Télérama, Libération, Le Nouvel Obs, Le Point, Le Figaro, Europe 1, Ouest-France, TF1, Première, Allociné, Evene (1)… Aucun de ces médias n’est complotiste ou d’extrême droite. Pourtant, tous assurent depuis la semaine dernière à leur insu la promotion sur leurs sites du dernier film de Béatrice Pignède : «L’Oligarchie et le Sionisme».
Brisons immédiatement le suspense : ce documentaire prétendument «indépendant» (il est distribué par la même officine iranienne qui a produit l’année dernière le film de Dieudonné, «L’Antisémite») ne donne pas dans la subtilité. Infiltrés dans tous les pays occidentaux, les «réseaux sionistes» actionneraient partout les leviers de pouvoir pour imposer leur loi et mettre en œuvre leur plan de domination, le «Nouvel Ordre Mondial». Le «Sionisme», idéologie mortifère par laquelle l’«Oligarchie» étendrait son règne sur le monde, s’emploierait en effet à exploiter les événements de la Seconde Guerre mondiale à des fins politiques en jouant cyniquement sur la mauvaise conscience des Européens et en interdisant toute discussion libre sur la réalité de la Shoah. Avant-poste de cet impérialisme prédateur, l’Etat d’Israël menacerait à lui seul l’équilibre de la planète.
«L’Oligarchie et le Sionisme» fait intervenir à leur insu quelques-uns de ceux qui sont censés incarner l’élite honnie : Jacques Attali, Bernard Henri Lévy, Barack Obama… Mais ce sont les interviews de personnalités bien connues de la complosphère qui donnent au documentaire son fil conducteur : Thierry Meyssan, Alain Soral, Jacob Cohen, Gilad Atzmon ou encore Webster Tarpley.
Les vulgates anticapitaliste (la condamnation des «banksters», de Wall Street, de la «spéculation financière»…) et populiste (les «élites mondialisées», «l’oligarchie»…) n’ont d’autre fonction ici que de faire passer en contrebande un discours complotiste radical. Reposant tout entier sur une reformulation syncrétique du mythe du complot juif mondial (avec l’euphémisation qui convient à la sensibilité de l’époque : on ne dira pas «juif» mais «sioniste»), le film de Béatrice Pignède va au-devant du procès en antisémitisme qui pourrait lui être fait en faisant intervenir des auteurs d’origine juive et/ou de nationalité israélienne comme Jacob Cohen et Gilad Atzmon, déjà cités, mais aussi et surtout Shlomo Sand, l’auteur du best-seller Comment le peuple juif fut inventé ? (Fayard, 2008).
Qu’on ne s’y trompe pas : l’«antisionisme» revendiqué par Béatrice Pignède n’a rien à voir avec la critique d’une politique conjoncturelle, celle des gouvernements qui ont pu se succéder à la tête de l’Etat d’Israël. Il ne relève pas d’un anticolonialisme que satisferait le retrait d’Israël des territoires occupés à l’issue de la guerre des Six Jours et la création d’un Etat palestinien. Il ne procède pas non plus d’un internationalisme qui tiendrait en suspicion, par principe, tout mouvement national d’où qu’il vienne. L’antisionisme revendiqué ici va au-delà de la contestation de la légitimité de l’Etat d’Israël. Il fantasme l’existence d’un «pouvoir sioniste mondial» qui constituerait le seul obstacle à la paix dans le monde et à la réconciliation de l’humanité avec elle-même.
Cet antisionisme métaphysique, démonologique, ne prétend pas combattre un mouvement national – le sionisme – envisagé dans la diversité de ses expressions historiques, mais une hydre maléfique qui tire les ficelles du monde en coulisses. Projetant sur les «Sionistes» les traditionnels stéréotypes négatifs prêtés aux Juifs – réputés «riches», «cosmopolites», «élitistes», «ethnocentristes», «subversifs», «intrigants», «belliqueux»… –, cet antisionisme est-il autre chose qu’un antisémitisme par procuration ? Et qu’il se trouve des personnalités juives pour y apporter leur caution doit-il étonner ?
Béatrice Pignède ne fait nullement mystère de son adhésion à la thèse d’un complot «sioniste» mondial. C’est ainsi que l’année dernière, elle relayait sur sa page Facebook un schéma présentant le «Lobby sioniste israélien» comme le grand tireur de ficelles des gouvernements occidentaux et de l’ONU, accompagné d’un commentaire en anglais commençant par ces mots : «Le Sionisme est la principale cause des guerres et des meurtres».
