Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Contre la théorie du complot, François Carlier explique l'assassinat de Kennedy

Publié par La Rédaction06 août 2019,

Dans un ouvrage définitif sur l'assassinat de John F. Kennedy et les théories du complot qu'il a suscitées, L'assassinat de Kennedy expliqué (Publibook, 2019), François Carlier s'attache à démêler les faits des spéculations conspirationnistes. Interview.

"L'assassinat de Kennedy expliqué", de François Carlier (Publibook, 2019).

Conspiracy Watch : L'idée selon laquelle l'assassinat du président américain John F. Kennedy le 22 novembre 1963 est non pas le fait de Lee Harvey Oswald, mais le résultat d'un vaste complot d'Etat impliquant la CIA demeure extrêmement répandue dans l'opinion, plus de 50 ans après les faits. Comment l'expliquez-vous ?

François Carlier : Par une cause double. Tout d'abord, il y a incontestablement dans cette histoire un ensemble d'éléments qui ont pu susciter des interrogations légitimes dans les premières années. Mais ce qui explique aussi cette forte dissémination de la croyance en un complot doit être cherché dans la tendance des médias à jouer sur le sensationnel. Pour une grande partie d'entre eux, la motivation principale est de vendre, tout simplement.

Si le tueur présumé du président Kennedy a été arrêté par la police le jour même, il n'en reste pas moins que l'histoire de cet assassinat est truffée de détails qui ont de quoi troubler n'importe qui. Par exemple, Lee Harvey Oswald a tout nié en bloc durant toute sa garde à vue ; un film [le film d'Abraham Zapruder – ndlr] montre la tête de Kennedy partir vers l'arrière au moment où il est touché, ce qui fait penser à une réaction à un tir venant de devant lui, alors que les conclusions des enquêteurs indiquent que le tir provenait de l'arrière ; la balle en question est quasiment intacte, alors qu'elle a traversé les corps de deux hommes, le président Kennedy et le gouverneur du Texas John B. Connally ; Oswald s'est fait tuer à son tour deux jours après l'assassinat de Kennedy comme si on avait voulu le faire taire ; la boîte métallique qui contenait le cerveau du président a disparu... Cela fait beaucoup, et il y a encore d'autres éléments qui peuvent déstabiliser une personne non-avertie. Mais à chacune de ces questions, il existe une réponse satisfaisante et lorsqu'on étudie rigoureusement le dossier, on s'aperçoit que, finalement, tout s'aligne avec la version d'un assassinat du président par Lee Harvey Oswald.

Toutes les études scientifiques menées par des experts indépendants ont confirmé, encore et encore, les conclusions des enquêteurs de la première génération, ceux de la Commission Warren (1963-1964). Mais là où le bât blesse, c'est que trop souvent, les grands médias, soit par ignorance, soit par incompétence, soit tout simplement par vil désir de faire le buzz, ont préféré faire abstraction des recherches sérieuses et documentées, pour faire la part belle aux théories les plus folles. En définitive, on a facilité la propagation de thèses plus que douteuses.

CW : Vous écrivez que « la culpabilité de Lee Harvey Oswald est un fait indiscutable ». Pourtant, avant d'être abattu à son tour, Oswald a clamé son innocence, affirmant qu'il n'était qu'un « bouc-émissaire », [« a patsy » en anglais] à qui on aurait fait porter la responsabilité du crime ? Comment être sûr qu'Oswald est l'assassin de Kennedy ?

F.C. : Toutes les prisons du monde sont remplies d'assassins qui continuent de prétendre, envers et contre tout, qu'ils sont innocents. Admettre qu'on est coupable est difficile. Et tant que l'enquête n'est pas terminée, le suspect espère toujours s'en tirer. Il n'est donc pas étonnant qu'Oswald, appréhendé par la police, ait clamé son innocence, dans un Etat où, il faut le rappeler, la peine de mort était alors en vigueur. Oswald a nié le meurtre de Kennedy, mais rappelons qu'il a aussi nié le meurtre de l'officier de police J. D. Tippit. Mais si nous sommes sûrs et certains que c'est bien Lee Oswald qui a tué Kennedy, c'est parce que tout l'accuse. De multiples hypothèses ont été imaginées et des pistes essayées, durant plus d'un demi-siècle, mais elles n'ont jamais mené nulle part. Je dresse la liste, dans mon livre, de tous les éléments factuels de l'enquête qui indiquent une culpabilité d'Oswald et de lui seul.

