Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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L'agression de Paul Pelosi par un complotiste fait elle-même l'objet d'une théorie du complot

Publié par Théo Laubry05 novembre 2022, ,

La diversion complotiste semble avoir pour objectif de masquer le caractère politique de cette affaire à quelques jours des élections de mi-mandat.

Tucker Carlson commentant l'agression de Paul Pelosi (capture d'écran YouTube, 01/11/2022).

Vendredi dernier, en pleine nuit, Paul Pelosi a été violemment attaqué à son domicile de San Francisco. Paul Pelosi est le mari de Nancy Pelosi, la Démocrate qui, en tant que présidente de la Chambre des Représentants des États-Unis, est la troisième figure de l’État fédéral. Elle était ce soir-là en déplacement à Washington D.C.

Âgé de 82 ans, Paul Pelosi a reçu plusieurs coups de marteaux à la tête et sur les membres avant d’être secouru par les forces de l’ordre qu’il avait pu joindre quelques minutes plus tôt. Transporté dans la foulée à l’hôpital général de San Francisco pour subir une opération du crâne en urgence, Paul Pelosi a échappé de peu à la mort.

La nouvelle a très vite soulevé un vent d’indignation dans la classe politique américaine, notamment dans les rangs du Parti démocrate dont les membres sont très régulièrement menacés de mort de la part d'activistes d'extrême droite et de complotistes.

L’agresseur de Pelosi, David DePape, possède en effet la panoplie complète du petit complotiste américain radicalisé. Adepte de la thèse trumpienne d'un vol de l’élection présidentielle de 2020 par les Démocrates, il animait un blog qui proposait des contenus antisémites, négationnistes et QAnon. De quoi embarrasser la complosphère et ses soutiens qui, pour détourner l’attention, ont très vite inondé Internet d’un contre-récit peut-être efficace mais mensonger.

Une dispute entre amants : la fiction complotiste

Dès l’annonce de l’attaque et la publication des premières informations sur le profil du suspect, une histoire alternative visant à nuire au couple Pelosi et à dédouaner les promoteurs de haine et de fausses informations s’est répandue sur les réseaux sociaux comme une traînée de poudre. Si l’agression n’est pas niée dans la plupart des cas, elle est reléguée à une simple dispute nocturne entre Paul Pelosi et son agresseur. Selon cette fable, le mari de Nancy Pelosi serait en réalité homosexuel et aurait eu recours ce soir-là à une prestation sexuelle tarifée avec David DePape avant que les choses dégénèrent. C'est par exemple ce qui a été affirmé par Dinesh D'Souza, un trumpiste venu du néo-conservatisme qui a réalisé un film complotiste sur l'élection présidentielle américaine de 2020 (« 2000 Mules »)... et cumule 2,6 millions d'abonnés sur Twitter.


Comme le résume le groupe Media Matters for America, cette thèse est un nouveau prétexte pour dépeindre les élites du Parti démocrate comme des dépravés moraux ennemis des valeurs chrétiennes : « Il a fallu environ 48 heures à l'écosystème médiatique conservateur pour transformer l'histoire d'un homme qui a commis des actes de violence politique parce qu'il était inspiré par des théories du complot sur la dépravation de la gauche, en une autre théorie du complot sur la dépravation de la gauche. »

L’objectif principal est évidemment de masquer le caractère politique de l'affaire pour éviter tout débat sur la violence des partisans de l’Alt-Right à quelques jours des midterms, les élections de mi-mandat. Ramener toute l'histoire de cette agression à une stricte affaire privée permet aussi de dénoncer le « parti-pris » des médias mainstream, de souder le camp républicain et d'exonérer de leurs responsabilités les influenceurs conspirationnistes de la droite radicale américaine.

