Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
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Complotisme, antisémitisme, antimaçonnisme... : dans la tête des Gilets jaunes constituants du 91

Publié par La Rédaction14 juin 2019

Depuis leur apparition il y a six mois, ils ont posté plus de vidéos de leurs actions qu'il ne s'est écoulé de jours. Qui sont les Gilets jaunes du 91 ? Que veulent-ils ?

Wilson Pinto et ses amis devant le siège de la banque JP Morgan, Place Vendôme à Paris (capture d'écran YouTube / GiletsJaunes Constituants, 15 janvier 2019).

Ils manifestent devant les entrées de grands médias nationaux comme Europe 1, Radio France, BFM TV ou France Télévisions. Ils pourfendent la « dictature de l’oligarchie » devant les sièges de la banque Rothschild, JP Morgan, Lazard, Goldman Sachs, le Conseil constitutionnel, l’Assemblée nationale ou le Ministère de l’Education Nationale… Depuis la mi-décembre 2018, une dizaine de Gilets jaunes « constituants » (référence explicite à Etienne Chouard) enchaînent les actions coup de poing. Leurs faits d'armes sont systématiquement filmés, retransmis en direct sur Facebook puis postés sur leur chaîne YouTube.

Devant la Bank of America, ils demandent à parler à Bernard Mourad, le directeur du siège parisien ; à Sud Radio, c’est avec Yves de Kerdrel qu’ils désirent s’entretenir. A RTL, ils en veulent à Patrick Cohen, qui n’y travaille pourtant plus depuis plus de onze ans... Le but de cette « guerre psychologique » ? La démission d’Emmanuel Macron et son remplacement par un gouvernement de transition qui sera chargé de faire entrer en vigueur une nouvelle Constitution écrite directement par les citoyens. Mais dans leurs vidéos qui cumulent sur YouTube près d’un million de vues, Wilson, Michka, Thibault, Seb, Karim et les autres « GJ 91 » (91 pour le département de l’Essonne) accumulent fausses informations et théories du complot.

Ainsi le 22 janvier dernier : lors d’une manifestation devant le siège parisien de la Goldman Sachs, ils évoquent une citation qu'ils attribuent à Mayer Amschel Rothschild, fondateur de la dynastie banquière du même nom (« Laissez-moi le pouvoir de créer la monnaie, je me fous de ceux qui font les lois »). La citation est en fait apocryphe : apparue plus d’un siècle après la mort de Mayer Amschel Rothschild, elle n'a, comme le montre l'enquête que nous avons menée, jamais été prononcée ou écrite par aucun membre de la famille Rothschild :

Même si la plupart d’entre eux sont masqués lors de ces actions, une poignée n’a aucune réticence à se montrer à visage découvert. C’est le cas d’un dénommé Wilson Pinto, de loin le membre le plus actif du groupe. Ce quadragénaire converti à l'islam sous le nom de « Wilson Ahmed al Barisi » répond sur les réseaux sociaux au pseudonyme de « Sirius Galactica ». Ancien compagnon de route de la Dissidence française (voir ici et ), un groupuscule néo-fasciste fondé par Vincent Vauclin, Wilson Pinto est surtout le fondateur de « la Citadelle », « un mouvement dissident d’émancipation par la foi monothéiste » désigné ainsi en référence à un recueil d'invocations coraniques intitulé La Citadelle du musulman.

Luttant « contre le monde moderne incarné par une élite mondialiste et oligarchique, voulant mettre en esclavage l’humanité », le mouvement – dont le site, lacitadelle.org, était actif jusqu’en 2017 – « ne reconnaît pas le système républicain en vigueur en France » et appelle « au boycott des élections pour toutes investitures » qu’il considère « illégitimes vis-à-vis de (ses) principes et vis-à-vis du peuple ». Il ne reconnaît pas davantage l’Union européenne ou l’ONU, et condamne le « sionisme », « l’impérialisme Nord-Américain » ainsi que l'OTAN, qualifiée d’« organisation criminelle ».

Manifestation pour la liberté d'expression au Trocadéro (Paris, 7 mars 2015). A droite, Wilson Pinto tenant la pancarte "La Citadelle".

Sur le site de « la Citadelle », Pinto et ses amis proclament : « Nous cherchons à nous prémunir des illusions du monde moderne à travers des solutions alternatives et nous pensons que seule une sortie du monde libéral libertaire permettra au peuple de s’émanciper de l’esclavagisme installé par l’oligarchie mondialiste d’essence sioniste ». Outre les biographies – très orientées – de George Soros et de la famille Rothschild que propose la plateforme, on peut également y trouver des articles anti-vaccins et d’autres signés par le théoricien du complot Thierry Meyssan.

« Nouvel Ordre Mondial », loges maçonniques, lobbies pharmaceutiques, déviances sexuelles : tout y passe. Lacitadelle.org recommande à ses lecteurs des sites complotistes comme Réseau Voltaire, Le Cercle des Volontaires ou encore Panamza. Et entre deux tribunes de soutien à Farida Belghoul, la passionaria des Journées de Retrait de l’Ecole (JRE), Wilson Pinto se targue d’être proche de « la dissidence de Vincent Vauclin ou d’Alain Soral » et invite « le mouvement du 14-juillet, les gens d’E&R [Egalité & Réconciliation], les gens de gauche, de droite » à se joindre à lui pour « lutter contre l’Empire ».

