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Les démons de Dieudonné (2/3)

Publié par L'Arche30 décembre 2008,

Les démons de Dieudonné (2/3)

Lire la première partie.

Le 11 décembre 2004, la chaîne de télévision France 2 diffuse l’émission « Tout le monde en parle » qui contient une interview de Dieudonné par Thierry Ardisson (1). À la question de Thierry Ardisson : « Est-ce que vous n’auriez pas intérêt finalement à faire avancer la cause des Noirs plutôt que d’être l’ennemi de la cause sioniste ? », Dieudonné répond :

« C’est sûr…. Mais bon, tout a commencé avec ce projet de film sur le Code Noir, sur la traite négrière. Tout a commencé comme ça. Je vais voir les autorités de mon pays, le CNC [Centre national de la cinématographie, organisme public – ndlr], pour dire “Bon voilà je voudrais faire ce film”. Et là on m’envoie un courrier. On me dit : “Non. Ne faites pas un film”… Pourquoi ? Parce que c’est un sujet extrêmement délicat. 95 % des richesses aux Antilles appartiennent encore aux descendants d’esclavagistes. C’est un sujet difficile à ouvrir. Alors je leur dis : “Vous ne pouvez pas me dire ça. Vous avez financé tout un tas de films sur d’autres crimes contre l’humanité. Le mien a été déclaré comme crime contre l’humanité, vous ne pouvez pas me”… Et là, j’ai compris que j’étais face à une sorte d’unicité dans la souffrance, face à la République, qui m’a extrêmement dérangé. »

Dans son livre La vérité sur Dieudonné (2), Anne-Sophie Mercier écrit que cette manière de dépeindre le refus du CNC (un refus qu’elle définit par ailleurs comme « une incroyable maladresse politique ») est, de la part de Dieudonné, « un mensonge de plus ». La version des choses que présente Anne-Sophie Mercier repose sur un entretien avec la direction de la communication du CNC, en date du 27 juillet 2005 : « Dieudonné n’a jamais demandé le moindre financement au CNC. Il a postulé pour une aide à l’écriture du scénario qui lui a été refusée, comme cela est arrivé à des personnalités qui avaient pourtant quelques états de service à faire valoir, comme la cinéaste Tonie Marshall. Ces refus sont monnaie courante, puisque 10 % à 15 % seulement des demandes aboutissent. Débouté de sa demande, Dieudonné pouvait, comme le permettent les statuts du CNC, et comme l’ont fait d’autres avant lui, représenter son dossier pour une aide au financement. Mais il ne l’a pas fait. »

Cependant, la thèse selon laquelle le CNC serait l’ennemi des Noirs devient dès lors le cheval de bataille de Dieudonné. Mais qui donne de telles consignes au CNC ? Dieudonné a fourni une indication à ce sujet, puisque sa déclaration venait en réponse à une question de Thierry Ardisson sur son hostilité à la « cause sioniste », et que l’expression « unicité dans la souffrance » se réfère manifestement à une « souffrance » spécifique. En fait, il s’est déjà exprimé sur le sujet au début de l’année 2004, dans une interview au site internet « BlackMap », dont le texte a été repris le 9 mai 2004 par le site « ComiteSoutienDieudo » : « Il existe toujours un lobby très puissant qui a le monopole de la souffrance humaine et qui ne nous reconnaît absolument aucune existence ! Je le vois particulièrement dans les médias. Lorsque j’ai commencé ma carrière avec Élie, qui est d’obédience juive, j’ai pu constater que cette communauté est particulièrement frileuse par rapport à la souffrance. Il y a une unicité de la souffrance juive qui fait qu’on n’a pas le droit, nous, de revendiquer quoi que ce soit. Les descendants juifs continuent à être indemnisés par rapport à ce qui s’est passé durant la Shoah. Nous, les Noirs, n’avons jamais rien eu à cause de certains Juifs qui refusent que notre souffrance soit mise au même niveau que la leur ! » Ce discours victimaire sera repris et développé tout au long de l’année 2005.

