Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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La défaite des complotistes

Publié par Rudy Reichstadt08 novembre 2020

La victoire de Joe Biden à l'élection présidentielle américaine signe à maints égards une déroute des complotistes.

Capture d'écran Fox News (07/11/2020).

Au fond, et si l'on en doutait encore, Donald Trump n'était pas, n’a jamais été, un démocrate. Celui qui présida pendant quatre ans aux destinées de la plus vieille démocratie du monde était fondamentalement étranger à la démocratie, à son esprit, à sa culture. Son attitude lors de ses deux campagnes présidentielles de 2016 et de 2020 et au cours de toute la durée de son mandat a montré que si les États-Unis sont restés une démocratie, c'est en dépit de Trump et d’abord grâce à la solidité de leurs institutions, de leurs contre-pouvoirs et de l'attachement d'une majorité des citoyens américains aux valeurs libérales.

Dans la séquence électorale qui s'est ouverte le 3 novembre et s'est refermée quatre jours plus tard après l'annonce des résultats en Pennsylvanie, le temps aura fini par jouer contre le complotisme. À mesure que le temps s'écoule, que s'enchaînent les événements et que s'accumulent les arguments démentant la dangereuse faribole d’un « vol » de l’élection par le camp démocrate, la théorie du complot est en effet contrainte de s'ajuster. C'est-à-dire d'enfler comme un ballon de baudruche menacé d'éclatement à force d'être gonflé encore et encore.

Comment expliquer que les Démocrates, qui peuvent raisonnablement compter sur des millions de voix d'avance (Hillary Clinton en avait près de 3 millions de plus que Trump en 2016), prendraient le risque de se lancer dans des opérations de fraude organisée à grande échelle ? Comment s'y seraient-ils pris sans que cela ne se voie sachant que ce sont, dans tout le pays, les autorités locales et en aucun cas le Parti démocrate qui organisent les élections ?

Surtout, comment expliquer que la très conservatrice Fox News, la chaîne favorite de Donald Trump, ait rejoint ses concurrentes CNN, ABC, NBC et CBS en annonçant à son tour, samedi 7 novembre, la victoire de Joe Biden ?

Si vous n’avez jamais accordé le moindre crédit aux gesticulations des trumpistes, rien de plus facile : exactement comme elle se contente d’estimer que la Terre est ronde, Fox News s'est contentée d’admettre que Biden avait inexorablement remporté la majorité des grands électeurs du pays, lui ouvrant tout droit le chemin vers la Maison Blanche.

Mais si vous vous êtes laissé intoxiquer par Donald Trump et le dernier carré de ses partisans les plus radicalisés, vous voilà face à une dissonance cognitive qui ne vous laisse, pour la surmonter, que le choix entre deux options :

  • reconnaître que Trump a bel et bien perdu le scrutin et que ses tweets protestant du contraire ne sont qu’une tentative pathétique de sauver la face au risque de diviser encore un peu plus le pays ;
  • persister dans le déni en élargissant les dimensions de cette prétendue conspiration financiaro-politico-médiatique anti-Trump à laquelle souscrivent les trumpistes en y intégrant, en plus de George Soros, CNN, Associated Press, Facebook, Twitter et les chancelleries de la plupart des pays du monde – parmi lesquels de proches alliés des États-Unis –, la chaîne Fox News ainsi que tous les responsables du Parti républicain qui ont reconnu la victoire de Biden et refusent de suivre Trump dans sa surenchère dénégatrice – comme l’ancien candidat républicain à l’élection de 2012 Mitt Romney.

Le complotisme, où va se réfugier toute la mauvaise foi de Donald Trump, est pour ses plus chauds partisans un moyen de se mettre à l'abri de la réalité et de prolonger quelques heures, quelques jours encore peut-être, l'illusion que, quelque part, dans ce monde imaginaire décrit par des sites comme InfoWars, Breitbart News ou Zero Hedge, tout n'est pas encore perdu.