L'attitude de Lee Oswald confirme également qu'il est l'auteur de l'assassinat de Kennedy. Il travaillait à l'endroit d'où il a assassiné le président, à Dealey Plaza, au Texas School Book Depository, dans un immeuble situé au coin de Elm Street et de Houston Street, avant même que ne soit connu le trajet du cortège présidentiel en visite à Dallas, qui ne fut publié dans la presse locale que trois jours plus tôt. Ce jour-là, Oswald était sur son lieu de travail. Il l'a quitté, sans en avertir personne, juste après l'assassinat de Kennedy. Il s'est muni d'un revolver et, trois quart d'heures après l'assassinat de Kennedy, a abattu, devant témoins, le policier J. D. Tippit, qui était en train de s'approcher de lui. Puis il a encore essayé de tuer un autre policier, toujours devant témoins, lors de son arrestation. Qui, ce jour-là, à Dallas, avait une raison de fuir la police et d'agir ainsi ? Monsieur Tout-le-monde, ou l'homme qui venait de tuer le président ?

Du reste, après la mort d'Oswald, on apprendra qu'il était l'auteur de la tentative d'assassinat qui avait visé quelques mois plus tôt, en avril 1963, le général Edwin Walker...

CW : Et comment être certain qu'il n'y avait pas un ou plusieurs autres tireurs, en plus d'Oswald ?

F.C. : Cette question ne fait plus débat depuis longtemps parmi les spécialistes. Les douilles et les morceaux de métal laissés par les balles qui ont été tirées, provenaient tous du fusil d'Oswald. Tout le démontre, jusqu'aux tests scientifiques les plus poussés. La seule personne ayant été vue avec un fusil ce jour-là par la foule répond aux caractéristiques physiques de celles de Lee Oswald et à l'endroit précis où il a été vu pour la dernière fois. Les blessures de Kennedy et du gouverneur Connally s'expliquent uniquement par des tirs venant du fusil d'Oswald. Et si l'on fait l'hypothèse qu'il y avait un autre tireur ce jour-là, alors il faut reconnaître que personne ne l'a vu ni entendu, qu'il n’apparaît sur aucune photo ni aucun film, qu'il n'a touché personne et n'a laissé aucune trace nulle part, qu'on n'a retrouvé aucune de ses douilles ni de ses balles, qu'on ne lui connait aucun complice et que personne, après plus de 55 années de recherches dans tous les sens, n'a jamais trouvé le moindre début d'élément sur ce fameux deuxième tireur.

CW : Comment se fait-il que beaucoup de théoriciens du complot évoquent une « balle magique », une thèse qu'on retrouve développée dans le film d'Oliver Stone, « JFK » ?

F.C. : C'est assez simple. Les constatations des enquêteurs qui, entre autres choses, ont retrouvé le fusil ayant servi à tuer le président et les douilles que le tireur, dans sa fuite, n'avait évidemment pas eu le temps de récupérer, ­ont permis de déterminer le nombre total de tirs contre le président : trois. Des hypothèses peuvent ensuite être envisagées, et on examine chaque option, en éliminant ce qui est impossible jusqu'à obtenir ce qui est le plus plausible.

Les enquêteurs ont constaté qu'un des tirs avait raté sa cible. Une balle a ricoché et blessé une personne dans la foule, du nom de James Tague. Mathématiquement, donc, sur les trois tirs, si l'un rate, il en reste deux. Les constatations des médecins ayant examiné les blessures sur le corps de John Kennedy (principalement sur le haut du corps, soit le cou et la tête), ont permis de déterminer de façon incontestable qu'il avait été touché deux fois. Deux balles du tireur ont donc atteint le président Kennedy.

Le film de Zapruder montre bien ces deux instants où JFK reçoit un impact : la première fois, il lève les bras brusquement à hauteur de son abdomen et se fige ; la deuxième fois, son crâne explose. Il n'existe pas de contestation véritable sur ce dernier tir touchant Kennedy.

