Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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J-D Lelièvre : « On entend des choses délirantes » autour des vaccins contre la Covid-19

Les spéculations les plus folles circulent dans la complosphère autour notamment de la question des vaccins à ARN messager. Jean-Daniel Lelièvre*, professeur en immunologie clinique, a répondu à nos questions. Entretien.

Le professeur Jean-Daniel Lelièvre est chef du service d’immunologie clinique et des maladies infectieuses de l'Hôpital Henri-Mondor (Créteil). DR.

Conspiracy Watch : La méthode de vaccination par ARN messager (ARNm) suscite énormément de fantasmes et rumeurs. Comment fonctionne cette technique ?

Jean-Daniel Lelièvre : Dans une cellule normale, vous avez de l’ADN. L’ADN se transforme en ARN, qui se transforme ensuite à son tour en protéine. C’est ce qu’on appelle la lecture du code génétique. Pour faire un vaccin ARNm, vous allez donc introduire un petit bout d’ARN étranger dans une cellule, qui va lire le code génétique de cet ARN et produire la protéine correspondante. Dans le cas du SARS-CoV-2, on insère dans un fragment d’ARN une toute petite partie du génome du virus, qui ne code que pour une seule de ses protéines, la protéine Spike. C’est cette protéine qui permet au virus de pénétrer dans nos cellules. Ici, on l’a rendu inoffensive et on l’insère pour induire une réponse immunitaire, précisément contre cette protéine là. Et cela suffira à stopper le virus SARS-CoV-2, qui n’aura donc plus aucun moyen de pénétrer dans nos cellules.

CW : C’est une méthode qui est nouvelle ?

J-D L. : Ça dépend ce qu’on appelle « nouvelle ». C’est une méthode qui a une quinzaine d’années. Elle sert déjà en médecine vétérinaire. Elle a été utilisée également dans des essais cliniques de vaccins contre le HIV, Zika, la grippe ou dans des vaccins anti-tumoraux chez l’homme. Mais c’est la première fois qu’on passe au stade des essais de phase 3, c’est la première fois qu’on le fait d’un seul coup chez des dizaines de milliers de personnes.

CW : Beaucoup, le professeur Christian Perronne en tête, ont parlé d’un vaccin qui risquerait de nous transformer en « OGM » ou en « mutants », en modifiant notre ADN. Est-ce une possibilité réelle ?

J-D L. : Non, absolument pas. Le code génétique passe de l’ADN vers l’ARN, puis ensuite vers la protéine. Il ne revient pas de l’ARN à l’ADN. Cela existe avec les rétrovirus, qui sont les seuls à être capables de le faire et ne le font de toute façon qu’avec leur propre ARN, jamais avec un ARN externe. Cela n’existe pas dans l’organisme humain. On ne peut pas transformer d’ARN extérieur en ADN. Certains sont allés jusqu’à dire que l’on pourrait transmettre ces modifications génétiques à notre descendance. Or les modifications que vous avez sur votre ADN ne se retrouvent pas dans vos cellules germinales, c’est-à-dire dans vos spermatozoïdes ou dans vos ovules. Il y a beaucoup de maladies qui sont liées à des mutations génétiques dans des cellules du corps, mais qui ne se transmettent pas à vos cellules germinales. Donc, de toute façon, ces prétendues mutations génétiques dont parlent mes collègues, même si elles existaient – ce qui n’est pas le cas – se trouveraient cantonnées aux cellules du corps et pas aux cellules germinales, donc ne pourraient pas se transmettre. Il y a donc un là un double mensonge.