Zéon, autre protagoniste de la galaxie Dieudonné, s’est illustré par une série de détournements et de dessins équivoques quand ils ne sont pas carrément antisémites. C’est lui qui a signé l’affiche du documentaire de Béatrice Pignède. Elle mérite à elle seule un décryptage tant elle condense les lieux communs de l’imaginaire conspirationniste contemporain le plus radical.
Le mot «SIONISME», écrit en lettres de sang dégoulinantes, et le monstre chimérique qui trône au centre du dessin évoquent un mauvais film d’horreur. Mi-squelette humain mi-araignée, la créature surmonte un globe terrestre en forme de puzzle qu’elle supplicie entre ses griffes qui sont comme autant de dards menaçants. Les doigts crochus de ses mains squelettiques ont arraché une pièce du puzzle, l’Etat d’Israël.
Le buste de la créature est vêtu d’un veston éraillé frappé d’une dizaine d’écussons. On reconnaît les emblèmes du Club Bilderberg, de l’AIPAC, de la banque Goldman Sachs, du Crif, de la banque Rothschild, du Council on Foreign Relations, du Mossad, de l’Otan, d’Al-Qaïda et du Qatar. Dans les bras du sinistre personnage repose une faux dont la lame est barrée du mot «SPECULATION». La tête, dont la mâchoire consiste en deux rangées horizontales de lingots d’or formant l’inscription «FEDERAL RESERVE», est coiffé d’un haut de forme, élimé lui aussi, entouré d’un drapeau israélien entremêlé avec l’inscription «Wall Street». La cavité nasale abrite une petite pyramide surmontée de l’Œil d’Horus (symbole du «Nouvel Ordre Mondial» dans la contre-culture complotiste). Les boutons de manchette, enfin, sont en or : l’équerre et le compas maçonniques à gauche, l’étoile de David à droite.
Du film d’horreur, façon Protocoles des Sages de Sion, on n’est finalement pas loin, l’affiche de «L’Oligarchie et le Sionisme» ne faisant que recycler un classique de la caricature antisémite.
Sur la complosphère, il se murmure déjà que le film de Béatrice Pignède fait l’objet de «pressions» visant à le censurer. En fait de censure, la bande annonce est disponible sur l’ensemble du Net depuis sa sortie le 22 mai dernier. Si «L’Oligarchie et le Sionisme» ne trouve pas de distributeur de poids, n’est-ce pas simplement parce que ses relents antisémites et paranoïaques le disqualifient irrémédiablement ?
Notes :
(1) Eric Mettout, directeur adjoint de la rédaction de L’Express, nous informe ce jour (31/05/2013) que la page consacrée à «L’Oligarchie et le Sionisme» sur le site de L’Express a été mise hors ligne et que la bande-annonce de ce film a été fournie par un flux automatique. Il conteste que son journal en ait «assuré la promotion». Eric Mettout estime par ailleurs qu’«il y a un monde entre faire notre travail d’information – qui consiste y compris à annoncer des événements, culturels notamment, dont nous ne partageons pas les valeurs – et « assurer la promotion ». Là encore, et je parle pour le coup au nom de mes confrères qui, eux, n’ont peut-être pas eu notre réflexe, nous ne mettons pas le même sens sur les mots. Que je sache, le film n’a pas été interdit, il ne contrevient à aucune loi française et n’a pas même fait, si je ne m’abuse, l’objet d’une plainte quelconque». Dont acte. Conspiracy Watch avait tenté de joindre, en vain, la rédaction de L’Express les 21 et 22 mai dernier pour lui signaler la présence de cette page sur son site et lui demander quelles suites elle comptait donner à ce signalement. Le premier paragraphe de cet article a été légèrement modifié en conséquences (ajout de «à leur insu» ; mention dont l’absence, convenons-en, pouvait prêter à équivoque).
Renvoyant vers le présent texte, Rue89 a rapporté dans la soirée (31/05/2013) les propos de Florent Latrive, rédacteur en chef adjoint de Liberation.fr, confirmant qu’il s’agissait bien d’un problème «dans l’automatisme d’import de bande-annonces». «Dès qu’on s’en est rendu compte, on a tout supprimé dans la seconde et renforcé les procédures de validation».