Pinto dispose aussi d’une chaîne YouTube. Dans une vidéo datée du 2 mai 2017 et titrée « Notre position concernant les élections », il explique que « les deux candidats les plus proches des valeurs de la Citadelle sont Jacques Cheminade d’une part mais surtout François Asselineau » avant d’ajouter quelques minutes plus tard :

« Bernard-Henry Lévy, Jacques Attali, Ruth Elkrief… Tout ça, ce sont des agents au service d’une cause, une cause qui est très claire. Une idéologie marquée par le mondialisme, par le chaos contrôlé, tout ça pour un projet final. Et là, quelles que soient les critiques que je recevrai, ce n’est pas grave, parce que c’est ce qu’on pense fortement à la Citadelle, [nous  sommes] contre une oligarchie qui souhaiterait créer un gouvernement mondial à partir de Jérusalem pour créer le Grand Israël. C’est une réalité, ce n’est pas du complotisme. »

Si, c’est du complotisme.

Fan de Dieudonné M'Bala M'Bala, Wilson Pinto reprend à son compte nombres de ses mimiques et expressions qu’il personnalise au gré de ses humeurs : « Au-dessus c’est le soleil » devient ainsi « plus haut c’est le soleil ». En 2014, exerçant comme éducateur, il envisage d'emmener, à leur demande, les jeunes dont il a la charge au théâtre de la Main d’Or, où le polémiste déjà condamné pour antisémitisme occupe la scène plusieurs fois par semaine (il en sera expulsé en 2018). Il explique que la direction de l'association de prévention spécialisée pour laquelle il travaillait a finalement annulé la sortie. Se revendiquant « antisioniste », Pinto a assimilé tous les codes du discours crypto-antisémite évoquant par exemple dans une vidéo intitulée « Je ne suis pas Charlie », postée en 2015, la fameuse « communauté organisée » – allusion codée à la communauté juive.

Retour au présent. En plus de ses vidéos avec les « GJ 91 », l’ancien éducateur se remet à l’exercice filmé en solitaire et livre assez régulièrement des Facebook Live à sa communauté forte de quelque 3600 abonnés.

Dans un direct daté du 27 février 2019, il recommande à ses spectateurs le livre La Controverse de Sion de Douglas Reed, auteur antisémite britannique édité par Kontre-Kulture, la société d’édition d’Alain Soral. Wilson Pinto qualifie l’ouvrage de « bombe atomique », ajoutant :

« Entendons-nous bien les amis, quand on parle de Sion, on parle du sionisme, du talmudisme, rien d’autre [sic] ; on ne parle pas de religions ! On parle d’une idéologie mortifère et élitiste. C’est cette élite qui est à l’origine de la franc-maçonnerie ».

Dans ce même live qui cumule tout de même les 7000 vues avec plus de 1600 commentaires et 135 partages, Wilson Pinto s’exprime également au sujet d’Emmanuel Macron et du « pouvoir profond » :

« Notre ennemi c’est le pouvoir profond, c’est une trentaine de personnes qui gèrent dans l’ombre […] on voit tous qu’il y a quelque chose qui tient Macron, qui est au-dessus de lui. Macron est assujetti aux banques, à l’Union Européenne […], y’a clairement un pouvoir au-dessus de lui : les technocrates, les banques, les francs-maçons mais ça on en parlera plus tard… Macron, c’est un pantin ».

Puis « les francs-maçons […] sont pour la théorie du genre, pour l’homoparentalité, pour le mariage pour tous, c’est eux qui sont à l’origine de toutes ces soi-disant avancées sociales qui sont en fait des régressions. C’est pour créer le chaos, pour réduire l’Etat-nation à de la poussière qui va devenir après une région de l’Europe, puis du monde, puis du Nouvel Ordre Mondial ».

Wilson Pinto évoque également les vaccins qu'il accuse de « nous [donner] l'autisme ». Tout en se félicitant d’une « victoire de la Dissidence » concernant le vaccin contre la grippe A(H1N1) (« Ils n’ont vacciné que 2 millions de personnes sur les 50 millions de prévu »), il dénonce la présence dans les vaccins de substances telles que l'aluminium et le squalène. En fait, notre organisme produit naturellement du squalène et l’aluminium contenu dans certains vaccins est, jusqu'à preuve du contraire, sans danger pour la santé.

Wilson Pinto et Maxime Nicolle (Live Facebook, 24 février 2019).

Trois jours avant ce direct, Wilson Pinto décrochait le gros lot. Maxime Nicolle alias « Fly Rider » lui avait fait l'honneur de venir parler sur son live qui cumulera à lui seul 40 000 vues et 592 partages. L’occasion parfaite pour capter une audience plus large et faire connaître les « Gilets jaunes constituants » ! Occasion parfaite également pour que les deux trublions s’encouragent mutuellement dans leurs fantasmes de « Nouvel Ordre Mondial ». Wilson Pinto commence dans ce live par réagir à l’actualité en Algérie et au Venezuela. Il dresse le parallèle suivant : « Ce n’est pas pour rien que d’un coup le Venezuela et l’Algérie [sont] touchés. Ce sont deux territoires avec du pétrole ! […] Vous ne voyez pas le parallèle entre le Venezuela et l’Algérie ? Au même moment, deux des plus grandes réserves de pétrole au monde… Réveillez-vous, y a un problème ! ». Puis d’ajouter : « les sionistes ont toujours rêvé de reprendre l’Algérie depuis 1962 […] ce n’est pas des vivres que donnent les Etats-Unis au Venezuela, vous savez ce qu’il y a dedans ? C’est des armes ! Ils sont en train d’armer les opposants, heureusement que la Russie est là ». Là et bien là en effet : quelques semaines plus tard, une centaine de militaires russes arriveront par avion au Venezuela dans le cadre d’une coopération technique.

