fait que ces termes deviennent des objets de manœuvre stigmatisante.
En somme, l’anti-conspirationnisme doit prendre garde de ne pas tomber dans le travers affirmé par les conspirationnistes : défendre l’ordre établi au risque même des libertés fondamentales. Certains ont accusé Pierre Bourdieu d’être un conspirationniste antisémite car si on remplaçait les « dominants » dans ses textes par « les juifs » on aurait soi-disant obtenu des textes antisémites, d’autres ont affirmé que Jean-Luc Mélenchon serait tel un conspirationniste de gauche car ils considèrent que la dénonciation de l’oligarchie est illégitime (lire l’interview de Nicolas Lebourg à Charlie Hebdo – NDLR). Au final, on a évacué le procès contradictoire, la présomption d’innocence, la critique de la domination, la défense de la démocratie pluraliste… C’est Saint-Just qui disait que l’ennemi d’un peuple c’est son gouvernement, pas Drumont…
En second lieu, oui tu as raison le problème c’est cette manie idéologique du « à qui profite le crime ? ». Il n’y a pas de question plus aberrante pour mettre en ordre logique le chaos des évènements. C’est comme cela que d’aucuns finissent par croire qu’il est progressiste d’imaginer un complot synarchique ayant trahi la République pour instaurer Vichy, entre autres exemples. C’est un raisonnement qui permet de se faire croire que l’on fait œuvre de rationalité critique.
Toutefois, je ne crois pas que l’on puisse, au stade où nous en sommes, ne plus nous poser la question de l’usage politique qui est fait de l’anti-conspirationnisme. Et là dessus j’aimerais avoir ton avis : n’as tu pas le sentiment que les démontages des proses de l’antisionisme conspirationniste a été utilisé par les conspirationnistes islamophobes ? Ne crois tu pas que la déconstruction du conspirationnisme délirant sur les Bilderberg, Le Siècle, etc. (qui ne frappe pas qu’à l’extrême droite : on l’a vu dans la « ségosphère » contre Aubry et DSK justement) a été victi
me d’une rétorsion servant à éviter la mise en cause du système économico-politique à l’œuvre ?
RR : Ce que tu appelles l’« anti-conspirationnisme », ça n’est que la critique, non pas d’une doctrine, mais d’un discours, un discours qui fonctionne à peu près toujours de la même manière et que l’on peut identifier à partir d’un certain nombre d’invariants. Critiquer les fantasmes qui ont cours sur les réunions du Bilderberg ou de la Trilatérale, ce n’est pas défendre le « système ». La critique des mythes complotistes ne sert pas à faire taire les critiques de la domination. Elle leur rend service au contraire, en leur faisant gagner du temps. Certains, à la gauche de la gauche, en sont tout à fait conscients, réagissent et c’est tant mieux.
D’autres au contraire sont comme tétanisés par la force de conviction de certains militants conspirationnistes. Plutôt que de les combattre, ils se laissent intimider par une poignée d’extrémistes et tentent alors de les ménager, de les brosser dans le sens du poil. C’est l’impression que me donnent certaines déclarations de Noam Chomsky par exemple. Jean-Luc Mélenchon n’échappe malheureusement pas à cette démagogie même s’il serait tout à fait injuste et abusif de le ranger parmi les conspirationnistes. Quant à Bourdieu, certains de ses textes tardifs – ceux de l’époque du Bourdieu « militant », il faut insister sur ce point – ont des accents clairement conspirationnistes. On peut tout à fait dire cela sans réduire son œuvre à cela. Mais quand tu suggères que l’« ordre établi » essaie de salir la mémoire de Bourdieu en l’assimilant à un antisémite, tu exagères un peu. Tu fais référence à une phrase prononcée par Jean-Claude Milner à la fin d’une émission de radio. Personne, à ma connaissance, ne lui a emboîté le pas. A moins d’estimer que Milner (dont l’œuvre est relativement confidentielle en comparaison de celle de Bourdieu) représente à lui tout seul l’« ordre établi », c’est un peu court !
NL : Tu as toi-même consacré des papiers aux diffamations visant Charles Enderlin, et je ne vais pas refaire la liste : Edgar Morin, etc. La légèreté avec laquelle on lance une accusation aussi infamante est le signe d’une démocratie malade. Cette maladie est profonde, due entre autres au vieillissement des populations européennes qui les a poussé à opter électoralement pour des politiques que justement Bourdieu résumait bien : le démantèlement de l’Etat social et l’hypertrophie de l’Etat pénal. Ce processus qui consiste à détruire le politique est clairement lié au développement des problématiques que tu traites. Le vrai scandale de l’affaire DSK est que l’on nous parle de « l’un des hommes les plus puissants du monde » mais dont le mandat ne repose sur aucune souveraineté populaire et dont la chute est également extérieure à tout processus démocratique. C’est cela qui créé tant de malaises et provoque en partie le conspirationnisme. Or, il est raisonnable de critiquer le fait que le président de la Banque Centrale Européenne, de la Commission Européenne etc., ne soient pas tributaires d’un processus démocratique, et d’autant plus quand le Président de la République paraît avoir pour occupation essentielle d’avoir un dispositif pour chaque fait-divers.
Si ce que j’ai qualifié d’anti-conspirationnisme n’était que ce que tu dis je serais le premier en accord, c’est la position des Lumières que je défends sempiternellement. Mais il s’avère que dans la déconstruction des classes moyennes à laquelle nous assistons (précarisation, paupérisation) leur capital culturel les mène de plus en plus à une double réaction face à ce démantèlement du système démocratique au bénéfice d’une nouvelle élite (et je précise que cette idée n’est pas « conspi » : c’est, pour partie, l’idée de l’anacyclosis dans l’Antiquité grecque remise à l’honneur par Machiavel). Il y a donc ceux qui lient les événements en songeant « à qui profite le crime ? » et qui tombent dans le conspirationnisme. Il y a ceux qui ont tant intériorisé les argumentaires de leur domination (la notion d’habitus de Bourdieu) qu’ils rejettent jusqu’à la réalité de cet épuisement de notre démocratie en la traitant de complotisme. C’est cela que je pointe du doigt.