Mais c'est le deuxième coup de feu d'Oswald, celui qui atteint pour la première fois Kennedy, qui, selon les complotistes, poserait problème. Pourquoi ? Parce que cette balle, qui traverse le cou de Kennedy de part en part (elle entre dans le haut de son dos et ressort par sa gorge) continue sa route et atteint à son tour le gouverneur Connally, qui était placé dans la limousine présidentielle devant Kennedy, en contrebas, juste dans la trajectoire de la balle. Cette balle, donc, traverse le corps du gouverneur au niveau de la poitrine, traverse ensuite son poignet et finit sa course dans sa jambe. Cette balle occasionne, sur les deux hommes, sept blessures en tout, en comptant à chaque fois les points d'entrée et les points de sortie. De plus, cette balle (la pièce à conviction CE 399) sera retrouvée dans un brancard à l'hôpital et, si elle est déformée, elle n'est pas écrasée comme on pourrait s'y attendre.

La pièce à conviction CE 399 (crédits : National Archives and Records Administration).

Pour beaucoup de lecteurs du rapport Warren, c'est impossible à croire. Raison pour laquelle ils ont commencé à l'appeler : la « balle magique ». Dans une longue scène du film d'Oliver Stone, Kevin Costner, qui incarne le procureur Garrison lors du procès de Clay Shaw, moque cette fameuse théorie de la « balle magique ». Mais qu'en est-il en réalité ? Nul ne conteste que sept blessures existent. De plus, il est impossible que ces sept blessures aient été causées par plus d'une seule et unique balle. Cela a été reproduit et démontré maintes et maintes fois depuis plus de cinquante ans, lors d'expériences diverses, par des équipes indépendantes de chercheurs, amateurs ou professionnels, à la fois de manière pratique lors de reconstitutions et de manière théorique au moyen de modélisations informatiques. Tout s'explique par la trajectoire de la balle, sa décélération, l'angle avec lequel elle frappe Connally en plusieurs endroits. Ce sont des données scientifiques imparables. Si on prend le temps de les étudier, tout devient clair. Mais les complotistes, qui n'ont jamais tenté de reproduire l'expérience, continuent de se complaire dans la suspicion et le sarcasme. Aussi étonnant que cela puisse effectivement paraître à un non-initié, la trajectoire de cette balle unique est pourtant tout à fait explicable scientifiquement.

CW : Connaît-on les motivations de Jack Ruby qui a tué Oswald moins de 48 heures après son arrestation ?

F.C. : Je ne prétends pas savoir ce que Ruby avait en tête. Ce que l'on sait, c'est que c'est un concours de circonstances. Il s'agit d'un acte spontané de Ruby, qui n'a été préparé en rien. Jack Ruby se voyait en redresseur de torts. Il avait été très affecté par la mort du président ainsi que par la mort de l'officier de police J. D. Tippit. Sur le coup de l'émotion, il aperçoit Oswald, sans doute l'un des hommes les plus détestés au monde à ce moment-là, et lui tire dessus, impulsivement. Ce n'est pas un acte mûrement réfléchi, une décision préméditée. Ruby gérait une boîte de nuit. Le matin du 24 novembre 1963, l'une de ses danseuses l'a appelé pour lui demander de lui faire un virement d'argent. C'est après avoir procédé à ce virement qu'il se rend au poste de police qu'Oswald aurait normalement dû quitter une heure plus tôt. Là, il aperçoit Oswald. Il s'approche et lui tire dessus. Ruby dira plus tard à son frère qu'il ne pensait pas qu'Oswald mourrait.

CW : Comment se fait-il que le House Select Committee on Assassinations (HSCA), une commission d'enquête de la Chambre des représentants, a conclu à une probable conspiration ? Ne sommes-nous pas là face à une théorie du complot recevant une validation d'une instance officielle ?

