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Financement public et guérilla judiciaire : la stratégie controversée de FranceSoir et Bon Sens

Publié par La Rédaction29 octobre 2024, ,

Les deux organisations dirigées par Xavier Azalbert ont récolté des centaines de milliers d’euros via leurs appels aux dons et adhésions défiscalisés. Cet argent facilite la diffusion de la désinformation ainsi qu’un harcèlement judicaire contre des chercheurs, des médecins et des journalistes.

Illustration CW.

Quand il ne brevète pas au Brésil de prétendus traitements soignant le Covid-19 et les effets indésirables de son vaccin (selon les révélations du Point), Xavier Azalbert est souvent au tribunal. Il faut dire que depuis le retrait de son agrément « information politique et générale » par la Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse (CPPAP), France Soir Groupe et son éditeur Shopper Union France ne peuvent plus collecter de dons déductibles des impôts : une décision lourde de conséquences pour le navire-amiral de la complosphère. L'expert-comptable de FranceSoir a ainsi attesté que les « dons défiscalisables [constituaient] 92 % de leur revenus », comme l'indique la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 12 avril 2023.

Sur les cendres de FranceSoir, qui connaissait de grosses difficultés financières, Xavier Azalbert a donc inventé un nouveau modèle économique : l’appel aux dons défiscalisables. Comme déjà dévoilé par L’Express, qui s’est basé sur les enquêtes indépendantes d’un internaute et du collectif de lutte contre les discours de haine Sleeping Giants, FranceSoir a perçu, de décembre 2020 à septembre 2021, au moins 527 118 euros de dons potentiellement défiscalisables à hauteur de 66 %. Rien que sur la période d’avril à septembre 2021, le site a récolté 399 195 euros.

Ces dons ont été perçus via J’aime L’info, un projet du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) hébergé sur la plateforme OkPal d'Ulule, laquelle permet de récolter des dons sans contreparties (à la différence du crowdfunding). Toujours selon L’Express, la fin de la période correspond au moment où le SPIIL bannit FranceSoir de J’aime l’info. Le site de Xavier Azalbert relance la collecte de dons défiscalisés en décembre 2021 via l’Association de la Presse Française Libre (APFL), une structure « immatriculée au siège du journal d’extrême droite Présent ». Par ailleurs, FranceSoir collecte toujours 5 110 euros par mois via la plateforme Tipeee.

Fin 2022, la CPPAP a retiré à FranceSoir son agrément de presse en ligne et donc la possibilité de défiscaliser les dons. Mais le Conseil d’État, saisi en référé par le média, a suspendu la décision de la CPPAP qui, après avoir revu sa copie, a rendu une décision identique en juillet 2024, confirmée un mois plus tard par le Tribunal administratif de Paris. Pour le moment donc, FranceSoir est dans l'incapacité de défiscaliser les dons qui lui sont faits.

Au nom du contribuable...

Néanmoins, de 2020 à juillet 2024, les contribuables français ont financé, dans des proportions substantielles et à leur insu, une entreprise de désinformation. Une partie de cet argent a en effet servi au fonctionnement de FranceSoir qui, à la faveur de la pandémie, s’est mis à produire ses propres émissions de télévision. Ces fonds ont-ils également été mis au service d'une guérilla judiciaire contre les mesures sanitaires ?

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, FranceSoir – notamment via la société Shopper Union France (SUF), dirigée par France Soir Groupe – a multiplié les actions en justice. En juillet 2020, Shopper Union France a cherché à faire annuler un communiqué de presse du ministère de la Santé interdisant la prescription d’hydroxychloroquine pour traiter le Covid-19. En octobre 2020, en pleine pandémie, elle a contesté en justice l’obligation du port du masque.

Mais FranceSoir veille surtout à ses propres intérêts. Ayant perdu son accès à l’outil publicitaire de Google, le média a attaqué l’entreprise... et perdu. Après le retrait de son agrément de presse en ligne par la CPPAP, FranceSoir a multiplié les recours, mais fini débouté. En juin 2023, il a fait condamner Le Monde à 25 000 euros d’amende pour « dénigrement » devant le tribunal de commerce de Paris – un moyen de contourner le droit de la presse – pour avoir classé FranceSoir comme un site de désinformation dans son Décodex.