On peut se dire que nous sommes dans la situation de l’anti-racisme des années 1980, quand à l’époque Pierre-André Taguieff avait pointé à raison le fait que l’éloge anti-raciste du différencialisme faisait jonction et préparation à la diffusion du néo-racisme. Le refus de la mise en critique aura les mêmes résultats : ceux qui sont persuadés d’être la vertu social-démocrate prépareront le lit des autoritaristes. Si on demeure dans cette volonté de balayer la critique de la dépossession des peuples de l’exercice de leur souveraineté, on légitime les populismes comme solution à cet autisme. Pourquoi crois-tu que le Front National mette tant à l’honneur la « République référendaire » ? Car il a compris ce désir, ce problème, qui s’exprime aussi dans la rue, du monde arabe à Madrid (des populations plus jeunes que la nôtre tu auras noté). Bref, viennent frapper à la porte ces classes ayant obtenu un certain capital culturel mais qui constatent qu’on les considère comme des mineurs politiques. En France, le discours qui consiste à faire litière de la contestation au nom d’un discours moraliste tourne à vide. Quand une partie de la presse dénonce « l’omerta politico-médiatique » sur l’appétit sexuel passé de DSK c’est étonnant de voir que là on fait du conspirationnisme en direct sans que ça ne choque personne. Pourquoi ? Parce que l’on voit des valets de plume s’étrangler de découvrir que leurs seigneurs n’avaient peut-être pas la morale qu’ils jugent idoine à leur fonction. C’est l’ordre qu’ils défendent, non la victime supposée.
RR : Encore une fois, il ne s’agit pas de balayer la critique de la domination. Je pense au contraire que la critique des théories du complot participe de la critique de la domination, elle a quelque chose d’émancipateur, tu la lie toi-même aux Lumières. Et je crois qu’on aurait tort de considérer cette nécessaire critique du conspirationnisme comme une arme rhétorique au service des puissants. C’est une idée qui est développée dans certains cercles d’extrême gauche : la « théorie du complot » serait elle-même une invention de penseurs « libéraux » n’ayant pour seule fonction que de discréditer toute remise en cause du système. Outre qu’elle confine elle-même au conspirationnisme, je trouve cette vision des choses profondément erronée.
Dans l’affaire DSK, à quoi assistons-nous sinon à un empressement à qualifier de « théorie du complot » ce qui est, surtout, une incrédulité vague à l’égard d’un scénario qui heurte de plein fouet nos représentations. Cet empressement ne traduit pas une volonté de « rappeler à l’ordre » le petit-peuple-qui-pense-mal. C’est plutôt le symptôme d’une certaine paresse journalistique : un sondage sort, on saute dessus comme sur un os à ronger, on en conclut rapidement que tout le monde est devenu conspirationniste et on tient 48 heures là-dessus ! Entretemps, on a vendu du papier mais on n’a pas rendu notre lectorat plus intelligent.
Sur Conspiracy Watch, j’ai reçu des messages d’internautes me reprochant de ne pas en faire suffisamment sur DSK, en d’autres termes : de ne pas relayer dans la minute le moindre article commentant les résultats de ce fameux sondage. Dans ce qui était une prudence élémentaire, certains ont voulu voir une connivence. Or, j’ai traité l’affaire DSK exactement comme j’ai traité l’affaire Juli
an Assange. Et comme il conviendrait de traiter les accusations visant aujourd’hui Georges Tron. On ne peut pas parler de « théorie du complot » dès que quelqu’un qui est accusé de viol ou d’abus sexuel clame son innocence. Sinon, effectivement, tout le monde est conspirationniste, c’est-à-dire personne, tout devient réversible et toute analyse du phénomène, noyé dans l’indistinction, devient impossible. Attendons de connaître la version de l’accusé, d’avoir suffisamment d’éléments pour juger, bref, patientons, et ensuite nous pourrons tirer des leçons. Mais sur cela nous sommes d’accord.
Maintenant, est-ce que « les démontages des proses de l’antisionisme conspirationniste a été utilisé par les conspirationnistes islamophobes » ? Je dirais que, dans une certaine frange de la communauté juive organisée, où l’on vote à droite et où l’on se méfie des plans de Barack Obama pour tenter d’imposer la paix au Proche-Orient, on constate que cohabitent à la fois une inquiétude légitime à l’égard de la résurgence des délires conspirationnistes antijuifs – inquiétude que nous partageons toi et moi et qui devrait être celle de tout honnête homme à mon avis – et un discours conspirationniste d’inspiration néoconservatrice, qui diabolise les musulmans en leur prêtant des intentions impérialistes et colonialistes. N’était l’antisémitisme historique du Front national, qui continue d’agir comme repoussoir, une part non négligeable des gens dont nous parlons se retrouveraient totalement dans le discours antimusulman de Marine Le Pen.
Cela étant, je te ferais remarquer qu’on trouve aussi, là où ne l’attend pas forcément, une forme d’anti-conspirationnisme un peu facile qui consiste à moquer l’inquiétude que l’on peut éprouver face à certains discours islamistes. On nous explique par exemple (c’est le cas d’Alain Gresh et de Tariq Ramadan) qu’il y aurait désormais un « péril islamiste » aussi fantasmatique que le « péril rouge » d’antan et que tout cela relève d’une forme contemporaine de théorie du complot. Qu’est-ce que tu en penses ?
NL : Le premier point que tu soulèves pose un sérieux problème pour y répondre car il s’agit d’un déplacement rhétorique de ta part. Il n’y a bien sûr aucun rapport entre mon propos et celui d’une extrême gauche conspirationniste que tu cites. Ce que je dis c’est que les armes de la critique que nous avons toi et moi beaucoup exercées sur les discours « conspis » doivent aussi être redéployées sur nous-mêmes, un « nous-mêmes » que j’entends au sens large : tous ceux qui usent, parfois à raison, parfois à tort, de la déconstruction d’un argumentaire en spécifiant qu’il renvoie à la théorie du complot.
Ensuite, ce que tu dis appelle plusieurs points. Il y a certes eu une grande importance des discours conspirationnistes anti-communistes qui ont formé la matrice d’une part des discours conspirationnistes islamophobes, comme le soulignent très justement des historiens tels Olivier Dard (voir le webdocumentaire sur François Duprat – NDLR) ou Romain Ducoulombier (lire « Jules Monnerot face à la subversion des ‘sociétés ouvertes’ »), et j’ai eu aussi l’occasion de l’écrire.
