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« Autosémitisme » : chronique numérique d'un coup de force sémantique

Publié par La Rédaction23 novembre 2023, ,

Inventé pour suggérer que l'antisémitisme ou sa recrudescence sont l'oeuvre de ceux qui prétendent en être les victimes, le terme « autosémitisme » permet de contester la réalité de l'antisémitisme... tout en en attribuant la responsabilité aux Juifs eux-mêmes.

Montage CW

La complosphère exulte. La révélation, lundi 20 novembre, de la fausse agression antisémite d'une femme à Six-Fours-les-Plages (Var) lui fournit un nouveau prétexte pour crier à la manipulation. Sur le site complotiste Le Média en 4-4-2, on explique ainsi que ce « cas concret [...] remet en question la fiabilité des statistiques officielles sur les actes antisémites ». Pour les administrateurs du canal Telegram « Covid-1984 », le constat est sensiblement le même : « Les actes antisémites, c’est comme les tests PCR. Que des faux positifs. »

« Quand on enlève les fausses agressions, les actes commis par certains esprits tordus de la communauté pour entretenir la psychose, les symboles d'affirmation sioniste qui sont retournés, combien reste-t-il d'actes dit antisémites ? » s'interroge l'activiste néo-pétainiste Yvan Benedetti. Quelques jours plus tôt, celui qui est aussi le directeur du média d'extrême droite Jeune Nation dénonçait la « soumission au judapo et à la religion shoatique ».

Idriss Sihamedi, fondateur de l'association islamiste BarakaCity, dissoute en conseil des ministres en 2020, estime lui aussi que la recrudescence de l'antisémitisme en France est un mythe entretenu artificiellement par la propagande sioniste. Réagissant à l'affaire de Six-Fours-les-Plages, il écrit : « Les tags c’est eux. Les coups de couteau, c’est eux. Le mensonge des 40 bébés c’est eux. Les tunnels dans les hôpitaux ? C’est encore eux. Ils le montre chaque jour, au monde entier, le mal c’est eux, les sionistes sont capable de tout. » Son tweet est partagé plus de 2000 fois...

Source : Idriss Sihamedi/X, 20/11/2023.

« Vous connaissez L'#autosémitisme ? C'est ce qui fait gonfler les chiffres de l'antisémitisme » explique le complotiste soralien Marcel D., animateur du Média en 4-4-2. Depuis lundi, ce curieux mot, formé sur la contraction de « auto » et de « antisémitisme », s'est multiplié sur les réseaux sociaux. Pas assez pour en faire une tendance (ses occurrences plafonnent à quelques centaines sur X), mais suffisamment pour le sortir de sa relative confidentialité.

Utilisé pour suggérer que l'antisémitisme ou sa recrudescence sont essentiellement l'œuvre de ceux qui se disent en être victimes, le terme « autosémitisme » permet en effet de faire d'une pierre deux coups : contester la réalité de l'antisémitisme tout en en attribuant la responsabilité aux Juifs eux-mêmes.

C'est que depuis l'attaque terroriste perpétrée par le Hamas contre Israël, les actes visant la communauté juive ont littéralement explosé en France. Selon le ministre de l'intérieur, « 1 518 actes ou propos antisémites » ont ainsi été recensés entre le 7 octobre et le 14 novembre 2023. C'est trois fois plus que pour la seule année 2022. Une réalité qui gêne la propagande antisémite.

Occurrences du terme « autosémitisme » sur X du 16 au 22 novembre 2023 (source : Talkwalker).

La sphère soralienne aux commandes

Cela fait plusieurs années qu'Alain Soral et ses séides tentent d'imposer le terme « autosémitisme ». En février 2019, l'une des premières occurrences de ce néologisme apparaît sur son site, Égalité & Réconciliation. A l'époque, près de cent tombes du cimetière israélite de Quatzenheim (Bas-Rhin) avaient été souillées de tags représentant des croix gammées.

Le 19 février 2019, Égalité & Réconciliation titre sur l'« autosémitisme » (capture d'écran).

Le mois dernier, des dizaines de tags représentant cette fois-ci des étoiles de David étaient découverts sur des murs de la capitale et en région parisienne. Les auteurs de plusieurs de ces dégradations, un couple de Moldaves, ont déclaré avoir agi pour le compte d'un tiers, ce qui avait donné du grain à moudre à la complosphère. Réagissant à un post de la députée Astrid Panosyan-Bouvet sur cette affaire, Alain Soral tweetait : « Ça sent encore très fort l'autosémitisme ».

