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Le mythe des ''200 familles'' ferait-il son come-back sur Marianne2.fr ?

Publié par La Rédaction06 mars 2010

Certains mythes ont décidément la vie dure.

Il semble que la rédaction du site Marianne2.fr – qu’on aura connu mieux inspirée – a cru judicieux de relayer en tête de sa page d’accueil un texte du blogueur Slovar sur les familles les plus riches de France, et de l’intituler « Fortune : le retour des 200 Familles ». Faut-il rappeler que Le retour des 200 familles est le titre d’un ouvrage de l’idéologue antisémite Henry Coston publié en 1960 ? Apparemment oui.

Le billet de Slovar reprend de larges extraits d'un dossier du Journal du Net consacré à « Ces familles qui règnent sur le business français » (lequel se base sur le classement 2009 des 500 premières fortunes de France réalisé par le magazine Challenges). Il consiste également en un copier-coller de la page « Deux cents familles » de... Wikipédia. On peut cependant se sentir en droit d'être réservé sur l'opportunité d'apporter de l'eau au moulin des conspirationnistes de tous poils en renvoyant à une expression aussi sulfureuse qu’ambigüe et surtout en citant, sans la moindre remarque critique, la fameuse phrase lancée par Edouard Daladier à la tribune du congrès radical de Nantes le 28 octobre 1934 sur ces « deux cents familles (...), maîtresses de l'économie française et, en fait, de la politique française », qui « placent au pouvoir leurs délégués », « contrôlent la presse », et dont l’influence « pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit ».

Nul ne peut nier sérieusement que les plus grosses fortunes exercent parfois une influence dans la sphère politique. Reste que la portée réelle de cette influence a été très souvent exagérée et qu’elle n’a, au contraire, que trop rarement fait l’objet d’une évaluation scrupuleuse, comme celle entreprise par Jean Garrigues dans Les patrons et la politique (Perrin, 2002). Cela aurait mérité d'être signalé.

Tout comme il n'aurait pas été inutile d'indiquer que le thème des « deux cents familles qui tirent en coulisses les ficelles de la presse et de la politique » s’inscrit pleinement dans ce que l’historien André Gueslin appelle les « mythologies de l’argent » (Essai sur l’histoire des représentations de la richesse et de la pauvreté dans la France contemporaine, Economica, 2007), qui n’en finissent pas de hanter notre imaginaire politique. Depuis la Révolution, on n’a cessé de prêter aux « nantis », un pouvoir démesuré relevant davantage de la légende que des faits, ainsi que le montre Pierre Birnbaum dans Le peuple et les gros. Histoire d'un mythe (Hachette Littérature, coll. Pluriel, 1979 ; rééd. 1995). Cette idéologie démagogique, qui exploite les frustrations et les peurs et fait fi de toute complexité, a fait les choux gras du poujadisme (défense des « petits »), puis du lepénisme (critique de « l’establishment »). Elle a contribué à unir extrême droite et extrême gauche dans une commune dénonciation de la démocratie représentative.

Enfin, cette formule des « deux cents familles » aurait-elle connu pareil succès sans le renfort d’un puissant courant antisémite, très vivace dans l’entre-deux-guerres ? Serait-elle passée à la postérité si elle n’avait pas partie liée avec la recherche éternelle de boucs émissaires ? Aurait-elle inspiré le titre d’un de ses livres à Henry Coston si le mythe qu'elle désigne n’était pas venu conforter les fantasmes des pourfendeurs de la « finance juive » ?

Pour aller plus loin :
* André Gueslin, Mythologies de l’argent. Essai sur l’histoire des représentations de la richesse et de la pauvreté dans la France contemporaine (XIXe-XXe siècles), Economica, 2007.
* Jean Garrigues, Les patrons et la politique. De Schneider à Seillière, Perrin, 2002.
* Pierre Birnbaum, Le peuple et les gros. Histoire d'un mythe, Hachette Littérature, coll. Pluriel, 1979 ; rééd. 1995. Lire la critique de Daniel Bermond dans L'Express.
* René Sédillot, Les deux cents familles, Perrin, coll. Vérités et légendes, 1988.

