Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Page d'accueil du site de la Komsomolskaïa Pravda (capture d'écran, 26/01/2024).

La Komsomolskaïa Pravda (« Vérité du Komsomol » en russe) est un journal populaire russe, proche du Kremlin, qui relaie occasionnellement des contenus complotistes.

Fondé en 1925 en tant qu'organe de presse officiel du Komsomol, l'organisation de jeunesse du Parti communiste soviétique, le quotidien est principalement destiné aux jeunes.

Après la dissolution de l'URSS en 1991, la Komsomolskaïa Pravda est privatisée et se transforme en tabloïd, restant l'un des titres les plus lus en Russie, mais aussi dans plusieurs pays de l'ex-URSS, comme la Biélorussie, le Kazakhstan ou le Kirghizstan. Son site internet, lancé en 1998, est le site d'information est le plus consulté de Russie, avec 83 millions de visites en octobre 2023.

Bien qu'il ait conservé dans son logo les emblèmes hérités de la période soviétique, dont un buste de Lénine, le quotidien n'a depuis longtemps plus rien à voir avec le communisme. Il relève plutôt de la presse à scandale et du magazine people, conservant en revanche sa tradition d’alignement sur la ligne politique définie par le Kremlin. L'édition biélorusse, qui jouissait d'une certaine liberté de ton, a été reprise en main pour être plus favorable au régime d'Alexandre Loukachenko, fidèle allié de Moscou, au lendemain de la contestation massive de sa réélection, en août 2020, pour un sixième mandat de président de la République de Biélorussie.

En juillet 2014, le vol MH17 de la Malaysia Airlines est abattu par un missile dans l'est de l'Ukraine. Alors que tous les soupçons pointent vers les séparatistes pro-Russes − ce que démontrera l'enquête −, Moscou et les médias russes s'emploient à multiplier les théories alternatives pour tenter de crédibiliser l'idée d'une responsabilité ukrainienne. La Komsomolskaïa Pravda ne fait pas exception, accusant les contrôleurs du ciel ukrainiens d'avoir délibérément dérouté l'avion pour qu'il survole les zones de guerre, avant de suggérer quelques jours plus tard que l'appareil de la Malaysia Airlines aurait été pris pour cible par un chasseur ukrainien, avec le soutien d'« un satellite espion américain ». Quelques mois plus tard, le journal présente à ses lecteurs le témoignage controversé d'un ancien employé de l'armée de l'air ukrainienne affirmant avoir lui-même chargé dans un avion ukrainien les missiles qui auraient servi à descendre le MH17.

En janvier 2015, au lendemain de l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo à Paris, le titre s'interroge en une sur une possible planification de l'attaque par les États-Unis. Quelques jours plus tard, interrogé par la Komsomolskaïa Pravda sur les « zones d’ombre » dans la « version officielle » de la tuerie, Jean-Marie Le Pen, alors président honoraire du Front national, répond : « cette histoire de carte d’identité oubliée par les frères Kouachi me rappelle le passeport d’un des terroristes du 11 Septembre miraculeusement retrouvé dans un New York en cendres. [...] Toute l’opération porte la signature de services secrets. »

L'entretien est mené par Daria Aslamova, « envoyée spéciale » phare de la Komsomolskaïa Pravda, qui a notamment préfacé en 2010 « Briser le complot des Sages de Sion », un ouvrage de l'auteur complotiste Israël Shamir. En 2011, elle signe une interview de la figure complotiste française Thierry Meyssan, sur les printemps arabes, intitulée « Les États-Unis ont préparé une "révolution de couleur" en Égypte sur les scénarios géorgien et ukrainien ». C'est la même Daria Aslamova qui, en mai 2017, propose une interview d'Alain Soral, présenté comme « l’un des meilleurs analystes de France », pour commenter l'élection à la présidence de la République d'Emmanuel Macron, dans un article que la Komsomolskaïa Pravda intitule « La marionnette de Rothschild : qui êtes-vous Monsieur Macron ? ». Le polémiste d'extrême droite y explique par exemple que Macron est un « psychopathe » et « un produit de l’oligarchie », sens dans lequel la journaliste abonde : « Qui est Macron ? Un employé de la banque Rothschild et rien d’autre. Un gay joyeux. Mister Nobody. Un robot qui dit ce qu’il faut quand il le faut. Le nouveau Frankenstein. Mais, derrière lui, il y a les mondialistes, l’Amérique de Rothschild et tout le pouvoir des médias. [...] C’est l’empire mondialiste. » En août 2022, Daria Aslamova sera refoulée du Kosovo, suspectée d'être une « espionne russe ».