CW : On entend beaucoup dire que nous allons massivement servir de « cobayes » pour cette nouvelle méthode de vaccination…

J-D L. : Il faut arrêter, on entend des choses délirantes. « Cobaye », ça voudrait dire qu’on n’a pas fait d’essais avant. Or on a fait des essais de phase 1, de phase 2 et de phase 3. On est obligé de tester les vaccins chez des premiers volontaires avant de passer à une vaccination où on va vacciner plusieurs millions de personnes. Tout ça se fait dans des règles de conduite où les dossiers sont analysés en détail par des experts, dont des gens issus de la société civile, des comités de protection des personnes.... Là, on a suivi tous les standards internationaux de la recherche clinique sur l’homme. On teste les vaccins d’abord chez l’animal. S’il n’y a pas de toxicité chez l’animal, on passe à l’homme, sur un très petit nombre de patients, pour s’assurer qu’il n’y a pas d’allergies. En cas de succès, on passe sur un plus grand nombre de patients, une centaine, pour regarder d’abord si le traitement est efficace contre la maladie et s’il n’entraîne pas d’événements indésirables. Si c’est le cas, on fait les mêmes essais à une très grande échelle : c’est la phase 3. Qu’est-ce qu’on a à l’heure actuelle ? 30 000 personnes qui ont déjà été vaccinées avec des vaccins de ARNm contre le SARS-CoV-2 et pas d’événement indésirable grave constaté.

CW : Mais il s’agit bien d’une première utilisation dans une vaccination masse ?

J-D L. : Oui. Mais prenons l’exemple d’Ebola : le vaccin anti-Ebola est un vecteur viral, qui est également une technologie nouvelle de vaccination que personne n’avait jamais utilisée. L’OMS a fait un essai clinique qui a montré, en prenant plusieurs milliers de personnes, qu’on arrivait à zéro infection chez les gens qui avaient été vaccinés, mais seulement dix cas chez ceux qui ne l’avaient pas été. Donc vous voyez, la différence est très minime. Eh bien cet essai a suffi à homologuer ce vaccin et on a ensuite vacciné toute la République démocratique du Congo, ou presque, quand il y a eu la nouvelle épidémie d’Ebola. Personne n’est venu faire d’histoire : les gens qui dénoncent aujourd’hui le vaccin ARNm ne sont pas allés dénoncer le vaccin Ebola. Pourtant, ce vaccin non plus n’avait jamais été utilisé. Mais il a très bien marché et a permis de sauver des dizaines de milliers de vies.

CW : On reproche au vaccin contre la Covid-19 d’avoir été développé sur une phase trop courte. Mais on avait finalement fait de même pour le vaccin Ebola ?

J-D L. : En fait, on avait travaillé dessus depuis de nombreuses années mais il n’était jamais arrivé à une phase 3 et on est allé très vite pour le développer. C’est grâce à ce vaccin Ebola qu’on s’est aperçu qu’on pouvait aller plus vite dans le développement d’un vaccin.

CW : Il est donc possible d’accélérer les étapes pour la fabrication d'un vaccin ?

J-D L. : Oui ! Dire que les délais sont trop courts c’est mal réfléchir à ce qu’est la conception d’un vaccin et aux étapes qui lui sont nécessaires. On dit qu’on manque un peu de recul sur la fin des phases 3 puisque le vaccin va avoir une autorisation de mise sur le marché alors que les derniers tests de vaccination datent d’il y a seulement deux ou trois mois. Mais d’un point de vue physiopathologique, on a du mal à comprendre comment un vaccin peut être responsable d’un événement indésirable qui survient six mois après. On sait que pour des vaccins qui ont été en cours de développement et qui ont dû être arrêtés, les événements indésirables surviennent généralement dans les quinze jours ou le mois qui suivent la vaccination. Donc, pour le vaccin sur la Covid-19, on a déjà un certain recul et on n’a pas vu d’événements indésirables semble-t-il dans les deux mois suivant la vaccination. S’il devait exister des évènements indésirables, ceux-ci sont donc rares, ce qui permet d’envisager une balance bénéfice-risque très favorable pour les sujets à risque de formes sévères de Covid-19 comme les personnes âgées.

CW : Certains racontent que ce vaccin pourrait n’être efficace que sur une très courte période, quelques semaines, un mois, deux mois... Qu’en pensez-vous ?