Le 8 janvier 2005, dans une interview au journal en ligne NancybyNight, on voit Dieudonné égrener ses malheurs, « toujours face à ce même lobby sioniste extrêmement puissant, qui dans sa stratégie de communication veut préserver une forme d’unicité de la souffrance en organisant une compétition victimaire, qui est de dire : nous sommes les personnes qui ont le plus souffert ». Dans une interview au journal internet Hermaphrodite, mise en ligne le lendemain, 9 janvier 2005, Dieudonné enfonce le clou en s’en prenant au CNC, « cet organe officiel qui théoriquement doit gérer l’intérêt de la collectivité et l’intérêt des citoyens et qui, malheureusement, est gangrené par ce réseau ultra sioniste insupportable qui refuse l’accès simplement au devoir de mémoire des autres concitoyens, avec cette unicité de la souffrance obtenue de manière obscène ».

Peu après, Dieudonné est invité en Algérie pour donner des représentations du spectacle où il « répond » à son ennemi, le « peuple élu ». Le 16 février 2005, au cours d’une conférence de presse à Alger, il dit le fond de sa pensée : « Le lobby sioniste cultive l’unicité de la souffrance. Il n’y a qu’eux qui souffrent sur cette planète. » Puis Dieudonné revient sur l’affaire du CNC : « Quand je travaille pour faire un film sur la traite négrière et que les autorités sionistes – parce qu’aujourd’hui dans le cinéma ce sont les autorités sionistes – qui me répondent : ce n’est pas un sujet de film. Avec l’argent public on fait 150 films sur la Shoah, moi je demande à faire un film sur la traite des Noirs, et on me dit que ce n’est pas un sujet de film. C’est une guerre qui est déclarée culturellement au monde noir. »

Quatre jours plus tard, le 20 février, le quotidien algérien L’Écho d’Oran publie une longue interview de Dieudonné. L’affaire du CNC y apparaît à nouveau : « Ce sont l’injustice et l’arrogance des sionistes qui m’ont motivé. Sachez que j’avais pour projet de faire un film sur la traite des Noirs. Je me suis donc rendu au CNC, l’organe officiel qui est chargé de lancer ce genre de projet. On m’a dit que ce n’était pas un sujet de film alors que ce même organisme a financé 150 films sur la Shoah. Ces neuf sionistes du CNC m’ont dit à moi, Dieudonné M’Bala M’Bala, que ma souffrance n’était pas un sujet alors que, d’un autre côté, ils vont financer avec l’argent public 150 films sur six ans d’histoire de l’humanité. » On peut voir par là, souligne Dieudonné, « à quel point le pouvoir sioniste en France va jusqu’à priver une partie de la population du devoir de la mémoire ».
On l’aura remarqué : ces « sionistes du CNC » sont au nombre de « neuf ». Pas huit ni dix, exactement neuf. Dieudonné les a donc comptés. Qui sont-ils ? À quoi a-t-il reconnu qu’ils sont sionistes ? Ces questions naturelles, d’autres les ont posées avant nous.

Le 23 février 2005, le forum du site « Les Ogres » publie une intervention d’un internaute qui signe « Toldad », où figure une liste de membres d’une des commissions du CNC avec cette question : « Que reproche-t-on, au niveau de leurs opinions politiques, aux personnalités ci-dessous ? » Cette question ne reçoit aucune réponse. Un internaute qui signe « Maximilien » revient peu après sur le sujet : « Pourquoi incriminer “neuf sionistes” dans le rejet du projet de Dieudonné par la CNC. En quoi ces gens-là (si la liste donnée par Toldad est exacte) sont-ils “sionistes” ? » Il n’y aura jamais de réponse, ni sur le site « Les Ogres » ni ailleurs. L’identité et les motivations des « neuf sionistes » resteront un mystère bien gardé. Cela n’empêchera pas les fantasmes de prospérer, bien au contraire.

Avec ou sans le CNC, la concurrence victimaire demeure au centre du discours de Dieudonné. Ainsi, le 28 mars 2005, il déclare au micro de Beur-FM : « La vérité est qu’il y a une inégalité dans le traitement de la souffrance dans ce pays. On a d’un côté une souffrance sacralisée, qui est mise sur un piédestal. C’est quasiment devenu messianique. Il faut suivre, comme ça, les commémorations. Et de l’autre côté, des populations qui ont souffert et qui n’ont pas de leçons à recevoir de cette souffrance et qui sont obligées de… je refuse que mes enfants, à l’école, je leur ai dit non, j’ai arraché les pages. Je leur ai dit: vous n’étudiez pas cette souffrance-là tant qu’il n’y aura pas les autres. Il n’y a aucune raison que vous, descendants d’esclaves, vous n’ayez pas accès à votre histoire. »

