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L'Afrique de l'Ouest, proie du complotisme antivaccinal... et de la désinformation russe

First Draft News montre que des réseaux de désinformation pro-russes ne sont pas étrangers aux théories du complot vaccino-sceptiques qui circulent en Afrique de l'Ouest.

Source : First Draft News, juin 2021.

Moins de 2% : c’est le pourcentage de la population à avoir été vaccinée sur le continent africain. Des données qui inquiètent lorsqu’on sait qu'une enquête d'opinion récente montrait que 60% des personnes interrogées au Bénin, au Liberia, au Niger, au Sénégal et au Togo déclarent être hostiles à la vaccination.

De septembre 2020 à mars 2021, le réseau international de lutte contre la désinformation First Draft News a tenté de mesurer la pénétration des théories du complot liées à la désinformation vaccinale en Afrique de l’Ouest. Le rapport publié ce jour par l'organisation cofondée par Eliot Higgins (du site Bellingcat), et soutenue par Google, souligne l’importance des réseaux de désinformation pro-russes dans la propagation de ces thèses.

En Afrique de l'Ouest, la défiance anti-vaccinale préexiste à la pandémie de Covid-19. Elle trouverait son origine dans des « siècles d’exploitation systématique exacerbée par des incidents historiques récents ». A titre d’exemple, dans les années 1990, le géant pharmaceutique Pfizer, aujourd’hui fournisseur d’un des principaux vaccins contre le Covid-19, a testé un médicament sur « 200 enfants nigérians sans leur consentement pendant une épidémie de méningite bactérienne ». Cet épisode, tout comme celui des patients séropositifs en Ouganda, seraient « restés ancrés dans la psyché collective de la région ».

Avec l’épidémie de coronavirus, certains récits anti-vaccins ont été remis au goût du jour : dangerosité pour les enfants, infertilité, remèdes naturels plus efficaces… Des affirmations parfois relayées par des responsables politiques de premier plan comme au Nigeria, où l'accès à des informations fiables et de qualité souffre du manque de moyens qui leur sont accordées.

L’influence pro-russe

Outre ce terreau propice aux fake news, le rejet des vaccins prospère aussi en Afrique de l’Ouest sous l'effet des réseaux de désinformation pro-russes. Ainsi, un article du théoricien du complot F. William Engdahl, intitulé « Le vaccin de Gates propage la polio en Afrique », publié en septembre 2020 sur le site russe New Eastern Outlook (NEO), a ensuite été reproduit et traduit par le site complotiste canadien GlobalResearch.ca, que le Global Engagement Center du Département d'État américain décrit comme « profondément imbriqué dans l'écosystème plus large de désinformation et de propagande de la Russie ».

Depuis, NEO a été identifié comme étant un site web lié directement au service de renseignement extérieur russe. La publication a quant à elle continué à être partagée par un vaste réseau de désinformation coutumier de la diffusion de récits antiscientifiques et conspirationnistes comme les sites Mondialisation.ca (la version francophone de GlobalResearch.ca) et Réseau international. Au total, 26 liens vers des versions françaises et anglaises de l’article ont été générés.

Un mode de fonctionnement loin d’être isolé. Toujours au mois de septembre 2020, le site internet 21st Century Wire cite de manière trompeuse un article de l’Associated Press et intitule sa publication « L'ONU forcée d'admettre que le vaccin financé par la Fondation Gates est à l'origine d'une épidémie de polio en Afrique ». Résultat : pas moins de 35 médias, dont d’autres sites pro-russes tels que Zero Hedge, Wikistrike et Réseau international, auront relayé cette fausse information.

Source : First Draft News, juin 2021.

Cette influence russe s'accompagne de l’intégration du récit anti-vaccin dans des mythes plus englobants, issus de la sous-culture complotiste contemporaine mondialisée, tels que le « Great Reset », le « Nouvel Ordre Mondial » ou encore « QAnon ».

« Spree-Posting »

L’écosystème informationnel ouest-africain, déjà teinté d’un fort vaccino-scepticisme, est complètement pollué par ces théories du complot. L’audience grandissante de ces dernières est d’ailleurs due à « l’utilisation de techniques d’amplification sophistiquées ».

Parmi elles, le Spree-Posting, qui consiste en la diffusion d’un message ou d’un lien à plusieurs comptes Facebook dans un laps de temps extrêmement court ; le Coordinated link sharing, c’est-à-dire le partage de liens URL par plusieurs comptes de manière simultanée ; le Coordinated copypasta, soit l'amplification d’un message via le copier/coller avec incitation des autres utilisateurs à faire de même ; ou encore le Repeated rehashing qui n’est rien d’autre que le matraquage régulier d’un contenu faux afin de l’adapter à de nouveaux contextes.

Comment lutter contre ces réseaux de désinformation ? Le rapport souligne le manque de cohérence des « efforts de vérification des faits » de la part des plateformes sociales ainsi que la nécessité de « diffuser des messages pro-actifs conçus spécifiquement pour contrer ces idées ». Il met surtout l’accent sur l'importance de restaurer la confiance des populations envers les institutions pourvoyeuses de vaccins.

First Draft News plaide ainsi pour que Facebook et les réseaux sociaux collaborent davantage avec les journalistes et les chercheurs pour leur fournir un meilleur accès aux données et permettre ainsi une identification et une étude plus approfondies des fausses informations en matière de vaccination.