En décembre 2018, cette même Aslamova interviewe pour la radio de Komsomolskaïa Pravda Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe. Quand elle lui demande par exemple, reprenant les éléments de langage du Kremlin : « pourquoi ne pas déclarer que l'Ukraine est un régime nazi ? Nous disposons de nombreuses preuves », Lavrov lui répond en dénonçant la « connivence criminelle » de l'Occident avec le gouvernement ukrainien, « arrivé au pouvoir grâce à la trahison par l'Occident de toutes nos normes de droit international et de comportement international », avant d'assurer « nous n'entrerons pas en guerre contre l'Ukraine, je peux vous le promettre. » Dans le même entretien, Lavrov déclare en évoquant les ONGs américaines travaillant dans les pays de l'ex-bloc soviétique : « ces ONG sont financées par l'Agence pour le développement international du département d'État américain, le National Democratic Institute (NDI), qui est affilié au Parti démocrate, ou d'autres organisations similaires. George Soros y est très actif, tout comme dans de nombreuses autres parties de notre espace et au-delà. (...) Un grand nombre d'entre elles ont un programme négatif provocateur ». Il  ajoute un peu plus loin que « tout ce que fait l'Occident dans l'espace post-soviétique prépare des révolutions », alimentant ainsi la théorie complotiste chère à Moscou de révolutions de couleur orchestrées depuis l'Occident.

En 2018, Galina Sapozhnikova, journaliste à la Komsomolskaïa Pravda publie un ouvrage intitulé «  Le complot lituanien et l'effondrement soviétique : Enquête sur une démolition politique », qui entend dénoncer « la conspiration qui a conduit à l'effondrement de (...) l'Union soviétique », et prouver que « Les diverses révolutions "de couleur" qui ont eu lieu en Europe de l'Est au cours des années 2000 (...) étaient en fait des opérations de renseignement des États-Unis visant à établir des gouvernements pro-américains dociles. »

En 2019, face au succès d'une mini-série télévisée de la chaîne américaine HBO sur l'accident nucléaire de 1986 à Tchernobyl, la Komsomolskaïa Pravda estime dans ses colonnes que ce programme n'a été réalisé que dans le but de ternir l'image de la Russie à l'étranger.

En novembre 2020, le site de la version radio de la Komsomolskaïa Pravda proposait à ses auditeurs un podcast consacré à George Soros, véritable bête noire des complotistes à travers le monde, au titre évocateur : « Soros, principal ennemi de la Russie et commanditaire de coups d'État dans le monde entier ».

En mai 2022, dans le contexte de l'émergence de l'épidémie de variole du singe, le journal met en avant, sans aucune preuve, une théorie attribuant l'origine du virus à des bio-laboratoires ukrainiens financés par les États-Unis. Un écho à une longue litanie de fantasmes autour des prétendus « biolabs » ukrainiens, que la complosphère accusait de crimes divers, au nombre desquels la fabrication d'armes biologiques, de coronavirus ou d'adrénochrome.

Dans un article paru en août 2023, signé de la propre main de Maria Zakharova, la porte-parole du Ministère des affaires étrangères russe, il est affirmé que l'utilisation par l'armée ukrainienne d'« obus occidentaux en uranium appauvri » pourrait profondément intoxiquer les sols ukrainiens au point de rendre le pays « inhabitable ». Un risque qui ne serait en réalité que très relatif selon des spécialistes occidentaux.

En septembre 2022, Vladimir Sungorkin, le rédacteur en chef de la Komsomolskaïa Pravda trouve la mort dans des circonstances jugées troublantes, rejoignant la liste d'une série de morts suspectes survenues au sein des élites russes à la suite de l'invasion de l'Ukraine, fin février 2022. En décembre 2023, c'est cette fois Anna Tsareva, rédactrice en chef adjointe du journal, qui est retrouvée morte chez elle, à seulement 35 ans.