Le lendemain, il en rajoutait une couche en soutenant : « on connaît la chanson ! Autosémitisme… »

La réalité est pourtant bien éloignée des élucubrations du polémiste antisémite. Comme l'expliquait Élie Guckert dans nos colonnes il y a quelques jours, ces inscriptions sont probablement le fruit d'une « opération de déstabilisation en lien avec la Russie » impliquant un homme d'affaires moldave qui s'était illustré il y a quelques années par ses propos antisémites. Cela n'a pas empêché Égalité & Réconciliation − qui ne cache pas son tropisme pro-Kremlin − d'assurer, le 2 novembre, que « l’objectif était peut-être de montrer que les actes antisémites sont en hausse en France ».

De faux actes antisémites ?

Les exemples d'actes considérés à tort comme antisémites existent bel et bien. Les cas d'affabulation aussi. En 2004 par exemple,  le porte-parole du Likoud (le parti du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou) en France, était reconnu coupable de « dénonciation mensongère à une autorité judiciaire ou administrative entraînant des recherches inutiles » après qu'il avait porté plainte pour des appels téléphoniques anonymes... dont il était lui-même l'auteur. La même année, une femme de 23 ans était condamnée à quatre mois d'emprisonnement avec sursis par le tribunal de Pontoise pour avoir inventé de toutes pièces une agression antisémite dans le RER D par des personnes « d'origine maghrébine » qui, prétendait-elle, lui auraient dessiné des croix gammées sur le ventre. Le rappeur Médine en fera un morceau de rap dénonçant l'emballement médiatico-politique...

L'été dernier, une affaire similaire défrayait l'actualité. A Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), la façade d’un restaurant casher était dégradée par des tags antisémites, suscitant l'indignation générale. Le suspect, un homme âgé de 74 ans, lui-même de confession juive, avouera aux enquêteurs avoir agi par vengeance, dans le cadre d'un litige d'ordre commercial.

Plus récemment, le 4 novembre, une femme a affirmé avoir été poignardée à deux reprises par un individu à Lyon. Le caractère antisémite de l'agression est, dans un premier temps, privilégié. Depuis, d'autres pistes comprenant l'automutilation sont étudiées. A la grande satisfaction des complotistes.

De par leur nombre extrêmement faible rapporté au total des agressions antisémites recensées, ces agressions fictives ou sujettes à caution ne sont pourtant pas de nature à remettre en cause la réalité d'une recrudescence, largement documentée, des agressions anti-juives.

Ajoutons que les cas d'affabulations ne concernent évidemment pas uniquement la question de l'antisémitisme. En 2015, Ouest-France en avait recensés plusieurs, comme cet instituteur qui affirmait avoir été victime d'une attaque au cutter dans son école d’Aubervilliers par un terroriste de Daech avant d'avouer qu'il avait tout inventé. Ou cet avocat de Draguignan qui finira par reconnaître qu'il s'était blessé en tombant après avoir assuré qu'il avait été agressé à son cabinet par des hommes cagoulés.

Les chiffres du ministère de l'intérieur ne comptabilisent que les actes ayant fait l'objet d'une plainte ou d'un signalement à la police. L'enquête est le seul moyen de s'assurer qu'ils ne sont pas biaisés par des déclarations mensongères. Quant aux interpellations (plusieurs centaines au cours des cinq dernières semaines) et aux condamnations, elles sont bien réelles.

Une chose est certaine : les statistiques officielles peuvent également être biaisées par un phénomène de sous-déclaration motivé par le sentiment qu'une procédure est inutile ou, tout simplement, la crainte. En témoigne ce récent acte antisémite rapporté dans les colonnes du Canard enchaîné pour lequel les victimes n'ont pas porté plainte « par peur des représailles ».

Banalisation des discours antisémites

L'introduction du terme « autosémitisme » semble relever avant tout d'un coup de force sémantique ayant pour principal objet d'opérer une inversion accusatoire légitimant en retour l'antisémitisme lui-même, comme en témoignent certaines caricatures antijuives accusant des Juifs d'inventer l'antisémitisme.