 

Voir aussi :

Un réseau de trolls russes démantelé au Ghana et au Nigeria

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Source : First Draft News, juin 2021.

Moins de 2% : c’est le pourcentage de la population à avoir été vaccinée sur le continent africain. Des données qui inquiètent lorsqu’on sait qu'une enquête d'opinion récente montrait que 60% des personnes interrogées au Bénin, au Liberia, au Niger, au Sénégal et au Togo déclarent être hostiles à la vaccination.

De septembre 2020 à mars 2021, le réseau international de lutte contre la désinformation First Draft News a tenté de mesurer la pénétration des théories du complot liées à la désinformation vaccinale en Afrique de l’Ouest. Le rapport publié ce jour par l'organisation cofondée par Eliot Higgins (du site Bellingcat), et soutenue par Google, souligne l’importance des réseaux de désinformation pro-russes dans la propagation de ces thèses.

En Afrique de l'Ouest, la défiance anti-vaccinale préexiste à la pandémie de Covid-19. Elle trouverait son origine dans des « siècles d’exploitation systématique exacerbée par des incidents historiques récents ». A titre d’exemple, dans les années 1990, le géant pharmaceutique Pfizer, aujourd’hui fournisseur d’un des principaux vaccins contre le Covid-19, a testé un médicament sur « 200 enfants nigérians sans leur consentement pendant une épidémie de méningite bactérienne ». Cet épisode, tout comme celui des patients séropositifs en Ouganda, seraient « restés ancrés dans la psyché collective de la région ».

Avec l’épidémie de coronavirus, certains récits anti-vaccins ont été remis au goût du jour : dangerosité pour les enfants, infertilité, remèdes naturels plus efficaces… Des affirmations parfois relayées par des responsables politiques de premier plan comme au Nigeria, où l'accès à des informations fiables et de qualité souffre du manque de moyens qui leur sont accordées.

L’influence pro-russe

Outre ce terreau propice aux fake news, le rejet des vaccins prospère aussi en Afrique de l’Ouest sous l'effet des réseaux de désinformation pro-russes. Ainsi, un article du théoricien du complot F. William Engdahl, intitulé « Le vaccin de Gates propage la polio en Afrique », publié en septembre 2020 sur le site russe New Eastern Outlook (NEO), a ensuite été reproduit et traduit par le site complotiste canadien GlobalResearch.ca, que le Global Engagement Center du Département d'État américain décrit comme « profondément imbriqué dans l'écosystème plus large de désinformation et de propagande de la Russie ».

Depuis, NEO a été identifié comme étant un site web lié directement au service de renseignement extérieur russe. La publication a quant à elle continué à être partagée par un vaste réseau de désinformation coutumier de la diffusion de récits antiscientifiques et conspirationnistes comme les sites Mondialisation.ca (la version francophone de GlobalResearch.ca) et Réseau international. Au total, 26 liens vers des versions françaises et anglaises de l’article ont été générés.

Un mode de fonctionnement loin d’être isolé. Toujours au mois de septembre 2020, le site internet 21st Century Wire cite de manière trompeuse un article de l’Associated Press et intitule sa publication « L'ONU forcée d'admettre que le vaccin financé par la Fondation Gates est à l'origine d'une épidémie de polio en Afrique ». Résultat : pas moins de 35 médias, dont d’autres sites pro-russes tels que Zero Hedge, Wikistrike et Réseau international, auront relayé cette fausse information.

Source : First Draft News, juin 2021.

Cette influence russe s'accompagne de l’intégration du récit anti-vaccin dans des mythes plus englobants, issus de la sous-culture complotiste contemporaine mondialisée, tels que le « Great Reset », le « Nouvel Ordre Mondial » ou encore « QAnon ».

« Spree-Posting »

L’écosystème informationnel ouest-africain, déjà teinté d’un fort vaccino-scepticisme, est complètement pollué par ces théories du complot. L’audience grandissante de ces dernières est d’ailleurs due à « l’utilisation de techniques d’amplification sophistiquées ».

Parmi elles, le Spree-Posting, qui consiste en la diffusion d’un message ou d’un lien à plusieurs comptes Facebook dans un laps de temps extrêmement court ; le Coordinated link sharing, c’est-à-dire le partage de liens URL par plusieurs comptes de manière simultanée ; le Coordinated copypasta, soit l'amplification d’un message via le copier/coller avec incitation des autres utilisateurs à faire de même ; ou encore le Repeated rehashing qui n’est rien d’autre que le matraquage régulier d’un contenu faux afin de l’adapter à de nouveaux contextes.

Comment lutter contre ces réseaux de désinformation ? Le rapport souligne le manque de cohérence des « efforts de vérification des faits » de la part des plateformes sociales ainsi que la nécessité de « diffuser des messages pro-actifs conçus spécifiquement pour contrer ces idées ». Il met surtout l’accent sur l'importance de restaurer la confiance des populations envers les institutions pourvoyeuses de vaccins.

First Draft News plaide ainsi pour que Facebook et les réseaux sociaux collaborent davantage avec les journalistes et les chercheurs pour leur fournir un meilleur accès aux données et permettre ainsi une identification et une étude plus approfondies des fausses informations en matière de vaccination.

 

Voir aussi :

Un réseau de trolls russes démantelé au Ghana et au Nigeria

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