La mise au ban de FranceSoir est pourtant directement liée aux choix éditoriaux de Xavier Azalbert. Après avoir pris fait et cause pour le professeur Didier Raoult, FranceSoir fait appel au complotiste Richard Boutry pour animer le (bien mal nommé) Défi de la vérité. En janvier 2021, une tribune du chanteur Francis Lalanne y appelle l’armée à renverser Emmanuel Macron. Six mois plus tard, une autre tribune cible des médecins et scientifiques en déclarant que « la veuve [la guillotine − ndlr] s’impatiente ».

Depuis l’hiver 2022, le média s’est également déchaîné contre le petit site de fact-checking Fact & Furious et son équipe, qu’Azalbert projetait de racheter afin de récupérer son agrément de presse en ligne… et avec lui la possibilité de défiscaliser les dons (lire la première partie de notre enquête ici).

Générosité publique et guérilla judiciaire

A l’automne 2020, Xavier Azalbert a créé l’association BonSens.org, formellement enregistrée en février 2021 auprès de la préfecture du Bas-Rhin. Il s’est entouré d’individus proches de la sphère complotiste comme Christian Perronne, Jean-Yves Capo, Gérard Guillaume et Silvano Trotta – un homme convaincu, notamment, que la Lune est creuse. L’association compte parmi ses « experts » des personnalités comme le « rassuriste » Laurent Toubiana, l’auteur d’un best-seller covido-sceptique, Pierre Chaillot, et la très pro-Raoult Corinne Reverbel.

Tout comme FranceSoir, Bon Sens a également multiplié les appels à la générosité du public. Dans son rapport financier 2022, disponible sur son site internet, l’association affirme avoir collecté, via les adhésions et les dons, 752 760 euros sur la période d’octobre 2020 à décembre 2021, et 154 213 euros sur l’année 2022. Soit un total, au 31 décembre 2022, de 906 973 euros. Néanmoins, dans une vidéo rendue publique en avril 2022, le trésorier Jean-Yves Capo assure que Bon Sens a « levé plus de deux millions d’euros, même sensiblement plus ». Contacté par Conspiracy Watch, Jean-Yves Capo fait valoir que le montant de deux millions d'euros est un lapsus sur lequel il s'est déjà expliqué sur Twitter.

Toujours selon son rapport financier 2022, l’association consacre l’essentiel de ses charges externes à alimenter des procédures judiciaires. En 2022, sur 234 540 euros dépensés, 154 832 euros ont été consacrés à des « dépenses d’avocats d’huissiers » (sic) et 37 960 euros à de la « sous-traitance d’enquêtes » soit un total de 192 792 euros représentant 82,2 % des charges externes de l’association. Sur la période allant d'octobre 2020 à décembre 2021, sur 115 625 euros dépensés, les frais d’avocats et d’huissiers ont atteint 87 019 euros, soit 75,3 % du total.

Bon Sens se targue d’être intervenu en tout dans une soixantaine d’actions en justice « sur l'obligation des vaccins expérimentaux, les traitements précoces à base d'hydroxychloroquine ou d'ivermectine, sur le port du masque par les enfants, sur les effets secondaires des vaccins... ». L’association ne cache pas que cette frénésie procédurière est financée par la générosité du public, qui lui permet d’envoyer des représentants à de grands raouts complotistes à Washington ou à Bruxelles... mais également de financer la production de ses propres études « scientifiques ». Toujours selon Le Point, l'une de ces pseudo-études sponsorisée par Bon Sens, publiée dans une revue « prédatrice », a servi à légitimer un soi-disant traitement contre le Covid-19 et les effets secondaires du vaccin, breveté au Brésil par Xavier Azalbert et ses associés.

À votre bon cœur

Le contribuable français finance-t-il les actions de Bon Sens ? De sa création à l’automne 2020 jusqu’au 3 janvier 2023, l’association n’avait pas obtenu de la DGFIP le rescrit « mécénat » permettant de défiscaliser les dons et adhésions à 66 % pour les particuliers et 60 % pour les personnes morales. Ce qui ne l’avait pas empêché, selon Fact & Furious, de promettre dès son lancement cette défiscalisation et de délivrer des reçus fiscaux, alors qu’elle n’était même pas enregistrée en préfecture – ce qui sera fait en février 2021.

