« L’ennemi est resté dans nos murs. Et nous sentons sa présence par des signes de plus en plus fréquents ». C’est ainsi que l’intellectuel communiste Claude Morgan, directeur des Lettres Françaises, parle du fascisme en 1945. Quelques mois plus tard, il réitère ses mises en garde : « en vérité, fascisme et démocratie continuent à s’affronter à l’intérieur de chaque pays ». Le fascisme défait est en cet après-guerre une source d’angoisse chez les penseurs de gauche. Pour eux, malgré les apparences, « Hitler, il faut le voir clairement, est ressuscité ». Hitler, ou tout du moins l’esprit hitlérien… Vaincu, il n’en devient que plus dangereux, dématérialisé, impalpable, diffus et finalement, omniprésent… Dans les revues de gauche, on s’interroge fiévreusement. Si le fascisme n’est pas vraiment de retour, il est tout près de l’être. « Est-il à cette heure définitivement écrasé ? » se demande Joseph Rovan dans la revue intellectuelle Esprit. Le fascisme pourrait même faire partie de l’équation de la France d’après-guerre. « Nous devons constater et dire que la "politique" économique du gouvernement Ramadier a créé objectivement les conditions d’un néofascisme » affirme notamment Jean-Marie Domenach dans cette même revue. (…)
Les intellectuels staliniens ont eu beau jeu de transformer des demi vérités en certitudes conspirationnistes, ne serait-ce que pour faire oublier leur propre rôle dans l’action pacifiste si profitable à Hitler jusqu’à l’opération Barbarossa. Leur argument s’appuie par exemple sur l’infiltration de la Cagoule dans l’establishment militaire français http://www.gauchemip.org/spip.php?article1337 , qui peut expliquer le véritable sabotage de la défense française par l’état major en 1940. On ne peut pas non plus les taxer d’affabuler sur la persistance de l’influence vichyste après guerre (les carrières de Bousquet, Papon et bien d’autres n’ont guère été affectées par leur trahison), y compris au niveau le plus élevé de la Gauche. Et l’évolution actuelle vers un retour aux valeurs des années Gestapo (ex: le négationnisme, cantonné jusqu’en 1970 au cercle restreint des nostalgiques du fascisme, tels Bardèche ou Coston, est devenu un courant de pensée majeur avec le garaudysme et l’apport des supplétifs d’outre Méditerrannée) confirme en partie leurs allégations.
Au dela du rôle du PCF dans la Résistance (et avant: il faut rappeller que des dizaines de cellules communistes étaient démantelées chaque mois dans l’armée avant guerre, ce qui a empêché la résistance de s’armer par la suite), politique puis militaire, et outre le fait que les communistes ont de loin payé le plus lourd tribut pour vaincre le fascisme, je pense qu’il y avait de réelles préoccupations quant à l’après-guerre.
Quand on voit ce qu’a fait le SAC de De Gaulle, d’où venaient nombre de militaires, hauts fonctionnaires, comment s’est formé l’OAS, l’idéologie française dans les colonies (Vietnam principalement), le retournement de chemise du camp atlantique face aux soviétiques… Oui il y avait largement de quoi s’inquiéter pour un communiste après 45!
Et les analyses quant à la survie du fascisme étaient basées sur des réalités économiques et sociologiques, et non sur des fantasmes.
D’ailleurs, elles se sont malheureusement révélées vraies.
Un des meneurs fascistes dans les années 70 en Italie disait très récemment que la situation européenne n’avait jamais été aussi favorable au fascisme depuis qu’il était né.