Quelques minutes plus tard, Wilson Pinto change de sujet et met en garde ses spectateurs :

« Avant d’être gilets jaunes constituants, on était dissidents ! Bien sûr qu’on connaît la franc-maçonnerie, bien sûr qu’on connaît le talmudisme, bien entendu qu’on connaît la pédo-criminalité […] Pour tous ceux qui connaissent le monde de la Dissidence, quand on s’attaque à la pédo-criminalité, à la franc-maçonnerie, il y a des séquelles. On est prêt mais attention : dans le passé, j’ai eu des problèmes. »

Wilson Pinto poursuit en appelant ses fans à se rendre d’abord « devant des petites loges [maçonniques - ndlr] » car : « Vous avez bien vu, quand des grands noms de la Dissidence ont voulu s’en prendre à eux… le CRIF par exemple. Vous avez vu la répression qu’ils ont subi ?! Regardez Dieudo, regardez Soral, regardez Hervé Ryssen, regardez Assange, regardez tous ces mecs-là, regardez Laurent Louis et Youssouf Hindi qui commencent à être menacés ! Allons-y mollo ».

La popularité de Wilson Pinto n’a pas été instantanée. Son profil Facebook « Sirius Galactica », sur lequel il partage de très nombreux articles issus de la complosphère antisémite, a été créé en novembre 2018 soit au tout début du mouvement. Durant quelques semaines, il multiplie les posts et les vidéos qu’il partage conjointement dans différents groupes de Gilets jaunes tels que « les gilets jaunes Nazairien-nes », « Transition Pacifique », ou encore « La France en colère – carte des rassemblements » – le plus connu de tous avec plus de 350 000 membres.

Au tout début du mouvement, Wilson dénonçait déjà l’ennemi à abattre : l’« oligarchie ». Sur son propre gilet jaune, on peut lire distinctement la mention : « Oligarques en prison ». Lors de ses visites avec « GJ 91 », l’ancien éducateur vise particulièrement les banquiers – renommés « banksters », contraction de « banquiers » et de « gangsters » – comme lors de sa visite devant Goldman Sachs en janvier : « Le pouvoir profond c’est le monde de la finance, c’est la banque, c’est eux qui détiennent l’oligarchie ». Se défendant évidemment d’être « complotiste », Pinto n’hésite pas néanmoins à expliquer que le terrorisme « est en grande partie financé par la France » dans une vidéo du 28 janvier intitulée « Destituons Macron ! Avec une députée LREM ». Le 30 janvier, on le retrouve devant le siège parisien du FMI avec ses acolytes : « On est unis contre l’oligarchie mondialiste, cette oligarchie qui a créé des institutions lucifériennes comme celle-ci ! C’est la mafia, c’est l’anéantissement des Etats-nations ! »

Sur les réseaux sociaux, le profil « Sirius Galactica » est bien plus policé que ses anciens comptes à son patronyme. Ce qui ne l’empêche pas pour autant de liker un photomontage inspiré de l’affiche du film « L’Associé du Diable », où l’on voit le Lord britannique Jacob Rothschild à l’arrière-plan entourant de ses bras Emmanuel Macron. Lord Rothschild n'a pourtant pas le moindre lien avec la banque d'affaires Rothschild & Cie pour laquelle travailla Emmanuel Macron pendant un peu plus de trois ans mais ce n'est pas le genre de détail sur lequel s'attardent les complotistes.

Des posts d’Egalité & Réconciliation sont également régulièrement aimés et partagés. Sur ces anciens profils en revanche, c’est une autre affaire. Groupes et pages complotistes font fureur au même titre que des posts dénonçant « l’oligarchie ». Dans un de ses live Facebook d’avril 2019, Wilson Pinto appelle à mettre fin au « Nouvel Ordre Mondial », à « ce système inique » et à à la République. Souhaitant qu'Emmanuel Macron soit jugé devant un tribunal populaire, Wilson Pinto conclut sur ces mots : « vive la France, à bas la République ! » (sans qu'il voit apparemment aucune contradiction à soutenir dans le même temps la candidature de François Asselineau, président d'un parti dénommé Union populaire républicaine...).

Thibault et Vincent Lapierre.

Autre « GJ 91 », Thibault a vécu son quart d’heure de célébrité warholien courant janvier 2019, lorsqu'il explique au micro de l’ancien proche de Soral, Vincent Lapierre : « Le vrai parasite social, c'est Macron. Moi, ma patronne me paie. Macron, c'est moi qui le paie. D'une certaine manière, c'est ma pute ». Ce jeune homme de 23 ans, qui ne rechigne pas à exécuter des quenelles en public, arbore sur son gilet jaune un Sacré-Cœur, l'emblème de l'Armée catholique et royale de Vendée. Thibault a en effet fait partie de l’Action française, un mouvement monarchiste d’extrême-droite fondé à la fin du XIXe siècle par Charles Maurras, qu'il a fini par quitter, n’y « trouvant pas son dû ». Thibault a également milité un temps pour le Front de Gauche… Fait étrange, Thibault est très souvent présent lors des happenings des « GJ 91 ». Pourtant, il ne se revendique pas comme tel : « je ne suis pas constituant, je suis royaliste » explique-t-il. Le drapeau qu’il transporte parfois avec lui est en effet sans équivoque.

