
L’Ivresse de la force, de Noam Chomsky et David Barsamian (Fayard, 2008).
A propos de la persistance des théories du complot accusant l’administration Bush d’avoir participé aux attentats du 11-Septembre :
(…) D’abord, je ne fais pas grand cas de ces théories, mais je suis assailli de lettres à leur sujet. Ce n’est pas seulement une énorme industrie, c’est une industrie assez fanatique. (…) C’est presque une sorte de fanatisme religieux.
Il faut quand même se poser des questions. D’abord sur les preuves matérielles. Il y a des coïncidences inexpliquées, des témoignages personnels, etc., mais cela ne pèse pas lourd. On en trouve dans n’importe quel événement mondial complexe. Au sujet des preuves matérielles, peut-on vraiment devenir un expert très qualifié en génie civil et mécanique en passant une heure ou deux sur Internet ? Si oui, il faut dissoudre les sections génie civil et mécanique du Massachusetts Institute of Technology. (…) Si vous croyez réellement à l’une ou l’autre de ces preuves, c’est simple : adressez-vous à des spécialistes capables de les évaluer. Peut-être avez-vous trouvé un physicien quelque part, mais, à ma connaissance, personne n’a voulu proposer quoi que ce soit à une revue professionnelle sérieuse, soumise à la discipline de l’« examen par les pairs ». Même sans aller jusque-là, on peut consulter les départements universitaires de génie civil et mécanique. Peut-être les membres du « mouvement pour la vérité sur le 11 septembre » pensent-ils qu’ils sont tous dans le coup ? Si le complot est vaste à ce point, on peut aussi bien l’oublier. Les adeptes du mouvement disent qu’ils ont peur. Il n’y a pas de quoi avoir peur. C’est une des positions les plus sûres pour un opposant, tous ceux qui ont un peu d’expérience en la matière vous le diront. En fait, les autorités se montrent assez tolérantes à cet égard.
Ce qui nous amène à une seconde question. Pourquoi ce débat autour du 11 septembre est-il si bien toléré ? Je soupçonne le pouvoir de le voir d’un bon oeil. Il capte énormément d’énergies et les détourne des véritables crimes de l’administration, infiniment plus graves. (…) Pensons à l’invasion de l’Irak, ou au Liban. Ou à ce qu’ils font subir à la population ouvrière des Etats-Unis. (…) Ils commettent des crimes réels, qui suscitent très peu de protestations. Une des raisons – pas la seule, bien entendu –, c’est qu’on dépense énormément d’énergie militante potentielle dans ces polémiques autour du 11 septembre. Du point de vue des gouvernants, c’est excellent. On donne même à ces militants du temps d’antenne (…), on met leurs livres bien en vue dans les librairies. Très tolérant, comme réaction. (…) Ce n’est pas le genre de réaction qu’on provoque quand on touche aux sujets sensibles.
(…) Et je ne crois pas que leurs preuves soient sérieuses. Ni même que ceux qui les exposent soient capables de les évaluer. Ce sont des questions techniques compliquées. On n’a pas l’air de le comprendre, mais ce n’est pas pour rien que les scientifiques font des expériences, qu’ils ne se contentent pas de filmer ce qu’ils voient par la fenêtre. Car ce qu’on voit par la fenêtre est la résultante de tant de variables qu’on ne sait pas ce qu’on a dans cet imbroglio si complexe. On peut y trouver toutes sortes de coïncidences inexpliquées, d’apparentes violations des lois de la nature. (…) Donc, découvrir qu’il s’est passé ceci, qu’il est arrivé cela, etc., ça ne veut rien dire.
L’argument « à qui profite le 11 septembre ? » n’a guère de poids. Dans ma première interview après le 11 septembre, je crois avoir fait cette prédiction pas particulièrement brillante : tous les pouvoirs du monde allaient immédiatement exploiter l’événement à leurs propres fins. La Russie allait durcir ses atrocités en Tchétchénie, Israël en Cisjordanie, l’Indonésie à Aceh, et la Chine dans ses provinces occidentales. Aux Etats-Unis on s’en est servi de la façon que l’on sait, mais aussi de beaucoup d’autres, moins médiatisées.