Les raisons d’un succès

La théorie du complot sur Paul Pelosi s’est appuyée sur plusieurs informations erronées ou détournées qui ont émergé dans les heures qui ont suivi l’annonce de son agression, comme c’est souvent le cas lors d’évènements ayant une forte portée médiatique. Par exemple, l'époux de Nancy Pelosi aurait soi-disant confié à la police que son agresseur était un ami nommé David. Un document audio de l'opérateur du numéro d'appel d'urgence qui a fuité peu de temps après l’évènement peut le laisser penser. Or, le détail de l’appel publié après coup jette une toute autre lumière sur les faits : Pelosi a dit qu'il avait un problème et qu'il ne connaissait pas l'homme qui avait pénétré dans sa maison. C’est alors que David DePape a pris la parole et a donné son prénom, affirmant qu'il était un ami de la famille.

Autre argument brandi par les complotistes : les deux hommes auraient été retrouvés par la police vêtus d’un simple caleçon. Il s'agit là aussi d'une fausse information, le journaliste qui en est à l’origine s’étant rapidement corrigé après avoir obtenu de nouveaux éléments.

Troisième point, excipé notamment par Donald Trump en personne : il n’y aurait eu aucune trace d’effraction au domicile des Pelosi. Un argument contredit par les images de vidéo surveillance de leur maison californienne.

La diffusion à grande échelle de ce contre-récit dénué de bases factuelles a été rendue possible grâce à différents acteurs ayant une importante force de traction en ligne. Le plus célèbre d’entre eux, Elon Musk, est le nouveau patron de Twitter. Il y compte plus de 110 millions d’abonnés. Le milliardaire, dont le rapport aux faits pose régulièrement question, n’a pas manqué en effet d’apporter sa pierre à cette opération de désinformation en partageant, en réponse à un tweet d’Hillary Clinton, un article issu d’un blog complotiste – le Santa Monica Observer – et intitulé « L'horrible vérité : Paul Pelosi était à nouveau ivre et s'est disputé avec un prostitué tôt vendredi matin » (sic). Visibilité maximale assurée, à tel point que le site n’a pas pu supporter l’afflux de visiteurs après la publication du message du milliardaire – qu'il a d'ailleurs fini par effacer.

Les faits

Plusieurs éléments sur l'agression de Paul Pelosi ont d’ores et déjà été rendus public, notamment l’affidavit (une déclaration sous serment) de l'agent spécial du FBI attestant les faits qu'il a pu recueillir. Dans la nuit du 27 au 28 octobre, David DePape s’est introduit dans la maison du couple Pelosi à San Francisco en brisant une vitre à l’aide d’un marteau. Il avait l’intention de séquestrer Nancy Pelosi – qu’il considère comme « la cheffe de la meute » – et de lui « casser les rotules » si elle ne lui disait pas « toute la vérité ». Il souhaitait la voir retourner à Washington en « fauteuil roulant » afin d’envoyer un « signal aux autres élus du Congrès »...

Le sac de David DePape contenait des attaches pour les pieds et les mains, du scotch et des gants. L'agresseur s’est ensuite dirigé dans la chambre où dormait Paul Pelosi et l’a réveillé en lui disant qu’il voulait parler à sa femme. Après lui avoir répété à plusieurs reprises qu’elle n’était pas là et ne serait pas de retour avant plusieurs jours, Paul Pelosi a pu accéder à la salle de bain pour téléphoner à la police. David DePape l’a suivi au lieu de s’enfuir car « comme les Pères Fondateurs avec les Britanniques, il luttait contre la tyrannie sans possibilité d’abandon ». Les deux hommes se sont ensuite dirigés vers le rez-de-chaussée. Au même moment, la police est arrivée et a frappé à la porte. David DePape a alors violemment agressé Paul Pelosi avec son marteau. Les policiers ont pénétré dans le domicile pour maîtriser DePape et ont trouvé Pelosi allongé sur le sol, inconscient. Ce dernier a été conduit à l’hôpital pour être opéré du crâne.

Une nouvelle fois, la complosphère s’est donc illustrée par sa malhonnêteté. Une nouvelle fois, sa version des faits s'est avérée fantaisiste. Une nouvelle fois, les théories du complot ont poussé un homme, visiblement instable, à passer à l’acte. Et ce ne sera probablement pas la dernière : la violence politique ne cesse de progresser aux États-Unis.