F.C. : C'est l'un des points les plus mal compris par ceux qui s'intéressent au dossier. Il faut remettre les choses dans leur contexte. Mis en place en 1976, le HSCA avait pour mission de vérifier certains éléments ou points portant à confusion, en rapport avec la question de la culpabilité de Lee Oswald, grâce à des outils scientifiques de la fin des années 1970, donc supérieurs à ceux du début des années 1960. Le HSCA avait pour mission de déterminer l'éventuelle validité de certaines accusations lancées par des théoriciens du complot au cours de la décennie précédente. Par exemple, certains avaient suggéré que les photos d'Oswald dans son jardin étaient truquées. Les spécialistes du HSCA devaient expertiser ces photos et déterminer si elles étaient authentiques ou non. Durant près de trois années, toutes les accusations des complotistes furent prises en compte, inspectées, vérifiées, contrôlées, expertisées. Pour chaque point, les tests scientifiques et les conclusions des experts ont confirmé les conclusions des enquêteurs de la Commission Warren (la commission d'enquête présidentielle sur l'assassinat du président Kennedy qui a rendu son rapport en 1964 – ndlr). À mesure que le temps passait, les conclusions du HSCA s'accumulaient dans un sens et un seul : le dossier contre Oswald était solide. Tout l'accusait. La science le confirmait : les photos de lui avec son fusil étaient authentiques ; les blessures de Kennedy avaient bien été causées par des tirs provenant de la fenêtre où se trouvait Oswald ; etc. Le HSCA s'apprêtait donc à valider officiellement les conclusions de la commission Warren, excepté quelques imperfections mineures compréhensibles. Mais voilà : au tout dernier moment, une étude acoustique a semblé indiquer qu'un quatrième coup de feu, en plus des trois émanant du fusil d'Oswald, avait été tiré ce jour-là. Cette étude se basait sur des bruits très difficilement identifiables, enregistrés sur une bande son de piètre qualité. Mais les travaux du HSCA se terminaient et il ne restait plus assez de temps pour vérifier les conclusions de cette étude acoustique. Comme toutes les recherches avaient prouvé que Kennedy avait été tué par les tirs d'Oswald, le HSCA a indiqué que si l'étude acoustique disait vrai, alors c'est qu'il y avait un deuxième tireur, puisqu'Oswald ne pouvait pas avoir tiré quatre fois. Mais ce tireur présumé avait, au mieux, raté ses tirs. Toutefois, sa présence hypothétique signifiait qu'il y avait eu conspiration puisque la simultanéité des tirs indiquait, par définition, une concertation préalable entre Oswald et ce fameux deuxième tireur. Le HSCA a donc parlé de « conspiration probable », tout en demandant qu'on vérifie les allégations de cette étude acoustique. Quelques années plus tard, une enquête plus rigoureuse a été menée sur la question acoustique. Très vite, les experts ont démontré que l'étude acoustique était faussée et se trompait lourdement. En réalité, il n'y avait aucune trace d'un quatrième coup de feu. L'hypothèse du deuxième tireur a alors été abandonnée complètement. Cela rendait donc caduque la référence à une « conspiration » que le HSCA avait dû laisser dans son rapport au dernier moment, en 1979.

CW : La déclassification de nombreux documents par le gouvernement américain a-t-elle permis de découvrir de nouvelles choses sur le drame ?

F.C. : Non, rien d'essentiel. Rien qui n'ait de lien direct avec les événements de Dealey Plaza. Mais comment pourrait-il en être autrement ? L'assassinat de Kennedy a été un événement public, survenu devant des centaines de gens, et photographié et filmé sous tous les angles. Le corps du président mort a été observé par de nombreux médecins spécialistes. Des photos et radios de son cadavre ont été faites. Les experts les plus compétents se sont penchés sur cette affaire depuis un demi-siècle. Leurs conclusions vont toujours dans le même sens, celui de la culpabilité d'Oswald. Comment peut-on penser qu'un document caché quelque part pourrait y changer quoi que ce soit ?

 

 

Co-fondateur du Cercle Zététique, François Carlier travaille depuis trente ans sur l’assassinat de Kennedy. Il s'est rendu plusieurs fois à Dallas, sur les lieux du drame, pour enquêter et a accumulé un fonds documentaire exhaustif sur cet événement ainsi que les nombreuses versions conspirationnistes auquel il a donné lieu. Paru en juillet 2019, L'assassinat de Kennedy expliqué peut être acheté sur le site de Publibook.

