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Le 10 septembre, un jeune trentenaire père de famille a été abattu lors d'un débat public dans une université de l’Utah. Charlie Kirk était une figure majeure de la jeunesse conservatrice américaine. Une victime ? Assurément. Mais un « héros » ? Pas nécessairement. Son assassinat a déclenché une avalanche d’hommages, de colères, de rumeurs infondées et de récupérations politiques. Et a sonné le retour d'une incantation familière : « liberté d’expression ». Trois mots qui, sur les plateformes numériques, deviennent trop souvent l'alibi de l’insinuation et de la haine, la revendication de pouvoir dire n'importe quoi sans jamais en assumer la moindre conséquence.
Dans ce chaos informationnel, les algorithmes amplifient ce qui choque, émeut et retient l'attention. Ils participent à la crispation de la discussion et au brouillage de la frontière qui sépare les faits et les opinions, la connaissance et la croyance.
En France, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse a fixé le cadre. Elle a posé la liberté comme règle et les restrictions à cette liberté comme des exceptions. Ce cadre est pourtant menacé. La dérégulation de nos voies d'accès à l'information s'est accompagnée d'une idéologie non moins dérégulatrice de notre droit. Le libertarianisme a peut-être constitué à cet égard la doctrine spontanée d'Internet. Une doctrine qui pose le principe d'un droit quasi-absolu à la libre parole, y compris haineuse, les seules restrictions envisageables concernant la menace, le chantage, la diffamation ou l'incitation directe et imminente à commettre un crime.
Peut-être cette conception de la liberté d'expression sera-t-elle un jour inscrite dans nos lois. Qu'on le déplore ou qu'on s'en félicite, ce n'est pas le cas pour le moment. Il n'en demeure pas moins que c'est cette conception de la liberté d'expression qui, en pratique, s'applique sur les réseaux dits « sociaux », sans que nous ayons jamais vraiment eu à en décider collectivement. Une conception qui s'est imposée, de fait, tandis que nos systèmes judiciaires ont échoué à endiguer sa progression.
Or, c'est une toute autre conception de la liberté que véhicule le libertarianisme. Une conception de la liberté qui se rapproche davantage de celle du renard dans le poulailler que de celle qui est censée prévaloir en République et qui vise à faire que les plus bruyants ne couvrent pas de leurs cris les voix de ceux qui sont allergiques à la binarité paresseuse d'un monde en noir et blanc.
Sur le Vieux Continent, terre de sang qui a connu les guerres de religion et la Shoah, les législations nationales veillent généralement à éviter que la liberté d'expression ne devienne un prétexte au racisme et au négationnisme. On peut critiquer un dogme, une idéologie, une institution. On ne peut pas pointer du doigt des individus ou des groupes, les diffamer gratuitement et appeler à les discriminer ou à les persécuter.
La liberté d’expression se renforce quand la critique vise des idées, des pouvoirs, des pratiques. Quand l’espace commun reste respirable pour celles et ceux qui n’ont que leur voix. L'objectif est simple : garantir les conditions d’un débat qui éclaire sans blesser inutilement, qui contredit sans humilier, qui argumente sans désigner des cibles. En somme, une liberté d'expression qui ne se confond pas avec le droit de calomnier et de haïr impunément.
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