Dans un courrier de refus daté du 11 octobre 2021, mis en ligne par Bon Sens, la DGFIP avait indiqué dans un premier temps à l’association que « les dons éventuels au profit de votre organisme, - l'association dénommée : "BonSens.Org " - ne sont pas éligibles au mécénat fiscal. Ce qui signifie concrètement qu'elle ne peut pas délivrer des reçus fiscaux au profit de ses éventuels donateurs [et] que les versements effectués en sa faveur ne peuvent ouvrir droit aux réductions d'impôts prévues au b du 1 de l'article 200 et au a du 1 de l'article 238 bis du CGI. »

Un an plus tard, dans son rapport financier 2022, Bon Sens affirmait que « le 3 janvier 2023, après plus de 18 mois d’échanges divers avec la DGFIP, l’association a obtenu […] la réitération de son rescrit fiscal [et] l’obtention du rescrit mécénat qui permet à tout donateur ou adhérent […] de bénéficier de la délivrance d’un avoir fiscal. » Elle indiquait aussi que « les donateurs ne pouvant bénéficier d’un rescrit mécénat (délivrance d’un avoir fiscal) [sous-entendu, avant le 3 janvier 2023, ndlr] ont peu donné. » 

Pour rappel, le rescrit « fiscal » permet à une association d’interroger la DGFIP sur le caractère lucratif ou non de son activité, alors que le rescrit « mécénat » permet de l’interroger sur son habilitation à recevoir des dons manuels non soumis aux droits d’enregistrement et à délivrer des reçus fiscaux (lire ici).

Dans un tweet du 8 mai 2024, Jean-Yves Capo a publié une capture d’écran tronquée de ce qui semble être le courrier de la DGFIP du 3 janvier 2023, accordant le rescrit « mécénat ». « Les dons éventuels effectués au profit de votre organisme, l'association dénommée  "BonSens.Org" […] seront éligibles au mécénat fiscal », indique la lettre. Qui précise néanmoins « lorsqu'ils seront affectés à l'une des activités précitées » – activités qui ne sont pas détaillées sur la capture d’écran. L’Express relève quant à lui que le rescrit « mécénat » est introuvable sur le site de Bon Sens.

Contacté par Conspiracy Watch, Jean-Yves Capo nous a adressé la réponse suivante. « Naturellement, les avoirs fiscaux ne sont délivrés que pour les dons reçus à compter du 3 janvier 2023, date à laquelle nous avons bénéficié du rescrit "mécénat", déclare-t-il. Le rescrit "fiscal" -déjà obtenu au cours de l'exercice antérieur - nous a été fort logiquement renouvelé. »

Au vu de ces différents éléments, il apparaît vraisemblable que, depuis janvier 2023, Bon Sens dispose du rescrit « mécénat » permettant de défiscaliser les dons et adhésions à 60 ou 66 %. Et que le contribuable français finance donc depuis cette date une association plus que perméable aux théories du complot.

Convergence des luttes

Telle une hydre à deux têtes, le média et l’association, tous deux animés par Xavier Azalbert, travaillent main dans la main. La guérilla judiciaire de Bon Sens est ainsi abondamment relayée dans les colonnes de FranceSoir – quand le média ne l’alimente pas lui-même. Ainsi, après une série d’articles accusant Dominique Costagliola de conflit d’intérêts, c’est Bon Sens qui dépose plainte contre l’épidémiologiste, qui est perquisitionnée dans le cadre de l’enquête ouverte par le Parquet national financier, puis mise hors de cause. Sur certains dossiers, FranceSoir et Bon Sens, souvent épaulés par l’avocate proche des milieux complotistes Diane Protat (lire notre enquête ici), initient même des procédures judiciaires complémentaires.

Leur tentative d’obtenir les SMS échangés entre la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et Pfizer – ce que cherchaient également à faire de nombreux médias non complotistes – illustre ce phénomène. En décembre 2022, Bon Sens a déposé (sans succès) aux États-Unis une demande de discovery, qui permet d’exiger d’une partie adverse la communication d’informations et de documents, pour les récupérer. De leur côté, Shopper Union France et Xavier Azalbert ont essayé d’y accéder via une demande de droit à l’information, puis un recours auprès de la Cour de justice de l’Union européenne.

Bon Sens et FranceSoir ont également fait pression conjointement pour obtenir la rétractation d’une étude imputant 17 000 morts à l’utilisation de l’hydroxychloroquine en traitement du Covid-19. Si des faiblesses méthodologiques ont effectivement été constatées a posteriori, la décision de rétracter l’étude, plutôt rare, semble partiellement liée à la bronca des complotistes.