Mardi, au lendemain de l'affaire de Six-fours-les-Plages, France 3 Occitanie rapporte le cas d'une étudiante en médecine ayant découvert une croix gammée et des menaces de mort (« Crève sale juive ») à sa place d'amphi. Réponse d'un internaute : « La suspect numéro 1 c'est elle-même, l'autosémitisme en action ». Il aura bien retenu la leçon. Une leçon soralienne.

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La complosphère exulte. La révélation, lundi 20 novembre, de la fausse agression antisémite d'une femme à Six-Fours-les-Plages (Var) lui fournit un nouveau prétexte pour crier à la manipulation. Sur le site complotiste Le Média en 4-4-2, on explique ainsi que ce « cas concret [...] remet en question la fiabilité des statistiques officielles sur les actes antisémites ». Pour les administrateurs du canal Telegram « Covid-1984 », le constat est sensiblement le même : « Les actes antisémites, c’est comme les tests PCR. Que des faux positifs. »

« Quand on enlève les fausses agressions, les actes commis par certains esprits tordus de la communauté pour entretenir la psychose, les symboles d'affirmation sioniste qui sont retournés, combien reste-t-il d'actes dit antisémites ? » s'interroge l'activiste néo-pétainiste Yvan Benedetti. Quelques jours plus tôt, celui qui est aussi le directeur du média d'extrême droite Jeune Nation dénonçait la « soumission au judapo et à la religion shoatique ».

Idriss Sihamedi, fondateur de l'association islamiste BarakaCity, dissoute en conseil des ministres en 2020, estime lui aussi que la recrudescence de l'antisémitisme en France est un mythe entretenu artificiellement par la propagande sioniste. Réagissant à l'affaire de Six-Fours-les-Plages, il écrit : « Les tags c’est eux. Les coups de couteau, c’est eux. Le mensonge des 40 bébés c’est eux. Les tunnels dans les hôpitaux ? C’est encore eux. Ils le montre chaque jour, au monde entier, le mal c’est eux, les sionistes sont capable de tout. » Son tweet est partagé plus de 2000 fois...

Source : Idriss Sihamedi/X, 20/11/2023.

« Vous connaissez L'#autosémitisme ? C'est ce qui fait gonfler les chiffres de l'antisémitisme » explique le complotiste soralien Marcel D., animateur du Média en 4-4-2. Depuis lundi, ce curieux mot, formé sur la contraction de « auto » et de « antisémitisme », s'est multiplié sur les réseaux sociaux. Pas assez pour en faire une tendance (ses occurrences plafonnent à quelques centaines sur X), mais suffisamment pour le sortir de sa relative confidentialité.

Utilisé pour suggérer que l'antisémitisme ou sa recrudescence sont essentiellement l'œuvre de ceux qui se disent en être victimes, le terme « autosémitisme » permet en effet de faire d'une pierre deux coups : contester la réalité de l'antisémitisme tout en en attribuant la responsabilité aux Juifs eux-mêmes.

C'est que depuis l'attaque terroriste perpétrée par le Hamas contre Israël, les actes visant la communauté juive ont littéralement explosé en France. Selon le ministre de l'intérieur, « 1 518 actes ou propos antisémites » ont ainsi été recensés entre le 7 octobre et le 14 novembre 2023. C'est trois fois plus que pour la seule année 2022. Une réalité qui gêne la propagande antisémite.

Occurrences du terme « autosémitisme » sur X du 16 au 22 novembre 2023 (source : Talkwalker).

La sphère soralienne aux commandes

Cela fait plusieurs années qu'Alain Soral et ses séides tentent d'imposer le terme « autosémitisme ». En février 2019, l'une des premières occurrences de ce néologisme apparaît sur son site, Égalité & Réconciliation. A l'époque, près de cent tombes du cimetière israélite de Quatzenheim (Bas-Rhin) avaient été souillées de tags représentant des croix gammées.

Le 19 février 2019, Égalité & Réconciliation titre sur l'« autosémitisme » (capture d'écran).

Le mois dernier, des dizaines de tags représentant cette fois-ci des étoiles de David étaient découverts sur des murs de la capitale et en région parisienne. Les auteurs de plusieurs de ces dégradations, un couple de Moldaves, ont déclaré avoir agi pour le compte d'un tiers, ce qui avait donné du grain à moudre à la complosphère. Réagissant à un post de la députée Astrid Panosyan-Bouvet sur cette affaire, Alain Soral tweetait : « Ça sent encore très fort l'autosémitisme ».