Supposons que Dieudonné soit mû par son seul ressentiment envers le peu de place que des auteurs de manuels consacrent à la mémoire de l’esclavage. Il aurait pu interdire à ses enfants l’étude de bien d’autres souffrances : la misère ouvrière dans l’Europe du dix-neuvième siècle, les guerres de religions, le massacre des habitants de l’Amérique précolombienne… Il aurait pu arracher, en fait, beaucoup de pages à leurs livres d’histoire. Mais il n’en veut qu’à « cette souffrance-là ». Et aux « autorités sionistes » qui, comme chacun sait, font la loi dans le cinéma français.

Le 25 mai 2005, Dieudonné résume sa pensée devant Anne-Sophie Mercier (3) en ces termes : « B-HL [Bernard-Henri Lévy] a mis au point une industrie de la souffrance, pour faire un max de fric. Plus ils en ont, plus ils en veulent. » La tonalité conspirationniste est évidente. Quand à l’identité des « ils », il ne faut pas être grand clerc pour la deviner.

Le 18 novembre 2005, interviewé par le journal en ligne Toubab, Dieudonné revient sur l’affaire du CNC. Le Centre national de la cinématographie, dit-il, « a été pris en otage par un groupe d’hommes et de femmes mal intentionnés qui ont financé pas moins de 200 films sur la mémoire juive et aucun sur la traite négrière, ceci avec l’agent public ». Il a donc, dit-il, « interpellé les pouvoirs publics sur ce fait ». À ce point de l’interview apparaît un élément longtemps implicite, bien qu’à l’évidence – si l’on en juge par le contenu du site internet de soutien à Dieudonné – il ait circulé très tôt en interne.

Le directeur du CNC, à l’époque des événements qui ont tant marqué Dieudonné, se nommait David Kessler. Ce haut fonctionnaire, aujourd’hui directeur de France Culture, a plusieurs cordes à son arc : énarque, il est aussi normalien (reçu premier à l’agrégation de philosophie), et il a revendiqué un engagement à gauche. Mais c’est un autre aspect de sa personnalité qui attire l’attention de Dieudonné. Reprenons la lecture de l’interview : « Comment se fait-il que d’un côté on aide le devoir de mémoire légitime concernant ce drame absolu qu’a été l’holocauste ; et de l’autre côté on nie et on fait obstruction, comme ce fut le cas de M. Kessner [sic] qui devrait forcément être intéressé personnellement, étant juif lui-même. Je crois qu’actuellement il existe un problème de repli communautaire grave. Les gens privilégient l’intérêt de leur communauté à celui de la République, notamment des gens qui ont à charge de gérer les fonds publics. Je trouve cela grave et de nature à faire élever le sentiment d’antisémitisme dans ce pays. »

Voilà. Le mot est lâché. À l’extrême droite on n’ose plus le dire, mais Dieudonné s’en est chargé. Le problème, c’est le Juif Kessler. Lui et ses « neuf sionistes » ont « pris en otage » le cinéma français. Ils financent « 150 » ou « 200 » films (on ne sait plus très bien) sur la mémoire juive, et ont déclaré une guerre culturelle « au monde noir ». Ils sont les agents de « ce réseau ultra sioniste insupportable qui refuse l’accès simplement au devoir de mémoire des autres concitoyens, avec cette unicité de la souffrance obtenue de manière obscène ». Derrière eux se profile l’ombre du grand complot que trament « les autorités sionistes ». Car, bien sûr, ce n’est pas de mémoire qu’il s’agit mais de pouvoir et d’argent. « Plus ils en ont, plus ils en veulent. »

Notes :
1. Nous utilisons ici le texte, qualifié de « script précis et vérifié », mis en ligne sur internet le 21 décembre par le site « SoutienDieudo ».
2. Anne-Sophie Mercier, La vérité sur Dieudonné, page 145. L’avocat de Dieudonné, qui a vainement demandé à la justice la suppression de plusieurs passages du livre d’Anne-Sophie Mercier, n’a rien objecté à ce passage-ci, ni à la citation suivante.
3. La vérité sur Dieudonné, page 32.