J-D L. : On n’a aucune certitude là-dessus parce qu’on n’a pas le recul, personne ne peut savoir combien de temps il sera efficace. Le SARS-CoV-2 est apparu récemment, les gens n’ont commencé à être vaccinés qu’en avril. Là, on est déjà à cinq mois et on note la persistance d’une réponse immunitaire, ce qui est très rassurant sur la durée de l’immunité. Peut-être que dans six mois il le sera encore et l’on pourra dire qu’il dure au moins un an. Puis deux ans s’il est toujours efficace l’année d’après. Et ainsi de suite.

CW : On a vu beaucoup de spéculations autours des nanoparticules de ce vaccin, qui pourraient prétendument véhiculer des micro-puces 5G...

J-D L. : Les nanoparticules, c’est juste la manière de permettre au vaccin de mieux pénétrer à l’intérieur des cellules, parce que c’est dans les cellules qu’il va être efficace. Rien à voir avec ces histoires de puces 5G ou autres !

CW : On sait que le virus de la Covid-19 peut muter. Beaucoup disent que le vaccin serait inefficace contre les formes mutantes du virus. C’est vrai ?

J-D L. : Non. Les analyses des souches virales ont prouvé le contraire. Oui le virus peut muter, et oui il a en effet déjà muté. Mais pour l’instant, ce virus reste sensible à la réponse immunitaire induite par les vaccins. L’exemple le plus clair c’est la séquence virale utilisée pour le vaccin Pfizer : on sait qu’entre-temps le virus a muté, pourtant le vaccin Pfizer est demeuré efficace contre ces virus mutants. Mais si malgré tout cette inefficacité finit par survenir, eh bien on changera de vaccin. Pour l’instant ça marche, on a des gens qui sont en train de mourir, utilisons ce qui marche sur le moment. Si dans trois ans ça ne marche plus, on avisera. Mais la problématique, elle n’est pas dans trois ans, elle est en janvier 2021 !

CW : On parle beaucoup d’effets secondaires qui pourraient être pires que la Covid-19, d’un terrible « revers de la médaille »… Qu’en pensez-vous ?

J-D L. : Non, il n’y a pas de « terrible revers de la médaille ». S’il y a des événements indésirables, ils devraient être rares, car vous voyez que 40 000 personnes ont déjà été vaccinées et qu’il n’y a jusqu’alors pas eu de problèmes. Mais il y a toujours des gens qui peuvent avoir des facteurs particuliers qui font qu’ils vont développer un événement indésirable grave, alors qu’on ne l’avait pas vu initialement dans les essais cliniques. C’est une question de nombre. Plus il y a de gens vaccinés, plus les risques augmentent : personne ne pourra vous dire que c’est parce qu’on a vacciné 40 000 personnes sans problèmes qu’il n’y aura, avec certitude, aucun événement indésirable en en vaccinant 40 millions.

CW : Est-ce que tout le monde doit être vacciné ?

J-D L. : Comme toujours en médecine, c’est une question de balance bénéfice-risque. Qu’est-ce qu’on veut faire ? Si on se dit qu’en France on ne vaccine personne et qu’on laisse par exemple les Anglais vacciner tout le monde, ils auront peut-être quelques événements indésirables liés au vaccin, mais ils auront sauvé des dizaines de milliers de vie. Et nous en attendant on fera quoi ? Eh bien on se dira qu’on aurait peut-être dû vacciner les gens car on est quand même face à l’urgence d’une épidémie grave. Les gens qui sont véritablement à risque doivent être prioritaires pour le vaccin. Les personnes âgées qui sont cloîtrées chez elles depuis le mois de mars et qui tous les jours se disent qu’elles peuvent attraper la Covid-19, finir en réanimation et mourir. Il y a des gens pour lesquels le rapport bénéfice-risque est très important même si on ne connaît pas parfaitement les éventuels événements indésirables qui, de toute façon, seraient rares.

CW : On entend que les personnes souffrant de maladies auto-immunes seraient particulièrement à risque, exposées à un possible « emballement immunitaire » ?