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Tucker Carlson commentant l'agression de Paul Pelosi (capture d'écran YouTube, 01/11/2022).

Vendredi dernier, en pleine nuit, Paul Pelosi a été violemment attaqué à son domicile de San Francisco. Paul Pelosi est le mari de Nancy Pelosi, la Démocrate qui, en tant que présidente de la Chambre des Représentants des États-Unis, est la troisième figure de l’État fédéral. Elle était ce soir-là en déplacement à Washington D.C.

Âgé de 82 ans, Paul Pelosi a reçu plusieurs coups de marteaux à la tête et sur les membres avant d’être secouru par les forces de l’ordre qu’il avait pu joindre quelques minutes plus tôt. Transporté dans la foulée à l’hôpital général de San Francisco pour subir une opération du crâne en urgence, Paul Pelosi a échappé de peu à la mort.

La nouvelle a très vite soulevé un vent d’indignation dans la classe politique américaine, notamment dans les rangs du Parti démocrate dont les membres sont très régulièrement menacés de mort de la part d'activistes d'extrême droite et de complotistes.

L’agresseur de Pelosi, David DePape, possède en effet la panoplie complète du petit complotiste américain radicalisé. Adepte de la thèse trumpienne d'un vol de l’élection présidentielle de 2020 par les Démocrates, il animait un blog qui proposait des contenus antisémites, négationnistes et QAnon. De quoi embarrasser la complosphère et ses soutiens qui, pour détourner l’attention, ont très vite inondé Internet d’un contre-récit peut-être efficace mais mensonger.

Une dispute entre amants : la fiction complotiste

Dès l’annonce de l’attaque et la publication des premières informations sur le profil du suspect, une histoire alternative visant à nuire au couple Pelosi et à dédouaner les promoteurs de haine et de fausses informations s’est répandue sur les réseaux sociaux comme une traînée de poudre. Si l’agression n’est pas niée dans la plupart des cas, elle est reléguée à une simple dispute nocturne entre Paul Pelosi et son agresseur. Selon cette fable, le mari de Nancy Pelosi serait en réalité homosexuel et aurait eu recours ce soir-là à une prestation sexuelle tarifée avec David DePape avant que les choses dégénèrent. C'est par exemple ce qui a été affirmé par Dinesh D'Souza, un trumpiste venu du néo-conservatisme qui a réalisé un film complotiste sur l'élection présidentielle américaine de 2020 (« 2000 Mules »)... et cumule 2,6 millions d'abonnés sur Twitter.


Comme le résume le groupe Media Matters for America, cette thèse est un nouveau prétexte pour dépeindre les élites du Parti démocrate comme des dépravés moraux ennemis des valeurs chrétiennes : « Il a fallu environ 48 heures à l'écosystème médiatique conservateur pour transformer l'histoire d'un homme qui a commis des actes de violence politique parce qu'il était inspiré par des théories du complot sur la dépravation de la gauche, en une autre théorie du complot sur la dépravation de la gauche. »

L’objectif principal est évidemment de masquer le caractère politique de l'affaire pour éviter tout débat sur la violence des partisans de l’Alt-Right à quelques jours des midterms, les élections de mi-mandat. Ramener toute l'histoire de cette agression à une stricte affaire privée permet aussi de dénoncer le « parti-pris » des médias mainstream, de souder le camp républicain et d'exonérer de leurs responsabilités les influenceurs conspirationnistes de la droite radicale américaine.

Les raisons d’un succès

La théorie du complot sur Paul Pelosi s’est appuyée sur plusieurs informations erronées ou détournées qui ont émergé dans les heures qui ont suivi l’annonce de son agression, comme c’est souvent le cas lors d’évènements ayant une forte portée médiatique. Par exemple, l'époux de Nancy Pelosi aurait soi-disant confié à la police que son agresseur était un ami nommé David. Un document audio de l'opérateur du numéro d'appel d'urgence qui a fuité peu de temps après l’évènement peut le laisser penser. Or, le détail de l’appel publié après coup jette une toute autre lumière sur les faits : Pelosi a dit qu'il avait un problème et qu'il ne connaissait pas l'homme qui avait pénétré dans sa maison. C’est alors que David DePape a pris la parole et a donné son prénom, affirmant qu'il était un ami de la famille.