Lire la troisième partie.

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Les démons de Dieudonné (2/3)

Lire la première partie.

Le 11 décembre 2004, la chaîne de télévision France 2 diffuse l’émission « Tout le monde en parle » qui contient une interview de Dieudonné par Thierry Ardisson (1). À la question de Thierry Ardisson : « Est-ce que vous n’auriez pas intérêt finalement à faire avancer la cause des Noirs plutôt que d’être l’ennemi de la cause sioniste ? », Dieudonné répond :

« C’est sûr…. Mais bon, tout a commencé avec ce projet de film sur le Code Noir, sur la traite négrière. Tout a commencé comme ça. Je vais voir les autorités de mon pays, le CNC [Centre national de la cinématographie, organisme public – ndlr], pour dire “Bon voilà je voudrais faire ce film”. Et là on m’envoie un courrier. On me dit : “Non. Ne faites pas un film”… Pourquoi ? Parce que c’est un sujet extrêmement délicat. 95 % des richesses aux Antilles appartiennent encore aux descendants d’esclavagistes. C’est un sujet difficile à ouvrir. Alors je leur dis : “Vous ne pouvez pas me dire ça. Vous avez financé tout un tas de films sur d’autres crimes contre l’humanité. Le mien a été déclaré comme crime contre l’humanité, vous ne pouvez pas me”… Et là, j’ai compris que j’étais face à une sorte d’unicité dans la souffrance, face à la République, qui m’a extrêmement dérangé. »

Dans son livre La vérité sur Dieudonné (2), Anne-Sophie Mercier écrit que cette manière de dépeindre le refus du CNC (un refus qu’elle définit par ailleurs comme « une incroyable maladresse politique ») est, de la part de Dieudonné, « un mensonge de plus ». La version des choses que présente Anne-Sophie Mercier repose sur un entretien avec la direction de la communication du CNC, en date du 27 juillet 2005 : « Dieudonné n’a jamais demandé le moindre financement au CNC. Il a postulé pour une aide à l’écriture du scénario qui lui a été refusée, comme cela est arrivé à des personnalités qui avaient pourtant quelques états de service à faire valoir, comme la cinéaste Tonie Marshall. Ces refus sont monnaie courante, puisque 10 % à 15 % seulement des demandes aboutissent. Débouté de sa demande, Dieudonné pouvait, comme le permettent les statuts du CNC, et comme l’ont fait d’autres avant lui, représenter son dossier pour une aide au financement. Mais il ne l’a pas fait. »

Cependant, la thèse selon laquelle le CNC serait l’ennemi des Noirs devient dès lors le cheval de bataille de Dieudonné. Mais qui donne de telles consignes au CNC ? Dieudonné a fourni une indication à ce sujet, puisque sa déclaration venait en réponse à une question de Thierry Ardisson sur son hostilité à la « cause sioniste », et que l’expression « unicité dans la souffrance » se réfère manifestement à une « souffrance » spécifique. En fait, il s’est déjà exprimé sur le sujet au début de l’année 2004, dans une interview au site internet « BlackMap », dont le texte a été repris le 9 mai 2004 par le site « ComiteSoutienDieudo » : « Il existe toujours un lobby très puissant qui a le monopole de la souffrance humaine et qui ne nous reconnaît absolument aucune existence ! Je le vois particulièrement dans les médias. Lorsque j’ai commencé ma carrière avec Élie, qui est d’obédience juive, j’ai pu constater que cette communauté est particulièrement frileuse par rapport à la souffrance. Il y a une unicité de la souffrance juive qui fait qu’on n’a pas le droit, nous, de revendiquer quoi que ce soit. Les descendants juifs continuent à être indemnisés par rapport à ce qui s’est passé durant la Shoah. Nous, les Noirs, n’avons jamais rien eu à cause de certains Juifs qui refusent que notre souffrance soit mise au même niveau que la leur ! » Ce discours victimaire sera repris et développé tout au long de l’année 2005.

