Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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#PasLeTemps !

Publié par Rudy Reichstadt14 avril 2020

Le coût de la prolifération des fake news n’est pas neutre : en captant notre attention, elles diminuent le temps que nous pourrions consacrer à nous informer correctement. Autrement dit, elles participent d’un mouvement général d’abaissement du niveau du débat public.

Crédits : Conspiracy Watch.

C’est une expérience que beaucoup d’entre nous ont faite ces dernières années, singulièrement ces dernières semaines : une connaissance, un proche, un ami vous adresse par mail, via Facebook Messenger, Twitter, WhatsApp, Telegram ou toute autre plateforme comparable, un texte ou une vidéo au contenu sensationnaliste dévoilant une « information » que vous n’avez jamais entendue auparavant.

Ce genre de publications fait parfois irruption dans votre messagerie sans même aucun commentaire d’accompagnement de la part de votre contact. Les affirmations qu’elles contiennent ont souvent pour effet de susciter la méfiance à l’égard de la presse professionnelle, de la communauté scientifique ou des sources officielles. A défaut de forcément provoquer votre colère ou votre indignation, elles ébranlent le socle de vos certitudes, vous appelant quelquefois à « ouvrir les yeux ». Promettant de n’avancer que des faits « vérifiables », elles instillent le doute en vous. Sous couvert de vous faire des révélations exclusives dont vous seriez l’un des premiers informés, elles flattent en réalité votre ego, vous procurant l’impression d’être un initié, d’avoir été subrepticement admis dans le club très sélect de ceux qui savent.

La « source » à l’origine de ce type de contenus n’est pas toujours identifiable immédiatement. Il arrive même que celui qui s’adresse à vous le fasse sous pseudonyme. Lorsque toutefois elle s’exprime à visage découvert et sous son véritable nom, on s’aperçoit la plupart du temps que la personne en question est dénuée de compétences dûment certifiées quant au sujet qu’elle traite.

Prendre connaissance de ces publications prend du temps, de quelques minutes pour un long statut Facebook à plusieurs dizaines pour une vidéo YouTube ; du temps que vous pourriez assurément consacrer à étancher votre soif d’information en puisant à des sources autrement plus fiables mais que la petite musique d’ambiance du populisme informationnel s’emploie activement à discréditer, calomnier, diaboliser.

20 minutes : c’est la durée d’une vidéo complotiste apparue le 17 mars dernier, partagée massivement sur les réseaux sociaux et vue plus de 3 millions de fois en quelques heures. 20 minutes, c’est aussi le temps qu’il vous faut pour lire au moins trois ou quatre bons articles, accessibles gratuitement, sur des sites de médias professionnels ; des articles en nombre suffisant pour rendre totalement vides de sens les insinuations, accusations et pseudo-révélations qui, précisément, confèrent à cette vidéo son caractère complotiste.

Le coût de la prolifération des fake news n’est pas du tout neutre : en captant notre attention, elles diminuent le temps que nous pourrions consacrer à nous informer correctement. Autrement dit, elles participent d’un mouvement général d’abaissement du niveau du débat public. Démultiplié des centaines de milliers de fois, le geste en apparence anodin consistant à partager des contenus de ce type contribue à saper la démocratie. A première vue inoffensifs, ces contenus portent en effet atteinte à l’un de nos droits les plus précieux : celui d’être informé scrupuleusement et loyalement.

En relayant ces ratiocinations complotistes, votre contact s’offre en réalité à peu de frais le luxe d’affirmer à la fois sa générosité et sa supériorité : ne vous laisse-t-il pas entrevoir, dans sa grande magnanimité, un bout de l’indicible « Vérité » que lui a déjà eu l’insigne privilège de contempler ?

A cela, on ne peut plus se contenter d’opposer un silence poli.

Il n’est plus possible de s’estimer quitte du problème en s’abstenant simplement de partager à son tour ces publications.

La promotion de « gestes barrières » numériques est louable. On peut pourtant faire le pari qu’elle ne parviendra pas à tarir le flot torrentiel de théories du complot auquel nous assistons sans que surgisse une prise de conscience collective sur les enjeux de la désinformation.