 

Voir aussi :

Assassinat de JFK : Oswald était-il un « bouc-émissaire » ? (1/2)

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"L'assassinat de Kennedy expliqué", de François Carlier (Publibook, 2019).

Conspiracy Watch : L'idée selon laquelle l'assassinat du président américain John F. Kennedy le 22 novembre 1963 est non pas le fait de Lee Harvey Oswald, mais le résultat d'un vaste complot d'Etat impliquant la CIA demeure extrêmement répandue dans l'opinion, plus de 50 ans après les faits. Comment l'expliquez-vous ?

François Carlier : Par une cause double. Tout d'abord, il y a incontestablement dans cette histoire un ensemble d'éléments qui ont pu susciter des interrogations légitimes dans les premières années. Mais ce qui explique aussi cette forte dissémination de la croyance en un complot doit être cherché dans la tendance des médias à jouer sur le sensationnel. Pour une grande partie d'entre eux, la motivation principale est de vendre, tout simplement.

Si le tueur présumé du président Kennedy a été arrêté par la police le jour même, il n'en reste pas moins que l'histoire de cet assassinat est truffée de détails qui ont de quoi troubler n'importe qui. Par exemple, Lee Harvey Oswald a tout nié en bloc durant toute sa garde à vue ; un film [le film d'Abraham Zapruder – ndlr] montre la tête de Kennedy partir vers l'arrière au moment où il est touché, ce qui fait penser à une réaction à un tir venant de devant lui, alors que les conclusions des enquêteurs indiquent que le tir provenait de l'arrière ; la balle en question est quasiment intacte, alors qu'elle a traversé les corps de deux hommes, le président Kennedy et le gouverneur du Texas John B. Connally ; Oswald s'est fait tuer à son tour deux jours après l'assassinat de Kennedy comme si on avait voulu le faire taire ; la boîte métallique qui contenait le cerveau du président a disparu... Cela fait beaucoup, et il y a encore d'autres éléments qui peuvent déstabiliser une personne non-avertie. Mais à chacune de ces questions, il existe une réponse satisfaisante et lorsqu'on étudie rigoureusement le dossier, on s'aperçoit que, finalement, tout s'aligne avec la version d'un assassinat du président par Lee Harvey Oswald.

Toutes les études scientifiques menées par des experts indépendants ont confirmé, encore et encore, les conclusions des enquêteurs de la première génération, ceux de la Commission Warren (1963-1964). Mais là où le bât blesse, c'est que trop souvent, les grands médias, soit par ignorance, soit par incompétence, soit tout simplement par vil désir de faire le buzz, ont préféré faire abstraction des recherches sérieuses et documentées, pour faire la part belle aux théories les plus folles. En définitive, on a facilité la propagation de thèses plus que douteuses.

CW : Vous écrivez que « la culpabilité de Lee Harvey Oswald est un fait indiscutable ». Pourtant, avant d'être abattu à son tour, Oswald a clamé son innocence, affirmant qu'il n'était qu'un « bouc-émissaire », [« a patsy » en anglais] à qui on aurait fait porter la responsabilité du crime ? Comment être sûr qu'Oswald est l'assassin de Kennedy ?

F.C. : Toutes les prisons du monde sont remplies d'assassins qui continuent de prétendre, envers et contre tout, qu'ils sont innocents. Admettre qu'on est coupable est difficile. Et tant que l'enquête n'est pas terminée, le suspect espère toujours s'en tirer. Il n'est donc pas étonnant qu'Oswald, appréhendé par la police, ait clamé son innocence, dans un Etat où, il faut le rappeler, la peine de mort était alors en vigueur. Oswald a nié le meurtre de Kennedy, mais rappelons qu'il a aussi nié le meurtre de l'officier de police J. D. Tippit. Mais si nous sommes sûrs et certains que c'est bien Lee Oswald qui a tué Kennedy, c'est parce que tout l'accuse. De multiples hypothèses ont été imaginées et des pistes essayées, durant plus d'un demi-siècle, mais elles n'ont jamais mené nulle part. Je dresse la liste, dans mon livre, de tous les éléments factuels de l'enquête qui indiquent une culpabilité d'Oswald et de lui seul.