Mais, second point, après-guerre, lors des rapprochements entre la France et la République Fédérale d’Allemagne, il y eut une vague d’attentats néo-nazis allemands. La presse conservatrice mit cela sur le compte d’un complot des services secrets de l’Est afin de détériorer l’image de la RFA et d’empêcher la consolidation de l’Europe occidentale. Il s’avère que, comme l’a montré l’historien Patrick Moreau après la Chute du Mur, pour le coup la chose était exacte… Cela devrait interpeller sur les risques d’un doute érigé en religion aussi bien dans le conspirationnisme que dans l’anti-conspirationnisme, tout simplement parce que l’on y traite des faits non pour ce qu’ils sont mais pour fortifier et justifier son positionnement politique initial.
Ce qui m’amène à mon troisième point : la raison du conspirationnisme. Historiquement, la notion de « grande conspiration » émerge avec la naissance de l’Etat moderne lors de l’Ancien Régime. La société s’inquiète de la disparition de l’ordre ancien et s’interroge sur cet étrange Léviathan qui se lève sur l’Europe : l’Etat.
Si le conspirationnisme devient vraiment une idéologie de masse après le 11 septembre c’est bien car il y a un puissant ressort dans cet attentat islamiste contre le symbole d’un monde planétarisé via la technologie et la financiarisation de l’économie. Le 11 septembre a été le fait d’une poignée d’hommes travaillant en réseau, et l’ensemble des structures sociales du « monde mondialisé » lui correspondent. C’est la désignation anxiogène de l’acte public de décès des Etats-nations. La question de la violence politique ne peut plus se résumer au diptyque révolution intérieure – guerre extérieure, tant le terrorisme, par sa fluidité de forme, est adapté à la nouvelle structuration de l’espace public. Les terroristes en frappant à New York, New Delhi, Londres, Madrid, ne s’y trompent pas : ils attaquent les sociétés et non des Etats qui ne forgent plus l’ordre social. Le péril islamiste existe bel et bien, et nombre de nos contemporains l’ont hélas rencontré, mais il a déchaîné les imaginaires (« complot islamiste », « complot néoconservateur », etc.), car il est venu nous signifier la fin de l’Etat tel que nous l’avions connu. Il est l’un des symptômes les plus évidents de la déterritorialisation du politique, du bricolage idéologique constitué sur un marché international des idées et références, et du passage à l’ère des réseaux. Le terrorisme va même changer considérablement nos vies lorsqu’il aura atteint l’usage technologique des « bombes sales ». La diplomatie et la guerre sont actuellement pensées et réalisées sur le modèle de l’asymétrie entre forces régulières dotées de moyens technologiques, et réseaux radicaux ayant une bien moindre puissance à disposition (en Afghanistan, en Irak etc., des sujets sur lesquels, tu le sais, foisonnent les thèses complotistes). Ce passage technologique devrait redistribuer la majeure partie des cartes géopolitiques et, en abolissant définitivement les frontières entre le dedans et le dehors de la guerre, placer les démocraties dans une situation de « front intérieur » permanent, aux conséquences majeures en matière d’ordre public et de libertés fondamentales, possiblement grâce à une suractivation des thèmes de la « subversion » et du « complot terroriste ».
Donc, depuis le 11 septembre, le mythe de l’Ennemi et la recherche de la présence d’un Léviathan visible – que ce soit pour le combattre ou pour se protéger à son abri – et non du système fluide et impersonnifié de domination où paraissent avoir basculé les démocraties de marché, ont entraîné une vague conspirationniste planétaire qui s’intègre à cette question, j’en suis d’accord. Mais la question de l’analyse du conspirationnisme doit-elle même s’inscrire dans une réflexion sur les rapports entre Etat et société, car c’est toujours de cela dont il est question, et il lui faut anticiper ces divers basculements qui s’invitent à nous. C’est bien car elle se situe médiatiquement hors de ce cadre qu’elle finit par ne plus rien mettre en cause, par ne plus rien nous dire de ce que nous sommes, ne servant qu
‘à nous fortifier dans l’idée qu’en sus d’être dans le camp du Bien nous sommes dans celui de la Raison, en somme que nous sommes des gens formidables dans le meilleur des mondes et les autres des parfaits salauds qui veulent nous plonger dans un cauchemar.
Sincèrement, quand tu vois l’usage qui est fait de la désignation de la « théorie du complot » pour clouer au pilori à tour de bras, n’as tu pas l’impression que, toi ou moi, nous n’avons pas assez pris garde aux effets conservateurs voire puritains que pouvaient avoir à notre corps défendant nos bonnes volontés de déconstruction d’une arme de controverse ?
RR : Je ne sais pas. J’ai l’impression que ce que tu décris demeure malgré tout un épiphénomène en comparaison du torrent de délires que répandent de courageux anonymes sur le web. Mon impression est que le problème, aujourd’hui, n’est pas chez ceux qui voient des complots nulle part – je n’en ai jamais rencontré personnellement – mais chez ceux qui voient des complots partout. Nous assistons à une sorte d’éclatement du « monde commun ». Le « monde commun », c’est-à-dire cet espace nécessaire à la délibération démocratique. L’affrontement des opinions n’a de sens que si l’on part d’un constat partagé sur les faits. On peut, alors, débattre de tout. Aucun sujet ne saurait être tabou. Mais lorsqu’on n’est pas d’accord sur les faits, le débat se confond avec sa propre caricature. Il n’est pas impossible, si tant est qu’on puisse encore parler de débat, mais il est parfaitement stérile.
Il y a, évidemment, des usages idéologiques de cette expression de « théorie du complot ». Mais son pouvoir de disqualification n’est pas magique. Je crois que toute personne de bonne foi et dotée d’un minimum de sens critique est à même d’identifier un discours conspirationniste et, par là même, de juger des scrupules intellectuels (ou de la santé mentale) de ceux qui les propagent.