 

(Dernière mise à jour le 8/02/2024)

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La Komsomolskaïa Pravda (« Vérité du Komsomol » en russe) est un journal populaire russe, proche du Kremlin, qui relaie occasionnellement des contenus complotistes.

Fondé en 1925 en tant qu'organe de presse officiel du Komsomol, l'organisation de jeunesse du Parti communiste soviétique, le quotidien est principalement destiné aux jeunes.

Après la dissolution de l'URSS en 1991, la Komsomolskaïa Pravda est privatisée et se transforme en tabloïd, restant l'un des titres les plus lus en Russie, mais aussi dans plusieurs pays de l'ex-URSS, comme la Biélorussie, le Kazakhstan ou le Kirghizstan. Son site internet, lancé en 1998, est le site d'information est le plus consulté de Russie, avec 83 millions de visites en octobre 2023.

Bien qu'il ait conservé dans son logo les emblèmes hérités de la période soviétique, dont un buste de Lénine, le quotidien n'a depuis longtemps plus rien à voir avec le communisme. Il relève plutôt de la presse à scandale et du magazine people, conservant en revanche sa tradition d’alignement sur la ligne politique définie par le Kremlin. L'édition biélorusse, qui jouissait d'une certaine liberté de ton, a été reprise en main pour être plus favorable au régime d'Alexandre Loukachenko, fidèle allié de Moscou, au lendemain de la contestation massive de sa réélection, en août 2020, pour un sixième mandat de président de la République de Biélorussie.

En juillet 2014, le vol MH17 de la Malaysia Airlines est abattu par un missile dans l'est de l'Ukraine. Alors que tous les soupçons pointent vers les séparatistes pro-Russes − ce que démontrera l'enquête −, Moscou et les médias russes s'emploient à multiplier les théories alternatives pour tenter de crédibiliser l'idée d'une responsabilité ukrainienne. La Komsomolskaïa Pravda ne fait pas exception, accusant les contrôleurs du ciel ukrainiens d'avoir délibérément dérouté l'avion pour qu'il survole les zones de guerre, avant de suggérer quelques jours plus tard que l'appareil de la Malaysia Airlines aurait été pris pour cible par un chasseur ukrainien, avec le soutien d'« un satellite espion américain ». Quelques mois plus tard, le journal présente à ses lecteurs le témoignage controversé d'un ancien employé de l'armée de l'air ukrainienne affirmant avoir lui-même chargé dans un avion ukrainien les missiles qui auraient servi à descendre le MH17.

En janvier 2015, au lendemain de l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo à Paris, le titre s'interroge en une sur une possible planification de l'attaque par les États-Unis. Quelques jours plus tard, interrogé par la Komsomolskaïa Pravda sur les « zones d’ombre » dans la « version officielle » de la tuerie, Jean-Marie Le Pen, alors président honoraire du Front national, répond : « cette histoire de carte d’identité oubliée par les frères Kouachi me rappelle le passeport d’un des terroristes du 11 Septembre miraculeusement retrouvé dans un New York en cendres. [...] Toute l’opération porte la signature de services secrets. »

L'entretien est mené par Daria Aslamova, « envoyée spéciale » phare de la Komsomolskaïa Pravda, qui a notamment préfacé en 2010 « Briser le complot des Sages de Sion », un ouvrage de l'auteur complotiste Israël Shamir. En 2011, elle signe une interview de la figure complotiste française Thierry Meyssan, sur les printemps arabes, intitulée « Les États-Unis ont préparé une "révolution de couleur" en Égypte sur les scénarios géorgien et ukrainien ». C'est la même Daria Aslamova qui, en mai 2017, propose une interview d'Alain Soral, présenté comme « l’un des meilleurs analystes de France », pour commenter l'élection à la présidence de la République d'Emmanuel Macron, dans un article que la Komsomolskaïa Pravda intitule « La marionnette de Rothschild : qui êtes-vous Monsieur Macron ? ». Le polémiste d'extrême droite y explique par exemple que Macron est un « psychopathe » et « un produit de l’oligarchie », sens dans lequel la journaliste abonde : « Qui est Macron ? Un employé de la banque Rothschild et rien d’autre. Un gay joyeux. Mister Nobody. Un robot qui dit ce qu’il faut quand il le faut. Le nouveau Frankenstein. Mais, derrière lui, il y a les mondialistes, l’Amérique de Rothschild et tout le pouvoir des médias. [...] C’est l’empire mondialiste. » En août 2022, Daria Aslamova sera refoulée du Kosovo, suspectée d'être une « espionne russe ».