Autre argument brandi par les complotistes : les deux hommes auraient été retrouvés par la police vêtus d’un simple caleçon. Il s'agit là aussi d'une fausse information, le journaliste qui en est à l’origine s’étant rapidement corrigé après avoir obtenu de nouveaux éléments.

Troisième point, excipé notamment par Donald Trump en personne : il n’y aurait eu aucune trace d’effraction au domicile des Pelosi. Un argument contredit par les images de vidéo surveillance de leur maison californienne.

La diffusion à grande échelle de ce contre-récit dénué de bases factuelles a été rendue possible grâce à différents acteurs ayant une importante force de traction en ligne. Le plus célèbre d’entre eux, Elon Musk, est le nouveau patron de Twitter. Il y compte plus de 110 millions d’abonnés. Le milliardaire, dont le rapport aux faits pose régulièrement question, n’a pas manqué en effet d’apporter sa pierre à cette opération de désinformation en partageant, en réponse à un tweet d’Hillary Clinton, un article issu d’un blog complotiste – le Santa Monica Observer – et intitulé « L'horrible vérité : Paul Pelosi était à nouveau ivre et s'est disputé avec un prostitué tôt vendredi matin » (sic). Visibilité maximale assurée, à tel point que le site n’a pas pu supporter l’afflux de visiteurs après la publication du message du milliardaire – qu'il a d'ailleurs fini par effacer.

Les faits

Plusieurs éléments sur l'agression de Paul Pelosi ont d’ores et déjà été rendus public, notamment l’affidavit (une déclaration sous serment) de l'agent spécial du FBI attestant les faits qu'il a pu recueillir. Dans la nuit du 27 au 28 octobre, David DePape s’est introduit dans la maison du couple Pelosi à San Francisco en brisant une vitre à l’aide d’un marteau. Il avait l’intention de séquestrer Nancy Pelosi – qu’il considère comme « la cheffe de la meute » – et de lui « casser les rotules » si elle ne lui disait pas « toute la vérité ». Il souhaitait la voir retourner à Washington en « fauteuil roulant » afin d’envoyer un « signal aux autres élus du Congrès »...

Le sac de David DePape contenait des attaches pour les pieds et les mains, du scotch et des gants. L'agresseur s’est ensuite dirigé dans la chambre où dormait Paul Pelosi et l’a réveillé en lui disant qu’il voulait parler à sa femme. Après lui avoir répété à plusieurs reprises qu’elle n’était pas là et ne serait pas de retour avant plusieurs jours, Paul Pelosi a pu accéder à la salle de bain pour téléphoner à la police. David DePape l’a suivi au lieu de s’enfuir car « comme les Pères Fondateurs avec les Britanniques, il luttait contre la tyrannie sans possibilité d’abandon ». Les deux hommes se sont ensuite dirigés vers le rez-de-chaussée. Au même moment, la police est arrivée et a frappé à la porte. David DePape a alors violemment agressé Paul Pelosi avec son marteau. Les policiers ont pénétré dans le domicile pour maîtriser DePape et ont trouvé Pelosi allongé sur le sol, inconscient. Ce dernier a été conduit à l’hôpital pour être opéré du crâne.

Une nouvelle fois, la complosphère s’est donc illustrée par sa malhonnêteté. Une nouvelle fois, sa version des faits s'est avérée fantaisiste. Une nouvelle fois, les théories du complot ont poussé un homme, visiblement instable, à passer à l’acte. Et ce ne sera probablement pas la dernière : la violence politique ne cesse de progresser aux États-Unis.

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Théo Laubry
Journaliste indépendant spécialisé sur l'actualité politique américaine.
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