Seb est un autre membre actif des « GJ 91 ». Seule sa voix est connue des spectateurs. Son visage n’est jamais montré à l’écran. Il est celui qui tient la caméra, celui sans qui nombre de vidéos n’auraient sans doute pas pu exister. Sur son gilet jaune, on peut lire le terme « Gentil virus », comme s’auto-désignent les fans d’Etienne Chouard. Etant quasi constamment en train de filmer, il se doit d’être présent à chaque action. Mais sa participation aux happenings n’est pas passive pour autant. Il assure les interviews de ses camarades et d’invités spéciaux comme Sylvain Baron, comparse de Vincent Lapierre, Isadora Duncan (le « journaliste-gilet jaune ») ou encore Lucien Cerise, l’un des auteurs-conférenciers mis en orbite par le site d’Alain Soral.

C’est ainsi que le 20 février 2019, face à ce dernier qui lui parle de révolutions en Ukraine et de l’effondrement du système, le cameraman en herbe enchaîne à son tour sur une entité mystérieuse : « Eux là-haut, ils comptent aussi sur cet effondrement parce qu’il est calculé avec une suite qu’ils veulent nous imposer ». Quelques minutes plus tard, il lance Cerise sur… Etienne Chouard. Car, là encore, « Seb » n’est pas un nouveau dans le monde du militantisme. En 2013 déjà, on peut le voir soutenir une banderole barrée de la phrase : « La démocratie par le tirage au sort ». Un mot d’ordre directement issu des partisans de Chouard.

Toujours le 20 février, près des locaux de France Télévisions, Seb interviewait Mehdi Mnaouar, ancien candidat sans étiquette aux législatives de 2017 dans les Yvelines. Ensemble, ils discutent des francs-maçons que Mnaouar désigne comme « l’ennemi ». Quelques minutes plus tôt, il avait déclaré en live :

« Il y a des attentats sous faux drapeau […] à la fin de la Première Guerre mondiale on a fait supporter au peuple allemand les pertes de la Première Guerre mondiale. Il s’est passé ce qu’il s’est passé, ils ont élu un extrême, c’était manigancé. Il faut tout remettre en cause les amis : les pyramides d’Egypte, Jeanne d’Arc… C’est des histoires, où, vous y réfléchissez deux secondes, même un enfant va douter de leur véracité »... le tout sans que « Seb » ne cherche à le contredire. Il faut dire que par la suite le cameraman en ajoute une couche : « Notre chère élite nous connaît mieux que nous-mêmes et donc ils savent nous manipuler et que ça passe crème » (sic).

Lucien Cerise et Wilson Pinto (Facebook, 16 février 2019)

Sur son profil Facebook, on constate que Seb, comme ses pairs, est un fan de Dieudonné. Plusieurs posts du polémiste ont recueilli ses likes. Dans ses contacts, on trouve, sans surprise : Vincent Vauclin.

Les autres « GJ 91 » sont plus prudents. On ne les voit jamais ou très peu à l’écran et aucune indication n’est donnée sur leur identité. Cela ne les empêche pas pour autant de baigner dans le complotisme face à la caméra, faisant constamment référence au « pouvoir profond », à « l’élite » et à « l’oligarchie ».

Parfois, ce sont des menaces à peine voilées que profère le groupe comme lors de leur visite au siège parisien de la banque Goldman-Sachs où l’un deux déclare :

« Pour les raclures, tous ces collabos et ces personnes qui travaillent pour Goldman-Sachs : sachez bien que ce que vous faites est criminel. Vous serez jugés et vous paierez de vos crimes, il n’y aura ni pardon ni oubli ».

Leurs Facebook Live étaient au départ diffusés sur un groupe public nommé « Gilets jaunes constituants 91 ». Ce groupe a été créé le 23 février 2019 soit plus de quatre mois après le début du mouvement ! Il compte à l’heure actuelle plus de 1500 membres mais semble moins actif de jour en jour. Depuis le 6 mars, c’est sur la page « Gilets jaunes constituants page de secours » que sont diffusées leurs actions en direct. Cette page – qui compte environ 12 000 abonnés – semble être accessible à tous les groupes « constituants » de France. Ces lives sont ensuite postés sur une chaîne YouTube dédiée qui a été créée le 10 décembre 2018. Elle comptabilise à ce jour près de 845 000 vues pour un total de 188 vidéos, soit plus d’une par jour !

Entre leurs rencontres avec le conférencier soralien Youssef Hindi et Farida Belghoul, les « GJ 91 » délivrent des messages confus et conspirationnistes. En débarquant de façon impromptue devant des lieux ciblés, ils peuvent arriver à leurs fins. Devant Le Parisien, ils réussissent à parler à un journaliste, à Nicolas Dupont-Aignan devant BFM TV, à la députée LFI Mathilde Panot devant l’Assemblée Nationale ou encore à la sociologue Monique Pinçon-Charlot dans un café. Leur nombre d’abonnés quant à lui augmente de jour en jour. Une progression que ne freinent ni l’antisémitisme, ni l’antimaçonnisme, ni l’obscurantisme ni la haine des institutions républicaines qui transpirent de leurs propos.

Contacté par Conspiracy Watch, « Sirius Galactica » a décliné notre demande d’interview, arguant qu’il « préférait parler avec des organisations sérieuses. »

 

Mise à jour du 21/06/2019 : ajout de précisions sur l'activité d'éducateur de Wilson Pinto.