NL : Je suis bien d’accord avec toi. Mais, en te spécialisant sur le conspirationnisme depuis des années, tu sais bien qu’un épiphénomène peut devenir une subculture, une culture de masse, un symptôme d’autres traumas politiques plus profonds. C’est le sens même de ton salutaire travail de décryptage. Mais, comme toute chose, il a un envers. Tu utilises ainsi le terme de « galaxie rouge-brune ». Cette formule est née il y a vingt ans, pour péjorer l’opposition à Boris Eltsine groupée autour de Zuganov. Elle a été mise en scène en France avec un talent certain par un groupuscule nationaliste-révolutionnaire, Nouvelle Résistance, se reconnaissant dans la période la plus révolutionnaire du phénomène fasciste et s’inspirant de la plus extrême droite sous Weimar (lire « Stratégies et pratiques du mouvement nationaliste-révolutionnaire français »). Il s’agit pour eux de recomposer l’extrême droite, de pénétrer de nouveaux espaces militants, non d’être équivalent aux extrêmes ou ultras gauches. Le groupe œuvrant avec la Nouvelle droite et la faction « Nationalisme et République » du Front National, cette ligne avance jusqu’à ce que l’on arrive à un scandale de presse sur la jonction des extrêmes, le « complot rouge-brun » et que la formule « rouge-brun » demeure. Mais ces mouvements « rouges-bruns », selon une ligne lexico-stratégique qui s’est développée à diverses reprises depuis que l’intellectuel conservateur et candidat malheureux à la SS Armin Mohler théorisa historiographiquement en 1948 la jonction des extrêmes (lire « La Fonction productrice de l’histoire dans le renouvellement du fascisme »), c’est donc un mythe mobilisateur, une ligne discursive. Quand on analyse les mouvements dits « rouges-bruns » on ne trouve pas d’alliage avec la gauche, ni dans le capital militant, ni dans le substrat idéologique. C’est une affaire de propagande et d’auto-représentation. Même dans le cas italien, où on a une extrême droite à la fois ultra radicale et imaginative, avec ce que la presse surnomma au début des années 1970 le « nazi-maoïsme », il s’agit d’une rénovation ultra du fascisme. Or, ce milieu étant prolixe en dénonciation de complots sionistes, tu en parles avec ce vocable, en reprenant cette terminologie comme une réalité objective, et cela induit chez certains de tes lecteurs la croyance en cette idée foncièrement fausse historiquement d’une alliance ou d’une équivalence des extrêmes. On en revient au « tout se vaut, tout est flou, tout est possible et interchangeable » que tu sais si dangereux dans le conspirationnisme – je ne parle pas de trier « gentils » et « méchants » radicaux, les jugements de valeur sont à faire par chacun, je parle juste d’ordre dans les représentations. Et on a bien quelque chose qui in fine permet de démonétiser des contestations sociales en les renvoyant à un champ politique qui est désigné comme totalitaire.
RR : On pourrait te répondre que, symétriquement, il faudrait bannir de notre vocabulaire l’oxymore « social-libéral » dans la mesure où il brouille le clivage gauche-droite et « démonétise » une certaine gauche réformiste en la renvoyant dans le camp de la droite libérale… Pourtant, ce terme n’est pas dénué de sens et désigne une réalité objective.
Et bien dans le même ordre d’idée, je pense que cette expression de « nébuleuse » ou de « galaxie rouge-brune » renvoie à une réalité objective. Elle rend compte d’un phénomène qui peut être décrit comme le lieu où convergent idéologiquement certaines franges de l’extrême droite et de l’extrême gauche. Ces convergences peuvent nous déplaire, il n’en demeure pas moins qu’elles existent : Rassinier, Pierre Guillaume, la Vieille Taupe, Garaudy, Vergès, Carlos…
Cela étant dit, cette expression de « rouge-brun », je l’ai utilisée moins de dix fois sur près de 700 billets mis en ligne sur Conspiracy Watch. Notre lexique politologique étant ce qu’il est, c’est-à-dire limité, « rouge-brun » échoue sans doute à qualifier correctement les convergences qu’on observe autour de personnalités comme Dieudonné, Alain Soral et Thierry Meyssan, où entrent non seulement de l’antisémitisme mais aussi un attrait particulier pour les théories du complot et une fascination à l’égard des régimes autoritaires… Et une culture marxiste absente ou dévoyée. Bref, beaucoup de brun et pas beaucoup de rouge. Maintenant, si la question est de savoir s’il existe ou non un champ politique totalitaire, ma réponse est oui, sans hésitation, et je dirais que le conspirationnisme en est justement l’une des composantes les plus marquantes.
Pour aller plus loin :
* Voir le webdocumentaire « François Duprat, une histoire de l’extrême droite » de Joseph Beauregard et Nicolas Lebourg.
* Nicolas Lebourg, Le monde vu de la plus extrême droite. Du fascisme au nationalisme-révolutionnaire, Presses universitaires de Perpignan, 2010, 260 pages.

« nous avons décidé de mettre par écrit nos échanges et de les soumettre à la sagacité des lecteurs de Conspiracy Watch. »
Merci pour cet intéressant échange. Cependant je crains, pour ma part, de décevoir les attentes car ma sagacité ne me livre que des conclusions peu spectaculaires. Il me semble en effet que votre opposition au fond est aussi simple que banale. M. Lecourt éprouve clairement beaucoup plus de passions de gauche que vous. Vous avez sans doute un point de vue, des opinions de gauche, mais l’idéologie et le passionnel tripal sont clairement de son côté.
Vous avez mentionné la « dissonance cognitive ». Je pense que c’est précisément la situation de M. Lecourt : il n’aime pas les conspi, mais il n’aime pas du tout non plus les « puissants », les « dominants » non « élus démocratiquement », etc. Or ces « dominants » sont précisément les ennemis jurés des conspi. Il est ennuyé, il aimerait presque quelque part partager leur combat (comme Bourdieu sur sa fin), mais les conspi sont décidément trop fous et souvent d’extrême droite… Ceci le conduit à essayer de compenser en donnant un minimum raison aux conspi, par exemple en exagérant considérablement les affaires Enderlin, Morin, l’impact de l’expression « rouge-brun », etc., en hissant l’anti-conspirationnisme presque au niveau de « culture » dangereuse, ce qui est vraiment absurde.
A mon avis, typiquement, il est dans la tendance Badiou et en particulier dans celle de son dernier livre assez répugnant (http://www.amazon.fr/Lantis%C3%A9mitisme-partout-Aujourdhui-en-France/dp/2358720186/ref=sr_1_1?ie=UTF8&s=books&qid=1306531958&sr=8-1). Waintrater en parle ici (http://www.desinfos.com/spip.php?page=article&id_article=23808) et il y a un bon article dessus ici (http://www.causeur.fr/badiou-partout,9609). Je pense qu’il dirait de même que l’anti-conspirationnisme sert d’une certaine manière à faire taire les véritables résistants, sert comme arme des puissants contre les faibles qui ont seulement la malchance d’être idiots (conspi quoi). Demandez-lui ce qu’il pense de ce bouquin, à mon avis il dira peut-être que Badiou exagère un peu mais qu’au fond il a raison. Alors que je pense que vous-même accrocherez beaucoup moins au « style » Badiou.