Le lendemain, il en rajoutait une couche en soutenant : « on connaît la chanson ! Autosémitisme… »

La réalité est pourtant bien éloignée des élucubrations du polémiste antisémite. Comme l'expliquait Élie Guckert dans nos colonnes il y a quelques jours, ces inscriptions sont probablement le fruit d'une « opération de déstabilisation en lien avec la Russie » impliquant un homme d'affaires moldave qui s'était illustré il y a quelques années par ses propos antisémites. Cela n'a pas empêché Égalité & Réconciliation − qui ne cache pas son tropisme pro-Kremlin − d'assurer, le 2 novembre, que « l’objectif était peut-être de montrer que les actes antisémites sont en hausse en France ».

De faux actes antisémites ?

Les exemples d'actes considérés à tort comme antisémites existent bel et bien. Les cas d'affabulation aussi. En 2004 par exemple,  le porte-parole du Likoud (le parti du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou) en France, était reconnu coupable de « dénonciation mensongère à une autorité judiciaire ou administrative entraînant des recherches inutiles » après qu'il avait porté plainte pour des appels téléphoniques anonymes... dont il était lui-même l'auteur. La même année, une femme de 23 ans était condamnée à quatre mois d'emprisonnement avec sursis par le tribunal de Pontoise pour avoir inventé de toutes pièces une agression antisémite dans le RER D par des personnes « d'origine maghrébine » qui, prétendait-elle, lui auraient dessiné des croix gammées sur le ventre. Le rappeur Médine en fera un morceau de rap dénonçant l'emballement médiatico-politique...

L'été dernier, une affaire similaire défrayait l'actualité. A Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), la façade d’un restaurant casher était dégradée par des tags antisémites, suscitant l'indignation générale. Le suspect, un homme âgé de 74 ans, lui-même de confession juive, avouera aux enquêteurs avoir agi par vengeance, dans le cadre d'un litige d'ordre commercial.

Plus récemment, le 4 novembre, une femme a affirmé avoir été poignardée à deux reprises par un individu à Lyon. Le caractère antisémite de l'agression est, dans un premier temps, privilégié. Depuis, d'autres pistes comprenant l'automutilation sont étudiées. A la grande satisfaction des complotistes.

De par leur nombre extrêmement faible rapporté au total des agressions antisémites recensées, ces agressions fictives ou sujettes à caution ne sont pourtant pas de nature à remettre en cause la réalité d'une recrudescence, largement documentée, des agressions anti-juives.

Ajoutons que les cas d'affabulations ne concernent évidemment pas uniquement la question de l'antisémitisme. En 2015, Ouest-France en avait recensés plusieurs, comme cet instituteur qui affirmait avoir été victime d'une attaque au cutter dans son école d’Aubervilliers par un terroriste de Daech avant d'avouer qu'il avait tout inventé. Ou cet avocat de Draguignan qui finira par reconnaître qu'il s'était blessé en tombant après avoir assuré qu'il avait été agressé à son cabinet par des hommes cagoulés.

Les chiffres du ministère de l'intérieur ne comptabilisent que les actes ayant fait l'objet d'une plainte ou d'un signalement à la police. L'enquête est le seul moyen de s'assurer qu'ils ne sont pas biaisés par des déclarations mensongères. Quant aux interpellations (plusieurs centaines au cours des cinq dernières semaines) et aux condamnations, elles sont bien réelles.

Une chose est certaine : les statistiques officielles peuvent également être biaisées par un phénomène de sous-déclaration motivé par le sentiment qu'une procédure est inutile ou, tout simplement, la crainte. En témoigne ce récent acte antisémite rapporté dans les colonnes du Canard enchaîné pour lequel les victimes n'ont pas porté plainte « par peur des représailles ».

Banalisation des discours antisémites

L'introduction du terme « autosémitisme » semble relever avant tout d'un coup de force sémantique ayant pour principal objet d'opérer une inversion accusatoire légitimant en retour l'antisémitisme lui-même, comme en témoignent certaines caricatures antijuives accusant des Juifs d'inventer l'antisémitisme.

Mardi, au lendemain de l'affaire de Six-fours-les-Plages, France 3 Occitanie rapporte le cas d'une étudiante en médecine ayant découvert une croix gammée et des menaces de mort (« Crève sale juive ») à sa place d'amphi. Réponse d'un internaute : « La suspect numéro 1 c'est elle-même, l'autosémitisme en action ». Il aura bien retenu la leçon. Une leçon soralienne.

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