Dans un texte mis en ligne aujourd’hui sur Rue89, deux internautes témoignent de leurs expériences respectives en banlieue : elle travaille dans l’associatif, lui est prof d’histoire à la fac. Tous deux font le constat que le conspirationnisme, notamment à travers la figure chimérique des "Illuminati", est devenu omniprésent dans l’imaginaire historico-politique des jeunes avec qui ils travaillent. "Damien H." rapporte par exemple que dès qu’il parle du 11-Septembre,
« les étudiants sont persuadés – et ils sont nombreux – que les attentats ont été commis par le complot (n’importe lequel). Plus compliqué, l’idée même que Roosevelt ait pu ne pas être au courant de l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941 est devenue presque inenseignable : il l’a fait exprès, pour pouvoir retourner l’opinion publique américaine et lancer son pays dans la Seconde Guerre mondiale ».
Il y a déjà deux ans, Brain Magazine s’était déjà penché sur ce phénomène inquiétant en publiant le témoignage de Nathalie, "prof de philo dans le 93".
Contemporain de la Révolution française, le mythe de la "conspiration illuminati" est un lieu commun de la contre-culture complotiste. Il a été remis à la mode en 2000 par Dan Brown dans son roman Anges et Démons. Comme le montre le sociologue Gérald Bronner dans son livre, La Démocratie des crédules (PUF, 2013), les recherches faites par les internautes sur Google avec le terme "Illuminati", véritable « marqueur de l’imaginaire conspirationniste », n’ont cessé de progresser au cours des cinq dernières années.
Voir aussi :
* « Je retrouve ces thèses du complot dans les copies de mes élèves »
* Un élève à un prof d’histoire : « Pas un juif dans les tours »
Effarant !
L’apport massif de l’information éclair dans des têtes mal faites et l’obscurantisme devient la nouvelle religion.
Qui est à blâmer dans tout ce fatras ?
L’éducation ? Le vide spirituel ? Les nouvelles technologies ? Le blues économique ?
Est ce que les profs ne se sont pas réveillés trop tard ?
Les deux derniers articles de Conspiracy Watch me font vraiment très plaisir : je constate qu’enfin semble émerger une prise de conscience, parmi les milieux “intellectuels”, de la sidérante progression des idées conspirationnistes dans les classes populaires (je croyais parfois qu’en France, seul le maître de ces lieux, Rudy, et quelques rares éveillés comme Caroline Fourest, P.A. Taguieff ou Stéphane François avaient pris conscience de l’ampleur du phénomène…)
J’avais pourtant eu naguère l’impression que Rudy Reichstadt se focalisait surtout sur les complots médiatisés et négligeait le complotisme, disons… endogène et vernaculaire (pour employer un langage genre “licence de sociologie”).
J’ai moi-même travaillé plusieurs années aux côtés de jeunes adultes imprégnés de ces idées (du genre qui croient que Dieudonné est victime d’un odieux complot des “juifs qui tiennent les médias” et qu’Alain Soral “dit vraiment des trucs sympas” ; et dans le même temps, généralement ils affichent aussi un soutien farouche aux luttes sociales, écologistes et à tout ce qui se rapproche de près ou de loin d’un combat “Antiimpérialiste” quelconque). Je peux donc témoigner que cette idéologie paranoïaque est bien ancrée, au delà même de ce que les thruters et autres “ré-informateurs” pouvaient espérer (on a rien à envier aux États-Unis ou aux pays arabes : la conversion des masses populaires par une rumeur complotiste est une stratégie délibérée des groupuscules fachos et rouge-bruns… Ooh, je crois que je vire conspi moi…)
Il faut dire que ces zélotes de la “ré-information” ne chôment pas sur le web : l’utilisation des masques de la contestation les fait passer pour d’aimables adeptes de la Vérité toute nue (même s’ils sont souvent plus enclins à un puritanisme rigide, assez caractéristique en cela de la pensée fascisante).
@Nina : je ne crois pas que les profs se soient réveillés trop tard, mais plutôt que, comme souvent dans les milieux intellectuels occidentaux (un peu endormis par une démocratie ronronnante), on souffre souvent d’un aveuglement semblable à celui qui faisait considérer il n’y a pas si longtemps les khmers rouges comme de grands libérateurs, et la Chine maoïste comme le devenir de l’humanité (là, je crois qu’il y en a encore qui y croient, à voir le docu de Jean-Michel Carré sur Arte voici quelques semaines, très très complaisant avec l’idéologie du grand Timon).
@ La Hussarde et alias.
Comme vous je suis préoccupé par la diffusion des théories du complot, et plus généralement du conspirationnisme, phénomène qui n’est en rien nouveau. Cependant, je suis en désaccord – scientifique- avec vos dires. Ainsi, il apparait clairement que l’adhésion aux théories du complot n’est en rien limitée aux « classes populaires » (doit-on voir ici une référence – malheureuse – aux classes laborieuses et classes dangereuses de JJ. Chevallier?). En effet, il est avéré, par les travaux de recherche, que, parmi les « élites » académiques, scientifiques, médiatiques, politiques, etc., les théories du complot font également florès; ce qui leur confère aussi une certaine légitimité. En conséquence, il convient d’adopter une approche doublement continuiste, c’est-à-dire transversale à la fois au champ politique (gauche/droite) et à l’échelle sociale. Il y donc là un fait social bien plus large et profond qu’un simple manque d’éducation des « classes populaires ».