Si j’osais, je ferais un petit rapprochement avec Caroline Fourest. Cette dernière est clairement moins passionnée que Lecourt, mais elle aussi est en quête éperdue d’équilibre pour compenser une certaine dissonance : les pro-Ramadan la traitent souvent de « sioniste », or elle-même est bien ancrée à gauche et donc assez pro-palestinienne naturellement, ce qui l’ennuie profondément ; donc au final de temps en temps elle se lâche en écrivant plus ou moins n’importe quoi sur le Proche-Orient avec des critiques exagérées et infondées contre Israël. Je ne m’en offusque pas, je comprends son malaise émotionnel. Je m’arrête là, on va dire que je trahis un « pro-israélisme » forcené qui décrédibilise tout mon propos 🙂
Lecourt va plus loin, puisqu’en reprenant le verbiage du Bourdieu tardit il me semble plus proche d’un Badiou. A mon humble avis, vous ne devriez pas trop vous inquiéter de votre opposition. Je sais combien il peut être déstabilisant pour un homme de gauche de beaucoup se consacrer à critiquer le conspirationnisme ; quelque part on se sent coupable de s’en prendre à ceux qui critiquent les « puissants », parce qu’au fond on pense aussi qu’il faut effectivement critiquer les « puissants ». Je ne « vote » pas à droite en soi, mais j’avoue que les critiques idéologiques de gauche (cf. par exemple son laïus amusant sur le FMI ou la Banque Mondiale) ne parviennent plus désormais à me culpabiliser. Donc pour moi toutes les exagérations de Lecourt en disent plus sur lui-même que sur la réalité d’une « dérive de l’anti-conspirationnisme ».
Bon j’arrête là je me rends compte que j’ai beaucoup trop écrit. Sans doute que j’ai été porté par le sujet, ou alors que j’ai senti avec empathie votre gêne devant les critiques de Lecourt sur les « dangers » de votre travail…
Dialogue instructif qui ne ménage personne. C’est très bien, mais on regrette qu’il se finisse si tôt. Il y aurait beaucoup à dire sur l’expression « galaxie rouge-brune » et sa réalité contestable.
Je voudrais revenir sur un point marginal. Rudy parle avec peu de sévérité, peut-être « comme il se doit », de quelques commentateurs : « Sur Conspiracy Watch, j’ai reçu des messages d’internautes me reprochant de ne pas en faire suffisamment sur DSK, en d’autres termes : de ne pas relayer dans la minute le moindre article commentant les résultats de ce fameux sondage. Dans ce qui était une prudence élémentaire, certains ont voulu voir une connivence. » Certains, oui. Mais pour quelques autres, on m’ôtera difficilement de l’esprit qu’ils se fichaient de voir CW parler de DSK : ils voulaient faire passer CW pour un site « sionisé » qui ne dénonce pas le conspirationnisme là où il est vraiment, et ils voulaient le faire très rapidement, avant que sortent des articles dénonçant le conspirationnisme dans le traitement de l’affaire DSK. Ces gens-là viendraient-ils remercier Rudy, non seulement de parler à présent de DSK, mais aussi de se confronter à un intellectuel qui n’analyse pas l’engouement pour cette affaire et le fameux sondage de la même manière ? Non, puisqu’ils veulent faire passer CW pour un site partial, méprisant, manipulateur. Soupçon infondé que ce genre d’article finit de détruire.
Mon Dieu ! Suis-je en train de fantasmer un complot anti-CW ? 🙂
Echange très intéressant, merci.
Le problème Rudy est que vous abordez la question du conspirationnisme d’un point de vue idéologique, alors qu’il s’agit d’abord d’un phénomène sociologique. De fait, il est certaines contradictions que vous ne pourrez résoudre.
« Dans le cas de Ben Laden son issue était logique, rationnelle. »> Le cas Ben Laden ne peut être analysé distinctement de l’évènement du 11/09/2001. Il était évident que sans corps et sans image, le débat conspirationniste reviendrait en surface.
« La pratique de l’exécution sans forme de procès des terroristes est classique, elle fait partie d’un dispositif politique »> Avec ce qu’impliquent les termes « dispositif politique », à savoir que ce « nettoyage » permet d’éviter le déballage et les questions de fond qu’amèneraient un procès.
« DSK c’est l’exact inverse : un phénomène surgi auquel nul n’avait bien sûr jamais songé »> Nous sommes donc bien dans le même cas que les attentats du 11/09/2001 . Phénomène de sidération, incrédulité, et recherche d’une rationalité. C’est le cas d’une bonne partie des personnes qui doutent de la VO du 11 septembre, que vous n’avez cessé sur ce blog d’amalgamer avec les « illuminatistes » et consort. En ce sens, je rejoins les propos de Nicolas Lebourg dans l’anti-conspirationnisme sans nuance qu’il vous reproche à demi-mot.
« Ils ne croient pas que le « vrai » DSK a été enlevé et éliminé et qu’un sosie a pris sa place »> formule rhétorique de dérision, qui montre bien que vous manquez d’arguments. Par ailleurs, je dirai que la raison principale pour qu’il n’y ait pas de thèse précise sur le complot DSK est que les gens ne se sentent pas concernés. Interpellés, mais pas concernés.
« il est très contestable de mettre tout ce beau monde dans le même panier : des gens choqués qui s’interrogent sincèrement et d’autres dont la vision du monde confine à la paranoïa » > C’est une vision erronée de ceux qui doutent de la VO du 11 septembre, et qui prouve que votre étude du conspirationnisme n’est pas objective. Vous réduisez le questionnement de gens frappés dans leur rationalité au raisonnement d’extrémistes. Je dirai que c’est comme dire que tous ceux qui votent FN sont des fachos, ce qui rejoint les critiques que vous adresse plus loin Mr Lebourg.