Contacté, Xavier Azalbert n’a pas répondu à nos sollicitations.

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Quand il ne brevète pas au Brésil de prétendus traitements soignant le Covid-19 et les effets indésirables de son vaccin (selon les révélations du Point), Xavier Azalbert est souvent au tribunal. Il faut dire que depuis le retrait de son agrément « information politique et générale » par la Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse (CPPAP), France Soir Groupe et son éditeur Shopper Union France ne peuvent plus collecter de dons déductibles des impôts : une décision lourde de conséquences pour le navire-amiral de la complosphère. L'expert-comptable de FranceSoir a ainsi attesté que les « dons défiscalisables [constituaient] 92 % de leur revenus », comme l'indique la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 12 avril 2023.

Sur les cendres de FranceSoir, qui connaissait de grosses difficultés financières, Xavier Azalbert a donc inventé un nouveau modèle économique : l’appel aux dons défiscalisables. Comme déjà dévoilé par L’Express, qui s’est basé sur les enquêtes indépendantes d’un internaute et du collectif de lutte contre les discours de haine Sleeping Giants, FranceSoir a perçu, de décembre 2020 à septembre 2021, au moins 527 118 euros de dons potentiellement défiscalisables à hauteur de 66 %. Rien que sur la période d’avril à septembre 2021, le site a récolté 399 195 euros.

Ces dons ont été perçus via J’aime L’info, un projet du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) hébergé sur la plateforme OkPal d'Ulule, laquelle permet de récolter des dons sans contreparties (à la différence du crowdfunding). Toujours selon L’Express, la fin de la période correspond au moment où le SPIIL bannit FranceSoir de J’aime l’info. Le site de Xavier Azalbert relance la collecte de dons défiscalisés en décembre 2021 via l’Association de la Presse Française Libre (APFL), une structure « immatriculée au siège du journal d’extrême droite Présent ». Par ailleurs, FranceSoir collecte toujours 5 110 euros par mois via la plateforme Tipeee.

Fin 2022, la CPPAP a retiré à FranceSoir son agrément de presse en ligne et donc la possibilité de défiscaliser les dons. Mais le Conseil d’État, saisi en référé par le média, a suspendu la décision de la CPPAP qui, après avoir revu sa copie, a rendu une décision identique en juillet 2024, confirmée un mois plus tard par le Tribunal administratif de Paris. Pour le moment donc, FranceSoir est dans l'incapacité de défiscaliser les dons qui lui sont faits.

Au nom du contribuable...

Néanmoins, de 2020 à juillet 2024, les contribuables français ont financé, dans des proportions substantielles et à leur insu, une entreprise de désinformation. Une partie de cet argent a en effet servi au fonctionnement de FranceSoir qui, à la faveur de la pandémie, s’est mis à produire ses propres émissions de télévision. Ces fonds ont-ils également été mis au service d'une guérilla judiciaire contre les mesures sanitaires ?

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, FranceSoir – notamment via la société Shopper Union France (SUF), dirigée par France Soir Groupe – a multiplié les actions en justice. En juillet 2020, Shopper Union France a cherché à faire annuler un communiqué de presse du ministère de la Santé interdisant la prescription d’hydroxychloroquine pour traiter le Covid-19. En octobre 2020, en pleine pandémie, elle a contesté en justice l’obligation du port du masque.

Mais FranceSoir veille surtout à ses propres intérêts. Ayant perdu son accès à l’outil publicitaire de Google, le média a attaqué l’entreprise... et perdu. Après le retrait de son agrément de presse en ligne par la CPPAP, FranceSoir a multiplié les recours, mais fini débouté. En juin 2023, il a fait condamner Le Monde à 25 000 euros d’amende pour « dénigrement » devant le tribunal de commerce de Paris – un moyen de contourner le droit de la presse – pour avoir classé FranceSoir comme un site de désinformation dans son Décodex.

La mise au ban de FranceSoir est pourtant directement liée aux choix éditoriaux de Xavier Azalbert. Après avoir pris fait et cause pour le professeur Didier Raoult, FranceSoir fait appel au complotiste Richard Boutry pour animer le (bien mal nommé) Défi de la vérité. En janvier 2021, une tribune du chanteur Francis Lalanne y appelle l’armée à renverser Emmanuel Macron. Six mois plus tard, une autre tribune cible des médecins et scientifiques en déclarant que « la veuve [la guillotine − ndlr] s’impatiente ».