(…) Presque tous les gouvernements ont pris des mesures pour surveiller plus étroitement leur population et ce genre de choses. L’administration Bush l’a fait aussi. Donc, « à qui profite le crime ? » n’est pas une preuve suffisante de culpabilité.
L’idée même n’est pas crédible. Pour qu’il y ait une once de vérité dans les théories sur le 11 septembre, il faudrait qu’il y ait eu un énorme complot, incluant les compagnies aériennes, les médias, la préparation des faux avions. Il aurait fallu mettre au courant quantité de gens dans l’administration. Ils ne s’en seraient jamais tirés. Même une dictature n’aurait pas pu. C’est une opération vraiment risquée. La probabilité d’une fuite est très élevée : ça se serait su tout de suite. Et la moindre fuite aurait aligné tous les dirigeants devant le peloton d’exécution, et sonné le glas du Parti républicain à jamais. Et pour gagner quoi ? Un prétexte pour faire ce qu’ils auraient fait de toute manière, sous un autre prétexte qu’ils auraient pu trouver.
(…) [Les] théories sur le 11 septembre (…) exercent le même attrait que le fondamentalisme religieux. (…) Il y a des gens qui n’aiment pas ce qui se passe, qui ont vécu des moments très difficiles, n’ont confiance en personne, et qui n’ont aucun moyen de réagir. Alors ils se raccrochent à quelque chose. Et Internet a un effet pervers. Si c’est un outil merveilleusement efficace pour obtenir des informations, pour l’action politique, pour toutes sortes de choses, il a cependant un gros inconvénient : n’importe qui peut lancer une théorie sur un blog ; cela n’a pratiquement aucun poids, mais ensuite cinq personnes la lisent, et très vite elle entre en croissance exponentielle, jusqu’à devenir une énorme industrie qui s’auto-alimente. Des industries de ce type, il y en a à foison.
(…) Je reçois une avalanche d’e-mails. Et une grande part, plusieurs par jour, envoyés par des gens honnêtes et sincères, me demandent : « Dites-moi ce que je peux faire ». Les auteurs de ces courriers appartiennent pour la plupart aux milieux aisés, privilégiés. Ils ne sont pas richissimes, mais assez aisés pour s’asseoir à une table un soir et écrire une lettre à quelqu’un. Dans les pays du tiers-monde les habitants ne vous demandent pas : « Dites-moi ce que je peux faire », ils vous disent ce qu’ils font. Mais, là où les populations sont infiniment plus libres, les gens posent toujours cette question : « Que puis-je faire ? » Et un jour ils se disent : « Ah, voilà ce que je peux faire : devenir en une heure ingénieur qualifié en génie civil et prouver que c’est Bush qui a fait sauter les tours jumelles ».
Je suis sûr qu’à Washington ils applaudissent des deux mains. (…) »
Source : Bakchich.info, 9 septembre 2008.
Voir aussi :
- Chomsky et le « complot médiatique », par Philippe Corcuff
- Le complot du 11-Septembre n’aura pas lieu, par Alexander Cockburn
Lire d’autres extraits d’ouvrages sur le conspirationnisme :
- Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques
- Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme (t. 3 : Le système totalitaire)
- Pierre-André Taguieff, Préface à La Causalité diabolique, de Léon Poliakov
Dire que ce débat est très bien toléré, c’est franchement plutôt amusant sur un site français, quand on vient de traiter de révisionniste Bigard, comme au bon vieux temps du Père Staline et qu’on réussit à lui faire faire son mea culpa sur une chose qu’il pense vraiment. Bravo !