« En second lieu, oui tu as raison le problème c’est cette manie idéologique du « à qui profite le crime ? ». Il n’y a pas de question plus aberrante pour mettre en ordre logique le chaos des évènements »> En l’occurrence, c’est le phénomène inverse pour le 11 septembre. Beaucoup de gens sont d’abord interpellés dans leur rationalité face aux évènements, ce qui les amènent à se poser la question « à qui profite le crime », et pas l’inverse.
« D’autres au contraire sont comme tétanisés par la force de conviction de certains militants conspirationnistes »> Vous inversez les rôles. Il n’y a qu’à voir la pression médiatique exercée sur ceux qui donnent leur avis sur le 11/09/2001.
« C’est l’impression que me donnent certaines déclarations de Noam Chomsky par exemple »> c’est faire insulte à l’indépendance d’esprit de M Chomsky. Mais c’est logique venant de vous, puisque vous assimilez conspirationnisme et antisémitisme et que sur ce plan, le cas Chomsky vous pose problème.
« On ne peut pas parler de « théorie du complot » dès que quelqu’un qui est accusé de viol ou d’abus sexuel clame son innocence. »> L’innocence ou la culpabilité de DSK n’a rien à voir avec la phénoménologie elle-même. Qu’il soit coupable ou non, il y a théorie du complot, donc votre objectivité doit vous amener à la traiter. Mais là encore, en traitant le conspirationnisme en tant de phénomène idéologique, et non pas sociologique, vous avez besoin de « preuves » pour prendre parti, d’où votre prudence.
« Sincèrement, quand tu vois l’usage qui est fait de la désignation de la « théorie du complot » pour clouer au pilori à tour de bras, n’as tu pas l’impression que, toi ou moi, nous n’avons pas assez pris garde aux effets conservateurs voire puritains que pouvaient avoir à notre corps défendant nos bonnes volontés de déconstruction d’une arme de controverse ? »> et ce n’est que le début, car cet argument, comme celui du populisme, n’a pas fini d’être utilisé.
« Maintenant, si la question est de savoir s’il existe ou non un champ politique totalitaire, ma réponse est oui, sans hésitation, et je dirais que le conspirationnisme en est justement l’une des composantes les plus marquantes »> A l’inverse, le totalitarisme n’est pas une des composantes majeure du conspirationnisme. Le conspirationnisme dénonce, à tort ou à raison, une manipulation souterraine contre le peuple, et donc contre la démocratie.
« Historiquement, la notion de « grande conspiration » émerge avec la naissance de l’Etat moderne lors de l’Ancien Régime. La société s’inquiète de la disparition de l’ordre ancien et s’interroge sur cet étrange Léviathan qui se lève sur l’Europe : l’Etat » > Je partage cette analyse. Le conspirationnisme serait donc le symptôme d’une inquiétude face au changement de système, c’est à dire finalement du passage à un ordre mondialisé. Ce Nouvel Ordre Mondial dénoncé par les illuminati n’est au final que la vision fantasmée d’un phénomène réel. Le problème est que sur la forme, cette transition s’est imposée plus qu’elle n’a été maîtrisée, et que cet idéal (de paix au départ, ne l’oublions pas) est dévoyé par la dérive financière et la corruption des classes dirigeantes. Faudra-t-il une révolution mondiale pour reprendre les rênes ? C’est toute la question.
Ah c’est marrant j’ai écrit un peu partout Lecourt au lieu de Lebourg. Au temps pour moi, j’ai sans doute fait un étrange mélange avec le philosophe Dominique Lecourt (que j’aime bien pourtant).
Je pense que l’intervention de Quidam est instructive, car elle explicite plus ou moins ce que Lebourg semble penser en lui-même : au fond les conspi mènent un combat plutôt légitime (la domination d’une oligarchie antidémocratique est un « phénomène réel »), mais le problème tient à la forme de leur critique, du fait de leur délire interprétatif paranoïaque. En somme, Lebourg veut dire qu’à force de critiquer la forme conspirationniste, on risque d’anéantir le fond du message qui est pertinent ; quant à vous, vous êtes plus sceptique envers la pertinence même de ce fond, car en réalité vous ne croyez pas vraiment qu’une oligarchie capitaliste égoïste domine le monde. (Personnellement je vous donne raison, mais mon avis n’a finalement pas trop d’importance.)
Et sinon je suis d’accord pour dire que rapprocher ceux qui ont pensé à un complot derrière l’affaire DSK aux conspi traditionnels est tout de même très abusif. D’ailleurs je pense que Taguieff pour le coup a exagéré en l’interprétant comme une victoire de la pensée conspirationniste.
« Diffamations visant Charles Enderlin, …Edgar Morin ». Avant de s’accrocher à la doxa anticonspirationniste pour la défense inconditionnelle et corporative d’Enderlin, le visionnage de la vidéo http://video.google.com/videoplay?docid=9146802551972572272#
devrait inspirer un minimum de prudence et d’approche cartésienne. Quant aux dérives d’Edgar Morin, ses fréquentations parlent pour lui: http://www.silviacattori.net/article134.html
On voit bien chez Quidam, commentateur régulier sur CW, pour ne pas dire hystérique, le pseudo-intellectuel qui est, en fait, dans la « malhonnêteté » presque involontaire et pathologique et la suffisance ridicule. Il contorsionne la réalité pour qu’elle lui convienne, mais, comme pour exercer sur eux une pression durable, accuse ad nauseam les gens, qui sans être parfaits sont plus méthodiques que lui, de pratiquer à dessein des amalgames. On serait tenté de lui dire : si tu ne sais pas lire, arrête de critiquer phrase après phrase et de faire ton parano. Mais ce serait oublier la possibilité qu’il le fasse exprès. On reste en effet sidéré et hésitant devant ce déferlement peu efficace de concepts parfois mal compris, cette blablattitude pourtant rusée et longuement étudiée. Le plus fort est que, si on ne perd pas son temps à reprendre un à un les arguments biaisés de Quidam, lui ou un autre serait capable d’en faire reproche et de se croire encore plus fort du fait même qu’un commentateur comme moi semble abdiquer tout en pérorant et se moquant. Il ne faudrait pas qu’il oublie que je ne suis pas son interlocuteur, mais juste un anonyme qui, quand il en a un peu marre, le fait savoir, tout en réservant les démonstrations de politologie pour des occasions qui en valent la peine.