Dans le monde réel, la victoire du ticket Joe Biden-Kamala Harris signe pourtant à maints égards une déroute des complotistes.

C’est d’abord la défaite du complotiste en chef, Donald Trump, qui a popularisé cet imaginaire comme sans doute jamais aucun de ses prédécesseurs dans l’histoire de la république américaine. Cela était-il inévitable ? On pouvait conjecturer, il y a quatre ans, que le recours de Trump aux fake news et aux théories du complot n’était qu’une stratégie de conquête électorale, que l’exercice du pouvoir assagirait le tumultueux milliardaire new-yorkais. Était-il écrit qu'il passerait quatre années à chauffer à blanc ses partisans, dénonçant dès son arrivée à la Maison Blanche les manœuvres cryptiques d’un introuvable « État profond » ?

Donald Trump a fait le choix, dès le départ, d’hystériser en permanence le débat démocratique dans son pays, creusant le fossé entre deux Amériques, n’hésitant jamais à travestir les réalités qui fâchent, choisissant consciemment de piétiner les faits qui lui déplaisaient.

La défaite de Trump est évidemment une défaite de ses partisans mais, tout particulièrement parmi eux, de ceux qui comptaient sur leur champion pour révéler « enfin », aux Américains et au monde, la « vérité » sur un certain nombre de dossiers que la mythologie conspirationniste s’emploie à considérer comme toujours non réglés : l’incident de Roswell, l’assassinat de Kennedy, les attentats du 11-Septembre, les « réseaux pédocriminels satanistes de l’élite mondialiste »… On ne peut mesurer la déception de certains inconditionnels de Trump si l’on ne prend pas en compte l’espoir qu’ils plaçaient dans sa présidence. Il va bien leur falloir soit accepter qu’il n’y a pas de vérité cachée sur ces fameux dossiers – en tous cas aucune qui justifie qu'on les reconsidère d'une manière très différente de celle d'aujourd'hui –, soit trouver une explication à peu près rationnelle au fait que le président Trump, bien que détenant des pouvoirs extraordinairement étendus, n’a, sur aucun de ces fameux « complots », été à l'origine de la moindre révélation.

L’accession au pouvoir de Donald Trump avait déjà donné tort à tous ceux qui expliquaient que le « Système » était à ce point verrouillé qu’un populiste antimondialiste comme lui ne pourrait jamais être élu. Malgré la supériorité de sa rivale démocrate en nombre de suffrages, Trump a été, en 2016, élu à la régulière. Il a gouverné pendant quatre ans et les Américains ont décidé ces derniers jours de ne pas le reconduire à la tête des États-Unis. Souverainement.

Souverainement, il faut le souligner. Car la séquence qui se referme aujourd’hui avec la défaite de Donald Trump coïncide avec un autre moment de vérité. Elle révèle l’hypocrisie spectaculaire de tous ceux qui, n’ayant que les mots de « souveraineté du peuple » aux lèvres, versent dans le complotisme lorsque le peuple souverain fait un choix qui n'a pas l'heur de leur plaire.

Ainsi de Nicolas Dupont-Aignan qui dénonça, samedi, un « totalitarisme » orwellien et les manipulations des « médias du Système », des sondeurs et des grandes sociétés de réseaux sociaux.

« La fraude est tout bonnement incroyable ! » tweetait il y a quelques jours Florian Philippot, l’ancien numéro deux du Front national. « Une véritable élection parallèle est montée de toutes pièces, c’est fou ! » ajoutait-il.

Le président Roosevelt avait eu cette formule un jour de 1939 à la radio : « La répétition ne transforme pas un mensonge en vérité. »

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Capture d'écran Fox News (07/11/2020).