Ce que ne dit pas CHomsky, c’est que le mouvement reopeniste n’est pas du tout facile à faire refluer, car toutes les couleurs politiques y sont représentées. Les reopenistes sont très méticuleux dans leurs recherches, et ils proviennent aussi de tous les horizons sociaux, puisqu’on y trouve même d’anciens militaires et ministres. Il se compose pour une bonne part de gens qui ne sont habituellement pas des contestataires, chose à laquelle les metteurs en scène du 11 septembre ne s’attendaient pas du tout.
Ce qui est intéressant également, que l’on croie ou non à la théorie, c’est que le mouvement reopeniste crée un fort mouvement de méfiance envers les grandes chaînes de télé, et que ce groupe de gens, dont beaucoup faisaient plutôt confiance aux médias avant, se sont mis à décortiquer leurs mensonges, et pas seulement au sujet du 11 septembre. C’est un appel d’air.
Chomsky se trompe et pas qu’un peu : si le peuple américain était convaincu que le 11 septembre était un coup monté, les conséquences seraient colossales, dans un pays déjà très amoché par la crise : ce serait forcément LE coup d’arrêt dans la politique étrangère US actuelle.
Les « anticomplotistes » moyens (je ne parle pas de Chomsky, que je respecte infiniment, mais de tous nos petits merdeux surpayés, qui ne sont généralement rien d’autres que des lecteurs de nouvelles et des animateurs – le boulot est fait plus ou moins bien par des recherchistes) pour s’amuser des complotistes, puisqu’ils croient eux-mêmes que Ben Laden a fomenté l’attentat du fond de sa grotte. Il y a donc 2 théories du complot qui s’affrontent.
Un attentat dans un ambassade ou une gare, cela aurait été beaucoup moins suspect qu’au Pentagone et dans deux tours d’une importance majeure, dans le pays le mieux armé et le plus équipé de systèmes de sécurité du monde. Il fallait que ce soit un grand spectacle médiatisé, du lourd et du gros, et la croyance en la puissance de la propagande US et au bon spectacle militaro-étatique vont perdre les Spin Doctors (plus c’est gros plus ça passe : pas sûr).
Et quand bien même cela serait un attentat islamiste, le fait qu’il soit réussi dans ces deux endroits éminemment stratégiques rend encore plus ridicule cette Administration qui dépense depuis des années des milliards et des millairds pour les « produits militaires et de sécurité » et dominent ces deux secteurs.
D’une façon ou d’une autre, le 11 septembre est un révélateur, et Chomsky fait une grave erreur de lecture.
Enfin, les journalistes mentent tous les jours en présentant systématiquement les reopenistes comme un mouvement totalement marginal, dirigé par un illuminsé, un « vieux théologien » comme l’a dit une idiote de journaliste, qui ne va pas à la cheville de bien des reopenistes, dont le théologien en question.
Dans ce mouvement, il y a des centaines de gens instruits, sérieux et parfaitement raisonnables.
Ce besoin si évident qu’ont les journalistes français de mentir au sujet des caractéristiques intellectuelles, politiques et sociologiques des reopenistes est ce qui trahit le plus les journalistes. Ils ressentent un malaise, car sinon, certains auraient fait comme certains Italiens ou Belges qui ont invité le président italien ou comme les Hollandais qui ont invité l’ancien ministre allemand, qui considèrent que la Commission Keen a laissé de côté trop de questions. Il y a donc un véritable malaise chez les journalistes
En effet, il va, de toutes façons, être très emmerdant de reconnaître le bien fondé des arguments des reopenistes, alors qu’ils ont ricané pendant 7 ans. Ils risquent forcément gros : un énorme ricanement en retour.
Bref, nos journalistes sont de vulgaires menteurs et de vulgaires amateurs par rapport aux muckrackers de Reopen.
Et on ne parle pas des diverses bizarreries de la retransmission en direct et de l’attitude absolument effarante et ridicule des journalistes mobilisés pour ce genre de grands spectacles.
Désolé pour les redondances : j’ai expédié ça en 2 minutes.