Il y a 2 types de théories du complot :
– celles colportées par les grands médias et politiques officiels qui sont évidemment non seulement autorisées mais chaudement recommandées (exemple DSK est tombé dans un piège) et cellesi-ci sont comme par hasard à usage de puissants personnages,
– celles colportées par le peuple qui sont interdites de médias et qui valent des noms d’oiseaux à leurs auteurs, comme par hasard elles desservent souvent des puissants.
C’est agréable de pouvoir enfin lire (trop rarement) des propos aussi équilibrés
Votre dialogue est fort intéressant ma foi (bien que celui-ci m’effraya d’abord un peu par sa compacité et sa longueur, tant que j’ai attendu d’avoir quelques heures d’attention disponibles pour le lire posément).
Et les commentaires qui suivent ne le sont pas moins (Quidam égal à lui-même et à la petite légende qu’il s’est déjà forgé à force de battre le même fer…)
La partie de l’échange où Nicolas Lebourg semble remettre en cause le terme de ‘rouge-bruns’, en retraçant l’historique du terme comme pour le vider de tout contenu contemporain m’a toutefois laissé pantoise.
Ainsi, est-ce par exemple, parce que le mot ‘supporter’ fut d’abord utilisé dans les domaines militaire et politique qu’on doit lui dénier le fait de qualifier aujourd’hui un phénomène relevant du spectacle sportif ? (voire de la culture Coca-panini-merguez).
Les arguments de Nicolas Lebourg ressemblent parfois un peu à ce genre de raisonnement bancal (je rejoins en cela le premier comm d’Occam).
Mais la partie la plus passionnante de votre échange fut pour moi la mise en difficulté de vos argumentaires respectifs (enfin, surtout les vôtres, cher Rudy ! ^^)
Voilà de quoi affuter vos armes, car face aux mises en doute faciles que vous opposera sans doute de plus en plus certains zélateurs d’une jeune génération biberonnée depuis l’adolescence par des sites web à l’apparence anodine, mais qu’imbibe cet obscurantisme post-moderne (je les comprends, quand j’étais ado j’aimais bien lire des trucs sur les secrets templiers et des livres de Robert Charroux… avant de prendre conscience de l’idéologie douteuse qui émanait de ces fables…), j’ai parfois l’affreux présage que vous seriez les derniers combattants d’un temple de la raison vacillant sous les coups du relativisme général, du renversement des valeurs où la vertu devient infâme et l’ignominie se pare de décence, ce nouveau dieu-serpent d’une religion de l’effroi.
Discussion vraiment intéressante, Néanmoins, je suis stupéfait du passage sur Denis Robert et Philippe Val. Pauvre Philippe, incapable de distinguer la vérité (et suivant la voix de ses maitres!), enterre un peu plus un journaliste honnête qui n’en avait vraiment pas besoin!
A propos de l’expression « rouge-brun », j’imagine qu’elle représente l’ensemble des personnes qui ne sont ni libérales, ni libertaires. Je ne comprends pas le dédain qui dégage à la fin de cet échange pour ces personnes. Quasi tous nos aïeux étaient des « rouges-bruns » avec cette définition…
Je crois que vous faites fausse route dans le cas DSK
ce n’est pas du conspirationnisme mais du négationnisme.
négationnisme qui consiste a nier toute notion de justice(la justice americaine nous ment, elle ne fait pas son travail, on nous cache tout etc) qui consiste a confondre vérité judiciaire et la verité (autrement si on a aucune preuve a lors c que dsk est innocent et on se fait juge de ce qui est vrai ou faux), en niant les elements de l’enquete policiere, en reniant la parole de la victime qui aurait des lors menti (apres tout ce n’est qu’une femme, une noire, une pauvre femme de menage, illettré immigré qui veut plsu de fric en échange de sexe) et en pardonnant DSK a tout prix
En fait remplacez dans le sondage complot par manipulation.
et on retrouve les memes chiffres. a savoir 60% des francais pensent que dsk est innocent. pourquoi? ils repetent ce qu’on leur a dit a la télé
Pour revenir au complot, ou a la manipulation, ca pose toujours plus de questions que ca n’apporte de reponses.
Que faire: alors du témoignage de la victime? et de l’enquete des policiers? des témoins directs qui ont accompagné la femme de chambre jusqu’a chez elle? Que faire du procureur qui est surement persuadé qu’elle est innocente et qui ne se lance pas tout seul dans l’aventure sans preuves concretes ?
Revenons à la these du complot: si c’est une machination : pourquoi alors pas de trace de violence? pourquoi ? pas de temoin direct? bhl nie la version de la victime mais énonce des contre verités complètement absurdes pire que celle de maitre levy le juriste
je suis un ami de dsk alors il est innocent car il ne peut pas faire ca
dsk n’est pas fou , ce viol est l’acte ‘un fou donc dsk est innocent etc
en avant les sophismes!!
la femme ne peut pas rentrer seul dans une chambre quand la personne et a l’interieur donc cest un complot!
un autre:
la femme mesure 180 alors cest la preuve que le viol na pas eu lieu.
et il y en a plein d’autres;
Elle n’a pas crié alors il n’y a pas viol.
la question qu’on peut se poser : est ce qu’une femme prendrait le risque de perdre son emploi qu’elle a depuis 3 ans? alors qu’elle est immigré analphabete, qu’elle na plus e contact avec sa famille et s’exprime difficilement en anglais.Bref je trouve que dans cet entretien au lieu de dénoncer la théorie du complot en donnant des elements de preuves qui invalideraient cette hypothese, vous lui donnez du crédit en prenant fait et cause pour les partisans du complot.
, vous faites tout le contraire vous tombez dans le panneau et limite si vous ne justifiez pas ce mode de pensée en disant qu’apres tout le 911 ce n’est pas pareil ou apres tout il ne faut pas tomber dans l’anticonspirationnisme systematiquement
alors que désolé ca procedede la meme logique!’qui consiste a nier les faits et les preuves) car tous les conspirationnistes disent ca! cest meme un de leur seul argument. a savoir il pratiquent la victimisation , ils culpabilisent et condamnent.
la question que je me demande cest est ce que vous etes tombé dans le complotisme vous aussi tout simplement parce que vous avez été manipulé par les médias sans vous en rendre compte.
dans ce cas, j’attends rapidement des explications ou alors ce n’est pas tres serieux.
Aujourd’hui, DSK semble innocent et un militant de l’extrême droite bien brune mais pro-israélienne vient de massacrer des « rouges » propalestiniens en rêvant dans son « manifeste » de balancer des « bombes sales » sur Paris. Lire l’entretien et les commentaires maintenant ça prend une autre allure.