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Depuis leur apparition il y a six mois, ils ont posté plus de vidéos de leurs actions qu'il ne s'est écoulé de jours. Qui sont les Gilets jaunes du 91 ? Que veulent-ils ?

Wilson Pinto et ses amis devant le siège de la banque JP Morgan, Place Vendôme à Paris (capture d'écran YouTube / GiletsJaunes Constituants, 15 janvier 2019).

Ils manifestent devant les entrées de grands médias nationaux comme Europe 1, Radio France, BFM TV ou France Télévisions. Ils pourfendent la « dictature de l’oligarchie » devant les sièges de la banque Rothschild, JP Morgan, Lazard, Goldman Sachs, le Conseil constitutionnel, l’Assemblée nationale ou le Ministère de l’Education Nationale… Depuis la mi-décembre 2018, une dizaine de Gilets jaunes « constituants » (référence explicite à Etienne Chouard) enchaînent les actions coup de poing. Leurs faits d'armes sont systématiquement filmés, retransmis en direct sur Facebook puis postés sur leur chaîne YouTube.

Devant la Bank of America, ils demandent à parler à Bernard Mourad, le directeur du siège parisien ; à Sud Radio, c’est avec Yves de Kerdrel qu’ils désirent s’entretenir. A RTL, ils en veulent à Patrick Cohen, qui n’y travaille pourtant plus depuis plus de onze ans... Le but de cette « guerre psychologique » ? La démission d’Emmanuel Macron et son remplacement par un gouvernement de transition qui sera chargé de faire entrer en vigueur une nouvelle Constitution écrite directement par les citoyens. Mais dans leurs vidéos qui cumulent sur YouTube près d’un million de vues, Wilson, Michka, Thibault, Seb, Karim et les autres « GJ 91 » (91 pour le département de l’Essonne) accumulent fausses informations et théories du complot.

Ainsi le 22 janvier dernier : lors d’une manifestation devant le siège parisien de la Goldman Sachs, ils évoquent une citation qu'ils attribuent à Mayer Amschel Rothschild, fondateur de la dynastie banquière du même nom (« Laissez-moi le pouvoir de créer la monnaie, je me fous de ceux qui font les lois »). La citation est en fait apocryphe : apparue plus d’un siècle après la mort de Mayer Amschel Rothschild, elle n'a, comme le montre l'enquête que nous avons menée, jamais été prononcée ou écrite par aucun membre de la famille Rothschild :

Même si la plupart d’entre eux sont masqués lors de ces actions, une poignée n’a aucune réticence à se montrer à visage découvert. C’est le cas d’un dénommé Wilson Pinto, de loin le membre le plus actif du groupe. Ce quadragénaire converti à l'islam sous le nom de « Wilson Ahmed al Barisi » répond sur les réseaux sociaux au pseudonyme de « Sirius Galactica ». Ancien compagnon de route de la Dissidence française (voir ici et ), un groupuscule néo-fasciste fondé par Vincent Vauclin, Wilson Pinto est surtout le fondateur de « la Citadelle », « un mouvement dissident d’émancipation par la foi monothéiste » désigné ainsi en référence à un recueil d'invocations coraniques intitulé La Citadelle du musulman.

Luttant « contre le monde moderne incarné par une élite mondialiste et oligarchique, voulant mettre en esclavage l’humanité », le mouvement – dont le site, lacitadelle.org, était actif jusqu’en 2017 – « ne reconnaît pas le système républicain en vigueur en France » et appelle « au boycott des élections pour toutes investitures » qu’il considère « illégitimes vis-à-vis de (ses) principes et vis-à-vis du peuple ». Il ne reconnaît pas davantage l’Union européenne ou l’ONU, et condamne le « sionisme », « l’impérialisme Nord-Américain » ainsi que l'OTAN, qualifiée d’« organisation criminelle ».

Manifestation pour la liberté d'expression au Trocadéro (Paris, 7 mars 2015). A droite, Wilson Pinto tenant la pancarte "La Citadelle".

Sur le site de « la Citadelle », Pinto et ses amis proclament : « Nous cherchons à nous prémunir des illusions du monde moderne à travers des solutions alternatives et nous pensons que seule une sortie du monde libéral libertaire permettra au peuple de s’émanciper de l’esclavagisme installé par l’oligarchie mondialiste d’essence sioniste ». Outre les biographies – très orientées – de George Soros et de la famille Rothschild que propose la plateforme, on peut également y trouver des articles anti-vaccins et d’autres signés par le théoricien du complot Thierry Meyssan.

« Nouvel Ordre Mondial », loges maçonniques, lobbies pharmaceutiques, déviances sexuelles : tout y passe. Lacitadelle.org recommande à ses lecteurs des sites complotistes comme Réseau Voltaire, Le Cercle des Volontaires ou encore Panamza. Et entre deux tribunes de soutien à Farida Belghoul, la passionaria des Journées de Retrait de l’Ecole (JRE), Wilson Pinto se targue d’être proche de « la dissidence de Vincent Vauclin ou d’Alain Soral » et invite « le mouvement du 14-juillet, les gens d’E&R [Egalité & Réconciliation], les gens de gauche, de droite » à se joindre à lui pour « lutter contre l’Empire ».