L'attitude de Lee Oswald confirme également qu'il est l'auteur de l'assassinat de Kennedy. Il travaillait à l'endroit d'où il a assassiné le président, à Dealey Plaza, au Texas School Book Depository, dans un immeuble situé au coin de Elm Street et de Houston Street, avant même que ne soit connu le trajet du cortège présidentiel en visite à Dallas, qui ne fut publié dans la presse locale que trois jours plus tôt. Ce jour-là, Oswald était sur son lieu de travail. Il l'a quitté, sans en avertir personne, juste après l'assassinat de Kennedy. Il s'est muni d'un revolver et, trois quart d'heures après l'assassinat de Kennedy, a abattu, devant témoins, le policier J. D. Tippit, qui était en train de s'approcher de lui. Puis il a encore essayé de tuer un autre policier, toujours devant témoins, lors de son arrestation. Qui, ce jour-là, à Dallas, avait une raison de fuir la police et d'agir ainsi ? Monsieur Tout-le-monde, ou l'homme qui venait de tuer le président ?

Du reste, après la mort d'Oswald, on apprendra qu'il était l'auteur de la tentative d'assassinat qui avait visé quelques mois plus tôt, en avril 1963, le général Edwin Walker...

CW : Et comment être certain qu'il n'y avait pas un ou plusieurs autres tireurs, en plus d'Oswald ?

F.C. : Cette question ne fait plus débat depuis longtemps parmi les spécialistes. Les douilles et les morceaux de métal laissés par les balles qui ont été tirées, provenaient tous du fusil d'Oswald. Tout le démontre, jusqu'aux tests scientifiques les plus poussés. La seule personne ayant été vue avec un fusil ce jour-là par la foule répond aux caractéristiques physiques de celles de Lee Oswald et à l'endroit précis où il a été vu pour la dernière fois. Les blessures de Kennedy et du gouverneur Connally s'expliquent uniquement par des tirs venant du fusil d'Oswald. Et si l'on fait l'hypothèse qu'il y avait un autre tireur ce jour-là, alors il faut reconnaître que personne ne l'a vu ni entendu, qu'il n’apparaît sur aucune photo ni aucun film, qu'il n'a touché personne et n'a laissé aucune trace nulle part, qu'on n'a retrouvé aucune de ses douilles ni de ses balles, qu'on ne lui connait aucun complice et que personne, après plus de 55 années de recherches dans tous les sens, n'a jamais trouvé le moindre début d'élément sur ce fameux deuxième tireur.

CW : Comment se fait-il que beaucoup de théoriciens du complot évoquent une « balle magique », une thèse qu'on retrouve développée dans le film d'Oliver Stone, « JFK » ?

F.C. : C'est assez simple. Les constatations des enquêteurs qui, entre autres choses, ont retrouvé le fusil ayant servi à tuer le président et les douilles que le tireur, dans sa fuite, n'avait évidemment pas eu le temps de récupérer, ­ont permis de déterminer le nombre total de tirs contre le président : trois. Des hypothèses peuvent ensuite être envisagées, et on examine chaque option, en éliminant ce qui est impossible jusqu'à obtenir ce qui est le plus plausible.

Les enquêteurs ont constaté qu'un des tirs avait raté sa cible. Une balle a ricoché et blessé une personne dans la foule, du nom de James Tague. Mathématiquement, donc, sur les trois tirs, si l'un rate, il en reste deux. Les constatations des médecins ayant examiné les blessures sur le corps de John Kennedy (principalement sur le haut du corps, soit le cou et la tête), ont permis de déterminer de façon incontestable qu'il avait été touché deux fois. Deux balles du tireur ont donc atteint le président Kennedy.

Le film de Zapruder montre bien ces deux instants où JFK reçoit un impact : la première fois, il lève les bras brusquement à hauteur de son abdomen et se fige ; la deuxième fois, son crâne explose. Il n'existe pas de contestation véritable sur ce dernier tir touchant Kennedy.