@ Jironise : il ne me semble pas que ce monsieur Breivik ait manifesté de quelconques sympathies pro-israéliennes.
Pour l’extrême droite néonazie comme pour les rouge-bruns, l’ennemi ultime reste toujours les juifs, fantasme du tout Autre honni. Le racisme anti-musulman, bien réel même s’il est parfois mis un peu trop en avant dans les médias, n’est qu’un miroir aux alouettes pour semer la confusion dans les esprits.
J’enfonce toujours le même clou, mais pour moi Breivik et ce genre de « lone wolf » ne capteront jamais que des atardés.
Plus dangereuses et sournoises me semble bien les idées nauséabondes à la popularité croissante qui se propagent sous couvert d’un discours pseudo anti-impérialiste / anti-capitaliste / anti-colonialiste, saupoudré d’idéologie victimaire par certains thuriféraires de la pensée alternative radicale (pas besoin de les nommer : on en parle assez sur ce site).
Assister à un meeting du NPA est en cela fort édifiant, ou même discuter avec de jeunes adultes dont la vision du monde est formée par les sites de Morandini, Karl Zéro et les sketches de Dieudonné (je n’invente pas : j’en côtoie des comme ça tous les jours !)
Dialogue très intéressant c’est vrai, je dois être trop limité mais j’ai penché pour l’analyse de votre interlocuteur qui reconnaissait à demi mot, que tout en étant plus bête que vous, les gens pouvaient détenir des bribes d’intelligence, qu’ils expriment souvent maladroitement dans leurs interrogations et opinions politiques. Malgré tout vous vous heurtez à des problèmes purement mécaniques. Quand bien même vous raisonneriez de la manière la plus saine qui soit, et c’est ce que suggère votre recours systématique au contrepied du contrepied de façon à atteindre une objectivité de principe, vous ne pourriez savoir la vérité d’avance, ni toute la vérité, et vous ne le pourrez jamais. Si un quelconque commissaire émet des hypothèses et suit des pistes lors d’une enquête, pourquoi le « peuple » devrait-il rester muet sur les mêmes faits? Selon quel principe de sanité intellectuelle? La spéculation est une caractéristique de la pensée humaine, personne ne peut dire si elle est qualité ou défaut, ça n’existe pas. Donc vous n’analysez pas, vous combattez. La spéculation est indispensable au débat qui est justement le fondement de la démocratie. C’est même appliquer (peut-être bêtement) le sens critique dont on nous rabache les oreilles à l’école. Partout on nous dit de ne pas prendre pour argent comptant l’information, et que ça aiguise l’esprit critique, on nous enseigne à remettre en cause ce que l’on sait, tout enseignant « de gauche » vous le dira. Détailler ce principe de manière subtile ne change rien à l’affaire: vous ne pouvez atteindre la vérité par le seul exercice du doute ou inversement de la pondération, il faut expérimenter les hypothèses, et découvrir les faits. Une grande capacité d’analyse est inutile devant une absence de données, vous analysez systématiquement la même chose (les comportements), alors que les conspis s’attaquent aux faits, même mal. Pourquoi n’ai je trouvé aucun article parlant des armes de destruction massive en IRAK sur votre site?Car vous vous intéressez à discréditer les gens bien plus sur leur attitudes que sur ce qu’ils disent, peu importe que les faits dont ils parlent soient exagérés ou suggérés par d’autres. Vous le reconnaissez vous même la théorie de la domination est valide. Feriez vous un classement des plus grandes fortunes du monde en y comparant la proportion de personnes de confessions juives ou d’origine par rapport à la proportion des mêmes dans le monde. C’est assez simple, une étude a récemment montré que le sentiment d’impunité était plus grand quand les gens s’imaginaient riches, ils étaient plus aptes à mentir et à enfreindre la loi. Je parie que c’est généralisable à toutes les formes de domination. Et j’attends avec impatience l’étude qui montrera qu’une des valeurs premières innées de l’homme est l’appartenance à un clan, et la défense de celui ci.
Avec ces faits vous avez toutes les données pour expliquer que les conspirationnistes tirent peut-être leur sentiment d’une perception pas si erronées des réalités humaines.
C’est très simple:
Quand il est systématique limite parano (ce qui nettement est le cas de ce site conspiracywatch), alors…
l’anti complotisme fait le lit du complotisme;
l’anti-antisémitisme fait le lit de l’antisémitisme;
l’anti-fascisme fait le lit du fascisme;
l’anti racisme fait le lit du racisme;
l’anti-souverainisme fait le lit du souverainisme;
et ainsi de suite…
Depuis 30 à 40 ans on a été beaucoup trop loin dans l’anti-lepènisme, l’anti-dieudonnéisme, dans le licraïsme, etc., bref dans la police de la pensée. On s’est trop constitué partie civile. On a trop épuré les médias. On a humilié trop de gens.
Ce faisant on a oublié qu’ici c’est le pays de Voltaire.
Aujourd’hui Pierre Desproges et Coluche seraient traînés devant les tribunaux comme Dieudonné. Ils auraient probablement la même réaction que lui. Heureusement pour eux, ils sont morts à temps.
Avec toutes ces praxis soi disant défensives consistant à brimer l’expression spontanée et INOFFENSIVE des sentiments des gens ordinaires on a fait preuve de panique et de manque de sang froid.
On est allé à fin contraire. On a CREE de toute pièces, comme un golem, le danger qu’on voulait conjurer.
On a réussi à causer un réel sentiment d’OPPRESSION chez une foule de braves gens pas du tout mal intentionnés et qu’on a radicailsés inutilement. Maintenant ils sont écoeurés et déterminés à manifester leur mécontentement de la manière la plus cuisante possible pour ceux qu’ils identifient confusément comme des oppresseurs.
On a travaillé sans relâche, non à bâtir une digue, mais à accumuler une masse énorme de ressentiment derrière une digue ILLUSOIRE.
Cette digue va bientôt craquer. La vague qui en résultera ne pourra pas être maîtrisée. Elle balayera tout sur son passage.
La paranoïa apeurée des pseudo « républicains » anti racistes et anti complotistes sera une des causes majeures de la victoire prévisible de Marine Le Pen en 2017 ou 2022 au plus tard.