Au fond, et si l'on en doutait encore, Donald Trump n'était pas, n’a jamais été, un démocrate. Celui qui présida pendant quatre ans aux destinées de la plus vieille démocratie du monde était fondamentalement étranger à la démocratie, à son esprit, à sa culture. Son attitude lors de ses deux campagnes présidentielles de 2016 et de 2020 et au cours de toute la durée de son mandat a montré que si les États-Unis sont restés une démocratie, c'est en dépit de Trump et d’abord grâce à la solidité de leurs institutions, de leurs contre-pouvoirs et de l'attachement d'une majorité des citoyens américains aux valeurs libérales.

Dans la séquence électorale qui s'est ouverte le 3 novembre et s'est refermée quatre jours plus tard après l'annonce des résultats en Pennsylvanie, le temps aura fini par jouer contre le complotisme. À mesure que le temps s'écoule, que s'enchaînent les événements et que s'accumulent les arguments démentant la dangereuse faribole d’un « vol » de l’élection par le camp démocrate, la théorie du complot est en effet contrainte de s'ajuster. C'est-à-dire d'enfler comme un ballon de baudruche menacé d'éclatement à force d'être gonflé encore et encore.

Comment expliquer que les Démocrates, qui peuvent raisonnablement compter sur des millions de voix d'avance (Hillary Clinton en avait près de 3 millions de plus que Trump en 2016), prendraient le risque de se lancer dans des opérations de fraude organisée à grande échelle ? Comment s'y seraient-ils pris sans que cela ne se voie sachant que ce sont, dans tout le pays, les autorités locales et en aucun cas le Parti démocrate qui organisent les élections ?

Surtout, comment expliquer que la très conservatrice Fox News, la chaîne favorite de Donald Trump, ait rejoint ses concurrentes CNN, ABC, NBC et CBS en annonçant à son tour, samedi 7 novembre, la victoire de Joe Biden ?

Si vous n’avez jamais accordé le moindre crédit aux gesticulations des trumpistes, rien de plus facile : exactement comme elle se contente d’estimer que la Terre est ronde, Fox News s'est contentée d’admettre que Biden avait inexorablement remporté la majorité des grands électeurs du pays, lui ouvrant tout droit le chemin vers la Maison Blanche.

Mais si vous vous êtes laissé intoxiquer par Donald Trump et le dernier carré de ses partisans les plus radicalisés, vous voilà face à une dissonance cognitive qui ne vous laisse, pour la surmonter, que le choix entre deux options :

  • reconnaître que Trump a bel et bien perdu le scrutin et que ses tweets protestant du contraire ne sont qu’une tentative pathétique de sauver la face au risque de diviser encore un peu plus le pays ;
  • persister dans le déni en élargissant les dimensions de cette prétendue conspiration financiaro-politico-médiatique anti-Trump à laquelle souscrivent les trumpistes en y intégrant, en plus de George Soros, CNN, Associated Press, Facebook, Twitter et les chancelleries de la plupart des pays du monde – parmi lesquels de proches alliés des États-Unis –, la chaîne Fox News ainsi que tous les responsables du Parti républicain qui ont reconnu la victoire de Biden et refusent de suivre Trump dans sa surenchère dénégatrice – comme l’ancien candidat républicain à l’élection de 2012 Mitt Romney.

Le complotisme, où va se réfugier toute la mauvaise foi de Donald Trump, est pour ses plus chauds partisans un moyen de se mettre à l'abri de la réalité et de prolonger quelques heures, quelques jours encore peut-être, l'illusion que, quelque part, dans ce monde imaginaire décrit par des sites comme InfoWars, Breitbart News ou Zero Hedge, tout n'est pas encore perdu.

Dans le monde réel, la victoire du ticket Joe Biden-Kamala Harris signe pourtant à maints égards une déroute des complotistes.

C’est d’abord la défaite du complotiste en chef, Donald Trump, qui a popularisé cet imaginaire comme sans doute jamais aucun de ses prédécesseurs dans l’histoire de la république américaine. Cela était-il inévitable ? On pouvait conjecturer, il y a quatre ans, que le recours de Trump aux fake news et aux théories du complot n’était qu’une stratégie de conquête électorale, que l’exercice du pouvoir assagirait le tumultueux milliardaire new-yorkais. Était-il écrit qu'il passerait quatre années à chauffer à blanc ses partisans, dénonçant dès son arrivée à la Maison Blanche les manœuvres cryptiques d’un introuvable « État profond » ?