(2) Faurisson n’est jamais présenté par Pignède comme un «négationniste». Les mots ont leur importance : ceux qui contestent l’existence des chambres à gaz homicides refusent en effet cette épithète, lui préférant celle de «révisionniste». Leur recherche de respectabilité et leur prétention à la scientificité les conduisent en effet à estimer qu’ils constituent une école historique à part entière en désaccord avec le courant historique dominant qu’ils qualifient d’«exterminationniste».
Voir aussi :
* Du « complot juif » au « complot sioniste » (1917-1939), par Georges Bensoussan.
* Les Amis du Monde diplomatique tentés par la théorie du complot ?
Dernière mise à jour : 31 mai 2013.
Ce ne sont pas des articles qui font la promotion du film, ce ne sont que des fiches cinéma de façon à constituer une base de données de films.
C’est tout juste si on peut s’inquiéter de considérer ce film comme digne d’intérêt malgré les propos relayés. Je ne connaissais pas ce long-métrage avant que vous n’en parliez.
Très bon article, mais moi aussi je vois que le premier paragraphe n’est pas développé. Comment tout plein de médias « assurent la promotion » de ce film conspi affreux ? Est-ce qu’ils ignorent le contenu, ou qui est Pignède ? Non pour la plupart. Alors c’est qu’ils ne savent même pas que leur base de données contient cette fiche ? S’ils le savaient, la retireraient-ils ? Qui a mis la fiche ? Beaucoup de questions restent en suspens, et il est dommage que l’expression « assurent la promotion » puisse être interprétée de bien des manières.
Partout, la fiche est la même. Perso, je pense que tous ces médias sont abonnés à la même banque de données et, à priori, celle du « Film français » qui est une référence pour les professionnels. Cela-dit, il n’y a pas moyen de vérifier sur le site sans y être soi-même abonné. Vu que Clap 36 est une boite de production française, cela me parait quand même la solution la plus plausible.
Le circuit de distribution semble aussi très restreint, voire inexistant, puisque le film n’est programmé, pour l’instant, dans aucune salle en France. Mais je suppose que cette fiche doit lui servir de promotion auprès des salles d’art et d’essai (même si, malheureusement, elles se font de plus en plus rares) et des mjc, cinémathèques, etc, qui diffusent des films d’auteurs, underground ou tout simplement différents. En se présentant « collectif pour le cinéma indépendant » alors que l’essentiel des financements provient de fonds publics de la République islamique iranienne (quand tant de cinéastes iraniens sont mis à l’index voire emprisonnés), Clap 36 utilise la vieille recette de faire passer son antisémitisme viscéral pour une contestation du système.
@ 240-185: Moi non plus, je ne connaissais pas l’existence de ce film avant d’avoir lu cet article mais je trouve légitime qu’il fasse l’objet d’une analyse sur un site consacré au conspirationnisme Rien que son titre pose problème.
Pouvez-vous en dire plus sur le contexte de l’intervention de Shlomo Sand ? Est-ce une simple reprise vidéo d’une de ses interviews ou une intervention spécifique dans le cadre de ce « documentaire » ?
Peu importe si c’est peu ou prou relayé. Le fait est qu’il est rendu accessible alors qu’il enfreint la loi de façon évidente.
Cette Pignède est dangereuse et au risque de passer pour une parano, je suis ses élucubrations avec Werlet depuis un petit moment.
Tout le monde peut.
Mais la presse dans tout ça ? Ne fait-elle pas l’autruche en refusant de regarder ces fiches ? Elle, si prompte à se caser dans les affaire, à enquêter, pourquoi n’a-t-elle pas réagi ?
On touche peut être à la limite de conspiracy watch: l’article ci dessus fait en pratique de la pub à un film dont les quelques pages générées de ci de là automatiquement ne devaient certainement pas avoir de fréquentation par elles mêmes. Ce n’est pas le fêtre d’être publié qui donne de la visibilité sur internet, c’est le fait d’etre référencé. Conspiracy Watch a référencé le film de Béatrice Pignède, le sortant de l’anonymat auquel il était promis.