Pinto dispose aussi d’une chaîne YouTube. Dans une vidéo datée du 2 mai 2017 et titrée « Notre position concernant les élections », il explique que « les deux candidats les plus proches des valeurs de la Citadelle sont Jacques Cheminade d’une part mais surtout François Asselineau » avant d’ajouter quelques minutes plus tard :

« Bernard-Henry Lévy, Jacques Attali, Ruth Elkrief… Tout ça, ce sont des agents au service d’une cause, une cause qui est très claire. Une idéologie marquée par le mondialisme, par le chaos contrôlé, tout ça pour un projet final. Et là, quelles que soient les critiques que je recevrai, ce n’est pas grave, parce que c’est ce qu’on pense fortement à la Citadelle, [nous  sommes] contre une oligarchie qui souhaiterait créer un gouvernement mondial à partir de Jérusalem pour créer le Grand Israël. C’est une réalité, ce n’est pas du complotisme. »

Si, c’est du complotisme.

Fan de Dieudonné M'Bala M'Bala, Wilson Pinto reprend à son compte nombres de ses mimiques et expressions qu’il personnalise au gré de ses humeurs : « Au-dessus c’est le soleil » devient ainsi « plus haut c’est le soleil ». En 2014, exerçant comme éducateur, il envisage d'emmener, à leur demande, les jeunes dont il a la charge au théâtre de la Main d’Or, où le polémiste déjà condamné pour antisémitisme occupe la scène plusieurs fois par semaine (il en sera expulsé en 2018). Il explique que la direction de l'association de prévention spécialisée pour laquelle il travaillait a finalement annulé la sortie. Se revendiquant « antisioniste », Pinto a assimilé tous les codes du discours crypto-antisémite évoquant par exemple dans une vidéo intitulée « Je ne suis pas Charlie », postée en 2015, la fameuse « communauté organisée » – allusion codée à la communauté juive.

Retour au présent. En plus de ses vidéos avec les « GJ 91 », l’ancien éducateur se remet à l’exercice filmé en solitaire et livre assez régulièrement des Facebook Live à sa communauté forte de quelque 3600 abonnés.

Dans un direct daté du 27 février 2019, il recommande à ses spectateurs le livre La Controverse de Sion de Douglas Reed, auteur antisémite britannique édité par Kontre-Kulture, la société d’édition d’Alain Soral. Wilson Pinto qualifie l’ouvrage de « bombe atomique », ajoutant :

« Entendons-nous bien les amis, quand on parle de Sion, on parle du sionisme, du talmudisme, rien d’autre [sic] ; on ne parle pas de religions ! On parle d’une idéologie mortifère et élitiste. C’est cette élite qui est à l’origine de la franc-maçonnerie ».

Dans ce même live qui cumule tout de même les 7000 vues avec plus de 1600 commentaires et 135 partages, Wilson Pinto s’exprime également au sujet d’Emmanuel Macron et du « pouvoir profond » :

« Notre ennemi c’est le pouvoir profond, c’est une trentaine de personnes qui gèrent dans l’ombre […] on voit tous qu’il y a quelque chose qui tient Macron, qui est au-dessus de lui. Macron est assujetti aux banques, à l’Union Européenne […], y’a clairement un pouvoir au-dessus de lui : les technocrates, les banques, les francs-maçons mais ça on en parlera plus tard… Macron, c’est un pantin ».

Puis « les francs-maçons […] sont pour la théorie du genre, pour l’homoparentalité, pour le mariage pour tous, c’est eux qui sont à l’origine de toutes ces soi-disant avancées sociales qui sont en fait des régressions. C’est pour créer le chaos, pour réduire l’Etat-nation à de la poussière qui va devenir après une région de l’Europe, puis du monde, puis du Nouvel Ordre Mondial ».

Wilson Pinto évoque également les vaccins qu'il accuse de « nous [donner] l'autisme ». Tout en se félicitant d’une « victoire de la Dissidence » concernant le vaccin contre la grippe A(H1N1) (« Ils n’ont vacciné que 2 millions de personnes sur les 50 millions de prévu »), il dénonce la présence dans les vaccins de substances telles que l'aluminium et le squalène. En fait, notre organisme produit naturellement du squalène et l’aluminium contenu dans certains vaccins est, jusqu'à preuve du contraire, sans danger pour la santé.

Wilson Pinto et Maxime Nicolle (Live Facebook, 24 février 2019).

Trois jours avant ce direct, Wilson Pinto décrochait le gros lot. Maxime Nicolle alias « Fly Rider » lui avait fait l'honneur de venir parler sur son live qui cumulera à lui seul 40 000 vues et 592 partages. L’occasion parfaite pour capter une audience plus large et faire connaître les « Gilets jaunes constituants » ! Occasion parfaite également pour que les deux trublions s’encouragent mutuellement dans leurs fantasmes de « Nouvel Ordre Mondial ». Wilson Pinto commence dans ce live par réagir à l’actualité en Algérie et au Venezuela. Il dresse le parallèle suivant : « Ce n’est pas pour rien que d’un coup le Venezuela et l’Algérie [sont] touchés. Ce sont deux territoires avec du pétrole ! […] Vous ne voyez pas le parallèle entre le Venezuela et l’Algérie ? Au même moment, deux des plus grandes réserves de pétrole au monde… Réveillez-vous, y a un problème ! ». Puis d’ajouter : « les sionistes ont toujours rêvé de reprendre l’Algérie depuis 1962 […] ce n’est pas des vivres que donnent les Etats-Unis au Venezuela, vous savez ce qu’il y a dedans ? C’est des armes ! Ils sont en train d’armer les opposants, heureusement que la Russie est là ». Là et bien là en effet : quelques semaines plus tard, une centaine de militaires russes arriveront par avion au Venezuela dans le cadre d’une coopération technique.