Il ne peut plus suffire de répondre à ceux de vos contacts qui vous adressent de tels contenus qu’ils gagneraient à aller vérifier par eux-mêmes les « informations » qu’ils partagent, à les croiser avec d’autres sources, à se méfier des charlatans qui pullulent sur le web…

Il faut aussi leur rappeler leur part de responsabilité dans la banalisation d’un imaginaire qui menace, de la manière la plus concrète qui soit, notre espace démocratique.

Il faut leur faire honte. Leur faire honte, oui. Exactement comme l’on se doit de faire honte à un ami qui s’aviserait de nous envoyer un contenu raciste.

Chaque minute, ce sont des centaines d’heures de vidéos qui sont ajoutées à YouTube et un nombre incalculable de textes qui sont mis en ligne. Certains informent, instruisent, élèvent. D’autres avilissent, intoxiquent, désinforment.

Une minute de votre attention donnée aux allégations d’un complotiste courant après son quart d’heure de célébrité est une minute prise sur le visionnage d’un bon documentaire, l’interview d’un grand scientifique ou la lecture d’une enquête de qualité parue dans un journal sérieux.

Alors, si l’un de vos proches ou l’une de vos connaissances vous conseille encore de dépenser vos précieuses minutes à écouter les vociférations complotistes d’un quidam ayant la chance de posséder une connexion Internet, une webcam et beaucoup d’aplomb, n’hésitez plus à lui signifier que c’est là un curieux passe-temps. Et conseillez en retour à ceux qui vous témoignent pareille sollicitude de cesser de gâcher leur temps – et par la même occasion, le vôtre – avec ce genre de contenus.

Car non, décidément, nous n’avons pas le temps pour cela.

#PasLeTemps #NoTimeForBullshit

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Crédits : Conspiracy Watch.

C’est une expérience que beaucoup d’entre nous ont faite ces dernières années, singulièrement ces dernières semaines : une connaissance, un proche, un ami vous adresse par mail, via Facebook Messenger, Twitter, WhatsApp, Telegram ou toute autre plateforme comparable, un texte ou une vidéo au contenu sensationnaliste dévoilant une « information » que vous n’avez jamais entendue auparavant.

Ce genre de publications fait parfois irruption dans votre messagerie sans même aucun commentaire d’accompagnement de la part de votre contact. Les affirmations qu’elles contiennent ont souvent pour effet de susciter la méfiance à l’égard de la presse professionnelle, de la communauté scientifique ou des sources officielles. A défaut de forcément provoquer votre colère ou votre indignation, elles ébranlent le socle de vos certitudes, vous appelant quelquefois à « ouvrir les yeux ». Promettant de n’avancer que des faits « vérifiables », elles instillent le doute en vous. Sous couvert de vous faire des révélations exclusives dont vous seriez l’un des premiers informés, elles flattent en réalité votre ego, vous procurant l’impression d’être un initié, d’avoir été subrepticement admis dans le club très sélect de ceux qui savent.

La « source » à l’origine de ce type de contenus n’est pas toujours identifiable immédiatement. Il arrive même que celui qui s’adresse à vous le fasse sous pseudonyme. Lorsque toutefois elle s’exprime à visage découvert et sous son véritable nom, on s’aperçoit la plupart du temps que la personne en question est dénuée de compétences dûment certifiées quant au sujet qu’elle traite.

Prendre connaissance de ces publications prend du temps, de quelques minutes pour un long statut Facebook à plusieurs dizaines pour une vidéo YouTube ; du temps que vous pourriez assurément consacrer à étancher votre soif d’information en puisant à des sources autrement plus fiables mais que la petite musique d’ambiance du populisme informationnel s’emploie activement à discréditer, calomnier, diaboliser.

20 minutes : c’est la durée d’une vidéo complotiste apparue le 17 mars dernier, partagée massivement sur les réseaux sociaux et vue plus de 3 millions de fois en quelques heures. 20 minutes, c’est aussi le temps qu’il vous faut pour lire au moins trois ou quatre bons articles, accessibles gratuitement, sur des sites de médias professionnels ; des articles en nombre suffisant pour rendre totalement vides de sens les insinuations, accusations et pseudo-révélations qui, précisément, confèrent à cette vidéo son caractère complotiste.