J-D L. : L’emballement immunitaire, ça ne veut rien dire. Les potentiels événements indésirables graves sont liés au fait que quand l’ARN va pénétrer dans la cellule, il va améliorer la réponse immunitaire en stimulant la production d’interférons. Et là, le risque potentiel, c’est qu’il y ait des gens atteints de maladies auto-immunes pour qui cette production d’interférons puisse par exemple déclencher des poussées de ces maladies. C’est un risque potentiel, théorique, qui n’a pas été mis en évidence dans les études cliniques jusqu’à maintenant. On sait que dans les essais qui ont été fait, il y a des gens atteints de maladies auto-immunes qui ont été vaccinés et qu’il n’y a eu semble-t-il aucun événement indésirable. Il faut bien sûr qu’on regarde tout cela en détail, il n’y a pas encore de certitudes, mais les indices sont plutôt bons.

CW : Doivent-ils donc se faire vacciner ?

J-D L. : C’est encore une fois une question d’équilibre bénéfice-risque. Vous avez 20 ans, vous avez une maladie auto-immune peu importante, type lupus, qui n’est pas un facteur de risque de forme grave de Covid. Allez-vous vous faire vacciner ? Non. Comme on l’a dit, il y a peut-être une légère inquiétude théorique sur ce sujet-là, vous allez donc attendre de voir quelle est le comportement de ces vaccins. Vous prenez la même personne qui a 70 ans, qui a un lupus également, qui est en insuffisance rénale et fait du diabète parce qu’elle a pris beaucoup de corticoïdes : elle a un risque clair et identifié de Covid sévère. À côté, elle est face à un risque potentiel et théorique du vaccin, non démontré à l’heure actuelle. Est-ce que vous refusez le vaccin ? C’est votre choix, mais la balance bénéfice-risque est très en faveur de la vaccination. Par contre, quelqu’un de 75 ans qui n’a jamais fait de maladie auto-immune et qui est à risque de Covid grave, pour lui il n’y a même pas à réfléchir à ce stade-là : le bénéfice d’une vaccination me semble ici assez clair.

 

* Le Pr Jean-Daniel Lelièvre est chef du service d’immunologie clinique et des maladies infectieuses de l'Hôpital Henri-Mondor (Créteil), responsable d’une équipe de recherches à l’Inserm et membre de la Commission technique des vaccinations de la Haute Autorité de Santé.

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Le professeur Jean-Daniel Lelièvre est chef du service d’immunologie clinique et des maladies infectieuses de l'Hôpital Henri-Mondor (Créteil). DR.

Conspiracy Watch : La méthode de vaccination par ARN messager (ARNm) suscite énormément de fantasmes et rumeurs. Comment fonctionne cette technique ?

Jean-Daniel Lelièvre : Dans une cellule normale, vous avez de l’ADN. L’ADN se transforme en ARN, qui se transforme ensuite à son tour en protéine. C’est ce qu’on appelle la lecture du code génétique. Pour faire un vaccin ARNm, vous allez donc introduire un petit bout d’ARN étranger dans une cellule, qui va lire le code génétique de cet ARN et produire la protéine correspondante. Dans le cas du SARS-CoV-2, on insère dans un fragment d’ARN une toute petite partie du génome du virus, qui ne code que pour une seule de ses protéines, la protéine Spike. C’est cette protéine qui permet au virus de pénétrer dans nos cellules. Ici, on l’a rendu inoffensive et on l’insère pour induire une réponse immunitaire, précisément contre cette protéine là. Et cela suffira à stopper le virus SARS-CoV-2, qui n’aura donc plus aucun moyen de pénétrer dans nos cellules.

CW : C’est une méthode qui est nouvelle ?

J-D L. : Ça dépend ce qu’on appelle « nouvelle ». C’est une méthode qui a une quinzaine d’années. Elle sert déjà en médecine vétérinaire. Elle a été utilisée également dans des essais cliniques de vaccins contre le HIV, Zika, la grippe ou dans des vaccins anti-tumoraux chez l’homme. Mais c’est la première fois qu’on passe au stade des essais de phase 3, c’est la première fois qu’on le fait d’un seul coup chez des dizaines de milliers de personnes.