Depuis l’hiver 2022, le média s’est également déchaîné contre le petit site de fact-checking Fact & Furious et son équipe, qu’Azalbert projetait de racheter afin de récupérer son agrément de presse en ligne… et avec lui la possibilité de défiscaliser les dons (lire la première partie de notre enquête ici).

Générosité publique et guérilla judiciaire

A l’automne 2020, Xavier Azalbert a créé l’association BonSens.org, formellement enregistrée en février 2021 auprès de la préfecture du Bas-Rhin. Il s’est entouré d’individus proches de la sphère complotiste comme Christian Perronne, Jean-Yves Capo, Gérard Guillaume et Silvano Trotta – un homme convaincu, notamment, que la Lune est creuse. L’association compte parmi ses « experts » des personnalités comme le « rassuriste » Laurent Toubiana, l’auteur d’un best-seller covido-sceptique, Pierre Chaillot, et la très pro-Raoult Corinne Reverbel.

Tout comme FranceSoir, Bon Sens a également multiplié les appels à la générosité du public. Dans son rapport financier 2022, disponible sur son site internet, l’association affirme avoir collecté, via les adhésions et les dons, 752 760 euros sur la période d’octobre 2020 à décembre 2021, et 154 213 euros sur l’année 2022. Soit un total, au 31 décembre 2022, de 906 973 euros. Néanmoins, dans une vidéo rendue publique en avril 2022, le trésorier Jean-Yves Capo assure que Bon Sens a « levé plus de deux millions d’euros, même sensiblement plus ». Contacté par Conspiracy Watch, Jean-Yves Capo fait valoir que le montant de deux millions d'euros est un lapsus sur lequel il s'est déjà expliqué sur Twitter.

Toujours selon son rapport financier 2022, l’association consacre l’essentiel de ses charges externes à alimenter des procédures judiciaires. En 2022, sur 234 540 euros dépensés, 154 832 euros ont été consacrés à des « dépenses d’avocats d’huissiers » (sic) et 37 960 euros à de la « sous-traitance d’enquêtes » soit un total de 192 792 euros représentant 82,2 % des charges externes de l’association. Sur la période allant d'octobre 2020 à décembre 2021, sur 115 625 euros dépensés, les frais d’avocats et d’huissiers ont atteint 87 019 euros, soit 75,3 % du total.

Bon Sens se targue d’être intervenu en tout dans une soixantaine d’actions en justice « sur l'obligation des vaccins expérimentaux, les traitements précoces à base d'hydroxychloroquine ou d'ivermectine, sur le port du masque par les enfants, sur les effets secondaires des vaccins... ». L’association ne cache pas que cette frénésie procédurière est financée par la générosité du public, qui lui permet d’envoyer des représentants à de grands raouts complotistes à Washington ou à Bruxelles... mais également de financer la production de ses propres études « scientifiques ». Toujours selon Le Point, l'une de ces pseudo-études sponsorisée par Bon Sens, publiée dans une revue « prédatrice », a servi à légitimer un soi-disant traitement contre le Covid-19 et les effets secondaires du vaccin, breveté au Brésil par Xavier Azalbert et ses associés.

À votre bon cœur

Le contribuable français finance-t-il les actions de Bon Sens ? De sa création à l’automne 2020 jusqu’au 3 janvier 2023, l’association n’avait pas obtenu de la DGFIP le rescrit « mécénat » permettant de défiscaliser les dons et adhésions à 66 % pour les particuliers et 60 % pour les personnes morales. Ce qui ne l’avait pas empêché, selon Fact & Furious, de promettre dès son lancement cette défiscalisation et de délivrer des reçus fiscaux, alors qu’elle n’était même pas enregistrée en préfecture – ce qui sera fait en février 2021.

