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Le ministère de la post-vérité

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Publié par La Rédaction08 décembre 2025, ,

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Montage CW.

« Pour la première fois, j'ai vu rapporter dans les journaux des choses qui n'avaient plus rien à voir avec les faits » écrit George Orwell dans ses Réflexions sur la guerre d'Espagne (1942). Un souvenir de guerre qui est aussi une phrase terriblement prémonitoire.

La guerre d'Espagne est terminée depuis longtemps mais le péril que soulignait Orwell, la disparition définitive du « concept même de vérité objective », n'a peut-être jamais été si grand. En témoigne l’emballement autour de la « labellisation » des médias évoquée le 19 novembre dernier par le président de la République lors d'une rencontre avec des lecteurs de La Voix du Nord.

Plusieurs responsables de droite et d'extrême droite ainsi que les médias Bolloré et des figures conspirationnistes tentent depuis une dizaine de jours d'imposer l'idée qu'Emmanuel Macron a pour projet « d'instaurer un véritable contrôle de l'information », comme le prétend Jordan Bardella. Un « ministère de la Vérité » qui, d'après le président du RN, dicterait aux gens ce qu'ils ont « le droit, et même le devoir, de dire et de penser ». L'ex-ministre de l'intérieur Bruno Retailleau (LR), David Lisnard (LR), Éric Zemmour (Reconquête !) ou encore Éric Ciotti (UDR) disent sensiblement la même chose. Même son de cloche du côté du JDD, de Philippe de Villiers – qui compare sans honte « la macronie finissante » au nazisme – et de Pascal Praud (CNews) – qui dénonce une nouvelle « Pravda ». Quant au patron de Frontières, Erik Tegnér, il pense que « les médias qui auront ce "label de l’information" vont perdre de nombreux abonnés [...] car il signifie que vous faites partie du récit officiel du pouvoir en place ».

En quoi ce soi-disant « label de l'information » consiste-t-il en réalité ? À encourager la certification des sources d'information qui respectent dans leur manière de travailler des critères de transparence, d’indépendance et d'éthique afin que le public puisse s'y retrouver. Ni plus, ni moins. Une proposition formulée dès 2017 par Reporters sans frontières et qui s'est concrétisée avec la mise en place de Journalism Trust Initiative (JTI), une démarche de certification qui permet aux médias qui en font la demande d'obtenir, s'ils remplissent les conditions requises, un label garantissant, au terme d'un examen indépendant, qu'ils respectent bien les règles élémentaires de la déontologie journalistique. En l'occurrence, l’État n'intervient à aucun moment du processus. D'ailleurs, plus de 2000 médias de 127 pays différents ont d’ores et déjà entamé la procédure et 132 sont, à ce jour, certifiés, dont 17 en France.

Il suffit de faire son travail de journaliste pour constater que le chef de l’État affirme que « ce n’est pas à l’État de dire "ceci est faux ou ceci est vrai", "ceci est une information, ceci n’en est pas" » car, prévient-il, on basculerait alors dans « une autocratie » et on reviendrait en « arrière de dix cases ». Clair. Limpide. Aux antipodes de cette fantasmagorique « dérive autoritaire » dont se gargarisent sans y croire un instant les mêmes qui admirent la Russie de Vladimir Poutine et sa fameuse « verticale du pouvoir » – euphémisme typiquement orwellien s'il en est.

Dans 1984, la célèbre dystopie de George Orwell, le Ministère de la Vérité est chargé de réécrire le passé en permanence, pour qu'il colle aux exigences du présent. C'est précisément l'exercice auxquels se sont livrés ces médias et ces politiques qui, dans un renversement complet de la réalité objective, ont essayé de faire dire au chef de l'État le contraire de ce qu'il a vraiment dit.

Étrangement, aucun d'entre eux ne s'émeut de ce que l'Administration Trump II, pour qui ils ont les yeux de Chimène, a consacré une section entière du site internet de la Maison Blanche aux médias qui ne lui plaît pas, proposant aux internautes de « découvrir la vérité » (sic) sur le Washington Post, CBS News, CNN, Reuters, MSNBC ou encore le New York Times, traités de délinquants et de menteurs. Pendant ce temps, des médias réellement conspirationnistes bénéficient, eux, d'une accréditation à la Maison Blanche. Un Ministère de la Vérité tel que décrit par Orwell ? Pas encore. Un Ministère de la post-vérité : sûrement.

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