Mais c'est le deuxième coup de feu d'Oswald, celui qui atteint pour la première fois Kennedy, qui, selon les complotistes, poserait problème. Pourquoi ? Parce que cette balle, qui traverse le cou de Kennedy de part en part (elle entre dans le haut de son dos et ressort par sa gorge) continue sa route et atteint à son tour le gouverneur Connally, qui était placé dans la limousine présidentielle devant Kennedy, en contrebas, juste dans la trajectoire de la balle. Cette balle, donc, traverse le corps du gouverneur au niveau de la poitrine, traverse ensuite son poignet et finit sa course dans sa jambe. Cette balle occasionne, sur les deux hommes, sept blessures en tout, en comptant à chaque fois les points d'entrée et les points de sortie. De plus, cette balle (la pièce à conviction CE 399) sera retrouvée dans un brancard à l'hôpital et, si elle est déformée, elle n'est pas écrasée comme on pourrait s'y attendre.

La pièce à conviction CE 399 (crédits : National Archives and Records Administration).

Pour beaucoup de lecteurs du rapport Warren, c'est impossible à croire. Raison pour laquelle ils ont commencé à l'appeler : la « balle magique ». Dans une longue scène du film d'Oliver Stone, Kevin Costner, qui incarne le procureur Garrison lors du procès de Clay Shaw, moque cette fameuse théorie de la « balle magique ». Mais qu'en est-il en réalité ? Nul ne conteste que sept blessures existent. De plus, il est impossible que ces sept blessures aient été causées par plus d'une seule et unique balle. Cela a été reproduit et démontré maintes et maintes fois depuis plus de cinquante ans, lors d'expériences diverses, par des équipes indépendantes de chercheurs, amateurs ou professionnels, à la fois de manière pratique lors de reconstitutions et de manière théorique au moyen de modélisations informatiques. Tout s'explique par la trajectoire de la balle, sa décélération, l'angle avec lequel elle frappe Connally en plusieurs endroits. Ce sont des données scientifiques imparables. Si on prend le temps de les étudier, tout devient clair. Mais les complotistes, qui n'ont jamais tenté de reproduire l'expérience, continuent de se complaire dans la suspicion et le sarcasme. Aussi étonnant que cela puisse effectivement paraître à un non-initié, la trajectoire de cette balle unique est pourtant tout à fait explicable scientifiquement.

CW : Connaît-on les motivations de Jack Ruby qui a tué Oswald moins de 48 heures après son arrestation ?

F.C. : Je ne prétends pas savoir ce que Ruby avait en tête. Ce que l'on sait, c'est que c'est un concours de circonstances. Il s'agit d'un acte spontané de Ruby, qui n'a été préparé en rien. Jack Ruby se voyait en redresseur de torts. Il avait été très affecté par la mort du président ainsi que par la mort de l'officier de police J. D. Tippit. Sur le coup de l'émotion, il aperçoit Oswald, sans doute l'un des hommes les plus détestés au monde à ce moment-là, et lui tire dessus, impulsivement. Ce n'est pas un acte mûrement réfléchi, une décision préméditée. Ruby gérait une boîte de nuit. Le matin du 24 novembre 1963, l'une de ses danseuses l'a appelé pour lui demander de lui faire un virement d'argent. C'est après avoir procédé à ce virement qu'il se rend au poste de police qu'Oswald aurait normalement dû quitter une heure plus tôt. Là, il aperçoit Oswald. Il s'approche et lui tire dessus. Ruby dira plus tard à son frère qu'il ne pensait pas qu'Oswald mourrait.

CW : Comment se fait-il que le House Select Committee on Assassinations (HSCA), une commission d'enquête de la Chambre des représentants, a conclu à une probable conspiration ? Ne sommes-nous pas là face à une théorie du complot recevant une validation d'une instance officielle ?