Dans un courrier de refus daté du 11 octobre 2021, mis en ligne par Bon Sens, la DGFIP avait indiqué dans un premier temps à l’association que « les dons éventuels au profit de votre organisme, - l'association dénommée : "BonSens.Org " - ne sont pas éligibles au mécénat fiscal. Ce qui signifie concrètement qu'elle ne peut pas délivrer des reçus fiscaux au profit de ses éventuels donateurs [et] que les versements effectués en sa faveur ne peuvent ouvrir droit aux réductions d'impôts prévues au b du 1 de l'article 200 et au a du 1 de l'article 238 bis du CGI. »

Un an plus tard, dans son rapport financier 2022, Bon Sens affirmait que « le 3 janvier 2023, après plus de 18 mois d’échanges divers avec la DGFIP, l’association a obtenu […] la réitération de son rescrit fiscal [et] l’obtention du rescrit mécénat qui permet à tout donateur ou adhérent […] de bénéficier de la délivrance d’un avoir fiscal. » Elle indiquait aussi que « les donateurs ne pouvant bénéficier d’un rescrit mécénat (délivrance d’un avoir fiscal) [sous-entendu, avant le 3 janvier 2023, ndlr] ont peu donné. » 

Pour rappel, le rescrit « fiscal » permet à une association d’interroger la DGFIP sur le caractère lucratif ou non de son activité, alors que le rescrit « mécénat » permet de l’interroger sur son habilitation à recevoir des dons manuels non soumis aux droits d’enregistrement et à délivrer des reçus fiscaux (lire ici).

Dans un tweet du 8 mai 2024, Jean-Yves Capo a publié une capture d’écran tronquée de ce qui semble être le courrier de la DGFIP du 3 janvier 2023, accordant le rescrit « mécénat ». « Les dons éventuels effectués au profit de votre organisme, l'association dénommée  "BonSens.Org" […] seront éligibles au mécénat fiscal », indique la lettre. Qui précise néanmoins « lorsqu'ils seront affectés à l'une des activités précitées » – activités qui ne sont pas détaillées sur la capture d’écran. L’Express relève quant à lui que le rescrit « mécénat » est introuvable sur le site de Bon Sens.

Contacté par Conspiracy Watch, Jean-Yves Capo nous a adressé la réponse suivante. « Naturellement, les avoirs fiscaux ne sont délivrés que pour les dons reçus à compter du 3 janvier 2023, date à laquelle nous avons bénéficié du rescrit "mécénat", déclare-t-il. Le rescrit "fiscal" -déjà obtenu au cours de l'exercice antérieur - nous a été fort logiquement renouvelé. »

Au vu de ces différents éléments, il apparaît vraisemblable que, depuis janvier 2023, Bon Sens dispose du rescrit « mécénat » permettant de défiscaliser les dons et adhésions à 60 ou 66 %. Et que le contribuable français finance donc depuis cette date une association plus que perméable aux théories du complot.

Convergence des luttes

Telle une hydre à deux têtes, le média et l’association, tous deux animés par Xavier Azalbert, travaillent main dans la main. La guérilla judiciaire de Bon Sens est ainsi abondamment relayée dans les colonnes de FranceSoir – quand le média ne l’alimente pas lui-même. Ainsi, après une série d’articles accusant Dominique Costagliola de conflit d’intérêts, c’est Bon Sens qui dépose plainte contre l’épidémiologiste, qui est perquisitionnée dans le cadre de l’enquête ouverte par le Parquet national financier, puis mise hors de cause. Sur certains dossiers, FranceSoir et Bon Sens, souvent épaulés par l’avocate proche des milieux complotistes Diane Protat (lire notre enquête ici), initient même des procédures judiciaires complémentaires.

Leur tentative d’obtenir les SMS échangés entre la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et Pfizer – ce que cherchaient également à faire de nombreux médias non complotistes – illustre ce phénomène. En décembre 2022, Bon Sens a déposé (sans succès) aux États-Unis une demande de discovery, qui permet d’exiger d’une partie adverse la communication d’informations et de documents, pour les récupérer. De leur côté, Shopper Union France et Xavier Azalbert ont essayé d’y accéder via une demande de droit à l’information, puis un recours auprès de la Cour de justice de l’Union européenne.

Bon Sens et FranceSoir ont également fait pression conjointement pour obtenir la rétractation d’une étude imputant 17 000 morts à l’utilisation de l’hydroxychloroquine en traitement du Covid-19. Si des faiblesses méthodologiques ont effectivement été constatées a posteriori, la décision de rétracter l’étude, plutôt rare, semble partiellement liée à la bronca des complotistes.

Contacté, Xavier Azalbert n’a pas répondu à nos sollicitations.

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