CW : Beaucoup, le professeur Christian Perronne en tête, ont parlé d’un vaccin qui risquerait de nous transformer en « OGM » ou en « mutants », en modifiant notre ADN. Est-ce une possibilité réelle ?

J-D L. : Non, absolument pas. Le code génétique passe de l’ADN vers l’ARN, puis ensuite vers la protéine. Il ne revient pas de l’ARN à l’ADN. Cela existe avec les rétrovirus, qui sont les seuls à être capables de le faire et ne le font de toute façon qu’avec leur propre ARN, jamais avec un ARN externe. Cela n’existe pas dans l’organisme humain. On ne peut pas transformer d’ARN extérieur en ADN. Certains sont allés jusqu’à dire que l’on pourrait transmettre ces modifications génétiques à notre descendance. Or les modifications que vous avez sur votre ADN ne se retrouvent pas dans vos cellules germinales, c’est-à-dire dans vos spermatozoïdes ou dans vos ovules. Il y a beaucoup de maladies qui sont liées à des mutations génétiques dans des cellules du corps, mais qui ne se transmettent pas à vos cellules germinales. Donc, de toute façon, ces prétendues mutations génétiques dont parlent mes collègues, même si elles existaient – ce qui n’est pas le cas – se trouveraient cantonnées aux cellules du corps et pas aux cellules germinales, donc ne pourraient pas se transmettre. Il y a donc un là un double mensonge.

CW : On entend beaucoup dire que nous allons massivement servir de « cobayes » pour cette nouvelle méthode de vaccination…

J-D L. : Il faut arrêter, on entend des choses délirantes. « Cobaye », ça voudrait dire qu’on n’a pas fait d’essais avant. Or on a fait des essais de phase 1, de phase 2 et de phase 3. On est obligé de tester les vaccins chez des premiers volontaires avant de passer à une vaccination où on va vacciner plusieurs millions de personnes. Tout ça se fait dans des règles de conduite où les dossiers sont analysés en détail par des experts, dont des gens issus de la société civile, des comités de protection des personnes.... Là, on a suivi tous les standards internationaux de la recherche clinique sur l’homme. On teste les vaccins d’abord chez l’animal. S’il n’y a pas de toxicité chez l’animal, on passe à l’homme, sur un très petit nombre de patients, pour s’assurer qu’il n’y a pas d’allergies. En cas de succès, on passe sur un plus grand nombre de patients, une centaine, pour regarder d’abord si le traitement est efficace contre la maladie et s’il n’entraîne pas d’événements indésirables. Si c’est le cas, on fait les mêmes essais à une très grande échelle : c’est la phase 3. Qu’est-ce qu’on a à l’heure actuelle ? 30 000 personnes qui ont déjà été vaccinées avec des vaccins de ARNm contre le SARS-CoV-2 et pas d’événement indésirable grave constaté.

CW : Mais il s’agit bien d’une première utilisation dans une vaccination masse ?

J-D L. : Oui. Mais prenons l’exemple d’Ebola : le vaccin anti-Ebola est un vecteur viral, qui est également une technologie nouvelle de vaccination que personne n’avait jamais utilisée. L’OMS a fait un essai clinique qui a montré, en prenant plusieurs milliers de personnes, qu’on arrivait à zéro infection chez les gens qui avaient été vaccinés, mais seulement dix cas chez ceux qui ne l’avaient pas été. Donc vous voyez, la différence est très minime. Eh bien cet essai a suffi à homologuer ce vaccin et on a ensuite vacciné toute la République démocratique du Congo, ou presque, quand il y a eu la nouvelle épidémie d’Ebola. Personne n’est venu faire d’histoire : les gens qui dénoncent aujourd’hui le vaccin ARNm ne sont pas allés dénoncer le vaccin Ebola. Pourtant, ce vaccin non plus n’avait jamais été utilisé. Mais il a très bien marché et a permis de sauver des dizaines de milliers de vies.

CW : On reproche au vaccin contre la Covid-19 d’avoir été développé sur une phase trop courte. Mais on avait finalement fait de même pour le vaccin Ebola ?