Le recours à l’alibi des « alterjuifs », en l’occurrence Jacob Cohen, Gilad Atzmon d’ores et déjà catalogués comme antisémites compulsifs, semble être devenu un rituel que n’utilisait pas la propagande nazie, moins hypocrite dans l’affichage de ses objectifs. La présence de Shlomo Sand dans le bestiaire de l’Industrie de la Haine démontre au mieux l’irresponsabilité de cet universitaire médiocre en quête de notoriété, au pire son adhésion au rôle de supplétif: De quoi faire réfléchir l' »intelligentsia progressiste » qui l’a encensé, si elle en est capable.
Absolument pas d’accord Grégory !
Sous prétexte de « pub », CW ne pourrait relayer une telle saloperie ? Des milliers sur le net peuvent tomber sur cette daube et il ne faudrait pas en parler sous prétexte que ça fait de la pub.
L’omerta est pire que tout. Se taire est la dernière chose à faire. La sphère Dieudonnesque croit qu’elle peut tout se permettre mais il arrivera bien un jour où les juges se pencheront sur son cas sinon ce serait à désespérer de la république !
@ Wilaya4
Vous devriez vous interroger comme le fait Thomas, au lieu d’accuser Shlomo Sand sans savoir. Dans un autre film de Clap 36, il y a carrément le philosophe Paul Ricoeur qui « intervient », et je ne crois pas qu’on lui a demandé la permission (d’autant plus qu’il est décédé) ; à moins que vous doutiez de l’importance et de la solidité des travaux de Ricoeur, que vous imaginiez la pente savonneuse vers l’antisémitisme vraiment très large et très longue (maintenant je vous crois capable de tout !). Ce que fait Pignède est à vomir, Shlomo Sand n’a pas brillé par sa compétence dans un certain domaine, là nous serons d’accord. Que Sand soit pire que ça, peut-être mais ça reste à voir, vous ne pouvez pas le décider maintenant. Vous arrive-t-il d’avoir malgré tout une petite pensée bienveillante pour des gens dont vous ne supportez pas les erreurs ? ou alors vous les voyez déjà en enfer ? Vous vous êtes demandé si c’était normal ? Où vous placez-vous sur la pente savonneuse vers l’ultrasionisme ? (Je suis taquin…)
C’est l’article de CW sur ce documentaire qui est référencé. Comme ça les gens qui se demandaient ce qu’était ce truc en consultant les sites sur lesquels il se trouvait (plus maintenant) savent qui et quoi se cache derrière.
Béatrice Pignède, qui a collaboré avec Arrêt sur image, l’émission de Schneiderman. Perline, une historique de la défunte émission, qui avait été virée par le boss, avait aussi rejoint la mouvance Meyssan, puisqu’elle avait été le nègre du Messie-an pour le « Pentagate », deuxième opus conspirationniste de l’ancien catho traditionnel. Alors, Arrêt sur image, pouponnière pour conspirationnistes en herbe ?
@ Tietie007
A la lecture de Fiammetta Venner et de Perline elle-même, il apparaît, certes, que Perline avait un certain goût pour le conspirationnisme : elle a rejoint le Réseau Voltaire après la parution de L’Effroyable imposture, elle a rédigé certaines pages du Pentagate (plusieurs personnes ont « collaboré », mais Meyssan a contrôlé le mix final et a tiré la couverture à lui). Il faut ajouter qu’elle s’est vite rendu compte que ça ne tournait pas rond au Réseau et que Meyssan avait des penchants politiques étranges et des obsessions, qu’elle a dénoncés. Je ne sais pas ce qu’est devenu cette dame mais je ne crois pas qu’il soit bon de la mettre au même niveau que Pignède. Et puis, un conspirationniste peut être une personne fragile, trompée, qui se repentit plus tard, qui ne sombre pas dans la paranoïa. Je ne cherche pas à excuser Perline, je répète que je ne la connais pas, mais à la lecture de certains textes, on peut se questionner et émettre des hypothèses à charge ou à décharge.
Apparemment votre article est une preuve de l’existence du complot sioniste : http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=MEBgtQZtVeU
(Et bien sur vous êtes un neocon je sais pas quoi)
Bonsoir
Je suis tombé sur une affiche pour cette… chose pas plus tard que la semaine dernière dans une médiathèque à La Réunion.
Il a été projeté deux fois, le 29 mars et le 4 avril 2014 à St-Denis puis à St-Paul, dans deux médiathèques.
Il y était précisé « suivi d’un débat en présence de la réalisatrice »
Le tout sous le patronage de « Réunion Palestine Solidarité »
Ca vole pas bien haut sous les tropiques.