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Certains mythes ont décidément la vie dure.

Il semble que la rédaction du site Marianne2.fr – qu’on aura connu mieux inspirée – a cru judicieux de relayer en tête de sa page d’accueil un texte du blogueur Slovar sur les familles les plus riches de France, et de l’intituler « Fortune : le retour des 200 Familles ». Faut-il rappeler que Le retour des 200 familles est le titre d’un ouvrage de l’idéologue antisémite Henry Coston publié en 1960 ? Apparemment oui.

Le billet de Slovar reprend de larges extraits d'un dossier du Journal du Net consacré à « Ces familles qui règnent sur le business français » (lequel se base sur le classement 2009 des 500 premières fortunes de France réalisé par le magazine Challenges). Il consiste également en un copier-coller de la page « Deux cents familles » de... Wikipédia. On peut cependant se sentir en droit d'être réservé sur l'opportunité d'apporter de l'eau au moulin des conspirationnistes de tous poils en renvoyant à une expression aussi sulfureuse qu’ambigüe et surtout en citant, sans la moindre remarque critique, la fameuse phrase lancée par Edouard Daladier à la tribune du congrès radical de Nantes le 28 octobre 1934 sur ces « deux cents familles (...), maîtresses de l'économie française et, en fait, de la politique française », qui « placent au pouvoir leurs délégués », « contrôlent la presse », et dont l’influence « pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit ».

Nul ne peut nier sérieusement que les plus grosses fortunes exercent parfois une influence dans la sphère politique. Reste que la portée réelle de cette influence a été très souvent exagérée et qu’elle n’a, au contraire, que trop rarement fait l’objet d’une évaluation scrupuleuse, comme celle entreprise par Jean Garrigues dans Les patrons et la politique (Perrin, 2002). Cela aurait mérité d'être signalé.

Tout comme il n'aurait pas été inutile d'indiquer que le thème des « deux cents familles qui tirent en coulisses les ficelles de la presse et de la politique » s’inscrit pleinement dans ce que l’historien André Gueslin appelle les « mythologies de l’argent » (Essai sur l’histoire des représentations de la richesse et de la pauvreté dans la France contemporaine, Economica, 2007), qui n’en finissent pas de hanter notre imaginaire politique. Depuis la Révolution, on n’a cessé de prêter aux « nantis », un pouvoir démesuré relevant davantage de la légende que des faits, ainsi que le montre Pierre Birnbaum dans Le peuple et les gros. Histoire d'un mythe (Hachette Littérature, coll. Pluriel, 1979 ; rééd. 1995). Cette idéologie démagogique, qui exploite les frustrations et les peurs et fait fi de toute complexité, a fait les choux gras du poujadisme (défense des « petits »), puis du lepénisme (critique de « l’establishment »). Elle a contribué à unir extrême droite et extrême gauche dans une commune dénonciation de la démocratie représentative.

Enfin, cette formule des « deux cents familles » aurait-elle connu pareil succès sans le renfort d’un puissant courant antisémite, très vivace dans l’entre-deux-guerres ? Serait-elle passée à la postérité si elle n’avait pas partie liée avec la recherche éternelle de boucs émissaires ? Aurait-elle inspiré le titre d’un de ses livres à Henry Coston si le mythe qu'elle désigne n’était pas venu conforter les fantasmes des pourfendeurs de la « finance juive » ?

Pour aller plus loin :
* André Gueslin, Mythologies de l’argent. Essai sur l’histoire des représentations de la richesse et de la pauvreté dans la France contemporaine (XIXe-XXe siècles), Economica, 2007.
* Jean Garrigues, Les patrons et la politique. De Schneider à Seillière, Perrin, 2002.
* Pierre Birnbaum, Le peuple et les gros. Histoire d'un mythe, Hachette Littérature, coll. Pluriel, 1979 ; rééd. 1995. Lire la critique de Daniel Bermond dans L'Express.
* René Sédillot, Les deux cents familles, Perrin, coll. Vérités et légendes, 1988.

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