Quelques minutes plus tard, Wilson Pinto change de sujet et met en garde ses spectateurs :

« Avant d’être gilets jaunes constituants, on était dissidents ! Bien sûr qu’on connaît la franc-maçonnerie, bien sûr qu’on connaît le talmudisme, bien entendu qu’on connaît la pédo-criminalité […] Pour tous ceux qui connaissent le monde de la Dissidence, quand on s’attaque à la pédo-criminalité, à la franc-maçonnerie, il y a des séquelles. On est prêt mais attention : dans le passé, j’ai eu des problèmes. »

Wilson Pinto poursuit en appelant ses fans à se rendre d’abord « devant des petites loges [maçonniques - ndlr] » car : « Vous avez bien vu, quand des grands noms de la Dissidence ont voulu s’en prendre à eux… le CRIF par exemple. Vous avez vu la répression qu’ils ont subi ?! Regardez Dieudo, regardez Soral, regardez Hervé Ryssen, regardez Assange, regardez tous ces mecs-là, regardez Laurent Louis et Youssouf Hindi qui commencent à être menacés ! Allons-y mollo ».

La popularité de Wilson Pinto n’a pas été instantanée. Son profil Facebook « Sirius Galactica », sur lequel il partage de très nombreux articles issus de la complosphère antisémite, a été créé en novembre 2018 soit au tout début du mouvement. Durant quelques semaines, il multiplie les posts et les vidéos qu’il partage conjointement dans différents groupes de Gilets jaunes tels que « les gilets jaunes Nazairien-nes », « Transition Pacifique », ou encore « La France en colère – carte des rassemblements » – le plus connu de tous avec plus de 350 000 membres.

Au tout début du mouvement, Wilson dénonçait déjà l’ennemi à abattre : l’« oligarchie ». Sur son propre gilet jaune, on peut lire distinctement la mention : « Oligarques en prison ». Lors de ses visites avec « GJ 91 », l’ancien éducateur vise particulièrement les banquiers – renommés « banksters », contraction de « banquiers » et de « gangsters » – comme lors de sa visite devant Goldman Sachs en janvier : « Le pouvoir profond c’est le monde de la finance, c’est la banque, c’est eux qui détiennent l’oligarchie ». Se défendant évidemment d’être « complotiste », Pinto n’hésite pas néanmoins à expliquer que le terrorisme « est en grande partie financé par la France » dans une vidéo du 28 janvier intitulée « Destituons Macron ! Avec une députée LREM ». Le 30 janvier, on le retrouve devant le siège parisien du FMI avec ses acolytes : « On est unis contre l’oligarchie mondialiste, cette oligarchie qui a créé des institutions lucifériennes comme celle-ci ! C’est la mafia, c’est l’anéantissement des Etats-nations ! »

Sur les réseaux sociaux, le profil « Sirius Galactica » est bien plus policé que ses anciens comptes à son patronyme. Ce qui ne l’empêche pas pour autant de liker un photomontage inspiré de l’affiche du film « L’Associé du Diable », où l’on voit le Lord britannique Jacob Rothschild à l’arrière-plan entourant de ses bras Emmanuel Macron. Lord Rothschild n'a pourtant pas le moindre lien avec la banque d'affaires Rothschild & Cie pour laquelle travailla Emmanuel Macron pendant un peu plus de trois ans mais ce n'est pas le genre de détail sur lequel s'attardent les complotistes.

Des posts d’Egalité & Réconciliation sont également régulièrement aimés et partagés. Sur ces anciens profils en revanche, c’est une autre affaire. Groupes et pages complotistes font fureur au même titre que des posts dénonçant « l’oligarchie ». Dans un de ses live Facebook d’avril 2019, Wilson Pinto appelle à mettre fin au « Nouvel Ordre Mondial », à « ce système inique » et à à la République. Souhaitant qu'Emmanuel Macron soit jugé devant un tribunal populaire, Wilson Pinto conclut sur ces mots : « vive la France, à bas la République ! » (sans qu'il voit apparemment aucune contradiction à soutenir dans le même temps la candidature de François Asselineau, président d'un parti dénommé Union populaire républicaine...).

Thibault et Vincent Lapierre.

Autre « GJ 91 », Thibault a vécu son quart d’heure de célébrité warholien courant janvier 2019, lorsqu'il explique au micro de l’ancien proche de Soral, Vincent Lapierre : « Le vrai parasite social, c'est Macron. Moi, ma patronne me paie. Macron, c'est moi qui le paie. D'une certaine manière, c'est ma pute ». Ce jeune homme de 23 ans, qui ne rechigne pas à exécuter des quenelles en public, arbore sur son gilet jaune un Sacré-Cœur, l'emblème de l'Armée catholique et royale de Vendée. Thibault a en effet fait partie de l’Action française, un mouvement monarchiste d’extrême-droite fondé à la fin du XIXe siècle par Charles Maurras, qu'il a fini par quitter, n’y « trouvant pas son dû ». Thibault a également milité un temps pour le Front de Gauche… Fait étrange, Thibault est très souvent présent lors des happenings des « GJ 91 ». Pourtant, il ne se revendique pas comme tel : « je ne suis pas constituant, je suis royaliste » explique-t-il. Le drapeau qu’il transporte parfois avec lui est en effet sans équivoque.