J-D L. : En fait, on avait travaillé dessus depuis de nombreuses années mais il n’était jamais arrivé à une phase 3 et on est allé très vite pour le développer. C’est grâce à ce vaccin Ebola qu’on s’est aperçu qu’on pouvait aller plus vite dans le développement d’un vaccin.

CW : Il est donc possible d’accélérer les étapes pour la fabrication d'un vaccin ?

J-D L. : Oui ! Dire que les délais sont trop courts c’est mal réfléchir à ce qu’est la conception d’un vaccin et aux étapes qui lui sont nécessaires. On dit qu’on manque un peu de recul sur la fin des phases 3 puisque le vaccin va avoir une autorisation de mise sur le marché alors que les derniers tests de vaccination datent d’il y a seulement deux ou trois mois. Mais d’un point de vue physiopathologique, on a du mal à comprendre comment un vaccin peut être responsable d’un événement indésirable qui survient six mois après. On sait que pour des vaccins qui ont été en cours de développement et qui ont dû être arrêtés, les événements indésirables surviennent généralement dans les quinze jours ou le mois qui suivent la vaccination. Donc, pour le vaccin sur la Covid-19, on a déjà un certain recul et on n’a pas vu d’événements indésirables semble-t-il dans les deux mois suivant la vaccination. S’il devait exister des évènements indésirables, ceux-ci sont donc rares, ce qui permet d’envisager une balance bénéfice-risque très favorable pour les sujets à risque de formes sévères de Covid-19 comme les personnes âgées.

CW : Certains racontent que ce vaccin pourrait n’être efficace que sur une très courte période, quelques semaines, un mois, deux mois... Qu’en pensez-vous ?

J-D L. : On n’a aucune certitude là-dessus parce qu’on n’a pas le recul, personne ne peut savoir combien de temps il sera efficace. Le SARS-CoV-2 est apparu récemment, les gens n’ont commencé à être vaccinés qu’en avril. Là, on est déjà à cinq mois et on note la persistance d’une réponse immunitaire, ce qui est très rassurant sur la durée de l’immunité. Peut-être que dans six mois il le sera encore et l’on pourra dire qu’il dure au moins un an. Puis deux ans s’il est toujours efficace l’année d’après. Et ainsi de suite.

CW : On a vu beaucoup de spéculations autours des nanoparticules de ce vaccin, qui pourraient prétendument véhiculer des micro-puces 5G...

J-D L. : Les nanoparticules, c’est juste la manière de permettre au vaccin de mieux pénétrer à l’intérieur des cellules, parce que c’est dans les cellules qu’il va être efficace. Rien à voir avec ces histoires de puces 5G ou autres !

CW : On sait que le virus de la Covid-19 peut muter. Beaucoup disent que le vaccin serait inefficace contre les formes mutantes du virus. C’est vrai ?

J-D L. : Non. Les analyses des souches virales ont prouvé le contraire. Oui le virus peut muter, et oui il a en effet déjà muté. Mais pour l’instant, ce virus reste sensible à la réponse immunitaire induite par les vaccins. L’exemple le plus clair c’est la séquence virale utilisée pour le vaccin Pfizer : on sait qu’entre-temps le virus a muté, pourtant le vaccin Pfizer est demeuré efficace contre ces virus mutants. Mais si malgré tout cette inefficacité finit par survenir, eh bien on changera de vaccin. Pour l’instant ça marche, on a des gens qui sont en train de mourir, utilisons ce qui marche sur le moment. Si dans trois ans ça ne marche plus, on avisera. Mais la problématique, elle n’est pas dans trois ans, elle est en janvier 2021 !

CW : On parle beaucoup d’effets secondaires qui pourraient être pires que la Covid-19, d’un terrible « revers de la médaille »… Qu’en pensez-vous ?