Le 8 janvier 2005, dans une interview au journal en ligne NancybyNight, on voit Dieudonné égrener ses malheurs, « toujours face à ce même lobby sioniste extrêmement puissant, qui dans sa stratégie de communication veut préserver une forme d’unicité de la souffrance en organisant une compétition victimaire, qui est de dire : nous sommes les personnes qui ont le plus souffert ». Dans une interview au journal internet Hermaphrodite, mise en ligne le lendemain, 9 janvier 2005, Dieudonné enfonce le clou en s’en prenant au CNC, « cet organe officiel qui théoriquement doit gérer l’intérêt de la collectivité et l’intérêt des citoyens et qui, malheureusement, est gangrené par ce réseau ultra sioniste insupportable qui refuse l’accès simplement au devoir de mémoire des autres concitoyens, avec cette unicité de la souffrance obtenue de manière obscène ».

Peu après, Dieudonné est invité en Algérie pour donner des représentations du spectacle où il « répond » à son ennemi, le « peuple élu ». Le 16 février 2005, au cours d’une conférence de presse à Alger, il dit le fond de sa pensée : « Le lobby sioniste cultive l’unicité de la souffrance. Il n’y a qu’eux qui souffrent sur cette planète. » Puis Dieudonné revient sur l’affaire du CNC : « Quand je travaille pour faire un film sur la traite négrière et que les autorités sionistes – parce qu’aujourd’hui dans le cinéma ce sont les autorités sionistes – qui me répondent : ce n’est pas un sujet de film. Avec l’argent public on fait 150 films sur la Shoah, moi je demande à faire un film sur la traite des Noirs, et on me dit que ce n’est pas un sujet de film. C’est une guerre qui est déclarée culturellement au monde noir. »

Quatre jours plus tard, le 20 février, le quotidien algérien L’Écho d’Oran publie une longue interview de Dieudonné. L’affaire du CNC y apparaît à nouveau : « Ce sont l’injustice et l’arrogance des sionistes qui m’ont motivé. Sachez que j’avais pour projet de faire un film sur la traite des Noirs. Je me suis donc rendu au CNC, l’organe officiel qui est chargé de lancer ce genre de projet. On m’a dit que ce n’était pas un sujet de film alors que ce même organisme a financé 150 films sur la Shoah. Ces neuf sionistes du CNC m’ont dit à moi, Dieudonné M’Bala M’Bala, que ma souffrance n’était pas un sujet alors que, d’un autre côté, ils vont financer avec l’argent public 150 films sur six ans d’histoire de l’humanité. » On peut voir par là, souligne Dieudonné, « à quel point le pouvoir sioniste en France va jusqu’à priver une partie de la population du devoir de la mémoire ».
On l’aura remarqué : ces « sionistes du CNC » sont au nombre de « neuf ». Pas huit ni dix, exactement neuf. Dieudonné les a donc comptés. Qui sont-ils ? À quoi a-t-il reconnu qu’ils sont sionistes ? Ces questions naturelles, d’autres les ont posées avant nous.

Le 23 février 2005, le forum du site « Les Ogres » publie une intervention d’un internaute qui signe « Toldad », où figure une liste de membres d’une des commissions du CNC avec cette question : « Que reproche-t-on, au niveau de leurs opinions politiques, aux personnalités ci-dessous ? » Cette question ne reçoit aucune réponse. Un internaute qui signe « Maximilien » revient peu après sur le sujet : « Pourquoi incriminer “neuf sionistes” dans le rejet du projet de Dieudonné par la CNC. En quoi ces gens-là (si la liste donnée par Toldad est exacte) sont-ils “sionistes” ? » Il n’y aura jamais de réponse, ni sur le site « Les Ogres » ni ailleurs. L’identité et les motivations des « neuf sionistes » resteront un mystère bien gardé. Cela n’empêchera pas les fantasmes de prospérer, bien au contraire.

Avec ou sans le CNC, la concurrence victimaire demeure au centre du discours de Dieudonné. Ainsi, le 28 mars 2005, il déclare au micro de Beur-FM : « La vérité est qu’il y a une inégalité dans le traitement de la souffrance dans ce pays. On a d’un côté une souffrance sacralisée, qui est mise sur un piédestal. C’est quasiment devenu messianique. Il faut suivre, comme ça, les commémorations. Et de l’autre côté, des populations qui ont souffert et qui n’ont pas de leçons à recevoir de cette souffrance et qui sont obligées de… je refuse que mes enfants, à l’école, je leur ai dit non, j’ai arraché les pages. Je leur ai dit: vous n’étudiez pas cette souffrance-là tant qu’il n’y aura pas les autres. Il n’y a aucune raison que vous, descendants d’esclaves, vous n’ayez pas accès à votre histoire. »