Donald Trump a fait le choix, dès le départ, d’hystériser en permanence le débat démocratique dans son pays, creusant le fossé entre deux Amériques, n’hésitant jamais à travestir les réalités qui fâchent, choisissant consciemment de piétiner les faits qui lui déplaisaient.

La défaite de Trump est évidemment une défaite de ses partisans mais, tout particulièrement parmi eux, de ceux qui comptaient sur leur champion pour révéler « enfin », aux Américains et au monde, la « vérité » sur un certain nombre de dossiers que la mythologie conspirationniste s’emploie à considérer comme toujours non réglés : l’incident de Roswell, l’assassinat de Kennedy, les attentats du 11-Septembre, les « réseaux pédocriminels satanistes de l’élite mondialiste »… On ne peut mesurer la déception de certains inconditionnels de Trump si l’on ne prend pas en compte l’espoir qu’ils plaçaient dans sa présidence. Il va bien leur falloir soit accepter qu’il n’y a pas de vérité cachée sur ces fameux dossiers – en tous cas aucune qui justifie qu'on les reconsidère d'une manière très différente de celle d'aujourd'hui –, soit trouver une explication à peu près rationnelle au fait que le président Trump, bien que détenant des pouvoirs extraordinairement étendus, n’a, sur aucun de ces fameux « complots », été à l'origine de la moindre révélation.

L’accession au pouvoir de Donald Trump avait déjà donné tort à tous ceux qui expliquaient que le « Système » était à ce point verrouillé qu’un populiste antimondialiste comme lui ne pourrait jamais être élu. Malgré la supériorité de sa rivale démocrate en nombre de suffrages, Trump a été, en 2016, élu à la régulière. Il a gouverné pendant quatre ans et les Américains ont décidé ces derniers jours de ne pas le reconduire à la tête des États-Unis. Souverainement.

Souverainement, il faut le souligner. Car la séquence qui se referme aujourd’hui avec la défaite de Donald Trump coïncide avec un autre moment de vérité. Elle révèle l’hypocrisie spectaculaire de tous ceux qui, n’ayant que les mots de « souveraineté du peuple » aux lèvres, versent dans le complotisme lorsque le peuple souverain fait un choix qui n'a pas l'heur de leur plaire.

Ainsi de Nicolas Dupont-Aignan qui dénonça, samedi, un « totalitarisme » orwellien et les manipulations des « médias du Système », des sondeurs et des grandes sociétés de réseaux sociaux.

« La fraude est tout bonnement incroyable ! » tweetait il y a quelques jours Florian Philippot, l’ancien numéro deux du Front national. « Une véritable élection parallèle est montée de toutes pièces, c’est fou ! » ajoutait-il.

Le président Roosevelt avait eu cette formule un jour de 1939 à la radio : « La répétition ne transforme pas un mensonge en vérité. »

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à propos de l'auteur
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Rudy Reichstadt
Directeur de Conspiracy Watch, Rudy Reichstadt est expert associé à la Fondation Jean-Jaurès et chroniqueur pour l'hebdomadaire Franc-Tireur. Co-auteur du film documentaire « Complotisme : les alibis de la terreur », il a publié chez Grasset L'Opium des imbéciles. Essai sur la question complotiste (2019) et Au cœur du complot (2023) et a co-dirigé Histoire politique de l'antisémitisme en France. De 1967 à nos jours, chez Robert Laffont (2024). Il a également participé à l'élaboration du rapport « Les Lumières à l’ère numérique » dans le cadre de la commission Bronner (2022). Depuis 2021, il co-anime le podcast « Complorama » sur France Info.
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