J-D L. : Non, il n’y a pas de « terrible revers de la médaille ». S’il y a des événements indésirables, ils devraient être rares, car vous voyez que 40 000 personnes ont déjà été vaccinées et qu’il n’y a jusqu’alors pas eu de problèmes. Mais il y a toujours des gens qui peuvent avoir des facteurs particuliers qui font qu’ils vont développer un événement indésirable grave, alors qu’on ne l’avait pas vu initialement dans les essais cliniques. C’est une question de nombre. Plus il y a de gens vaccinés, plus les risques augmentent : personne ne pourra vous dire que c’est parce qu’on a vacciné 40 000 personnes sans problèmes qu’il n’y aura, avec certitude, aucun événement indésirable en en vaccinant 40 millions.

CW : Est-ce que tout le monde doit être vacciné ?

J-D L. : Comme toujours en médecine, c’est une question de balance bénéfice-risque. Qu’est-ce qu’on veut faire ? Si on se dit qu’en France on ne vaccine personne et qu’on laisse par exemple les Anglais vacciner tout le monde, ils auront peut-être quelques événements indésirables liés au vaccin, mais ils auront sauvé des dizaines de milliers de vie. Et nous en attendant on fera quoi ? Eh bien on se dira qu’on aurait peut-être dû vacciner les gens car on est quand même face à l’urgence d’une épidémie grave. Les gens qui sont véritablement à risque doivent être prioritaires pour le vaccin. Les personnes âgées qui sont cloîtrées chez elles depuis le mois de mars et qui tous les jours se disent qu’elles peuvent attraper la Covid-19, finir en réanimation et mourir. Il y a des gens pour lesquels le rapport bénéfice-risque est très important même si on ne connaît pas parfaitement les éventuels événements indésirables qui, de toute façon, seraient rares.

CW : On entend que les personnes souffrant de maladies auto-immunes seraient particulièrement à risque, exposées à un possible « emballement immunitaire » ?

J-D L. : L’emballement immunitaire, ça ne veut rien dire. Les potentiels événements indésirables graves sont liés au fait que quand l’ARN va pénétrer dans la cellule, il va améliorer la réponse immunitaire en stimulant la production d’interférons. Et là, le risque potentiel, c’est qu’il y ait des gens atteints de maladies auto-immunes pour qui cette production d’interférons puisse par exemple déclencher des poussées de ces maladies. C’est un risque potentiel, théorique, qui n’a pas été mis en évidence dans les études cliniques jusqu’à maintenant. On sait que dans les essais qui ont été fait, il y a des gens atteints de maladies auto-immunes qui ont été vaccinés et qu’il n’y a eu semble-t-il aucun événement indésirable. Il faut bien sûr qu’on regarde tout cela en détail, il n’y a pas encore de certitudes, mais les indices sont plutôt bons.

CW : Doivent-ils donc se faire vacciner ?

J-D L. : C’est encore une fois une question d’équilibre bénéfice-risque. Vous avez 20 ans, vous avez une maladie auto-immune peu importante, type lupus, qui n’est pas un facteur de risque de forme grave de Covid. Allez-vous vous faire vacciner ? Non. Comme on l’a dit, il y a peut-être une légère inquiétude théorique sur ce sujet-là, vous allez donc attendre de voir quelle est le comportement de ces vaccins. Vous prenez la même personne qui a 70 ans, qui a un lupus également, qui est en insuffisance rénale et fait du diabète parce qu’elle a pris beaucoup de corticoïdes : elle a un risque clair et identifié de Covid sévère. À côté, elle est face à un risque potentiel et théorique du vaccin, non démontré à l’heure actuelle. Est-ce que vous refusez le vaccin ? C’est votre choix, mais la balance bénéfice-risque est très en faveur de la vaccination. Par contre, quelqu’un de 75 ans qui n’a jamais fait de maladie auto-immune et qui est à risque de Covid grave, pour lui il n’y a même pas à réfléchir à ce stade-là : le bénéfice d’une vaccination me semble ici assez clair.

 

* Le Pr Jean-Daniel Lelièvre est chef du service d’immunologie clinique et des maladies infectieuses de l'Hôpital Henri-Mondor (Créteil), responsable d’une équipe de recherches à l’Inserm et membre de la Commission technique des vaccinations de la Haute Autorité de Santé.

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