Le coût de la prolifération des fake news n’est pas du tout neutre : en captant notre attention, elles diminuent le temps que nous pourrions consacrer à nous informer correctement. Autrement dit, elles participent d’un mouvement général d’abaissement du niveau du débat public. Démultiplié des centaines de milliers de fois, le geste en apparence anodin consistant à partager des contenus de ce type contribue à saper la démocratie. A première vue inoffensifs, ces contenus portent en effet atteinte à l’un de nos droits les plus précieux : celui d’être informé scrupuleusement et loyalement.

En relayant ces ratiocinations complotistes, votre contact s’offre en réalité à peu de frais le luxe d’affirmer à la fois sa générosité et sa supériorité : ne vous laisse-t-il pas entrevoir, dans sa grande magnanimité, un bout de l’indicible « Vérité » que lui a déjà eu l’insigne privilège de contempler ?

A cela, on ne peut plus se contenter d’opposer un silence poli.

Il n’est plus possible de s’estimer quitte du problème en s’abstenant simplement de partager à son tour ces publications.

La promotion de « gestes barrières » numériques est louable. On peut pourtant faire le pari qu’elle ne parviendra pas à tarir le flot torrentiel de théories du complot auquel nous assistons sans que surgisse une prise de conscience collective sur les enjeux de la désinformation.

Il ne peut plus suffire de répondre à ceux de vos contacts qui vous adressent de tels contenus qu’ils gagneraient à aller vérifier par eux-mêmes les « informations » qu’ils partagent, à les croiser avec d’autres sources, à se méfier des charlatans qui pullulent sur le web…

Il faut aussi leur rappeler leur part de responsabilité dans la banalisation d’un imaginaire qui menace, de la manière la plus concrète qui soit, notre espace démocratique.

Il faut leur faire honte. Leur faire honte, oui. Exactement comme l’on se doit de faire honte à un ami qui s’aviserait de nous envoyer un contenu raciste.

Chaque minute, ce sont des centaines d’heures de vidéos qui sont ajoutées à YouTube et un nombre incalculable de textes qui sont mis en ligne. Certains informent, instruisent, élèvent. D’autres avilissent, intoxiquent, désinforment.

Une minute de votre attention donnée aux allégations d’un complotiste courant après son quart d’heure de célébrité est une minute prise sur le visionnage d’un bon documentaire, l’interview d’un grand scientifique ou la lecture d’une enquête de qualité parue dans un journal sérieux.

Alors, si l’un de vos proches ou l’une de vos connaissances vous conseille encore de dépenser vos précieuses minutes à écouter les vociférations complotistes d’un quidam ayant la chance de posséder une connexion Internet, une webcam et beaucoup d’aplomb, n’hésitez plus à lui signifier que c’est là un curieux passe-temps. Et conseillez en retour à ceux qui vous témoignent pareille sollicitude de cesser de gâcher leur temps – et par la même occasion, le vôtre – avec ce genre de contenus.

Car non, décidément, nous n’avons pas le temps pour cela.

#PasLeTemps #NoTimeForBullshit

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à propos de l'auteur
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Rudy Reichstadt
Directeur de Conspiracy Watch, Rudy Reichstadt est expert associé à la Fondation Jean-Jaurès et chroniqueur pour l'hebdomadaire Franc-Tireur. Co-auteur du film documentaire « Complotisme : les alibis de la terreur », il a publié chez Grasset L'Opium des imbéciles. Essai sur la question complotiste (2019) et Au cœur du complot (2023) et a co-dirigé Histoire politique de l'antisémitisme en France. De 1967 à nos jours, chez Robert Laffont (2024). Il a également participé à l'élaboration du rapport « Les Lumières à l’ère numérique » dans le cadre de la commission Bronner (2022). Depuis 2021, il co-anime le podcast « Complorama » sur France Info.
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