La France n’est ni au bord d’un « Grand Remplacement » ni à l’abri d’une progression inquiétante de l’islamisme.
Une enquête de l’Ifop réalisée pour le magazine Écran de veille auprès d’un échantillon national de 14 244 personnes (dont 1 005 personnes se déclarant de religion musulmane) dresse un état des lieux de l’islam de France sur près de quarante ans. Si elle dément frontalement les fantasmes de « Grand Remplacement » propagés par l’extrême droite, elle documente aussi une dynamique de réislamisation des jeunes générations, ainsi qu’une progression de la sympathie pour les mouvements islamistes.
Selon l’Ifop, la proportion de musulmans dans la population adulte française est passée de 0,5 % en 1985 à 7 % en 2025. L’islam est ainsi la deuxième religion de France, loin derrière un catholicisme en net recul (43 %) et devant le protestantisme (4 %). Dans le même temps, la part des « sans religion » a fortement augmenté pour atteindre 37 %.
Ces données contredisent directement l’idée d’une submersion démographique imminente par les populations d’origine musulmane. En 2016, une enquête Ipsos montrait que les Français estimaient en moyenne que les musulmans représentaient… 31 % de la population, soit plus de quatre fois le chiffre mesuré aujourd’hui par l’Ifop. Un chiffre qui peut être expliqué par un biais cognitif, le biais de disponibilité, consistant à accorder une importance exagérée à des phénomènes plus largement médiatisés ou marquants.
L’Ifop souligne d’ailleurs que son dispositif (vaste échantillon national, mode de recueil téléphonique permettant d’atteindre des publics peu captés par les enquêtes en ligne, redressements sur bases INSEE) vise précisément à suppléer les lacunes de la statistique publique sur les appartenances religieuses.
À rebours des prophéties alarmistes, l’étude décrit donc une minorité religieuse croissante inscrite dans un paysage général marqué avant tout par l’effondrement de la « matrice catholique » et la montée de l’indifférence religieuse.
Autre cliché battu en brèche par l’enquête : l’idée d’une « communauté musulmane » unanimement hostile à l’apostasie. Près des trois quarts des musulmans (73 %) estiment aujourd’hui que leurs coreligionnaires ont le droit de quitter l’islam. Un chiffre en très nette progression par rapport à 1989 (44 %).
80 % des musulmans se déclarent « religieux », contre 48 % en moyenne chez les adeptes des autres religions. 24 % se disent « extrêmement » ou « très » religieux, deux fois plus que dans les autres confessions (12 %). Cette religiosité intense culmine chez les 15-24 ans (30 %, contre 12 % chez les 50 ans et plus).
Les pratiques (prières, mosquée, jeûne du ramadan, consommation d’alcool, port du voile...) suivent la même pente. La prière quotidienne est ainsi passée de 31 % en 1994 à 62 % en 2025, trois fois plus que dans les autres religions (18 %). Les jeunes musulmans sont en outre plus pratiquants que leurs aînés. L’Ifop y voit un processus de « réaffiliation religieuse » des nouvelles générations à un islam traditionaliste, rappelant toutefois que ce renforcement de la religiosité des jeunes n’est pas propre aux musulmans, comme l’a constaté le chercheur Olivier Galland qui observe une tendance similaire, quoique moins marquée, chez les jeunes croyants d’autres confessions.
S'agissant du rapport des Français musulmans à l'« islamisme », une idéologie fortement marquée par le conspirationnisme, l'Ifop apporte, là aussi, des ordres de grandeur. Interrogés sur leur opinion à l’égard des islamistes, 38 % des musulmans déclarent approuver « tout ou partie » de leurs positions en 2025 (8 % la plupart, 30 % seulement quelques-unes), contre 19 % qui partageaient des positions intégristes en 1998. La sympathie pour des mouvances islamistes précises est également mesurée. Ainsi, un musulman français sur trois éprouve de la sympathie pour au moins une mouvance islamiste tandis que 52 % éprouvent de l'hostilité à l'égard du djihadisme. La sympathie pour les Frères musulmans atteint à elle seule 24 %. Il existe donc bel et bien une progression significative d’un islam rigoriste, parfois explicitement islamiste, en particulier parmi les jeunes.
La réhabilitation de la culture scientifique et de l’esprit critique apparaît dès lors comme un défi majeur pour les professionnels de l’éducation.
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