En décembre 2018, cette même Aslamova interviewe pour la radio de Komsomolskaïa Pravda Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe. Quand elle lui demande par exemple, reprenant les éléments de langage du Kremlin : « pourquoi ne pas déclarer que l'Ukraine est un régime nazi ? Nous disposons de nombreuses preuves », Lavrov lui répond en dénonçant la « connivence criminelle » de l'Occident avec le gouvernement ukrainien, « arrivé au pouvoir grâce à la trahison par l'Occident de toutes nos normes de droit international et de comportement international », avant d'assurer « nous n'entrerons pas en guerre contre l'Ukraine, je peux vous le promettre. » Dans le même entretien, Lavrov déclare en évoquant les ONGs américaines travaillant dans les pays de l'ex-bloc soviétique : « ces ONG sont financées par l'Agence pour le développement international du département d'État américain, le National Democratic Institute (NDI), qui est affilié au Parti démocrate, ou d'autres organisations similaires. George Soros y est très actif, tout comme dans de nombreuses autres parties de notre espace et au-delà. (...) Un grand nombre d'entre elles ont un programme négatif provocateur ». Il  ajoute un peu plus loin que « tout ce que fait l'Occident dans l'espace post-soviétique prépare des révolutions », alimentant ainsi la théorie complotiste chère à Moscou de révolutions de couleur orchestrées depuis l'Occident.

En 2018, Galina Sapozhnikova, journaliste à la Komsomolskaïa Pravda publie un ouvrage intitulé «  Le complot lituanien et l'effondrement soviétique : Enquête sur une démolition politique », qui entend dénoncer « la conspiration qui a conduit à l'effondrement de (...) l'Union soviétique », et prouver que « Les diverses révolutions "de couleur" qui ont eu lieu en Europe de l'Est au cours des années 2000 (...) étaient en fait des opérations de renseignement des États-Unis visant à établir des gouvernements pro-américains dociles. »

En 2019, face au succès d'une mini-série télévisée de la chaîne américaine HBO sur l'accident nucléaire de 1986 à Tchernobyl, la Komsomolskaïa Pravda estime dans ses colonnes que ce programme n'a été réalisé que dans le but de ternir l'image de la Russie à l'étranger.

En novembre 2020, le site de la version radio de la Komsomolskaïa Pravda proposait à ses auditeurs un podcast consacré à George Soros, véritable bête noire des complotistes à travers le monde, au titre évocateur : « Soros, principal ennemi de la Russie et commanditaire de coups d'État dans le monde entier ».

En mai 2022, dans le contexte de l'émergence de l'épidémie de variole du singe, le journal met en avant, sans aucune preuve, une théorie attribuant l'origine du virus à des bio-laboratoires ukrainiens financés par les États-Unis. Un écho à une longue litanie de fantasmes autour des prétendus « biolabs » ukrainiens, que la complosphère accusait de crimes divers, au nombre desquels la fabrication d'armes biologiques, de coronavirus ou d'adrénochrome.

Dans un article paru en août 2023, signé de la propre main de Maria Zakharova, la porte-parole du Ministère des affaires étrangères russe, il est affirmé que l'utilisation par l'armée ukrainienne d'« obus occidentaux en uranium appauvri » pourrait profondément intoxiquer les sols ukrainiens au point de rendre le pays « inhabitable ». Un risque qui ne serait en réalité que très relatif selon des spécialistes occidentaux.

En septembre 2022, Vladimir Sungorkin, le rédacteur en chef de la Komsomolskaïa Pravda trouve la mort dans des circonstances jugées troublantes, rejoignant la liste d'une série de morts suspectes survenues au sein des élites russes à la suite de l'invasion de l'Ukraine, fin février 2022. En décembre 2023, c'est cette fois Anna Tsareva, rédactrice en chef adjointe du journal, qui est retrouvée morte chez elle, à seulement 35 ans.

 

(Dernière mise à jour le 8/02/2024)

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