Seb est un autre membre actif des « GJ 91 ». Seule sa voix est connue des spectateurs. Son visage n’est jamais montré à l’écran. Il est celui qui tient la caméra, celui sans qui nombre de vidéos n’auraient sans doute pas pu exister. Sur son gilet jaune, on peut lire le terme « Gentil virus », comme s’auto-désignent les fans d’Etienne Chouard. Etant quasi constamment en train de filmer, il se doit d’être présent à chaque action. Mais sa participation aux happenings n’est pas passive pour autant. Il assure les interviews de ses camarades et d’invités spéciaux comme Sylvain Baron, comparse de Vincent Lapierre, Isadora Duncan (le « journaliste-gilet jaune ») ou encore Lucien Cerise, l’un des auteurs-conférenciers mis en orbite par le site d’Alain Soral.

C’est ainsi que le 20 février 2019, face à ce dernier qui lui parle de révolutions en Ukraine et de l’effondrement du système, le cameraman en herbe enchaîne à son tour sur une entité mystérieuse : « Eux là-haut, ils comptent aussi sur cet effondrement parce qu’il est calculé avec une suite qu’ils veulent nous imposer ». Quelques minutes plus tard, il lance Cerise sur… Etienne Chouard. Car, là encore, « Seb » n’est pas un nouveau dans le monde du militantisme. En 2013 déjà, on peut le voir soutenir une banderole barrée de la phrase : « La démocratie par le tirage au sort ». Un mot d’ordre directement issu des partisans de Chouard.

Toujours le 20 février, près des locaux de France Télévisions, Seb interviewait Mehdi Mnaouar, ancien candidat sans étiquette aux législatives de 2017 dans les Yvelines. Ensemble, ils discutent des francs-maçons que Mnaouar désigne comme « l’ennemi ». Quelques minutes plus tôt, il avait déclaré en live :

« Il y a des attentats sous faux drapeau […] à la fin de la Première Guerre mondiale on a fait supporter au peuple allemand les pertes de la Première Guerre mondiale. Il s’est passé ce qu’il s’est passé, ils ont élu un extrême, c’était manigancé. Il faut tout remettre en cause les amis : les pyramides d’Egypte, Jeanne d’Arc… C’est des histoires, où, vous y réfléchissez deux secondes, même un enfant va douter de leur véracité »... le tout sans que « Seb » ne cherche à le contredire. Il faut dire que par la suite le cameraman en ajoute une couche : « Notre chère élite nous connaît mieux que nous-mêmes et donc ils savent nous manipuler et que ça passe crème » (sic).

Lucien Cerise et Wilson Pinto (Facebook, 16 février 2019)

Sur son profil Facebook, on constate que Seb, comme ses pairs, est un fan de Dieudonné. Plusieurs posts du polémiste ont recueilli ses likes. Dans ses contacts, on trouve, sans surprise : Vincent Vauclin.

Les autres « GJ 91 » sont plus prudents. On ne les voit jamais ou très peu à l’écran et aucune indication n’est donnée sur leur identité. Cela ne les empêche pas pour autant de baigner dans le complotisme face à la caméra, faisant constamment référence au « pouvoir profond », à « l’élite » et à « l’oligarchie ».

Parfois, ce sont des menaces à peine voilées que profère le groupe comme lors de leur visite au siège parisien de la banque Goldman-Sachs où l’un deux déclare :

« Pour les raclures, tous ces collabos et ces personnes qui travaillent pour Goldman-Sachs : sachez bien que ce que vous faites est criminel. Vous serez jugés et vous paierez de vos crimes, il n’y aura ni pardon ni oubli ».

Leurs Facebook Live étaient au départ diffusés sur un groupe public nommé « Gilets jaunes constituants 91 ». Ce groupe a été créé le 23 février 2019 soit plus de quatre mois après le début du mouvement ! Il compte à l’heure actuelle plus de 1500 membres mais semble moins actif de jour en jour. Depuis le 6 mars, c’est sur la page « Gilets jaunes constituants page de secours » que sont diffusées leurs actions en direct. Cette page – qui compte environ 12 000 abonnés – semble être accessible à tous les groupes « constituants » de France. Ces lives sont ensuite postés sur une chaîne YouTube dédiée qui a été créée le 10 décembre 2018. Elle comptabilise à ce jour près de 845 000 vues pour un total de 188 vidéos, soit plus d’une par jour !

Entre leurs rencontres avec le conférencier soralien Youssef Hindi et Farida Belghoul, les « GJ 91 » délivrent des messages confus et conspirationnistes. En débarquant de façon impromptue devant des lieux ciblés, ils peuvent arriver à leurs fins. Devant Le Parisien, ils réussissent à parler à un journaliste, à Nicolas Dupont-Aignan devant BFM TV, à la députée LFI Mathilde Panot devant l’Assemblée Nationale ou encore à la sociologue Monique Pinçon-Charlot dans un café. Leur nombre d’abonnés quant à lui augmente de jour en jour. Une progression que ne freinent ni l’antisémitisme, ni l’antimaçonnisme, ni l’obscurantisme ni la haine des institutions républicaines qui transpirent de leurs propos.

Contacté par Conspiracy Watch, « Sirius Galactica » a décliné notre demande d’interview, arguant qu’il « préférait parler avec des organisations sérieuses. »

 

Mise à jour du 21/06/2019 : ajout de précisions sur l'activité d'éducateur de Wilson Pinto.

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