F.C. : C'est l'un des points les plus mal compris par ceux qui s'intéressent au dossier. Il faut remettre les choses dans leur contexte. Mis en place en 1976, le HSCA avait pour mission de vérifier certains éléments ou points portant à confusion, en rapport avec la question de la culpabilité de Lee Oswald, grâce à des outils scientifiques de la fin des années 1970, donc supérieurs à ceux du début des années 1960. Le HSCA avait pour mission de déterminer l'éventuelle validité de certaines accusations lancées par des théoriciens du complot au cours de la décennie précédente. Par exemple, certains avaient suggéré que les photos d'Oswald dans son jardin étaient truquées. Les spécialistes du HSCA devaient expertiser ces photos et déterminer si elles étaient authentiques ou non. Durant près de trois années, toutes les accusations des complotistes furent prises en compte, inspectées, vérifiées, contrôlées, expertisées. Pour chaque point, les tests scientifiques et les conclusions des experts ont confirmé les conclusions des enquêteurs de la Commission Warren (la commission d'enquête présidentielle sur l'assassinat du président Kennedy qui a rendu son rapport en 1964 – ndlr). À mesure que le temps passait, les conclusions du HSCA s'accumulaient dans un sens et un seul : le dossier contre Oswald était solide. Tout l'accusait. La science le confirmait : les photos de lui avec son fusil étaient authentiques ; les blessures de Kennedy avaient bien été causées par des tirs provenant de la fenêtre où se trouvait Oswald ; etc. Le HSCA s'apprêtait donc à valider officiellement les conclusions de la commission Warren, excepté quelques imperfections mineures compréhensibles. Mais voilà : au tout dernier moment, une étude acoustique a semblé indiquer qu'un quatrième coup de feu, en plus des trois émanant du fusil d'Oswald, avait été tiré ce jour-là. Cette étude se basait sur des bruits très difficilement identifiables, enregistrés sur une bande son de piètre qualité. Mais les travaux du HSCA se terminaient et il ne restait plus assez de temps pour vérifier les conclusions de cette étude acoustique. Comme toutes les recherches avaient prouvé que Kennedy avait été tué par les tirs d'Oswald, le HSCA a indiqué que si l'étude acoustique disait vrai, alors c'est qu'il y avait un deuxième tireur, puisqu'Oswald ne pouvait pas avoir tiré quatre fois. Mais ce tireur présumé avait, au mieux, raté ses tirs. Toutefois, sa présence hypothétique signifiait qu'il y avait eu conspiration puisque la simultanéité des tirs indiquait, par définition, une concertation préalable entre Oswald et ce fameux deuxième tireur. Le HSCA a donc parlé de « conspiration probable », tout en demandant qu'on vérifie les allégations de cette étude acoustique. Quelques années plus tard, une enquête plus rigoureuse a été menée sur la question acoustique. Très vite, les experts ont démontré que l'étude acoustique était faussée et se trompait lourdement. En réalité, il n'y avait aucune trace d'un quatrième coup de feu. L'hypothèse du deuxième tireur a alors été abandonnée complètement. Cela rendait donc caduque la référence à une « conspiration » que le HSCA avait dû laisser dans son rapport au dernier moment, en 1979.

CW : La déclassification de nombreux documents par le gouvernement américain a-t-elle permis de découvrir de nouvelles choses sur le drame ?

F.C. : Non, rien d'essentiel. Rien qui n'ait de lien direct avec les événements de Dealey Plaza. Mais comment pourrait-il en être autrement ? L'assassinat de Kennedy a été un événement public, survenu devant des centaines de gens, et photographié et filmé sous tous les angles. Le corps du président mort a été observé par de nombreux médecins spécialistes. Des photos et radios de son cadavre ont été faites. Les experts les plus compétents se sont penchés sur cette affaire depuis un demi-siècle. Leurs conclusions vont toujours dans le même sens, celui de la culpabilité d'Oswald. Comment peut-on penser qu'un document caché quelque part pourrait y changer quoi que ce soit ?

 

 

Co-fondateur du Cercle Zététique, François Carlier travaille depuis trente ans sur l’assassinat de Kennedy. Il s'est rendu plusieurs fois à Dallas, sur les lieux du drame, pour enquêter et a accumulé un fonds documentaire exhaustif sur cet événement ainsi que les nombreuses versions conspirationnistes auquel il a donné lieu. Paru en juillet 2019, L'assassinat de Kennedy expliqué peut être acheté sur le site de Publibook.

 

Voir aussi :

Assassinat de JFK : Oswald était-il un « bouc-émissaire » ? (1/2)

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