Supposons que Dieudonné soit mû par son seul ressentiment envers le peu de place que des auteurs de manuels consacrent à la mémoire de l’esclavage. Il aurait pu interdire à ses enfants l’étude de bien d’autres souffrances : la misère ouvrière dans l’Europe du dix-neuvième siècle, les guerres de religions, le massacre des habitants de l’Amérique précolombienne… Il aurait pu arracher, en fait, beaucoup de pages à leurs livres d’histoire. Mais il n’en veut qu’à « cette souffrance-là ». Et aux « autorités sionistes » qui, comme chacun sait, font la loi dans le cinéma français.

Le 25 mai 2005, Dieudonné résume sa pensée devant Anne-Sophie Mercier (3) en ces termes : « B-HL [Bernard-Henri Lévy] a mis au point une industrie de la souffrance, pour faire un max de fric. Plus ils en ont, plus ils en veulent. » La tonalité conspirationniste est évidente. Quand à l’identité des « ils », il ne faut pas être grand clerc pour la deviner.

Le 18 novembre 2005, interviewé par le journal en ligne Toubab, Dieudonné revient sur l’affaire du CNC. Le Centre national de la cinématographie, dit-il, « a été pris en otage par un groupe d’hommes et de femmes mal intentionnés qui ont financé pas moins de 200 films sur la mémoire juive et aucun sur la traite négrière, ceci avec l’agent public ». Il a donc, dit-il, « interpellé les pouvoirs publics sur ce fait ». À ce point de l’interview apparaît un élément longtemps implicite, bien qu’à l’évidence – si l’on en juge par le contenu du site internet de soutien à Dieudonné – il ait circulé très tôt en interne.

Le directeur du CNC, à l’époque des événements qui ont tant marqué Dieudonné, se nommait David Kessler. Ce haut fonctionnaire, aujourd’hui directeur de France Culture, a plusieurs cordes à son arc : énarque, il est aussi normalien (reçu premier à l’agrégation de philosophie), et il a revendiqué un engagement à gauche. Mais c’est un autre aspect de sa personnalité qui attire l’attention de Dieudonné. Reprenons la lecture de l’interview : « Comment se fait-il que d’un côté on aide le devoir de mémoire légitime concernant ce drame absolu qu’a été l’holocauste ; et de l’autre côté on nie et on fait obstruction, comme ce fut le cas de M. Kessner [sic] qui devrait forcément être intéressé personnellement, étant juif lui-même. Je crois qu’actuellement il existe un problème de repli communautaire grave. Les gens privilégient l’intérêt de leur communauté à celui de la République, notamment des gens qui ont à charge de gérer les fonds publics. Je trouve cela grave et de nature à faire élever le sentiment d’antisémitisme dans ce pays. »

Voilà. Le mot est lâché. À l’extrême droite on n’ose plus le dire, mais Dieudonné s’en est chargé. Le problème, c’est le Juif Kessler. Lui et ses « neuf sionistes » ont « pris en otage » le cinéma français. Ils financent « 150 » ou « 200 » films (on ne sait plus très bien) sur la mémoire juive, et ont déclaré une guerre culturelle « au monde noir ». Ils sont les agents de « ce réseau ultra sioniste insupportable qui refuse l’accès simplement au devoir de mémoire des autres concitoyens, avec cette unicité de la souffrance obtenue de manière obscène ». Derrière eux se profile l’ombre du grand complot que trament « les autorités sionistes ». Car, bien sûr, ce n’est pas de mémoire qu’il s’agit mais de pouvoir et d’argent. « Plus ils en ont, plus ils en veulent. »

Notes :
1. Nous utilisons ici le texte, qualifié de « script précis et vérifié », mis en ligne sur internet le 21 décembre par le site « SoutienDieudo ».
2. Anne-Sophie Mercier, La vérité sur Dieudonné, page 145. L’avocat de Dieudonné, qui a vainement demandé à la justice la suppression de plusieurs passages du livre d’Anne-Sophie Mercier, n’a rien objecté à ce passage-ci, ni à la citation suivante.
3. La vérité sur Dieudonné, page 32.

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